Contribution du transport aérien dans l’exportation des produits périssables de Côte d’Ivoire : cas de l’attiéké (semoule de manioc)
Résumé
Les pays de l’Afrique subsaharienne, en l’occurrence la Côte d’Ivoire, sont de gros producteurs de denrées périssables à forte valeur ajoutée, dont le cheminement vers les pays industrialisés nécessite des innovations en matière de transport et de logistique. C’est le cas de l’attiéké de Côte d’Ivoire qui se vend de plus en plus très loin des frontières ivoiriennes en dépit de son caractère périssable. Dans ces conditions, le transport aérien s’impose comme le meilleur moyen d’expansion de cette semoule de manioc de plus en plus prisée par les populations du monde entier. Cependant, ce rôle innovateur du transport aérien dans la réalisation d’économies d’échelle de ce produit national est méconnu dans le milieu scientifique et au niveau des décideurs. L’objectif que vise cette étude est d’analyser la contribution du transport aérien dans l’exportation de l’attiéké de Côte d’Ivoire. La méthodologie adoptée repose sur une recherche documentaire couplée à une enquête de terrain auprès des autorités du commerce international de Côte d’Ivoire, celles de l’aéroport international d’Abidjan ainsi que les transporteurs aériens. Les préoccupations nous ont également conduits vers les transporteurs et transformatrices du manioc et également vers les exportateurs d’attiéké. Il en résulte qu’avec l’apport du transport aérien, l’expansion des zones de consommation du manioc se fait avec célérité et a atteint l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Elle a montré également une diversité d’acteurs et de techniques de manutention de l’attiéké en fonction des quantités. En outre, cette étude a révélé une forte valeur ajoutée sur le coût de l’attiéké qui peut atteindre 10 fois la valeur locale en raison de son internationalisation. Ce qui impacte positivement le revenu des acteurs sur toute la chaîne.
Motsclés: Côte d’Ivoire, aéroport international d’Abidjan, attiéké, transport aérien, exportation
Abstract
Contribution of air transport to the export of perishable products from Côte d’Ivoire: cases of Attieké (cassava meal)
Sub-Saharan African countries, in this case Côte d’Ivoire, are major producers of high value added perishable goods, whose journey to industrialized countries requires transport and logistics innovations. This is the case for the attiéké de Côte d’Ivoire, which is selling increasingly far from the Ivorian borders despite its perishable nature. In these circumstances, air transport is the best means of expanding this cassava meal, which is increasingly popular with people around the world. However, this innovative role of air transport in achieving economies of scale for this national product is not known in the scientific community and at the level of decision makers. The objective of this study is to analyze the contribution of air transport to the export of the attiéké of Côte d’Ivoire. The methodology adopted is based on a documentary research coupled with a field survey of Ivorian international trade authorities, Abidjan international airport authorities and air carriers. Concerns have also led us to cassava transporters and processors, and to attiéké exporters. As a result, with the contribution of air transport, the expansion of cassava consumption areas is occurring rapidly and has reached Europe, North America and Asia. It has also shown a variety of actors and techniques for handling attiéké according to quantities. In addition, this study revealed a high value added on the cost of the attiéké, which can up to 10 times the local value due to its internationalization. This has a positive impact on the income of the players throughout the chain.
Keywords: Côte d’Ivoire, Abidjan International Airport, Attieké, Air Transport, Export
Introduction
La racine du manioc (Manihot esculenta Crantz, 1766) constitue la quatrième production végétale pour sa contribution à l’alimentation de la population mondiale après le riz, le blé et le maïs (Assamoi et al. 2015 cités par Konan et al. 2017) avec une production annuelle d’environ 277 957 000 tonnes (FAO, 2018), une demande et une croissance annuelle de 14,3 % par an depuis 2007 (Nouar et al. 2013, p.3). Ce rang mondial est de plus en plus renforcé par la diversification de ses produits dérivés suivant les spécificités de chaque État. Jadis produit de consommation national pour certains peuples, le manioc est devenu un produit de consommation d’envergure nationale et d’exportation vers l’Afrique et les autres continents. Il occupe aujourd’hui une place importante dans le tissu économique, social et même culturel. Sa consommation en Côte d’Ivoire concerne ses feuilles pour la sauce et le bétail, mais surtout ses racines qui débouchent sur une multitude de produits dérivés à savoir l’amidon industriel, la farine issue des cossettes, le foutou, le manioc bouilli, de l’attiéké, du garba, du placali, tapioca issu de l’amidon et la consommation animale sous diverses formes (figure 1) (Mendez et al. 2017).
Figure1:Le processus de transformation du manioc en Côte d’Ivoire
Ces différentes étapes du processus de transformation de l’attiéké se fait pour la plupart de façon artisanale et est l’apanage des femmes. Ils soulignent également que l’ensemble de la chaîne de valeur du manioc représente 2,8% du PIB global et 12,4% du PIB agricole en 2016 avec une valeur nominale de 596,936 milliards de FCFA selon la Banque Mondiale (Mendez et al. 2017). Parmi ses dérivés, l’attiéké est devenu, ces dernières années, le produit phare en raison de son appréciation qui a permis sa diffusion au-delà des frontières ivoiriennes. Cette diffusion progressive qui a commencé à partir de la sous-région ouest africaine a atteint les continents européen, asiatique et américain (Coulibaly et al. 2014). Il ressort donc qu’au regard de cette importance de l’attiéké dans le tissu économique et socio- culturel ivoirien, plusieurs auteurs se sont attelés à l’étude de la chaîne de valeur du manioc en donnant une mention spéciale à son produit dérivé phare qui est l’attiéké. Leurs analyses ont consisté spécifiquement à étudier la filière ; de sa production à la consommation en occultant partiellement ou totalement le volet transport et logistique. Par ailleurs, ces études ont fait cas de la montée des exportations vers les autres continents mais ne font pas cas de l’apport innovateur du transport aérien à l’origine de ce changement. En effet, « l’innovation est considérée comme un processus d’intégration d’éléments qui déterminent et favorisent la dynamique et la transformation du système techno productif territorial » (GREMI, 1993, p.9). « Dans son sens commun, l’innovation est associée à la technologie» (Le Roy et al. 2013). Aujourd’hui, elle se définit comme «un processus, caractérisé par la génération, l’acceptation et l’implémentation du changement par denouvelles idées, processus, produits ou services, et mené par des acteurs inscrits dans une démarche collective» (Ientile, 2016, p. 30). C’est sur ce rôle innovateur, tant technique, managérial que social, que se situe cette étude portant sur la contribution du transport aérien à l’exportation des produits périssables de Côte d’Ivoire en se consacrant spécifiquement au cas de l’attiéké. Ainsi, la question qui sous-tend cette étude est comment le transport aérien contribue-t-il à l’exportation de l’attiéké de Côte d’Ivoire ? L’étude s’attèle donc à expliquer le processus de production et d’exportation de l’attiéké, la dynamique spatiale tant dans les zones de production que de consommation et mettre en évidence les changements qualitatifs sur le produit et au niveau socio- économique. Pour mener à bien cette étude nous avons adopté une démarche méthodologique nécessitant un ensemble de matériels.
1.Matériels et méthode
La mise en œuvre de cette étude s’est faite en trois phases majeures à savoir, le cadre théorique, l’acquisition des données et le traitement desdites données.
1. Cadre théorique de l’analyse du circuit de production et de distribution de l’attiéké
La production et la distribution de l’attiéké constitue une branche maîtresse dans la filière manioc en Côte d’Ivoire. Ainsi, occupe-t-elle toute la chaîne de cette filière de l’amont jusqu’en aval et s’inscrit dans la théorie du système halieutique de Jean Pierre CORLAY (1993, v1 p. 82).
Figure2: Système deproduction et de distribution de l’attiéké adapté à lathéorie du système halieutique
Dans ce système, les nœuds de départ des transports à savoir les gares routières et l’aéroport, constituent les pôles centraux structurant de l’ensemble. L’aéroport est de plus en plus utilisé comme le lieu de prédilection de la diffusion de l’attiéké vers l’extérieur. Il est donc le principal lieu de jonction entre l’espace de production, de transformation et l’espace de distribution.
1.2 Acquisition des données secondaires et primaires
L’acquisition des données secondaires s’est faite par une recherche documentaire dans les bibliothèques et centres de documentation de l’Université Félix Houphouët-Boigny (UFHB) de l’Institut Français de Côte d’Ivoire (IFCI), de l’Institut de Recherche et de Développement (IRD, de l’Autorité Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) et du Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP) ainsi que les moteurs de recherche. Cette étape a permis de voir l’historique du développement de la culture du manioc et ses produits dérivés en Côte d’Ivoire. À ce niveau, les différentes zones de production du manioc ainsi que les statistiques annuelles en matière de production nationale de manioc ont été évoquées. Elle a fait une incursion sur l’attiéké en décrivant son processus de production et a montré l’ampleur de l’attiéké qui a pris une dimension internationale à telle enseigne qu’il s’exporte aujourd’hui dans le monde entier. Cependant, le caractère artisanal du secteur n’a pas permis de cerner un ensemble de base de données statistiques capable de renseigner sur tous les aspects du secteur. Ce qui a suscité une enquête de terrain en vue d’avoir des informations primaires et confronter celle reçues au niveau de la recherche documentaire.
Les enquêtes de terrain se sont déroulées pendant trois mois (mai, juin et juillet) qui constituent des mois de forte pluie et de forte production d’attiéké, et ont été menées dans les zones de production, dans le Sud de la Côte d’Ivoire précisément à Abidjan, Aboisso et Dabou qui constituent les grands terroirs de production de l’attiéké exporté et les zones de Bouaké et Yamoussoukro qui ont une très forte production. Le fait de mener les enquêtes au niveau de Bouaké et Yamoussoukro est de savoir l’état des exportations dans cette zone. Au regard de la méconnaissance d’une base de données sur les acteurs de la chaîne de valeur du manioc, nous avons opté pour un choix raisonné des acteurs qui ont une connaissance globale sur l’ensemble du système de production et d’exportation de l’attiéké. L’ensemble des acteurs interrogés se compose de cultivateurs, de fournisseurs de manioc, de transporteur de manioc, de transformatrices et transformateurs de manioc, exportateur d’attiéké, les transporteurs d’attiéké et les contrôleurs qualité (Tableau 2).
Tableau1: Des acteurs interrogés sur toute la chaîne de la filière manioc
L’ensemble des 316 acteurs interrogés à l’aide de questionnaire, des guides d’entretien, des interviews et des focus groupes. Les prises d’images explicatives ont été faites lors de ces visites à l’aide d’un appareil photo numérique. Toutes ces investigations ont permis d’avoir des informations sur toute l’ensemble de la chaîne de production et de la commercialisation de l’attiéké. Ces informations combinées aux informations documentaires a fait l’objet d’un traitement spécifique selon chaque type d’information.
1.3 Traitement des données
Les informations ont subi des traitements statistique, cartographique et thématique. Le traitement statistique s’est fait avec les logiciels Sphinx et Excel. La collecte des informations en fonction des variables prédéfinies ; leur regroupement et la confection des tableaux et graphiques s’est faite à l’aide de Sphinx et Excel. Le traitement cartographique concerne la spatialisation des informations à l’aide des logiciels Argis et Addobe Illustrator. Ils ont permis de spatialiser les zones de production et de commercialisation de l’attiéké en montrant les différentes progressions opérées au fil du temps. Toutes les informations ont subi un traitement thématique et analytique. Après le traitement des données et en fonction des objectifs visés, cette étude s’organise autour de trois points constituant les principaux résultats. Il s’agit d’abord de l’organisation de la chaîne logistique de la production et distribution de l’attiéké en Côte d’Ivoire. Ensuite de l’innovation apportée par le mode aérien dans l’exportation de l’attiéké de Côte d’Ivoire. Enfin, l’impact socio-économique de cette activité sur les différents acteurs de la chaîne d’exportation du produit.
2. Résultats
1.2 Impact spatial de l’apport du transport aérien dans l’exportation de l’attiéké
Débutée timidement en tant qu’activité familiale et non commerciale, l’exportation d’attiéké par avion a contribué de façon drastique aux changements sur toute la chaîne de valeur du manioc. Ces changements se perçoivent en premier lieu au niveau de la dynamique des zones de production du manioc et au niveau de la diffusion rapide et de plus en plus lointaine de l’attiéké.
2.1.1 Une expansion rapide des zones de production consécutive à la monté des exportations d’attiéké
La Côte d’Ivoire exporte un ensemble de produits dérivés de la racine du manioc qui représente environ 12% de sa production nationale. Ces produits dérivés sont l’attiéké, la cossette (kogondé), l’amidon, le placali, la patte fraiche, la farine, le gari et la racine de manioc à l’état brut. Cependant, depuis le début des exportations commerciales de l’attiéké en 1997, dans la sous-région ouest africaine, la majeure partie des exportations est représentée par l’attiéké. La quasi-totalité des explorateurs interrogés (18 exportateurs) exportent en moyenne 90 % d’attiéké. Ce qui représente une part significative puisque chaque exportateur regroupe en moyenne 17 productrices d’attiéké et autres produits dérivés sur-cités. De ce fait, la part des exportations de la production du manioc est principalement influencée par les exportations d’attiéké. Ce qui explique les augmentations majeures sur la production nationale de manioc qui coïncident avec notamment les grandes phases des innovations des modes de transport dans la diffusion de ce produit. Selon les acteurs interrogés, l’année 1997 marque le début des exportations commerciales de l’attiéké dans la sous-région ouest africaine et l’année 2014 marque le début des exportations sur tout le continent africain et au-delà du continent notamment en Europe aux États-Unis et en Chine. Ce qui explique le quasi doublement de la production nationale de manioc à ces deux dates, qui est passée de 1 653 000 tonnes en 1996 à 2 141 230 tonnes en 1997 (Figure 3).
Figure 3: Les grandes phases dans l’évolution de la production de manioc en Côte d’Ivoire de 1980 à 2017
Si la montée de 1997 est impulsée par le transport terrestre vers les pays tels que le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Ghana, le Togo etc., celle de 2014 est l’apanage du transport aérien. Et cette augmentation de la production a influé spatialement sur les zones de production de manioc qui, avant le début de l’année 2000 se situait principalement dans le Sud-Est et le Centre de la Côte d’Ivoire autour des grandes zones urbaines (Figure 4)
Figure 4: Les grands pôles de production du manioc en Côte d’Ivoire avant 1997
Aujourd’hui, la forte densité de production de manioc (112 T/Km²/an) s’étend sur tout le Sud- Est et une importante partie du Centre du pays et semble récupérer la place de certaines cultures
industrielles telles que le café, le cacao et l’hévéa, etc. (Figure 5). Ces producteurs comme le souligne M. X1, ancien producteur de latex d’hévéa dans le département de Dabou, reconverti dans la production de manioc souligne en ces termes : « Depuis la chute du prix du latex, lemanioca vaillamment pris lerelais et permet d’assurertoutesnos dépenses.»
Figure 5: Les grands pôles de production du manioc à partir de 2014
Avec cette montée de la demande consécutive aux exportations par avion, le prix d’achat a plus que doublé dans les zones de production. Selon les fournisseurs de la racine de manioc, qui sont majoritairement des Nigériens et des Maliens, et les femmes productrices d’attiéké et autres produits dérivés du manioc, le prix du camion à bâche d’une capacité de deux à trois tonnes qui se négociait entre 50 000 et 90 000 FCFA1 selon la période, se négocie actuellement entre 120 000 et 200 000 selon les mêmes périodes de l’année. Cette augmentation rapide du prix a conduit certains paysans à l’abandon des produits industriels vers la culture du manioc. Et donc, une expansion rapide des zones de production. C’est également le cas concernant les zones de destination qui ont connu une diffusion rapide comparativement aux décennies passées dans le temps.
2.1.2 Une diffusion rapide et de plus en plus lointaine de l’attiéké
Jusqu’en 1990, l’attiéké était considéré comme un mets familial et se consommait principalement dans la partie Est du littoral ivoirien et dans une moindre mesure dans les autres régions du pays. En 1990, il va occuper progressivement tout le territoire ivoirien avec notamment le garba2 qui est l’une des recettes phare de l’attiéké qui est apprécié de nombreuses populations ivoiriennes et de l’Afrique. Cette expansion nationale de l’attiéké va atteindre un niveau sous régional à partir de 1997 avec pour principales destinations le Burkina Faso et le Mali. Ces premières exportations se faisaient par la voie terrestre avec principalement le transport par cars et par camions. Cependant, compte tenu des distances et du caractère rapidement périssable de l’attiéké (4 à 14 jours selon le type d’attiéké)3, cette diffusion s’est limitée aux pays limitrophes de la Côte d’Ivoire et dans une moindre mesure les autres pays de la sous-région ouest africaine. Cela s’est traduit par une stagnation de la production entre 1997 et 2014 (Figure 3). À partir de 2014, les exportateurs vont migrer vers le mode aérien comme solution à la péremption rapide de l’attiéké. Désormais, les distances dans la sous-région qui sont effectuées entre un et quatre jours en véhicule, s’effectuent entre une heure 30 minutes et deux heures 45 minutes. En 2019, selon les exportateurs et productrices d’attiéké interrogés, la diffusion de l’attiéké présente une cartographie qui s’étale dans le monde entier. Les grandes destinations sont le Burkina Faso, le Mali, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Espagne et les États-Unis d’Amérique (figure 6). La fréquence d’envois par chaque exportateur en direction de ces pays est d’au moins une fois par semaine et en moyenne 4,8 tonnes par envoi. Le principal jour d’envois est le mercredi et quelques fois le samedi soit environ six fois par mois pour les exportations vers l’Europe, trois fois par mois également les mercredis pour les États-Unis. Pour la sous-région, la fréquence est de cinq fois par mois chaque jeudi et souvent les dimanches. Pour la Chine les exportations ont une fréquence d’environ une fois par mois et selon les exportateurs les exportations vers ce pays ont drastiquement baissé en raison disent-ils d’une production d’attiéké chinois ces derniers temps. Cette production nationale chinoise est confirmée par un promoteur de produit d’exportation en ces termes : « la Chine avec une technologie de production plus avancée est aujourd’hui le principal concurrent de la Côte d’Ivoire et est même devenu le premier pays producteur depuis 2016». Ce qui a amené la Côte d’Ivoire à prendre une décision en août 2016 en vue de la protection internationale de l’appellation « attiéké » en déposant un recours auprès de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). Une sorte de réponse à l’attiéké made in China qui est passe d’inonder le marché africain et international.
Figure 6: Les grands pôles de production du manioc à partir de 2014
Ainsi, dans une durée de temps d’une heure 30 minutes à 3 jours, l’avion parvient à distribuer l’attiéké dans le monde entier. On retient donc que la diffusion de l’attiéké dans le monde a connu trois phases (figure 7). Une première phase de polarisation qui remonte des origines de la production et de la diffusion de l’attiéké au niveau national. Elle définit les grands pôles de production de l’attiéké et ses premiers cheminements dans les différentes régions de Côte d’Ivoire. La seconde phase est une phase anisotropique qui définit le maillage du territoire national avec les principaux axes et nœuds de distribution de l’attiéké sur tout l’étendue du territoire national. La troisième phase est la phase actuelle qui présente le réseau d’éclatement de l’attiéké dans le monde. Cette dernière qui a débuté en 1997 et qui est entrée dans une phase de croissance rapide à partir de 2014 (Figure 3 précédemment citée) avec l’apport du transport aérien a permis de toucher tous les quatre coins du monde.
Figure 7: Évolution des types de diffusion de l’attiéké de 1980 à 2019
2.2 Apport qualitatif du transport aérien dans l’exportation de l’attiéké
2.2.1 La célérité du circuit logistique et ses implications sur la qualité de l’attiéké
L’un des avantages considérables du transport aérien sur les autres modes de transport est sa rapidité. Dans le cas des produits périssables comme l’attiéké, cet avantage réprésente un élément majeur dans son éssor. Bien que pouvant durer quatre à 14 jours de conservation simple selon les types d’attiéké et le type de manioc et pouvant également faire plus d’une année de conservation dans une enceinte froide, le transport aérien est le mode le plus adapté à son exportation. En effet, selon les femmes productrices d’attiéké, les consommateurs interrogés et les contrôleurs qualité interrogés, l’attiéké perd son goût originel entre trois et sept jours selon la qualité de l’attiéké et du manioc. Même le conditionnement dans des enceintes froides ne permettent pas pour l’instent de garder le goût. Alors que l’attiéké exporté par voie arienne connaît une célérité.
Il existe trois type d’organisation d’acteurs. On a des acteurs traditionnels qui exportent par le biais des exportateurs ou grossistes indépendants qu’elles considèrent comme leusr clients fidèles et bénéficient de certains privilèges en cas de pénurie d’attiéké.
Un second groupe de production et d’exportation d’attiéké se caractérise par une organisation unique depuis la production du manioc à sa commercialisation. Cette organisation unique travaille sous l’autorité d’un exporteur installé à l’extérieur notamment en Europe ou au Etat- Unis d’Amérique, qui engage des producteurs de manioc, des transformaterices d’attiéké et des coordonnateurs locaux et qui sont chargés uniquement de l’approvisionner en l’attiéké selon ses besoins. Ce type d’organisation produit exclusivement pour l’exportation par voie aérienne (Figure 8), et selon les consommateurs présente une offre plus adaptée selon leurs besoins. Car les commandes sont faites sur mesure et il existe une liaison entre les consommateurs et les producteurs de manioc et de l’attiéké par le biais de l’exportateur. Ce dernier interdit par exemple l’usage des intrants chimiques dans la production du manioc qui influence négativement la qualité de l’attiéké.
Figure 8:Circuit de distribution de l’attiéké selon les destinations et les modes de transport
Le troisième groupe d’acteurs concerne les unités de production indutrielle qui sont situées majoritairement au Centre de la Côte d’Ivoire dans les localités de Bouaké et de Yamoussoukro. Leur production est plus orientée pour le marché local et vers les pays limitrophes tels que le Burkina Faso et le Mali. Les exportations par voie aérienne n’en demmande pas assez au regard de son goût moins apprécié par les marchés éloignés car il perd plus vite son goût originel. Cela est dû à l’usage du magnant4 qui n’est toujopurs pas encore approprié dans les machines.
Comme indiqué sur la figure 1, le circuit de distribution par voie aérienne subit une démarche de contrôle qualité qui part de la production-la mise en sachet bio dégradable-l’enballage-dans des sacs propres de 23 kilogrammes-le contrôle de la qualité du manioc par le service contrôle qualité de l’aéroport international F.H.B. d’Abidjan-de l’étiquetage (Photo 1 et 2)-du groupage- de l’entreposage dans les lieux de destination.
Compte tenu de la forte dominance du circuit de transformation artisanale qui représente environ 85%, une grande partie échappe à la fiscalité sauf au niveau du transport qui subit une taxation classique comme tout type de marchandise. Il n’y a donc pas une réelle collaboration entre les acteurs et l’Etat en termes d’organisation.
Photo1 : Attiéké en sachet biodégradable destiné
Photo 2: Attiéké en sachet plastique destiné au marché au marché extérieur passant par la voie aérienne local et sous régional passant par la voie terrestre
Tout ce processus se fait dans un délai très court et donc quelle que soit la destination, le client obtient le produit selon les exportateurs, dans un intervalle de temps compris entre 8 et 72 heures selon l’éloignement de la destination finale. Il suit copieusement la procédure de transport de marchandise par voie aérienne telle que consignée dans la convention de Montréal de 1999 en son article 5 portant « contenu de la lettre de transport aérien ou récépissé de marchandises ». Ce qui permet de garder le goût originel de l’attiéké et garder une bonne audience auprès des consommateurs. Ce qui influence positivement la demande qui s’accroit en volume et qui se repend à travers le monde. Ces changements sont diversement appréciés par les différents acteurs de la chaîne de distribution de l’attiéké.
2.2.2 Appréciation des changements selon les types d’acteurs
L’apport du transport aérien dans la chaîne de distribution de l’attiéké a apporté des changements à plusieurs niveaux. Sur une échelle de d’appréciation de 0 à 5, les acteurs interrogés apprécient diversement selon leur position et l’impact de ce changement sur leur vie. Ces facteurs d’amélioration s’aperçoivent aux niveaux des revenus perçus par les acteurs, de la qualité du produit, de l’amélioration des conditions sociales, de l’amélioration du prix, de l’amélioration de la production, de l’amélioration de la demande et de l’offre d’attiéké enfin, l’amélioration des conditions environnementales (tab. 3).
Tableau2: Appréciation des changements apportés par le transport aérien par groupe d’ acteurs
Produc teurs de manioc | Fournis seurs de manioc | Transpor teurs de manioc | Exporta teurs d’attiéké | Transpor teurs d’attiéké | Contrô leurs qualité | consomm ateurs | Moyenne | |
Amélioration du revenu | 3 | 3 | 2 | 5 | 3 | 2 | 1 | 2,71428571 |
Amélioration de la qualité de l’attiéké | 3 | 4 | 4 | 5 | 4 | 4 | 5 | 4,14285714 |
Amélioration des conditions sociales | 3 | 3 | 3 | 4 | 3 | 1 | 1 | 2,57142857 |
Augmentation du prix de l’attiéké | 3 | 2 | 1 | 3 | 2 | 2 | 5 | 2,57142857 |
Amélioration de la production de manioc | 5 | 4 | 3 | 4 | 4 | 5 | 2 | 3,85714286 |
Augmentation de la demande d’attiéké | 3 | 4 | 4 | 5 | 4 | 4 | 5 | 4,14285714 |
Amélioration de l’offre d’attiéké | 4 | 4 | 3 | 5 | 5 | 3 | 4 | 4 |
amélioration de l’environnement | 4 | 4 | 2 | 4 | 4 | 4 | 3 | 3,57142857 |
Source: KOUASSI K.K.S. etN’GUESSAN H. J.K.,2019
Il ressort de ces appréciations que le changement de la qualité de l’attiéké est favorablement apprécié par la quasi-totalité des acteurs à l’exception des acteurs qui ne sont pas directement concernés par ce changement. Concernant l’augmentation du prix, les producteurs de manioc, les transformatrices de manioc et les exportateurs de l’attiéké sont les principaux bénéficiaires. En effet, selon ces acteurs, le sachet d’attiéké de 200 FCFA au niveau local se vend entre 1 000 et 2 000 FCFA en Europe et celui de 500 FCFA se vend à partir de 5 000 FCFA aux États-Unis. Ces augmentations du prix de l’attiéké sur le marché international entraînent une augmentation du prix du manioc et même le prix de l’attiéké local qui a doublé entre 2014 et 2019. Les sachets de 100 FCFA en 2014 se vendent actuellement à 200 FCFA. Ce qui explique la non satisfaction des consommateurs locaux par rapport au prix du produit. Toujours concernant le prix, une productrice du quartier Blockhauss dans une des communes d’Abidjan avance en ces termes : « Depuis trois années, nous avons des gens qui viennent commander l’attiéké en très grande quantité. Et ces derniers ont pour souci la qualité du produit sinon le prix ne les dérange pas. Nous même pour produire la bonne qualité d’attiéké, il nous faut la bonne qualité de maniocplus cher par exemple le Yacé et plus d’étapes dans la préparation donc plus de personnes à payer.»
On perçoit donc que de façon globale les acteurs de la production et de la distribution ont vu leurs revenus et leurs conditions de vie s’améliorer sur toute la chaîne logistique. Il ressort donc que l’usage du transport aérien a apporté considérablement sur la qualité de l’attiéké, sur sa demande, son offre, sur sa production ainsi que l’amélioration des conditions environnementales. Ce qui a impacté positivement le prix de l’attiéké, le revenu et les conditions sociales des acteurs de production et de distribution de l’attiéké (Figure 9).
Figure 9: Niveau d’appréciation moyen des facteurs changement par l’ensemble des acteurs sur une échelle de 5
Source : KOUASSI K.K.S.et KABLAN N.H.J., 2019
L’introduction du transport aérien dans le circuit d’exportation de l’attiéké amène les acteurs à plus de collaboration sur toute la chaîne de distribution. Cette collaboration a pour objectif, l’atteinte d’un résultat souhaité c’est-à-dire celui de satisfaire les consommateurs en matière du prix, de la disponibilité et surtout de la qualité du produit. Cette satisfaction de ces derniers rejaillit globalement sur tous les acteurs et à plusieurs niveaux de satisfaction (tab. 3 et 9). La satisfaction ou l’insatisfaction des consommateurs est l’élément déclencheur du bon fonctionnement ou non du système. Il se crée donc un système rétroactif où tous les acteurs sont impliqués dans sa gestion (figure 10).
Figure 10: Système de gestion intégrée de l’exportation de l’attiéké
Dans ce système, les exportateurs constituent les acteurs clé, car ils servent de jonction entre les zones de production et de consommation de l’attiéké à l’international. Les commandes d’attiéké, la fixation des coûts, la qualité de l’attiéké sont coordonnées par ces derniers. Ils assurent donc la pérennité du système et donc sa durabilité.
3. Discussions
3.1 Le transport aérien, facteur de changements quantitatifs sur tout le circuit de l’attiéké
Le transport aérien joue un rôle de stimulateur de la production et de l’exportation de l’attiéké. C’est pourquoi, K. A. Aka (2013, p. 113) indique le rôle central de l’aéroport dans le circuit de distribution de l’attiéké vers les pays africains éloignés et l’Europe. Ce mode de transport est donc un moyen d’étalement spatial des zones de distribution de l’attiéké ivoirien tel que souligné par P. Mendez De Villar et al. (2016, p. 91) en précisant que l’attiéké est vendu hors Afrique c’est-à-dire en Europe et aux États-Unis par le biais de l’avion. Cet étalement des zones de distribution de l’attiéké a influencé en amont, les zones de production et donc la production nationale de manioc. D’environ 2,5 millions de tonne en 2013, celle-ci est passée à environ 5,3 millions de tonne en 2017 (FAOSTAT, 2019, p.1). Cette augmentation rapide coïncide avec le début des exportations commerciales lointaines par voie aérienne. Désormais, le manioc est produit sur 80% du territoire national (ANADER, 2017, p. 1).
3.2 Le transport aérien, facteur de changements qualitatifs sur l’attiéké
L’attiéké est une denrée périssable d’autant plus que sa « qualité gustative diminue au fur et à mesure que dure le temps de conservation» (K. A. Aka, 2013, p. 108). Dans ces conditions, le transport aérien, au regard de sa rapidité, se présente comme la solution de commercialisation lointaine et de conservation de la qualité gustative de cette denrée. En plus de cette amélioration qualitative en matière de la réduction de la durée de conservation de l’attiéké, il est à noter que l’attiéké qui passe par l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan subit un contrôle qualité par les services spécialisés commis à cet effet. Cette exigence amène les producteurs et les productrices à améliorer la qualité du produit, même si cette amélioration entraîne l’augmantation du prix de l’attiéké au grand dam des consommateurs locaux (P. Mendez De Villar et al. , 2016, p.79).
Conclusion
L’analyse de la contribution du transport aérien dans l’exportation des produits périssables de Côte d’Ivoire en l’occurrence l’attiéké a permis de voir en quoi le mode de transport aérien apporte des changements quantitatifs et qualitatifs sur toute sa chaîne logistique. Il en découle que la diffusion de l’attiéké comprend trois niveaux d’échelle spatiale et selon les modes de déplacement. La structuration de ces trois espaces s’est faite en trois périodes et en fonction des modes de transport qui constituent l’élément moteur de cette diffusion. Du pôle de production de l’attiéké, on distingue le voisinage, l’échelle nationale et sous régionale et l’échelle continentale et mondiale. Cette dernière échelle qui est le domaine de prédilection du transport aérien et qui a commencé à être exploitée par les exportateurs ou grossistes a eu un impact positif sur les producteurs, les fournisseurs, les transformatrices, les exportateurs, les transporteurs et même les consommateurs en ce qui concerne la qualité du produit. Il résulte qu’avec le transport aérien, la production annuelle de manioc est passée de 2 436 495 tonnes en 2013 à 5 367 000 tonnes en 2017, le prix de l’attiéké a doublé au niveau local et est moyennement multiplié par 10 à l’international. De plus, l’attiéké bénéficiant d’un contrôle qualité à l’aéroport amène les transformatrices à adopter des mesures pour une production seine de l’attiéké au bénéfice des consommateurs. Cet apport du transport aérien dans la diffusion de l’attiéké permet de placer ce mets national dans le commerce international ivoirien. Il place désormais l’attiéké comme un outil de propagande du tourisme gastronomique de la Côte d’Ivoire dans le monde. Dès lors, une constitution des données statistiques sur l’exportation de ce produit à l’échelle nationale s’impose afin de mieux cerner son ampleur et les politiques d’orientation. Ce cas de l’attiéké peut servir également d’exemple pour d’autres produits naturels et périssables de la Côte d’Ivoire et même de la sous-région qui regorge des légumes et des fleurs prisées à l’international. Ces mesures se résument entre autre au non usage des produits chimiques dans la production du manioc, à la sélection des types de manioc et l’adoption des mesures de propreté dans les lieux de transformation du manioc. Cependant, cette étude révèle une insatisfaction progressive des consommateurs nationaux contrairement à ceux de l’international en matière d’appréciation du prix de l’attiéké. Ce qui interroge sur les répercutions socio-économiques futures de ce changement au niveau national.
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Auteur(s)
Kouassi Kan Séverin KOUASSI,
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY
kanseverinkouassi90@gmail.com
N’Guessan Hassy Joseph KABLAN,
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY
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Droit d’auteur
EDUCI
Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150