Impact de la COVID-19 sur les transports publics : une réflexion systémique de l’appropriation des mesures barrières par les transporteurs et usagers à Korhogo (ville secondaire du nord de la Côte d’Ivoire)

Richard ZOUHOULA Bi Marie

Université Peleforo GON COULIBALY – Korhogo (Côte d’Ivoire) richard.zouhoula@upgc.edu.ci

Youssouf COULIBALY

Institut de Développement du District des Montagnes (IDDM) Université de Man – Man (Côte d’Ivoire) Youssouf.coulibaly@univ-man.edu.ci

Yerehonon Jean ZIRIHI

Université Peleforo GON COULIBALY – Korhogo (Côte d’Ivoire) jzirihi@yahoo.fr

Résumé :

En mars 2020, le diagnostic de la COVID-19 chez un Ivoirien arrivant d’Italie et la mise en quarantaine ratée de passagers d’un vol d’une compagnie aérienne ont poussé l’Etat ivoirien à décréter le confinement du pays. La décision instaure un climat d’incertitude, surtout dans les transports publics pour la double raison de baisse des voyages et de tarissement des recettes. L’objectif de cet article est de connaître l’impact de la COVID-19 sur les transports publics à Korhogo. Des enquêtes mixtes (quantitatives et qualitatives), axées sur des entretiens semis- directifs et l’administration d’un questionnaire à cet effet. Le premier résultat montre que les opérateurs et les usagers des transports locaux ont l’éducation pour saisir les risques liés à la COVID-19. Le deuxième résultat révèle que les mesures barrières sont respectées dans la forme par les opérateurs et les usagers des transports locaux. S’agissant du troisième résultat, il apparaît que la COVID-19 a affecté la fréquence des voyages et les revenus monétaires du secteur.

Mots clés : Côte d’Ivoire, Korhogo, COVID-19, mobilité, transport public

Abstract

In March 2020, the diagnosis of COVID-19 in an Ivorian arriving from Italy and the failed quarantine of passengers on an airline flight prompted the Ivorian state to decree the confinement of the country. The decision creates a climate of uncertainty, especially in public transport for the double reason of a drop in travel and a drying up of revenue. The objective of this article is to know the impact of COVID-19 on public transport in Korhogo. Mixed surveys (quantitative and qualitative), based on semi-structured interviews and the administration of a questionnaire for this purpose. The first result shows that local transport operators and users have the education to understand the risks associated with COVID-19. The second result reveals that the barrier measures are respected in form by local transport operators and users. With regard to the third result, it appears that COVID-19 has affected the frequency of travel and the monetary income of the sector.

Keywords: Ivory Coast, Korhogo, COVID-19, mobility, public transport.

Introduction

Apparue à la fin de l’année 2019, la COVID-19 est rapidement devenue un problème de santé publique mondial. Selon V. Petit et N. Robin (2020, p. 2), « tous les premiers cas détectés dans les pays africains partagent une caractéristique commune : il s’agit d’une personne entrée récemment sur le territoire national. Elle a été diagnostiquée soit à l’aéroport, dès son arrivée, soit dans un centre de santé, quelques jours plus tard ». Il en est ainsi de la Côte d’Ivoire où la pandémie a polarisé l’attention de l’opinion à partir du 11 mars 2020 à l’annonce par le gouvernement du diagnostic du 1er cas de coronas virus chez une personne ayant séjourné en Italie. En conformité avec les recommandations de l’ONU-Habitat (2020), les premières mesures gouvernementales pour l’endiguer ont ciblé en conséquence le secteur des transports publics de voyageurs même si une campagne de l’entreprise franco-québéquoise Kéolis (2020) essayait de convaincre que « les transports communs ne sont pas des lieux de contamination privilégiés ». A défaut de rassurer, ces décisions, surtout la « …distanciation physique dans les véhicules de transport public… », ont plongé le transport public ivoirien dans l’incertitude.

Partagés entre une offre officielle tenue par une entreprise publique (SOTRA) et une offre artisanale appartenant à de nombreux entrepreneurs (J. Lombard, 2008), les professionnels de chacune des offres en présence n’ont pas la même réaction face aux mesures barrières. Si le premier transport cité, incapable de remplir sa part de marché la concession du transport public abidjanais signé avec l’Etat (SSATP, 2010) mais bénéficiaire d’une subvention annuelle, peut se permettre de les appliquer, les seconds, maintenant majoritaires dans l’offre et devenus des activités-refuges face à la crise de l’emploi salarié (M. R. Zouhoula Bi, 2018), jouent à l’évitement. L’arbitrage de ce dilemme a poussé certains pays à prendre des décisions fortes. A Lomé (Togo), A. Amouzou-Glikpa et al (2020) rapportent que le gouvernement de ce pays « a interdit aux taxis motos de prendre des passagers » sur lesquels la mesure de distanciation est peu applicable. A Kampala (Ouganda), B. Sanou (2020) nous dit que le gouvernement Ougandais a imposé un bouclier en vitre pour séparer les passagers sur les motos-taxis. En Côte d’Ivoire, il a été demandé aux autorités administratives locales de veiller à l’application des mesures barrières, sans plus. Concomitamment, la préfecture de région de Korhogo ordonne un confinement très strict. Dès l’assouplissement de ces décisions pour les villes de l’intérieur du pays sauf Abidjan, elle autorise un allègement moyennant le contrôle policier dans les gares routières, la distanciation physique dans les véhicules, le port du cache- nez et l’installation de dispositifs de lavage des mains dans les gares. Les opérateurs de transport locaux profitent de cette ouverture pour réinvestir les dessertes urbaines et interurbains afin de se garantir des revenus monétaires dans ce contexte. Dès lors, comment les opérateurs et les usagers ont-ils maintenu l’activité de transport public malgré la COVID- 19 ? L’objectif général de l’article est de connaître l’impact de la COVID-19 sur les transports publics à Korhogo. De façon spécifique, la recherche a identifié chez les opérateurs et les usagers l’appropriation des mesures barrières et a évalué leurs stratégies de résilience dans ce contexte de restriction. Pour les atteindre, nous allons présenter la méthodologie utilisée, suivie des résultats et de la discussion théorique que nous en faisons.

1.   Méthodologie

La recherche s’est appuyée sur des enquêtes sur les transports et la mobilité dans la ville de Korhogo. Ces enquêtes ont été conduites en avril et en mai 2020 dans des quartiers choisis sur la base de localisation des services, des équipements socio-collectifs et de concentration des populations. Il y a ainsi les trois quartiers centraux (Dem, Soba et Kôkô) car ils hébergent la majorité des services et des équipements socio-collectifs de la ville (banques, directions régionales de ministère et de sociétés privées, commissariat, clinique, marché central, gares routières, station services, supermarché, bars, etc.). Il y a ensuite un quartier péricentral (Téguéré) qui localise le plus grand établissement hospitalier (CHR), la morgue, une grande école publique (Institut de Formation des Agents de Santé) et les habitations de nombreux fonctionnaires. Enfin, il y a deux quartiers périphériques dortoirs, l’un dans la partie ouest (Kassirimé) et l’autre à la sortie sud (Logokaha). Deux catégories d’individus ont été enquêtées : les opérateurs de moto-taxi, de taxi-collectif, de cars (bus) et de minibus (badjan/massa) et les usagers. Les questions administrées ont porté sur les données sociodémographiques, la perception de la maladie à COVID-19, les conséquences de la crise sanitaire sur le transport et les revenus monétaires. Des observations ont aussi été faites sur le niveau de respect des mesures barrières. L’absence d’une base de sondage fiable sur l’effectif des transporteurs et des usagers nous a incité à administrer le questionnaire de manière aléatoire. L’effectif des enquêtés est composé de 78 transporteurs et 100 usagers. En plus du questionnaire, des entretiens semis dirigés (les responsables syndicaux) et des focus groupe (les opérateurs) ont été réalisés. Les données ont été traitées sur le tableur Excel et présentées sous la forme de tableau.

Le cadre d’étude est Korhogo. Située dans le nord de la côte d’Ivoire, elle est la capitale de la région des Savanes. Sur une superficie urbaine de 2984,76 hectares, elle compte 34 quartiers (voir carte ci-dessous). M. R. Zouhoula Bi (2014 : pp. 172-173) les « subdivise en trois grandes zones ». Représentant 11,14 % de la superficie urbanisée pour 21,86 % de la population, la première zone se composent de deux centres anciens (Kôkô et Soba) et d’un centre administratif (Dem) où sont localisé la majorité des services urbains. Il y a ensuite la deuxième zone qui est le péricentre. Faisant 68,95 % de la superficie pour 63,70 % de la population, c’est la zone la plus dense avec un tissu industriel et qui concentre l’essentiel de la demande de transport de la localité. La troisième zone est la périphérie avec 19,91 % de la superficie et 14,44 % de la population. En consolidation suite à la fin du conflit inter-ivoirien, les populations de cette partie renforcent la demande du péricentre en déplacements sociaux et professionnels.

Figure 1 : Les quartiers d’étude dans la ville de Korhogo

Nos résultats sont présentés suivant trois dimensions à savoir : les acteurs du transport (1), transport et respect des mesures barrières au COVID-19 (2) et l’impact de la COVID-19 sur les activités de transport (3).

2.    Opérateurs et usagers de transport public de voyageurs à Korhogo

2.1.         Caractéristiques démographiques des opérateurs

2.1.1.    Age des opérateurs de transport public

Tableau 1 : Age des opérateurs de transport

Source : nos enquêtes, avril-mai 202

Le tableau 1 montre les opérateurs de motos-taxis représentant 38,5% des enquêtés et ont, à 50% de leur effectif, un âge variant entre 15 et 30 ans. Les opérateurs de bus représentent 22% de ces enquêtés et ont, à 52,94% de leur effectif, un âge compris entre 31 et 45 ans. Chez les opérateurs de taxis-collectifs et de minibus, ces proportions sont respectivement de 50% pour les 31-45 ans et de 46,67% pour les 15-30 ans. Du point de vue de l’âge, les opérateurs de transport public à Korhogo ne sont pas une population à risque vis-à-vis de la Covid-19.

2.1.2.    Education des opérateurs de transport public

L’éducation est un indicateur qui a mis en évidence la compréhension et l’appropriation des mesures barrières chez les opérateurs de transport. Dans ce secteur où le recrutement du personnel est fait au travers de réseaux ethniques et familiaux, il est important de le savoir.

Tableau 2 : Education des opérateurs de transport

Source : nos enquêtes, Avril-mai 2020

A ce niveau, il y a trois indicateurs : l’analphabète, l’éducation coranique et l’école moderne. Dans le 1er indicateur cité, il y a 14 opérateurs de transport ; le second en 10 et le dernier, 54 opérateurs de transport. La majorité des opérateurs de transport ont fait l’école moderne, ce qui suppose qu’ils sont capables de comprendre et de s’approprier les mesures barrières.

2.2.         Caractéristiques démographiques des usagers des transports publics de Korhogo

2.2.1.    Age des usagers des transports publics

Pour caractériser cette variable, nous avons pris en compte trois indicateurs : le secteur d’activité, l’âge et l’éducation des usagers des transports de Korhogo.

Tableau 3 : Secteur d’activité et âge des usagers de transport

Source : nos enquêtes, avril-mai 202

Outre que les usagers des transports se retrouvent dans tous les secteurs d’activités, le tableau 3 révèle que leur âge oscille en moyenne entre les tranches de 31-45 ans (28,33 %) et de 46-60 ans (36,11 %). Ils sont majoritairement des salariés du privé, du public et des commerçants. Les déplacements occasionnels concernent surtout la tranche de 15-30 ans (20,57 %). En tenant compte de l’âge, les usagers ne sont pas, dans l’ensemble, une population à risque, ce qui explique qu’ils aient continué à se déplacer malgré la mesure de confinement.

2.2.2.    Education des usagers des transports publics

Le tableau 4, ci-dessous, montre que les usagers ayant eu une éducation moderne sont majoritaires (83 individus) contre 12 individus qui se déclare « analphabète » et 05 qui disent avoir fait l’école « coranique ». Le poids des individus ayant fait l’école moderne dans l’échantillon enquêté suggère la compréhension de la mesure de distanciation physique pour réduire les risques de propagation de la COVID-19.

Tableau 4 : Education des usagers de transport

Source : nos enquêtes, avril-mai 2020

3.     Transports publics et mesures barrières face à la covid-19

En mars 2020, le gouvernement ivoirien prend une série de mesures pour contenir la propagation du virus. Les plus emblématiques sont le port du cache-nez, le lavage des mains et la distanciation physique (un mètre entre les populations quel que soit le lieu dont les véhicules et les gares).

Tableau 5 : Réponses des opérateurs de transport sur le respect des mesures barrières dans les véhicules

Source : nos enquêtes, avril-mai 2020

Pour connaître l’application des mesures barrières dans les transports de voyageurs à Korhogo, nous avons pris en compte les réponses des opérateurs. Concernant le « port du cache-nez », les opérateurs de moto-taxi exigent cet accessoire à 42 % aux usagers. Ils sont suivis de ceux des bus (21,75 %), des minibus (19,75 %) et des taxis-collectifs (14,5 %). Dans l’ensemble, il y a seulement 24,5 % des opérateurs qui le recommandent aux usagers. S’agissant du « lavage des mains dans les gares », la tendance est similaire à celle du port d’un cache-nez. 37,25 % des opérateurs de moto-taxi le font faire aux usagers contre 21,5 % chez les taxis-collectifs et les bus et 19,75 % dans les minibus. Ce sont en moyenne 25 % des opérateurs qui incitent les usagers à le faire. Au niveau de la « distanciation physique dans les gares », les écarts avec les autres items deviennent importants. Cette mesure est appliquée essentiellement dans les gares de bus (45,45 %) et de minibus (28,55 %). Dans les gares des taxis-collectifs et de motos-taxis, ces taux chutent respectivement à 18 % et à 9 %. La moyenne ici est de 25,25 % d’opérateurs qui suggèrent aux usagers de respecter une distanciation physique d’un (01) mètre dans les gares. Enfin, pour ce qui est de la

« distanciation physique dans les véhicules de transport », les réponses des opérateurs nous font comprendre qu’elle est respectée à 48 % dans les taxis-collectifs contre 28 % dans les bus et 20 % dans les minibus. Sur les motos-taxis, un seul opérateur a affirmé la mettre en pratique. Ce sont en moyenne 24,25 % des opérateurs qui font respecter cette mesure dans les véhicules de transport public. En tenant compte des réponses des opérateurs, les mesures barrières sont peu appliquées.

4.     Impact du covid-19 sur la fréquence des voyages et les revenus à Korhogo

  • COVID-19 et nombre de voyage des véhicules de transport

Tableau 6 : Nombre de voyages avant et pendant la COVID-19

Source : nos enquêtes, avril 2020

Le tableau combine les voyages des transports en activité à Korhogo avant l’apparition de la COVID-19 et pendant la période de confinement général en Côte d’Ivoire. Les réponses des opérateurs montre dans l’ensemble qu’avant la COVID-19, il y avait 46/65 opérateurs dont le nombre de voyages était compris entre 0 et 5 contre 15/65 entre 6 et 10 et 04/65 à plus de 10 voyages. Dès le confinement, le premier intervalle passe à 63/65 ; le second intervalle tombe à zéro et le dernier intervalle chute à 02. En tenant compte du type de transport, la situation des motos-taxis se singularise. De 08 opérateurs sur 21 avant la COVID-19 à faire entre 0 à 5 voyages/jour, ils passent à 20 opérateurs sur 22 avec la crise. Deux transports, les taxis- collectifs et les minibus enregistrent une légère hausse, respectivement de l’ordre de 03 voyages pour le premier type cité (11 à 14 voyages) et de 02 voyages pour le type (13 à 15 voyages). Concernant le deuxième intervalle retenu (06 à 10 voyages), il s’observe une importante chute du nombre de voyages chez les opérateurs de moto-taxi qui passe de 09 voyages avant la COVID-19 à 0 avec le confinement. Même si l’écart n’est pas aussi grand, la tendance est similaire chez les autres types de transport. Enfin, dans le dernier intervalle (10 et plus), seuls les opérateurs qui parvenaient à le faire avant la COVID-19 (04 voyages) enregistrent une réduction de ce nombre (02 voyages).

La COVID-19 a peu affecté le nombre de voyages des opérateurs de transport public à Korhogo. Au contraire, pour un transport aussi flexible que la moto-taxi, on enregistre un doublement.

4.2.         Impact de la COVID-19 sur le revenu des opérateurs

Pour apprécier la variation des revenus des opérateurs de transport à Korhogo, nous avons pris en compte deux variables : les recettes journalières et les salaires mensuels avant l’apparition de la COVID-19 et pendant la mesure de confinement.

4.2.1.                                  Variation de la recette par type de transport

Pour connaître la variation des recettes par type de transport public à Korhogo, les réponses des opérateurs sur le montant à verser auprès des propriétaires a été pris en compte. A ce niveau, un constat a été fait : les motos-taxis et les taxis-collectifs ont des recettes inférieures à 20 000FCFA par jour tandis que les bus et les minibus se classent dans la catégorie

« autre ».

Tableau 7 : Variation de la recette quotidienne avant et pendant la COVID-19

Source : nos enquêtes, avril 2020

Sur les 29 opérateurs de moto-taxi interrogés, 26 personnes affirment que les propriétaires de leur véhicule ont maintenu la recette à au plus 5 000 FCFA/jour. Dans le 2nd intervalle, ils sont 03 opérateurs à dire que la recette a été maintenue entre 5 000 FCFA/jour et 10 000 FCFA/jour pendant le confinement contre 13 individus avant la COVID-19. Dans le 3ème intervalle de recette, il y a 14 opérateurs qui disent verser entre 10 000 FCFA/jour et 15 000 FCFA/jour avant la pandémie. Dans le 4ème intervalle, le nombre tombe à un (01). A l’analyse, la recette exigée aux opérateurs de moto-taxi n’a pas enregistré une variation importante sauf pour ceux à qui il est demandé de verser au plus 5 000 FCFCFA/jour. Cela induit donc une forte baisse de l’activité pendant la période du confinement. Concernant les opérateurs de taxi-collectif, d’un effectif de zéro à verser une recette inscrite dans le 1er intervalle (0 à 5 000 FCFA/jour), ce nombre passe à 12 pendant le confinement. Dans le 2nd intervalle de recette, il y a 08 opérateurs avant la COVID-19 contre 02 pendant le confinement. Dans le 3ème intervalle, il y a, dans le même ordre, 05 opérateurs contre 01. Il y a seulement 02 opérateurs qui affirment remettre au propriétaire une recette comprise entre 15 000 FCFA/jour et 20 000 FCFA/jour avant la pandémie contre zéro dans la période de confinement. Chez les opérateurs de taxi-collectif, la recette de 0 et 5 000 FCFA/jour exigée pendant le confinement matérialise la chute des sollicitations de ce véhicule dans les dessertes locales. S’agissant des compagnies de bus et de minibus, le montant de recettes versé avant la COVID-19 et pendant le confinement n’a pas enregistré une variation significative.

Dans l’ensemble, le confinement consécutif à la COVID-19 a provoqué une baisse des revenus financiers.

4.2.2.                                  Variation du salaire des opérateurs par type de transport

En Côte d’Ivoire, le législateur a fixé le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) à 63 000 FCFA. Si dans les transports publics, le principe reste invariant, le caractère artisanal de l’activité pousse beaucoup de propriétaires à privilégier les arrangements. Aussi, peut-on entendre des opérateurs que leur salaire est indexé sur la recette journalière ou fixé en fonction de la fragilité du contexte du moment comme cela a été le cas avec le confinement relativement à la COVID-19.

Tableau 8 : Variation du salaire des opérateurs de transport pendant la COVID-19

Source : nos enquêtes, avril 2020

Avant l’apparition de la pandémie, sur 42 opérateurs de transport public déclarant avoir un salaire mensuel compris entre 0 et 63 000 FCFA, 25 individus sont des chauffeurs de moto- taxi, 09 de taxi-collectif, 02 de bus et 06 de minibus. Avec le confinement, les chiffres sont de 19 chez les opérateurs de moto-taxi ; 07 chez ceux de taxi-collectif ; 05 chez ceux de bus et enfin, 09 chez les opérateurs de minibus. L’analyse de cette ligne fait apparaître deux tendances : une légère baisse du nombre d’opérateurs de moto-taxi et de taxi-collectif et une légère hausse du nombre d’opérateurs de bus et de minibus dans cette tranche. Dans les deux cas, cela traduit sans doute un ajustement de la base d’indexation du salaire. Dans les tranches [63 000 FCFA à 100 000 FCFA] et [100 000 FCFA à 125 000 FCFA], il n’y a que les

opérateurs de bus et de minibus. A ce niveau, les salaires ont peu varié. Selon le tableau 8, ci- dessus, les bases d’indexation du salaire sont : le partage de la recette avec le propriétaire (1/2 et 1/3 de la recette) et le versement de la somme de 1000 FCFA, 2000 FCFA, 2500 FCFA ou 3000 FCFA/jour au propriétaire. En tenant compte de cette donne, 05 opérateurs de bus affirment verser au propriétaire la moitié de la recette et garder le reste comme salaire. Un opérateur de minibus qui dit le faire mais à 1/3 avant la crise mentionne également que le propriétaire a maintenu ce mode pendant le confinement. Concernant ceux qui versent des montants forfaitaires de recettes au propriétaire et gardent le reste comme rémunération, il y a 02 opérateurs de moto-taxi qui disent donner 1 000 FCFA/jour au propriétaire et 06 opérateurs de ce même véhicule pour qui c’est 1500 FCFA/jour.

5.    Discussion des résultats de l’étude

La propagation du virus de la COVID-19 est expliquée en partie par « la mobilité (qui) a toujours été le vecteur des pandémies que l’humanité a connu précédemment, qu’il s’agisse de la grande peste du XIVe siècle ou de la façon dont le sida s’est répandu en Afrique » (G. F. Dumont, 2020, p. 7). C’est sans doute pourquoi, les Etats, pour l’endiguer ou du moins le maintenir hors des frontières, ont pris des mesures de confinement. Or, le virus ayant déjà franchi les frontières, l’objectif du confinement est d’en réduire la propagation, encore liée ici à la mobilité, donc aux transports. J. Atif et al (2020, p. 4) constatent finalement que « le confinement a eu un effet significatif sur les déplacements des français… ». La situation est similaire en Côte d’Ivoire. La prompte réaction du gouvernement face au ratage d’une mise en quarantaine a poussé à décréter un confinement général. Pour un pays qui a connu une décennie de guerre civile, l’objectif d’endiguement n’a pas été accompagné de mesures économiques fortes en faveur des populations défavorisées. Le transport public ivoirien surtout sa branche artisanale, depuis longtemps devenu une activité-refuge (M.R. Zouhoula Bi, 2010) mais désormais assimilé à un vecteur de propagation de la pandémie, est alors durement touché.

A Korhogo, une ville moyenne du nord de la Côte d’Ivoire abritant la présente étude, les résultats montrent que le confinement a eu un impact négatif sur le nombre de voyages des transports de grande capacité à la différence de la moto-taxi qui a enregistré une forte sollicitation. C’est en conséquence que Beyer (2020 : p6 et p8) « note un décrochage de la mobilité par rapport à la normale » et « un fort recul des mobilités personnelles ». Cela n’est pas étonnant car M. R. Zouhoula Bi et al citant M. SAHABANA (2018 ; p105) affirment que « les motos-taxis et les tricycles ont émergé comme des alternatives à l’absence de taxis autorisés, à la rareté de l’emploi salarié et à la pauvreté, constituant par ailleurs une importante opportunité de revenus monétaires ». Le contexte a également affecté les revenus financiers des professionnels dont les charges sont restées les mêmes. L’agence en ligne « Algérie Presse Service » (2021) s’est faite l’écho d’un constat similaire dans ce pays où « Les transporteurs ont affirmé, quant à eux, avoir subi des pertes colossales après 9 mois d’arrêt d’activité ». Ainsi, alors que la recommandation de l’OMS (P : 2 ; 2020) est que « Les autorités publiques, tant au niveau national qu’au niveau local, ont un rôle important à jouer pour conserver la confiance des usagers tout en offrant des options de transports publics sûrs et bien organisés, réduisant le risque d’infection par la COVID-19 », la situation décrite ci- dessus a prévalu faute d’un appui financier substantiel aux professionnels du secteur. Dans la localité, les opérateurs et les usagers des transports publics sont dans l’ensemble des adultes ayant reçu un niveau d’instruction scolaire ; ce qui devrait leur permettre de s’approprier les campagnes de sensibilisation sur la COVID-19. La « logique de débrouille » (D. Couret, 1997) dans laquelle se trouvent les populations les incite à des attitudes contraires. Aussi, les opérateurs se dotent-ils de cache-nez et de gel hydro-alcoolique ou mettent-ils en place des dispositifs de lavage des mains ou encore, le temps du contrôle policier dans les gares, ils installent les voyageurs tous les deux-sièges pour appliquer la distanciation physique dans les véhicules. Dès la sortie des lieux de transport ou en cas de sollicitation d’une destination, les pratiques d’avant le confinement redeviennent d’actualité. Cette façon de faire a fait chuter la fréquence des départs des transports de grande capacité où ce contrôle a été quasi tatillon mais a maintenu voire augmenté ceux des motos-taxis, très réclamés dans les dessertes de proximité.

Au-delà des transgressions insouciantes des mesures barrières, S. Fleuret (2014, p. 70) nous dit que « …depuis la fin des années 1990, il est un lien entre transports internationaux et santé qui occupe régulièrement la Une des médias : il s’agit des maladies émergentes ». La COVID-19 est donc une pandémie à classer dans cette catégorie. Les mesures pour l’endiguer ont amené G. F. Dumont (2020) à sortir un article sur « La fin de la géographie de l’hypermobilité ? » publié dans la revue Association Population et Avenir. Dans ce papier, cet auteur affirme que « sous la contrainte de la COVID-19 (…), la mobilité se trouve réduite à son minimum vital ». Pour lui, c’est la conséquence des « politiques d’isolement des personnes infectées dans les pays où l’on effectue un nombre significatif de tests, ou le confinement systématique dans des pays où les tests demeurent insuffisants ». V. PETIT et N. ROBIN (2020, p. 3) ont raison de dire que les « …circulations transnationales, articulées aux mobilités transcontinentales, ont favorisé les échanges avec les principaux foyers de l’épidémie, situés en Asie, en Europe et en Amérique du Nord ». Ces justifications du confinement perdent de leur pertinence lorsqu’on change d’échelle d’observation. Aux échelles nationales et locales comme c’est le cas en Côte d’Ivoire où les principaux supports de mobilité des populations sont les transports artisanaux, la stricte application du confinement aurait sans doute des conséquences dramatiques. En effet, ces transports sont devenus majoritaires dans les offres publiques et sont de puissants exutoires à l’extrême précarité des populations (A. ANTIL, 2020, p. 2). Sans nier l’existence de la pandémie et sans s’opposer aux mesures barrières, les professionnels prêtent le flanc aux relations clientélistes afin de diluer la rigueur du contrôle. Finalement, la logique de survie s’oppose à celle de vie dans un cycle infernal où la frilosité des Etats africains à faire appliquer leurs propres règles érige les transports en vecteurs de la COVID-19 (S. Fleuret, 2014, p. 7).

Conclusion

Les restrictions gouvernementales pour contenir la COVID-19 ont amplifié les logiques de survie dans le transport artisanal ivoirien. Au risque de favoriser la propagation de la pandémie, les opérateurs du secteur l’ont rabaissé au rang de maladies communes, pas plus létales que la tuberculose, les grippes saisonnières et le SIDA pour perpétuer l’activité afin de se garantir des revenus monétaires. Le décompte quotidien des nouveaux cas, l’annonce de la mise en quarantaine d’hommes politiques de premier plan et les campagnes de vaccination leur rappellent la dangerosité du virus. Mais les gens ont besoin de bouger pour vivre en dépit de la COVID-19.

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