L’activité des motos-taxis à Cocody, une activité clandestine
The activity of motorcycle taxis in Cocody, a clandestine activity
N’Gnamien Aime Ghislain N’DA
Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), ndangnamien@gmail.com
N’Guessan Hassy Joseph KABLAN,
Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), kablanjoseph@yahoo.fr
Gnankon Estelle Gisèle KABRAN
Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire estellekabran@gmail.com,
Résumé
La ville d’Abidjan connait un développement spatial rapide avec une évolution accélérée de l’occupation du sol. Son extension spatiale a pour corollaire direct l’allongement de la distance entre les zones résidentielles et les lieux d’activités et impose aux citadins de longs parcourspour leurs déplacements professionnels et privés. Pourtant l’étalement spatial de la ville précède la construction des voies de communication. Cette situation a favorisé l’avènement d’une diversité d’activités de transport informel dans toutes les communes de la ville d’Abidjan dont celle de Cocody. La commune de Cocody, bénéficiaire d’une planification publique renforcée est le siège de plusieurs offres alternatives anciennes et même récentes de transports informels à côté des transports formels. Cet article présente une analyse de l’évolution de l’activité des motos-taxis dans le système des transports de la commune de Cocody. La méthode de travail déployée s’est appuyée sur la recherche documentaire et l’enquête terrain opérée à travers plusieurs techniques dont l’observation directe, l’entretien semi-structuré et la géolocalisation avec GPS. Les investigations révèlent une localisation de la gare et des points de chargements des motos-taxis à la marge urbaine à Cocody précisément dans les zones dépourvues de routes praticables en tout temps par les véhicules de quatre roues et plus. Cette activité bien que localisée dans une zone précise joue un rôle considérable dans le transport au quotidien des riverains de la commune de Cocody. Ainsi, les travaux de bitumage actuels et la réhabilitation des voies de communication favorisant l’incursion des moyens de transport de masse formels et des taxis informels dans les zones desservies par les motos-taxis pourraient mettre en mal l’exécution de cette activité clandestine.
Mots-clés : Cocody, transport informel, clandestinité, marges urbaines, motos-taxis,
The activity of motorcycle taxis in Cocody, a clandestine activity
Abstract
The city of Abidjan is undergoing rapid spatial development with an accelerated change in land use, which makes it the largest Ivorian city. The direct corollary of this spatial expansion is the lengthening of the distance between residential areas and places of activity and imposes on city dwellers long distances for their professional and private travel. However, the spatial sprawl of the city precedes the construction of communication routes. This situation has favored the advent of a diversity of informal transport activities in all the communes of the city of Abidjan, including Cocody. The municipality of Cocody, which is the beneficiary of enhanced public planning, is the site of the daily operation of several old and even recent alternative transport services alongside formal transport. This article presents an analysis of the evolution of the activity of two-wheeled motorcycle cabs that have made their incursion into the transport system of the commune of Cocody. The working method used was based on documentary research and fieldwork carried out using several techniques, including direct observation, semi- structured interviews and geolocation with GPS. The investigations reveal the location of the station and the loading points for motorcycle cabs on the urban fringe of Cocody, precisely in areas without roads that can be always used by vehicles with four or more wheels. This activity, although located in a specific area, plays a considerable role in the daily transportation of the residents of the town of Cocody. Thus, the current asphalting works and the rehabilitation of communication routes favoring the incursion of formal means of mass transportation and informal cabs in the areas served by two-wheeled motorcycles could jeopardize the execution of this clandestine activity.
Keywords : Cocody, informal transport, clandestinity, urban margins, motorcycle
Introduction
Le monde connait une urbanisation galopante. Plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans les villes. Légèrement inférieur à 30% en 1950, le taux d’urbanisation franchit en 2007 la « barre » des 50 % et devrait atteindre 60% en 2030 selon les nations unies (J. Véron, 2007, p.1). Cette urbanisation fulgurante du monde pose des problèmes à tous les niveaux dont le secteur du transport et tout particulièrement dans les pays dits « sous-développés ».
La Côte d’Ivoire, pays situé en Afrique de l’Ouest n’est point épargnée vu son rythme d’urbanisation proportionnel à la tendance mondiale. Cette urbanisation est plus marquée dans la capitale économique Abidjan. En effet, abritant le plus grand port du pays, plus de 50 % des industries, le siège des organisations internationales, la ville d’Abidjan connait un boom démographique et un étalement spatial important. Sa superficie est passée de 3500 ha en 1965 à 60 000 ha en 2005 (A. K. Aka, 2006, p.45). Sa population est quant à elle passée de 951 216 habitants en 1975 à 4 395 243 habitants en 2014 (RGPH). Cette situation est à la base de l’allongement des distances parcourues au quotidien par les riverains.
Toutefois, les moyens de transport formels ont du mal à couvrir la totalité des déplacements journaliers des usagers et le rythme de construction ou de réhabilitation des voies de communication n’est pas proportionnel à l’urbanisation galopante dans cette ville. En 2020, la part modale de la Societé des Transports Abidjanais (SOTRA) sur la terre ferme était de 16% et 2 % pour les bateaux bus de la Société des Transports Abidjanais, Société de Transport Lagunaire (STL) et la Compagnie Ivoirienne de Transport Lagunaire (Autorité de la Mobilité Urbaine du Grand Abidjan, 2021).
Les écrits sur les difficultés du transport formel à couvrir le déplacement des usagers dans les capitales africaines y compris la ville d’Abidjan, les facteurs d’émergence et d’évolution des activités du transport informel aux marges urbaines sont multiples.
Pour J. Lombard et O. Ninot (2012, p.7), l’émergence des opérateurs privés résulte des politiques de libéralisation économique et de la dynamique des initiatives prises par les commerçants, des migrants, des fonctionnaires, pour développer une offre alternative de transport. Pour eux, parfois, c’est l’absence même d’offre, en particulier dans les villes où les programmes d’ajustement structurel et sectoriel ont porté un coup aux compagnies publiques, qui motive le lancement d’une nouvelle ligne dans un quartier isolé ou un village.
Selon Y. S. Hadiara (2014, p.131), au moment des indépendances, les métropoles de l’Afrique francophone ont maintenu, tant bien que mal, des systèmes de transports étatiques qui se sont progressivement délités. Cette idée d’Hadiara est soutenue par « J. P. M. Olugu (2017, p.3). Pour lui, dans les capitales ou les transports publics urbains existent encore, l’offre ne répond plus aux conditions satisfaisantes de mobilité en termes de conforts, de régularité et de sécurité.
Pour B. Bordeleau1 (2015), la situation de sous-emploi et la règlementation permissive jouent également un rôle important dans la multiplication des services de transport informel. Pour lui, ce secteur d’activité fournit un nombre impressionnant d’emplois directs et indirects. Egalement même s’ils sont qualifiés d’informels, il n’est pas rare que ces services soient en fait réglementés.
Le déficit d’offres de transport public, leur l’incapacité à répondre aux besoins de mobilité, la non maitrise de l’urbanisation et le recherche de l’emploi a suscité dans les villes africaines l’émergence des offres alternatives de transport que sont : taxis non officiels (clandos, opeps, ou voitures de transport banalisés, motos-taxis, pinasses, tricycles, etc.).
La ville d’Abidjan n’a donc pas été épargnée par l’émergence des activités du transport informel dont celle des motos-taxis La commune de Cocody, l’une des vitrines de la ville d’Abidjan abrite également cette activité.
Si la crise socio-politique survenue en 2002 a induit l’avènement dans les villes des mototaxis, un nouveau mode de transport collectif (A. L. M. Eleazarus et T. Mel, 2020, p. 124), c’est en 2015 que l’activité des motos-taxis est apparue dans la commune de Cocody.
Depuis lors, cette activité clandestine et insécure n’a cessé d’évoluer et demeure toujours dans le paysage des transports de la commune. Pourtant le gouvernement ivoirien a interdit par l’entremise du communiqué du Ministre des transports le 2 mai 2019 le transport de passagers et de marchandises par des engins à deux roues dans la ville d’Abidjan.
Aujourd’hui, la réhabilitation actuelle des voies de communication dans la ville d’Abidjan et précisément dans la commune de Cocody avec pour corollaire l’extension des zones parcourues au quotidien par les autres types de moyens de transport influence le fonctionnement de cette activité qui persiste malgré son interdiction.
Cet article se propose d’analyser sous l’angle géographique l’ancrage spatial de l’activité des motos-taxis à Cocody, son importance et les difficultés rencontrées en cette période où les zones desservies sont accessibles à une pluralité de moyens de transport formels et informels.
1. Méthodologie
1.1 Sites de l’étude
Notre étude a été effectuée dans la commune de Cocody. Elle est située à l’Est de la ville d’Abidjan. Elle a été créée par la loi 80-1180 du 17 octobre 1980 relative à l’organisation municipale Elle est limitée au Sud par la lagune Ebrié, à l’Ouest par les localités d’Abobo et d’Adjamé, au Nord par la commune d’Abobo et à l’Est par la commune de Bingerville.
1 http://www.vrm.ca/le-transport-informel/
Carte 1 : Carte de la commune de Cocody
La carte 1 présente la commune de Cocody. Elle s’étend sur une superficie 132 km2 et occupe par ricochet 20,8% de la superficie totale des 13 communes du District d’Abidjan. L’étude a porté précisément sur l’activité des motos-taxis.
1.2. Collecte des données
L’obtention des résultats a été conditionnée par l’acquisition des données. Deux types de données ont été récoltées. Il s’agit des données secondaires et des données primaires. Les données secondaires sont celles issues des différentes lectures dans les bibliothèques et sur les sites internet des organismes nationaux et internationaux. Au sein des bibliothèques, des ouvrages sur l’émergence, la diffusion et les entraves au développement des taxis-motos en Afrique et plus précisément en Afrique de l’Ouest ont été consultés.
Les données primaires sont quant à elles obtenues à partir des enquêtes sur le terrain. La période d’enquête s’est étalée du 01 septembre au 15 octobre 2021. Plusieurs techniques ont été utilisées Il s’agit de l’observation directe, l’entretien semi-structuré, le questionnaire et la géolocalisation à l’aide de GPS.
L’observation a été effectuée à l’aide d’une grille d’observation. Une observation de la gare principale juste en face du Centre Hospitalier Universitaire d’Angré et des quatre points de chargements (Château, Djorogobité 1, Djorogobité 2, Akouedo Nouveau). Une observation du comportement du chef de gare, des chauffeurs, des représentants des syndicats et des passagers a également été effectuée.
L’entretien semi-structuré, il a été effectué à l’aide d’un guide d’entretien. Il a eu pour cible le chef de gare, les chauffeurs, et les riverains ayant assisté à la création de la gare et des points de chargements. Au total, 1 chef de gare, 30 chauffeurs et 30 riverains se sont prêtés à cet exercice. L’entretien du chef de gare et des chauffeurs a porté sur l’avènement de l’activité, son fonctionnement (condition d’accès, itinéraires, taxes, recette journalière) et les difficultés rencontrées. Les chauffeurs qui se sont volontairement prêtés à l’exercice ont été interrogé.
Le questionnaire a été utilisé pour recueillir la perception des usagers sur cette activité. Vu l’absence des données portant sur le nombre d’usagers transportés au quotidien, La méthode des quotas qui consiste à s’assurer de la représentativité d’un échantillon en lui affectant une structure similaire à celle de la population de base a été utilisée. 30 usagers (51% de femmes et 9% d’hommes) au sein de la gare principale ont été interrogés. Les riverains qui se sont volontairement prêtés à l’exercice ont été interrogés.
Le GPS a servi à géolocaliser la gare et les quatre points de chargements des motos-taxis dans la commune de Cocody.
1.3. Traitement et analyse des données
Pour le traitement des données, les informations recueillies à partir des entretiens, combinées à celles issues de la revue de la littérature ont fait l’objet d’une analyse qualitative. Cette analyse a consisté d’abord à mettre en rapport les variables à travers la confrontation des informations des différents entretiens et ensuite à les comparer celles recueillies à partir des observations de terrain.
Concernant l’analyse quantitative, les données provenant du questionnaire ont été analysées par le logiciel Sphinx. Ce logiciel a permis également de traduire les données obtenues en données chiffrées dans des tableaux qui ont servi à réaliser les graphiques. La réalisation des tableaux ne s’est pas faite uniquement par le logiciel sphinx, le tableur Excel 2016 a été également utilisé.
2. Résultats
2.1. La commune de Cocody : un cadre d’activité des mototaxis deux roues sur les marges
La commune de Cocody à l’image de celles des grandes villes africaines abrite une pluralité de moyens de transport formels et informels. L’activité des mototaxis deux roues figure dans cette longue liste des activités du transport informel qui se déroulent au niveau de l’assiette spatiale de cette commune. Les mototaxis deux roues ont pour zone de dessertes de prédilection les zones inaccessibles aux moyens de transport quatre roues.
2.1.1. Cocody, une commune marquée par l’existence d’une unique gare des mototaxis deux roues
Les mototaxis deux roues exercent une activité à Cocody bien qu’ils soient peu visibles dans le paysage des transports. En effet, l’unique gare de cette activitéa vu le jour en 2015 dans le village de Djorogobité 2 (8e et 9e tranche) juste à quelques mètres du nouveau CHU d’Angré selon le chef de cette gare et les chauffeurs. La photo 1 présente l’unique gare des motos-taxis deux roues à Cocody.
Photo 1: Une vue de la gare des motos-taxis à Djorogobité (prise de vue : N’DA, 2021)
En effet, ces moyens de transport permettaient au début de transporter les usagers qui souhaitaient se rendre dans le village de Djorogobité 2 (8e et 9e tranche) qui était en chantier avant même la construction de la nouvelle voie d’Angré et du nouveau CHU. Le paysage du site abritant cette activité a littéralement changé passant d’un espace isolé à l’aspect d’un village reculé à une zone urbanisée et mouvementée. La gare des mototaxis deux roues située à quelques mètres de la nouvelle voie d’Angré est toujours fonctionnelle bien qu’elle soit menacée par l’ouverture de cette voie aux véhicules.
Cette gare (photo 1) composée d’une pluralité d’acteurs comprenant le chef de gare, les représentants des syndicats et les chauffeurs a un mode de fonctionnement particulier. En effet, pour qu’une motos-taxis puisse exercer une activité de transport, il faut respecter les conditions suivantes :
- s’acquitter d’un droit de ligne dont la somme varie entre 30 000 et 50 000 FCFA,
- Payer une somme de 500 FCFA par jour auprès des représentants des syndicats comme prix du ticket (taxe journalière),
- S’acquitter d’uneUne somme de 3 000 FCFA chaque samedi auprès des représentants des syndicats pour assurer la sécurité des mototaxis en cas de soucis avec les forces de l’ordre.
Au niveau des départs sur la gare, ils ne tiennent pas compte de l’ordre d’arrivée des motos-taxis. Ils se focalisent sur le lobbying de chaque chauffeur envers les clients qui se déplacent sur le site. Selon les chauffeurs interrogés, l’activité débute à 5h30 et prend fin aux environs de 22h00. Elle peut cependant continuer en dehors de 22h00 en fonction de la somme proposée par le client et de la destination de celui-ci.
Carte 2 : Gare des motos-taxis dans la commune de Cocody
La carte 2 représente la carte de la gare des motos-taxis à Cocody. Elle est située sur une route secondaire.
Elle arrive à résister aujourd’hui du fait de l’intérêt de certains usagers pour cette activité et surtout la tolérance des agents de la mairie de Cocody.
2.1.2 L’activité des motos-taxis deux roues à Cocody, une activité dotée de quatre points de chargement
En dehors de l’unique gare, il existe 4 points de chargements (emprise accueillant l’activité des motos-taxis sans chef de gare ni responsable des syndicats) des motos-taxis Ils sont localisés dans les quartiers suivants : Angré 8e et 9e tranche (Château, Djorogobité 1 et Djorogobité 2) et Akouedo nouveau camp. Il existe 3 points de chargements dans la zone du 8e et 9e tranche et 1 point de chargements à Akouedo Nouveau.
Carte 3 : Répartition des points de chargement des mototaxis deux roues
La carte 3 montre la répartition de la gare et des points de chargement dans la commune de Cocody.
Trois des quatre points de chargement sont éloignés des voies primaires et secondaires (figure 2). Ce positionnement se justifie par les règlementations en vigueur et les tracasseries routières qui ne sont pas en faveur des mototaxis à deux roues lorsqu’elles se retrouvent sur les voies primaires et secondaires de la ville d’Abidjan.
2.2 L’activité des mototaxis à Cocody, une activité peu visible au rôle non négligeable dans le transport des usagers de la commune
Les motos-taxis desservent six quartiers au sein de la commune et deux communes limitrophes de Cocody. Malgré les contraintes liées aux tracasseries routières, les usagers sont nombreux et exercent des activités diverses.
2.2.1 L’activité des motos-taxis à Cocody, une activité aux zones de dessertes restreintes au sein de la commune
Les motos-taxis n’ont pas d’itinéraires fixes dans la commune de Cocody. En effet, ils assurent le transport des usagers de la gare vers la destination souhaitée par le client. Cependant, ils desservent des zones précises au niveau de la commune.
Carte 4 : Les quartiers de la commune de Cocody desservis par les motos-taxis
La carte 4 représente les quartiers desservis par les motos-taxis à Cocody. Il s’agit de la zone comprise entre le quartier d’Angré à celui de Génie 2000 en passant par 8e et 9e tranche, Djorogobité et Akouedo nouveau camp.
En dehors des quartiers desservis dans la commune de Cocody, les acteurs transportent les usagers vers les communes environnantes d’Abobo et Bingerville. Selon le chef de gare, les tracasseries routières et le statut des acteurs des motos-taxis justifient cette desserte spécifique et restreinte.
2.2.2 L’activité des motos-taxis à Cocody, une activité au cœur du transport des usagers au quotidien
Face à une augmentation de la demande en transport, les motos-taxis permettent de transporter un nombre conséquent d’usagers. Le prix fixé est de 500 FCFA pour les courts trajets (moins de deux kilomètres) et 1 000 FCFA pour les plus longs (Plus de cinq kilomètres). Pour les trajets moyens, le prix du déplacement varie entre 600 et 800 FCFA (Entre deux et cinq kilomètres). Selon les propos du chef de gare confirmés par les chauffeurs interrogés, la gare comporte 44 mototaxis dont la moyenne au quotidien des usagers transportés est de 10 personnes par moyen de transport. La recette journalière s’élève à 3500 FCFA.
Tableau 1: Nombre, recette journalière, prix minimum et maximum, usagers transportés à la gare des mototaxis deux roues à Cocody (8e et 9e tranche)
Activité | Nombre de motos- taxis | Recette journalière par motos- taxis | Prix minimum du transport en FCFA (Court trajet) | Prix maximum du transport en FCFA (long trajet) | Usagers transportés/ Motos- taxis/jour | Nombre total d’usagers transportés par jour par les mototaxis |
Motos- taxis | 44 | 3500 | 500 | 1000 | 10 | 440 |
Source : Enquête N’da, 2021
Le tableau 1 présente le nombre de motos-taxis au sein de la gare, la recette journalière, les prix du trajet et les usagers transportés.
A l’instar des autres types de transport informel aux marges urbaines dans la commune de Cocody, l’activité des mototaxis deux roues est appréciée par ses usagers. En effet, sur 30 usagers interrogés, 25 affirment être satisfaits des services soit 83%. La raison principale de l’utilisation de ce moyen de transport est également à mettre à l’actif de sa rapidité et sa capacité à pouvoir accéder aux zones dont la voirie est dans un état de dégradation accélérée
2.2.3 Les usagers des motos-taxis à Cocody, des usagers présentant des profils variés aux revenus modestes et aux multiples motifs de déplacements
Les usagers des mototaxis s’inscrivent dans la lignée des habitants ayant des revenus modestes et des profils spécifiques. En effet, le niveau d’étude dominant des usagers interrogés est le niveau secondaire. Il représente 55% du niveau d’étude des usagers interrogés des motos-taxis (Enquête 2021). 19% des usagers ont un niveau primaire et 13 % un niveau supérieur.
En ce qui concerne la profession des usagers des motos-taxis interrogés, les ouvriers sont les plus nombreux avec un pourcentage de 31,25%. Les commerçants et les employés du secteur privé ont également une part importante. Ils représentent respectivement 25 et 18,5 % des usagers interrogés (Voir tableau 2).
Tableau 2 : Répartition des usagers des motos-taxis selon la profession
Profession | Valeur relative (%) |
Elèves/étudiants | 18,75 |
Commerçants | 25 |
Employé du secteur privé | 18,75 |
Fonctionnaires | 6,25 |
Ouvriers | 31,25 |
Retraités | 0 |
TOTAL | 100 |
Source : Enquête N’DA, 2021
Les usagers ont des revenus modestes avec des salaires qui oscillent entre 50 000 et 200 000 FCFA (65 % des usagers). 25% des usagers ont des revenus mensuels inferieurs à 50 000 FCFA et 10 % ont des revenus supérieurs à 200 000 FCFA (Voir figure 1).
Figure 1 : Revenu des usagers des motos-taxis au niveau de la commune de Cocody
Les raisons qui sous-tendent l’utilisation des mototaxis par les riverains de la commune de Cocody sont multiples.
Etant en majeur partie des travailleurs dans le secteur public et privé, le motif de déplacement le plus important mis en exergue par les usagers des différents moyens de transport informel est le travail.
Le pourcentage élevé du travail comme motifs de déplacements des usagers de l’activité des mototaxis deux roues ne peut que corroborer cet état de fait. Les élèves et étudiants ayant une présence remarquée dans le rang des usagers des activités du transport informel aux marges urbaines ont pour motifs de déplacements l’étude. Aux 2 motifs de déplacements majeurs s’ajoutent d’autres motifs de déplacement à l’occurrence les courses administratives et les marchés et affaires. Cependant les usagers ayant pour motifs de déplacement à la fois le travail, le marché et les affaires sont assez représentatifs.
Tableau 3 : Motifs de déplacements des usagers des motos-taxis deux roues de la commune de Cocody
Motif de déplacements | Valeur relative (%) |
Travail | 66 |
Etude | 19 |
Marché et affaires | 6 |
Courses administratives | 3 |
Travail-marché et affaires | 6 |
Total | 100 |
Source : Enquête N’da, 2021
Le tableau 3 met en exergue le fait que plusieurs motifs justifient l’utilisation des mototaxis par les usagers. Le motif prédominant au regard du tableau est le travail. Les études viennent en deuxième position au niveau des motifs de déplacement. D’autres motifs mineurs existent à l’instar du couple marché et affaires, des courses administratives et le triptyque travail, marché et affaires.
2.3. L’activité des motos-taxis, une activité menacée par l’amplification des activités des transports formels et informels
La particularité de l’activité des motos-taxis à Cocody est qu’elle dessert une zone précise à Cocody. Il s’agit des quartiers de Djorogobité, de 8e et 9e tranche, Djibi, Angré et Nouveau camp militaire Akouedo. La réhabilitation et la construction de nouvelles voies de communication dans les zones susmentionnées a favorisé une incursion au quotidien des moyens de transport formels et l’amplification de l’activité des taxis banalisés. Cette situation met en mal l’activité des mototaxis deux roues à Cocody.
2.3.1 La construction et réhabilitation des voies de communication, une menace pour l’activité des motos-taxis
La ville d’Abidjan connait un rayonnement au niveau de son réseau routier du fait des chantiers énormes de construction et de réhabilitation des voies de communication dans toutes les communes dont celle de Cocody et plus précisément dans les zones desservies par les mototaxis deux roues. En effet, la construction des voies de communication reliant le Centre Hospitalier Universitaire d’Angré au niveau camp militaire Akouedo en passant par les villages de Djorogobité favorise une pérégrination quotidienne des moyens de transport formels de masse à l’instar des taxis compteurs, des véhicules de transport avec chauffeurs. Cette situation est également à la base du renforcement du parc automobile des taxis banalisés intra-communaux qui exécutent des activités dans ce secteur. Selon le chef de gare des taxis banalisés intra- communaux de la ligne carrefour Faya-Djorogobité « Avant, la route faisait qu’on avait du mal à aller à Djorogobité. C’étaient les grosses voitures qui pouvaient aller là-bas. Mais à cause de la construction de la route aujourd’hui, presque tous les véhicules peuvent aller là-bas ».
Cette situation reste une menace pour les motos-taxis. En effet, cette situation entraine une amplification des activités des taxis banalisés qui restent les grands gagnants dans cette concurrence. Par ailleurs, la présence perpétuelle des forces de l’ordre met en mal au quotidien de cette activité informelle. Selon le chef de gare des motos-taxis « C’est difficile pour nous aujourd’hui. Avant on gagnait beaucoup de clients. Depuis qu’ils ont bitumé les routes. C’est devenu compliqué et certains chauffeurs même ne viennent plus. ». L’avis du chef de gare est confirmé par l’un des chauffeurs de l’activité des motos-taxis de la commune de Cocody. Pour lui « Depuis que la voie du CHU d’Angré a été construite et inaugurée, notre activité ne marche plus. Les clients sont rares et on gagne moins d’argent. Moi-même, je vais faire autre chose. ». Le foisonnement des moyens de transport dans la zone de desserte de prédilection des mototaxis deux roues semble constituer un frein à la pratique de cette activité clandestine et insécure au point où cette activité est menacée de disparition du fait de l’insuffisance des gains générés.
3- Discussions
Cette étude a révélé d’abord l’existence d’une gare des motos-taxis et de quatre points de chargements dans la commune de Cocody. Ensuite, elle a montré que l’activité des motos-taxis permet d’assurer le déplacement d’une pléthore d’usagers dans la moitié Sud de la commune de Cocody et les communes voisines de Bingerville et d’Abobo. Les motifs prédominants qui justifient l’utilisation des mototaxis par les habitants de la commune sont la rapidité et sa
capacité à pouvoir accéder aux zones dont la voirie est dans un état de dégradation accélérée. Enfin, la construction et la réhabilitation des voies de communication avec pour corollaire l’accès des moyens de transports formels et informels dans les zones de dessertes de prédilection de l’activité des mototaxis semblent freiner son évolution.
Cette dynamique d’évolution des motos-taxis corrobore le schéma de Godard (1987). L’étude montre qu’il y une évolution vers les extrémités et une menace disparition des transports artisanaux de Godard. En effet, le schéma en spiral de Godard montre que le secteur artisanal privé disparait au profit du transport public moderne avant de réapparaitre quelques années plus tard avec le renforcement du processus de libéralisation lorsque le transport moderne rencontre des difficultés et aboutit à une complexité qui combine artisanat et entreprises (publique et privé).
Les motifs d’utilisation des motos-taxis dans la commune de Cocody dominés par la flexibilité, la disponibilité de ces engins sont en adéquation avec les résultats de I. Kassi-Djodjo (2013, p.112). Pour elle, le caractère ubiquiste a conquis la population qui exprime clairement sa préférence pour ce mode de transport au détriment des moyens traditionnels. Aujourd’hui, la persistance de cette activité est à mettre à l’activité du fait qu’elle permet d’accéder dans cette faible frange qui ne bénéficie toujours pas de voies de communication reluisante et du service porte à porte offert. Les motifs d’utilisation des « Zemidjan » au Benin ne sont pas aux antipodes de ceux mentionnés dans le cadre de cette étude menée à Cocody. Pour S. N. Agossou (2003, p.108), le succès du « Zemidjan » est lié, entre autres, aux éléments suivants : disponibilité, ubiquité, abondance, accessibilité.
Le travail est le facteur principal des déplacements au quotidien. I.Kassi (2007), G.E.G. KABRAN (2016), ont, abouti au même résultat que le nôtre concernant les motifs de déplacement. Ces études ont montré que la majorité des usagers des transports artisanaux se déplacent pour des raisons de travail. Cette situation n’est ni un fait distinctif du secteur des transports lagunaires, ni propre à la Côte d’Ivoire. En effet, L. Chabane (2010) avait montré que les déplacements sont effectués aux trois quarts pour des motifs obligés (domicile-travail, domicile-école), et un quart pour le reste des motifs (achats, visites, loisirs…).
Par ailleurs, l’analyse de leur revenu a montré une prédominance des usagers à revenu faible. Ce même résultat a été trouvé par I.Kassi (2007). Elle a écrit que la frange de la population qui n’a plus accès aux voitures personnelles est celle qui gonfle actuellement le nombre des captifs des transports populaires.
Conclusion
Il ressort de cet article que la commune de Cocody abrite une multitude d’activités du transport informel sur ses marges dont celles des motos-taxis . Cette activité dispose d’une gare et de quatre points de chargements. Bien que peu visible, cette activité joue un rôle non négligeable dans le déplacement des usagers de la commune. Près de 500 personnes sont transportées au quotidien. L’utilisation par les usagers de l’activité des mototaxis deux roues est la résultante de plusieurs facteurs dont le plus important est le travail. Ces usagers présentent un profil socio- économique diversifié. Les usagers des mototaxis deux roues à Cocody sont des élèves ou étudiants, des commerçants, des employés du privé, des fonctionnaires d’Etat et des retraités. Face aujourd’hui au foisonnement des moyens de transport formels de masse et informels avec trois ou quatre roues dans la zone du 8ième et 9ième tranche, Djorogobité, Djibi et Akouedo
nouveau camp du fait de la construction et de la réhabilitation des voies de communication menant, sa dynamique évolutive semble être freinée. D’ailleurs, cette activité est menacée de disparition du fait de la chute des revenus générés aux acteurs de cette activité.
Remerciements
Nous tenons à remercier la société VOLVO qui a financé cette étude qui s’inscrit dans le cadre du projet Mobilité et Accès dans les villes africaines. Le projet réalisé à Abidjan en 2021 et à Douala avait pour objectif d’enrichir le corpus de connaissance sur la coproduction de la gouvernance en se fondant sur les dynamiques autour du transport urbain dans les villes de Douala et Abidjan. En s’appuyant sur la notion de gouvernance au quotidien, l’étude a fait l’évaluation de la dynamique des acteurs périphériques évoluant en marge des plans, activités et logiques des gouvernements, pour contribuer à la coproduction de la gouvernance des transports urbains en Afrique.
Bibliographie
- AGOSSOU San Noupko, 2003. La diffusion des innovations : l’exemple des Zemidjan dans l’espace beninois. Cahiers de géographie du Quebec, vol. 47, n°130, pp 101-120
- AKA Kouadio Akou, 2006. Les taxis communaux ou wôrô-woro à Abidjan-Cocody : Caractéristiques, organisation et fonctionnement. Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°7, pp 45-61
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