Analyse du jeu des acteurs dans l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun dans les villes de Bouaké et de Yamoussoukro

Résumé

L’utilisation du gaz butane comme carburant dans le transport en commun connait une progression dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire ne fait pas l’exception car il n’y finit pas de gagner du terrain depuis son apparition en 2002 dans le secteur des transports de personnes. Cette tendance ne semble pas fléchir parce que de deux villes dans les années 2000, la Côte d’Ivoire se retrouve actuellement avec plus de sept villes dans lesquelles les transporteurs et conducteurs font recours au gaz butane comme carburant dans le transport en commun bien que son usage soit interdit. L’objectif de cette étude est d’analyser, à partir de la méthode MACTOR, les rapports de force existants entre les différents acteurs du secteur afin de mettre en évidence leurs accords et/ou divergences qui favorisent l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun dans les villes de Bouaké et de Yamoussoukro. Pour la réussite de cette étude, il a été impératif de faire recours aux enquêtes de terrain basées sur un choix raisonné auprès des conducteurs et/ ou transporteurs, des syndicats des transporteurs et de l’ensemble des acteurs administratifs impliqués dans le système des transports. Ces enquêtes couplées aux recherches documentaires révèlent d’abord que les transporteurs et les syndicats des transporteurs sont les acteurs qui ont le rapport de force le plus élevé dans le jeu des acteurs et ce déséquilibre de rapport de force favorable aux transporteurs favorise le maintien de l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun. Ensuite, les enquêtés ont aussi fait ressortir que la multitude des champs de bataille sème un chaos dans lequel prospère l’usage du gaz butane dans le transport en commun. Enfin, il ressort de ces analyses que l’exacerbation des convergences entre les acteurs constitue un terreau favorable à l’existence du gaz butane dans le transport de personnes.

Mots clés : Bouaké, Yamoussoukro, jeu des acteurs, transport en commun, méthode MACTOR,

Abstract

Analyze plays of the actors in the use of the gas butane in public transport in the towns of Bouaké and Yamoussoukro

The use of the gas butane in public transport known a proliferation in various countries of West Africa. Côte d’Ivoire don’t be an exception because in this last it does not finish gaining ground since its appearance in 2002 in the transport sector of people.This tendency does not seem to bend because of two cities in the years 2000, Côte d’Ivoire is found nowadays with more than seven cities in which the conveyors and drivers make recourse to the gas butane in public transport although its use is to prohibit.The objective of this study is to analyze, starting from method MACTOR, the reports/ratios of force existing between the various actors of the sector in order to highlight their agreements and/or divergences which support the use of the gas butane in public transport.For the success of this study, it was imperative to make recourse to the investigations of ground based on a choice reasoned near the drivers and/or conveyors, the trade unions of the conveyors and the whole of the administrative actors implied in the system of transport.These investigations coupled with the information retrievals reveal that initially that the conveyors and the trade unions of the conveyors are the actors who have the highest report/ratio of force in the play of the actors and this imbalance of report/ratio of force for the conveyors supports the maintenance of the use of the gas butane in public transport.Then, inquired as emphasized as the multitude of the battle fields sows a chaos of which the use of the gas butane in public transport thrives. At the end of these analyses, it arises that the exacerbation of convergences between the actors constitutes a compost favorable to the existence of the gas butane use in the transport of people.

Key words: Bouaké, Yamoussoukroplays of the actors, public transport, method MACTOR,

Introduction

L’histoire économique montre que, de tout temps, ce sont surtout les régions et les pays disposant d’un avantage comparatif dans le secteur des transports qui ont été prospères et puissants. Ainsi, il ne peut y avoir de valeur ajoutée sans infrastructures car, la mobilité est un bien fondamental, indispensable à toute fin de production et de consommation. De plus, les grands projets d’infrastructures améliorent concrètement l’accessibilité, ce qui représente un facteur de croissance statiquement significatif (U. Weber, 2011, pp. 4-5). Vu l’importance du transport, les acteurs s’adonnent à différentes pratiques plus ou moins approuvées par les législations des pays concernés. Leur l’objectif est de tirer le maximum de profit. Parmi ces pratiques figure l’usage du gaz butane dans le transport en commun. L’usage du gaz butane dans les transports en commun se développe et ne semble pas fléchir dans le transport de personnes en Afrique de l’Ouest. En raison de la progression de la pratique, certains auteurs ont juste évoqués son utilisation et son expansion (Xinhua, 2013 ; Aip, 2016) tandis que d’autres ont analysés les raisons et les conséquences de son utilisation dans les transports en commun (K. P. Karantao, 2009, P. Koudjo, 2015 ; A. Zoure, 2015 ; C. Boh, 2017 et 2018).

Malgré la disponibilité de cette revue de littérature, il y a une insuffisance d’écrits notamment concernant les analyses des jeux des acteurs afin de déterminer les raisons qui favorisent l’usage du gaz butane dans le transport en commun. Pourtant, cette analyse s’avère impérative pour permettre d’identifier les acteurs influents et ceux dits influencés. Cette analyse permet d’identifier les acteurs sur lesquels, au besoin, il faut agir pour pouvoir faire respecter l’utilisation du gaz butane. Seules les raisons économiques, de manière générale, ont été évoquées dans certaines études comme étant le facteur déterminant dans l’usage du gaz butane dans le transport en commun (S. K. Kouassi, 2014). Toutefois, les relations, les interactions, c’est-à-dire l’analyse des jeux des acteurs, au sein du système n’ont pas fait l’objet d’études afin de faire ressortir les raisons qui facilitent son maintien, voire son expansion à travers les différentes villes ivoiriennes. Ainsi, au regard de ces constatations, la question qui se pose est de savoir : quels sont les facteurs déterminants, dans l’analyse du jeu des acteurs, qui favorisent le maintien de l’utilisation du gaz butane comme combustible dans le transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké ?

Cette étude se propose d’analyser le jeu des acteurs dans le transport en commun dans les villes de Bouaké et de Yamoussoukro afin de déterminer les facteurs qui facilitent le maintien et la propagation de l’utilisation du gaz butane.

1-Zone d’étude, matériels et méthodes

1.1-Zone d’étude

La zone d’étude prise en compte dans ce travail est composée des villes de Yamoussoukro et de Bouaké (figure 1).

Figure 1 : Présentation de la zone d’étude

Ces deux villes se situent au centre de la Côte d’Ivoire. En effet, la ville de Yamoussoukro est la capitale politique du pays. Elle a une population de 310 056 habitants (RGPH, 2014, p. 11). Pour le déplacement de cette population, plusieurs moyens de transport sont mis à sa disposition dont les taxis communaux qui font recours au gaz butane comme carburant. Elle est la première ville ivoirienne à utiliser le gaz butane dans le transport. Quant à la ville de Bouaké, elle est la seconde grande ville de la Côte d’Ivoire après Abidjan. Avec une population de 680 694 habitants (RGPH, op. cit., p. 8), celle-ci fait recours à divers moyens de déplacement tels que les taxis-motos, les minibus appelés « massa », les taxis communaux qui utilisent le gaz butane comme carburant en lieu et place du gasoil ou de l’essence. La zone d’étude ainsi présentée, l’étape suivante a concerné la présentation des matériels de l’étude.

1.2-Matériels

Il s’agit, dans cette étude, de faire une analyse du jeu des acteurs dans le système du transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké. Alors, les matériels utilisés sont constitués de données numériques obtenues à travers les enquêtes, du logiciel MACTOR des études prospectives et du logiciel QGis pour les besoins cartographiques.

1.3-Méthodes

Dans une étude prospective concernant le jeu des acteurs, le travail montre les niveaux d’influence, les alliances ainsi que les objectifs les plus mobilisateurs de chaque acteur concerné (M. Godet, 2007, p. 195). Ainsi, cette analyse se base sur le Mactor (Méthode, ACTeurs, Opportunités et Rapports de force) pour l’exécution des différentes tâches. Pour mener à bien cette méthode, deux étapes ont été développées dans les points suivants :

Première étape : identification ou recensement des acteurs

Dans la première étape, il est question d’identifier les enjeux ou les champs de bataille, recenser les acteurs qui animent les enjeux identifiés. Cette étape s’intéresse également aux objectifs poursuivis par les différents acteurs recensés. L’obtention des différents éléments de cette analyse est passée par une recherche documentaire et des entretiens auprès des différents acteurs impliqués dans le système des transports en commun. Vu la complexité du système du transport en commun, des échanges ont été aussi entrepris avec des spécialistes du domaine. Il s’agit, entre autres d’enseignants- chercheurs spécialistes du transport en général et du transport en commun en particulier. Ainsi, avec leur aide, la liste des acteurs concernés par le système du transport en commun utilisant le gaz butane comme carburant a pu être dressée (tableau 1).

Tableau 1: Liste des acteurs du système du transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et Bouaké

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020

Il a été établie la liste exhaustive des acteurs ayant une influence effective ou potentielle sur l’évolution du système, dits acteurs moteurs et de ceux concernés par l’impact de ces évolutions, dits acteurs sensibles (tableau 1). Après avoir identifié les acteurs, il est impératif de faire pareil pour les objectifs (tableau 2).

Tableau 2: Liste des objectifs visés par les acteurs du système du transport en commun des villes de Yamoussoukro et Bouaké

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Pour établir la liste des objectifs, il a été opportun de collecter les informations sur les acteurs et les différents objectifs qu’ils veulent atteindre.

De manière générale, le travail a consisté à collecter les informations sur les acteurs de manière à avoir une connaissance analytique et historique suffisante pour formuler des hypothèses à leur sujet, d’identifier les enjeux, c’est-à-dire les « lieux » de confrontation des objectifs et intérêts poursuivis par les acteurs. Ainsi, ces précédentes étapes ont facilité la suite du travail.

Deuxième étape : établissement de la matrice des positions acteurs × objectifs et la matrice des influences entre acteurs

La méthode MACTOR permet, grâce à l’utilisation du logiciel spécifique, de dérouler une multitude d’informations sur la base de deux matrices : une matrice des positions acteurs × objectifs (MAO) et une matrice des influences directes entre acteurs (MID). Ces matrices ont été établies pour chacune des villes de Yamoussoukro et Bouaké (tableaux 3 à 6).

Tableau 3 : Matrice des positions acteur / objectif du système du transport en commun de personnes à Yamoussoukro (MAO)

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Tableau 4 : Matrice des influences entre acteurs du système du transport en commun de personnes à Yamoussoukro (MID)

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Tableau 5: La matrice des positions acteurs objectifs du système du transport en commun à Bouaké (MAO)

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Tableau 6: La matrice des influences entre acteurs du système du transport en commun à Bouaké (MID)

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

C’est sur la base de ces quatre matrices que le logiciel est conçu pour la mise en œuvre efficace de la méthode MACTOR. Il a permis de produire notamment d’autres matrices de convergences et divergences représentant les liens entre les acteurs autour des objectifs stratégiques et calculer des « indicateurs de rapport de force » mesurant la « marge de manœuvre » de chaque acteur.

2-Résultats

2.1-Les transporteurs et les syndicats des transporteurs, favorables au maintien du gaz butane dans le transport de personnes, sont ceux qui ont le rapport de force le plus élevé dans le jeu des acteurs

L’usage du gaz butane dans le transport en commun est une activité qui se fait en synergie avec d’autres acteurs du secteur. À travers les analyses des données les concernant, il ressort que les transporteurs et les syndicats des transporteurs, en plus d’être favorables au maintien du gaz butane dans le transport en commun, sont ceux qui ont un rapport de force plus élevé que celui des autres. Cela est perceptible à travers les points suivants :

2.1.1-L’hégémonie des transporteurs et des syndicats des transporteurs dans le jeu des acteurs constitue un facteur favorisant l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun à Yamoussoukro

L’usage du gaz butane dans le secteur des transports en commun constitue un secteur sous la domination des transporteurs et des syndicats des transporteurs. C’est le fait qu’ils usent de toutes leurs stratégies pour maintenir l’utilisation de ce combustible gazeux qui engendre une exacerbation de son usage dans les villes ivoiriennes. Cette hégémonie est perceptible à partir de la matrice des influences directes et indirectes (MIDI) (tableau 7).

Tableau 7 : Matrice des influences directes et indirectes du jeu des acteurs de l’usage du gaz butane dans le transport en commun de personnes à Yamoussoukro

Les valeurs représentent les influences directes et indirectes des acteurs entre eux : Plus le chiffre est important plus l’influence de l’acteur sur l’autre acteur est importante.
Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Les transporteurs constituent ceux qui ont plus d’influence sur les autres acteurs d’où le chiffre le plus élevé au total (Trans-Di qui est égale à 138 (tableau 7)). En effet, les transporteurs constituent le cœur du système de l’utilisation du gaz butane dans le transport. Ils agissent sur les autres acteurs à leurs profits et n’hésitent pas à user de toutes les stratégies pour tourner la situation en leurs faveurs. Par exemple, être de mèche avec les agents répresseurs constitue leur stratégie principale. Quant au responsable de la municipalité, du ministère des transports, leurs décisions se trouvent toujours confronter à une demande grandissante en transport dont les seuls à pouvoir la satisfaire sont les transporteurs. Ainsi, ils se retrouvent dans un dilemme, soit interdire l’usage du gaz butane dans le transport en commun et se soumettre aux tensions des populations liées aux besoins de déplacement, soit laisser la pratique de l’usage du gaz butane se poursuivre, avec les risques que cela comporte et ne pas se retrouver en train de régler des tensions sociales des populations. Il faut rappeler que plus de 90 % des engins de transport en commun à Yamoussoukro utilise le gaz butane comme carburant. Les transporteurs sont les meneurs de jeux du fait qu’ils sont ceux qui ont mis en place et qui ont favorisé le phénomène de l’utilisation du gaz butane dans le transport de personnes d’où leurs influences sur les autres acteurs (tableau 7).

2.1.2-La convergence entre les transporteurs et les syndicats des transports, une interaction exacerbant l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun à Bouaké

La convergence entre les transporteurs et les syndicats des transports, en plus de leur prédominance dans le jeu des acteurs, exacerbe l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun à Bouaké.

Dans le secteur des transports de personnes dans la ville de Bouaké, il y a une convergence stratégique entre les transporteurs et les syndicats des transporteurs. Contrairement à la ville de Yamoussoukro, à Bouaké, les transporteurs et les syndicats des transporteurs entretiennent des liens étroits leur permettant de mieux profiter de leurs capacités à dominer le jeu des acteurs. Cela est dû au fait que dans la ville de Bouaké, il y a une puissante organisation syndicale bien structurée, qui s’est renforcée durant toute la crise militaro-politique de 2002 à 2011, avec un directoire qui s’occupe de la protection des intérêts de l’organisation et des transporteurs. Tandis qu’à Yamoussoukro, il y a l’intervention fréquente des acteurs administratifs dans le secteur, empêchant ainsi le gain de puissance aux autres organisations telles que les organisations syndicales dans le domaine des transports. Cette convergence est perceptible à travers le plan des convergences entre acteurs d’ordre 1 qui sert à montrer les convergences entre d’éventuels acteurs, à montrer leur nature (acteurs dominants, dominés, relais et autonomes) et à montrer les acteurs influents et ceux dits dépendants (figure 2).

Figure 2 : Plan des influences-dépendances directes et indirectes des acteurs

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Les différents regroupements montrent les convergences possibles qui existent entre les différents acteurs du transport en commun utilisant le gaz butane comme carburant. En effet, la convergence entre les transporteurs et les syndicats des transporteurs donne plus de force à ces acteurs qui n’ont que pour intérêt de faire des bénéfices dans leurs activités, donc de maintenir l’usage du gaz butane comme carburant dans le transport. En plus du facteur précédant, il y a d’autres facteurs montrés dans le point suivant.

2.2-La multitude des champs de bataille, un facteur responsable du chaos dans lequel prospère l’usage du gaz butane dans le transport en commun

L’usage du gaz butane dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké engendre plusieurs champs de batailles entre les acteurs en fonction des objectifs de chacun. Les enjeux liés aux pratiques de cette activité, font qu’il y a une multitude de champs de bataille. Ainsi, cela engendre un chaos (un désordre) dans lequel prospère l’usage du gaz butane dans le transport en commun. Les systèmes de transport en commun utilisant le gaz butane dans les deux villes ont été confrontés à ce fait. Dans l’analyse des jeux à partir de MACTOR, cela est perceptible à  partir des matrices des positions valuées1 Acteurs × Objectifs (2MAO) dans les systèmes de transports en commun des villes de Bouaké et Yamoussoukro (tableaux 8 et 9).

À Yamoussoukro, entre huit et treize acteurs sont impliqués dans huit objectifs sur douze, avec des objectifs conflictuels (tableau 2). En effet, il ressort qu’il y a implication significatives d’acteurs sur les objectifs de la colonne 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 12. Il faut aussi noter que les acteurs administratifs, ceux qui doivent veiller au respect de la loi ou des arrêtés d’interdiction de l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun, sont impliqués dans huit de ces objectifs. Cette panoplie d’implications n’est pas favorable à la lutte contre l’usage du gaz butane. Ceci atteste les propos d’un conducteur de la ville de Yamoussoukro qui affirme :

« Plus il y a du désordre, moins les forces de l’ordre, avec à leur tête le préfet, ont du temps de faire des contrôles. Cela nous permet d’échapper aux contrôles ».

Tableau 8: Matrice des positions valuées Acteurs × Objectifs du jeu des acteurs dans le transport en commun utilisant le gaz butane à Yamoussoukro

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Il ressort que les acteurs administratifs sont impliqués dans plusieurs objectifs. Cette situation est au profit des transporteurs. Autrement dit, cette situation d’anarchie est en faveur des transporteurs qui œuvrent pour l’usage du gaz butane.

Au niveau de la ville de Bouaké, entre huit et treize acteurs sont impliqués dans neuf objectifs sur douze, avec un objectif clairement conflictuel (tableau 9).

Tableau 9: Matrice des positions valuées Acteurs × Objectifs du jeu des acteurs dans le transport en commun utilisant le gaz butane à Bouaké

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Les acteurs administratifs sont impliqués dans plusieurs objectifs d’où leur manque d’efficacité. Ainsi, il faut aussi noter que l’objectif «continuer les subventions du gaz butane », que cela soit pour la ville de Yamoussoukro ou la ville de Bouaké, reste l’objectif qui implique le plus l’ensemble des acteurs. Toutefois, l’objectif « avoir la mainmise sur l’activité », reste au contraire un objectif conflictuel, tous comme l’objectif « veiller au respect des lois et des arrêtés gouvernementaux » dans l’analyse du jeu des acteurs du système de transport encommun des deux villes. Il ressort aussi que concernant l’objectif « avoir un bas coût de transport », il y a un effectif de position plus faible à Yamoussoukro par rapport à Bouaké parcequ’au niveau de Bouaké, les débats concernant les coûts de transport sont toujours à l’ordre du jour généralement suscité par la présence des motos-taxis.

À Yamoussoukro, l’objectif « veiller au bon déroulement de l’activité des transports » implique tous les acteurs tandis que le même objectif n’implique que neuf acteurs sur les treize à Bouaké. En effet, au sortir des enquêtes, il ressort que 70% des acteurs administratifs ne se sentent pas concernés par cette question à cause de la prise de puissance d’autres organisations qui les empêchent d’exercer leurs fonctions.

Enfin, il ressort que l’objectif « fournir des services de qualité aux consommateurs » implique tous les acteurs au niveau de Yamoussoukro, par contre, à Bouaké, cet objectif n’implique que sept acteurs sur les treize. Cela se justifie par le fait qu’au sortir des enquêtes à Yamoussoukro, 76% des acteurs du système des transports sont conscients de l’importance des qualités des services dans la capitale politique. À Bouaké, cela n’est pas le cas car, les acteurs qui devaient favoriser l’implication des transporteurs, syndicats de transporteurs, police, etc. sont restés indifférents face à cet objectif. Le manque d’intérêt d’autres acteurs vis-à-vis de cet objectif est aussi lié à la désorganisation du système des transports durant les longues années de crise faisant naître en certains acteurs un sentiment d’indifférence.

Après cette analyse, il a été impératif de faire une vérification des convergences entre les acteurs afin de faire apparaitre celles qui sont susceptibles de favoriser l’usage du gaz butane dans le transport.

2.3-L’exacerbation des convergences entre certains acteurs, un terreau favorable à l’existence du gaz butane dans le transport de personnes à Yamoussoukro et à Bouaké

L’intensité des convergences et des divergences entre des acteurs clés sont des facteurs favorables au maintien du gaz butane dans le transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké. Cela est perceptible à travers les positions valuées pondérées des acteurs sur les objectifs. En effet, au sortir des analyses, il faut noter que les convergences valuées pondérées d’objectifs entre acteurs ont été nécessaires pour la suite des analyses comme étayer dans les points suivants.

La Matrice valuée pondérée des convergences ou Convergences valuées pondérées Acteurs × Acteurs (3CAA) identifie pour chaque couple d’acteurs l’intensité moyenne des convergences lorsque les deux acteurs ont la même position (favorable ou opposée). Les chiffres des Matrices mesurent l’intensité des alliances, intégrant par couple d’acteurs leurs hiérarchies (préférences), des objectifs et leurs rapports de force. En effet, l’analyse du jeu des acteurs dans le transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké ont permis d’établir des matrices (tableaux 10 et 11).

La ville de Yamoussoukro représente la source de l’utilisation du gaz butane dans le transport en Côte d’Ivoire. En effet, elle est la première ville ivoirienne à faire recours à ce combustible gazeux pour le fonctionnement de l’activité des transports. À cet effet et suite aux analyses du jeu des acteurs du système des transports en commun dans la ville de Yamoussoukro, il ressort qu’il y a 12 acteurs sur 13 qui ont au moins une convergence (tableau 10).

Tableau 10: Matrice valuée pondérée des convergences (3CAA) de l’analyse du jeu des acteurs dans le secteur des transports utilisant du gaz butane à Yamoussoukro

NB : Les valeurs représentent le degré de convergence : plus l’intensité est importante, plus les acteurs ont des intérêts convergents / Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Parmi ces 12 acteurs, plus de la moitié a une valeur supérieure ou égale à six. Ces degrés de convergence montrent l’intensité des intérêts entre deux acteurs, et plus cette valeur est importante, plus les acteurs ont des intérêts convergents. Dans le cas de la ville de Yamoussoukro, il y a des intensités importantes telles que (Syn_com ; Mairie), Min_Trans ; Syn_com), (Pol ; Shyn_com), (Gen ; Pol), etc. mais ces différentes convergences ne sont pas en faveur de l’annulation du gaz butane dans le transport en commun dans la ville de Yamoussoukro (cf : tableau 4). Bien au contraire, ces convergences facilitent l’activité comme l’ont signifié 80% des enquêtés. En effet, des acteurs tels que les transporteurs, se servent de ces convergences pour s’offrir des autorisations de circulation avec le gaz butane comme carburant, et créent leurs propres réseaux qui les mettent à l’abri d’éventuels traques.

Après la ville de Yamoussoukro, les mêmes analyses ont été menées dans la ville de Bouaké à partir d’une matrice valuée pondérée des convergences (3CAA). Il faut dire que la ville de Bouaké est la plus grande ville de Côte d’Ivoire où les transporteurs et conducteurs font recours au gaz butane comme carburant dans le transport en commun. Elle est celle qui a propulsé l’usage du gaz butane dans le transport en commun. Elle est la vitrine de son utilisation dans le transport en commun. Ainsi, au niveau de cette ville, pour l’analyse du jeu des acteurs dans le transport, il a été nécessaire de faire recours à la matrice des convergences valuées pondérées d’objectifs entre acteurs (3CAA) (tableau 11).

Tableau 11 : Matrice valuée pondérée des convergences (3CAA) de l’analyse du jeu des acteurs dans le secteur des transports utilisant du gaz butane à Bouaké

NB : Les valeurs représentent le degré de convergence : plus l’intensité est importante, plus les acteurs ont des intérêts convergents
Source : Soro N. et Kablan N. H. J., 2020.

Les degrés de convergences montrent qu’il y a une intensité d’intérêts convergents entre les différents acteurs. Ces convergences sont fonction de l’importance de l’intensité. Il faut remarquer qu’au niveau de Bouaké, c’est la police qui a le plus d’intérêts convergents avec les autres acteurs du fait qu’elle est l’organe administratif qui est la plus en contact sur le terrain avec les autres acteurs. Ainsi, l’acteur administratif le mieux adapté à faire respecter les décisions d’interdiction du gaz butane se trouve dans diverses convergences (diverses relations avec d’autres acteurs). Cela fragilise ses prises de décision et laisse le champ libre des transporteurs qui utilisent le gaz butane. De plus, selon 85% des enquêtés, la police constitue l’acteur qui est impliquée dans plus d’actions possibles et se retrouve dans l’incapacité de prendre des décisions déterminantes. Il faut aussi remarquer que l’intensité importante des intérêts convergents à Bouaké (96,2) est différente de celle de Yamoussoukro (100). Cette différence s’explique par le fait qu’à Yamoussoukro, l’administration est plus organisée et plus impliquée dans le système des transports, d’où le nombre élevé des intérêts entre la police et les autres acteurs à Yamoussoukro par rapport à Bouaké. En clair, 60% des enquêtés de Yamoussoukro et de Bouaké soutiennent que la police a une intensité élevée dans le jeu des acteurs du fait que les acteurs administratifs sont plus impliqués dans la gestion du système des transports avec la police en premier.

Cette remarque fait au niveau des policiers est pareille pour les acteurs tels que la mairie car à Bouaké, elle enregistre une intensité de convergence égale à 88 tandis qu’à Yamoussoukro, cette valeur est de 93. Le cas des syndicats des consommateurs ne fait pas la différence du fait qu’à Bouaké, l’intensité n’est que de 96, 2 pourtant cette valeur est de 115,7 à Yamoussoukro. Ceci est lié au fait que les acteurs administratifs dans les deux villes n’ont pas le même niveau d’implication dans le système des transports. Bien que ces valeurs soient différentes, elles sont les plus élevées pour ces acteurs dans ces deux villes. En effet, l’implication des acteurs administratifs dans presque tous les champs de batailles crée des liens plus que professionnels entre les acteurs administratifs et les autres donnant ainsi les opportunités aux transporteurs qu’ils exploitent à leur avantage, c’est-à-dire maintenir l’usage du gaz butane dans le transport en commun.

Enfin, il faut aussi remarquer dans la suite des analyses des matrices des deux villes que les acteurs administratifs dans les deux villes (Bouaké et Yamoussoukro) sont ceux qui ont les plus d’intensités de convergences, comparées aux autres acteurs. Cela s’explique, selon plus de 56% des enquêtés, par le fait que ces acteurs administratifs sont ceux qui détiennent le pouvoir à décider et la capacité à converser avec tous les autres acteurs.

3. Discussion

L’analyse du jeu des acteurs dans l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké ont fait ressortir dans les interactions entre les acteurs et leurs objectifs des facteurs qui facilitent l’usage du gaz butane dans le transport de personnes. D’abord, l’étude a révélé que les transporteurs et les syndicats des transporteurs, favorables au maintien de ce combustible dans le transport de personnes, sont ceux qui ont le rapport de force le plus élevé dans le jeu des acteurs. Ce rapport de force en leur faveur les permet de faire l’usage du gaz butane en dépit des décisions gouvernementales. Comme le souligne A. Zoure (2015, p.2) cela ne met pas les usagers à l’abri de pénurie de gaz butane. De ce fait, le gouvernement burkinabè à décider de lutter contre l’utilisation du gaz butane comme carburant parce que cette pratique contribue à la pénurie de gaz butane.

Ensuite, elle a montré que la multiplicité des champs de bataille dans le transport en commun sème un chaos dans lequel prospère l’usage du gaz butane. En effet, l’existence de plusieurs champs de bataille engendre un désordre, auxquels fait référence S. K. Kouassi (2014, pp.270-271) lorsqu’il évoque de l’usage du gaz butane. En effet, ce dernier compare son utilisation à un désordre urbain qui existe dans la ville de Bouaké.

Enfin, cette étude sur l’analyse du jeu des acteurs dans le système des transports dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké a fait ressortir que l’exacerbation des convergences entre certains acteurs constitue un terreau favorable à l’existence du gaz butane dans le transport de personnes. Cette exacerbation des convergences débouche sur la perte de notoriété des acteurs administratifs, point mis en exergue par Aip (2016, p. 1).

Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de retenir que l’analyse du jeu des acteurs dans le système du transport en commun dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké a fait ressortir les facteurs qui favorisent le maintien de l’usage du gaz butane dans le transport. En somme, il s’agit des interactions entre les acteurs et les objectifs propices au maintien du combustible gazeux dans le transport de personnes.

Dans un premier lieu, il convient de remarquer que les transporteurs et les syndicats des transporteurs sont les acteurs qui ont le rapport de force le plus élevé. Ainsi, cette hégémonie des transporteurs et des syndicats des transporteurs dans le jeu des acteurs constitue un facteur favorisant l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun. Il faut aussi mentionner que la convergence entre les transporteurs et les syndicats des transports, en plus de leur prédominance dans le jeu des acteurs, exacerbe l’utilisation du gaz butane dans le transport en commun. Leur association découle sur du lobbying en faveur du maintien du gaz butane dans le transport en commun. Dans un second lieu, il ressort que la multiplicité des champs de bataille sème un chaos dans lequel prospère l’usage du gaz butane dans le transport en commun. Les conclusions sont pareilles pour les deux villes à travers les matrices des positions valuées Acteurs × Objectifs, c’est-à-dire qu’il y a une recrudescence de l’usage du gaz butane dans le transport de personnes à cause de cette multitude de champs de bataille qui sème de désordre. Enfin dans un troisième lieu, il ressort que l’exacerbation des convergences entre certains acteurs constitue un terreau favorable à l’existence du gaz butane dans le transport de personnes à Yamoussoukro et à Bouaké. Cela est perceptible à travers les matrices valuée pondérées des convergences (3CAA) de l’analyse du jeu des acteurs dans le secteur des transports utilisant le gaz butane dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké. En somme, le jeu des acteurs favorisent l’usage du gaz butane dans le transport de personnes du fait que ces relations créent des rapports de force en faveur des transporteurs et de leurs syndicats. Cette situation s’explique par le fait qu’ils créent une multitude de champs de bataille qui sème l’anarchie de laquelle prospère le recours au gaz butane comme combustible. Au fait, ils engendrent une exacerbation des convergences entre certains acteurs qui, à leur tour, constituent un terreau favorable à l’existence du gaz butane dans le transport de personnes dans les villes de Yamoussoukro et de Bouaké. Cette méthode d’analyse s’est avérée opportune dans la mesure où elle permet de faire ressortir l’action de chaque acteur au sein du système, de montrer le niveau d’influence et de dépendance des acteurs qui composent le système. Il serait indéniable de recourir à cette méthode d’analyse dans les travaux à venir concernant les nouvelles pratiques dans le transport en commun de personnes dans la ville d’Abidjan.

Références bibliographiques

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Auteur(s)

Nemeloh SORO,

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Hassy N’guessan Joseph KABLAN

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Université Félix Houphouët-Boigny


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Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150

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