Déficit de gestion des déchets urbains et stratégies de résilience dans la région du Moronou (centre-est de la Côte d’Ivoire)

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Résumé

La dynamique urbaine occasionne une inadéquation entre les besoins en ouvrages de gestion des déchets et le rythme de viabilisation des quartiers. Cette contribution analyse les stratégies de résilience face au déficit de gestion des déchets urbain dans la région du Moronou. La méthodologie utilisée repose sur une recherche documentaire et sur des interviews effectuées avec des acteurs locaux en charge de la gestion des déchets urbains. Les informations obtenues ont été complétées par une enquête par questionnaire menée auprès de 427 chefs de ménages dans les cinq villes (Anoumaba, Arrah, Bongouanou, M’batto et Tiémélékro) de la région du Moronou. La ville dans cette étude est entendue comme toute localité d’au moins 4 000 habitants agglomérés, dotée de la fonction politique et administrative, qui se différencie du village par le niveau de ses équipements collectifs et au sein de laquelle la population active non agricole est supérieure ou égale à 50%. Les résultats stipulent que le réseau de gestion des déchets se limite aux quartiers centraux et péri-centraux desdites villes. Le réseau routier intra-urbain dégradé, occasionne un enclavement fonctionnel des quartiers périphériques des villes. Ces territoires urbains sont également confrontés à une absence de canaux de drainage pour l’évacuation des eaux pluviales. Le réseau d’assainissement collectif est quasi-inexistant pour la gestion des déchets liquides domestiques. Les ménages ont alors recours à divers modes d’évacuation en fonction du type d’eau usée. Pour les eaux usées issues des douches et toilettes, la priorité est accordée aux fosses septiques (78,62%). Les eaux usées issues de la lessive et de la vaisselle sont prioritairement écoulées sur les terrains vagues (79,82%). Les ménages procèdent par dépôt sauvage (65,7%), camion de collecte (29,4%) et point de collecte (3,1%) pour la gestion des ordures domestiques. Ces pratiques dégradent l’environnement urbain.

Mots clés : Région du Moronou, déchets urbains, gestion, résilience, environnement urbain.

Abstract

Urban waste management deficit and resilience strategies in the Moronou region (central-eastern Côte d’Ivoire)

The urban dynamic causes a mismatch between the needs for waste management structures and the rate at which neighborhoods are serviced. This contribution analyzes resilience strategies in the face of the urban waste management deficit in the Moronou region. The methodology used is based on documentary research and interviews carried out with local actors in charge of urban waste management. The information obtained was supplemented by a questionnaire survey conducted among 427 heads of households in the five towns (Anoumaba, Arrah, Bongouanou, M’batto and Tiémélékro) of the Moronou region. The city in this study is understood as any locality of at least 4,000 agglomerated inhabitants, endowed with a political and administrative function, which differs from the village by the level of its collective facilities and within which the non-agricultural active population is greater than or equal to 50%. The results stipulate that the waste management network is limited to the central and peri-central districts of the said cities. The degraded intra-urban road network results in a functional isolation of the outlying districts of the cities. These urban areas are also faced with an absence of drainage channels for the evacuation of rainwater. The collective sanitation network is almost non-existent for the management of domestic liquid waste. Households then resort to various disposal methods depending on the type of wastewater. For wastewater from showers and toilets, priority is given to septic tanks (78.62%). Wastewater from laundry and crockery is primarily disposed of on vacant lots (79.82%). Households proceed by illegal deposit (65.7%), collection truck (29.4%) and collection point (3.1%) for the management of domestic waste. These practices degrade the urban environment.

Keywords: Moronou region, urban waste, management, illegal dumping, evacuation

Introduction

L’un des problèmes cruciaux auxquels sont confrontés les pouvoirs publics dans la plupart des pays sous-développés est la non maîtrise de l’urbanisation dans un contexte de croissance exponentielle de l’effectif de la population des villes. Le défi majeur à relever dans ce contexte pour les autorités, est la bonne gestion des conséquences de cette forte croissance urbaine sur la consommation de l’espace (G. A. Glele, 2015, p. 67). Selon C-R. Nguimalet (2004, p. 3). Dans la plupart des villes des pays en développement, l’étalement spatial se fait de façon horizontale à la différence de celles des pays développés où elle est plutôt verticale (R.J. Assako Assako et H.G. Njouonang Djomo, 2015, p. 36-37). La dynamique spatiale des territoires urbains ne s’accompagne pas de l’extension des réseaux d’assainissement collectif (K. Kouassi, 2014, p. 94-95).

En Côte d’Ivoire, le taux d’urbanisation est passé de 43% en 1998 à 49,7% en 2014 (INS-RGPH, 1998 ; 2014). En dépit de ce bon significatif d’urbanisation, 75% quand 80% des eaux usées ménagères sont évacuées suivant des pratiques contraires à la préservation de l’environnement (INS-RGPH, 2014). Nonobstant la création de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED) en 2017, en vue de gérer tous les déchets ménagers, industriels, sanitaires, équipements électriques et électroniques, pneus usagés, piles, déchets de garages, le taux d’accès national à un assainissement amélioré reste faible, soit 25% (Ministère de la salubrité et de l’assainissement, 2020, p. 45). Aussi, les populations urbaines à 64% n’ont pas accès à des installations améliorées d’assainissement. L’assainissement collectif des eaux usées est très peu répandu sur le territoire national et l’assainissement autonome en milieu urbain représente près de 80% (Office National de l’Assainissement et du Drainage (ONAD), 2018, p. 2).

Dans les villes de la région du Moronou, le déplacement de la boucle du cacao a induit une chute du taux d’accroissement moyen annuel de la population urbaine. Il est passé de 9,08% entre 1965 et 1975 à 0,84% entre 1998 et 2014 (ORSTOM, 1965 ; INS-RGPH, 1975 ; 1998 ; 2014). En dépit du ralentissement de l’augmentation du volume de la population urbaine régionale, les municipalités de Bongouanou, Arrah, M’batto, Tiémélékro et Anoumaba ont mis en place une politique de gestion des déchets. Celle-ci s’articule autour de l’achat de tricycles affectés aux pré-collecteurs et de l’organisation des campagnes de sensibilisation aux méfaits des dépôts sauvages d’ordures ménagères et du rejet des eaux usées domestiques sur les terrains nus (Mairie de Anoumaba, Arrah, Bongouanou, M’batto et Tiémélékro, 2019). Malgré ces initiatives, 93% des ménages utilisent des modes inappropriés pour évacuer les eaux usées. Ces ménages urbains ont également recours à 88% à des pratiques d’enlaidissement du cadre de vie comme mode de gestion des ordures (INS-RGPH, 2014). Cette situation découle de l’insuffisance du réseau d’assainissement collectif à l’échelle des cinq villes. Le linéament est limité aux quartiers centraux. Le caractère défectueux des rues freine la mobilité des camions de ramassage d’ordures au niveau des quartiers périphériques et péri-centraux. Il se pose donc un problème de déficit de gestion des déchets à l’échelle de ces villes. Alors, comment réagissent-ils les populations des villes de la région du Moronou face à l’insuffisance des ouvrages collectifs de gestion de déchets ? Cette contribution analyse les stratégies de résilience face au déficit de pgestion des déchets urbains dans la région du Moronou. Cela revient à identifier les ressources humaines et matérielles affectées à la gestion des déchets urbains dans la région du Moronou à dégager les stratégies développées par les ménages face au déficit de gestion des déchets.

1. Matériels et méthodes

1.1 Présentation des villes de la région du Moronou

Localisée entre les longitudes 3°40’ et 4°43’ W et les latitudes 6°70’ et 6°55’ N, le Moronou est une région administrative située au Centre-Est de la Côte d’Ivoire. Elle est limitée au nord par les régions du N’zi et de l’Iffou, à l’Est par la région de l’Indenié-Djuablin, à l’Ouest par la région du Bélier et au Sud par les régions de la Mé et de l’Agnéby Tiassa. Elle compte cinq villes1 que sont Anoumaba, Arrah, Bongouanou, M’batto et Tiémélékro (carte 1).

Carte 1 : Localisation de la zone d’étude

1.2 Techniques de collecte des données

La conduite de cette étude a nécessité le recours à des documents consultés dans des bibliothèques comme celles de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), du CERAP (Centre de Recherche et d’Action pour la Paix), des centres de documentation de la direction générale de la décentralisation et du développement local, du BNETD (Bureau National d’Etudes Techniques et Développement), de l’Université Alassane Ouattara et de l’IGT (l’Institut de Géographie Tropicale-Université Félix Houphouët-Boigny). Ils ont aidé à la constitution de la revue de littérature et ont été d’un apport considérable pour la réalisation de cette recherche. Le recours à l’internet a été nécessaire. La visualisation des images satellitaires avec le logiciel Google Earth de la zone d’étude a permis d’avoir une meilleure visibilité et une délimitation de l’espace bâti en rapport avec l’évolution spatiale et temporelle des équipements collectifs. Aussi, les documents statistiques relatifs aux données sociodémographiques de l’estimation de l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer) en 1965 et des différents recensements de l’Institut National de la Statistique (INS-RGPH, 1975, 1988, 1998, 2014) ont permis d’analyser la dynamique démographique de ces villes et de déterminer la taille de l’échantillon pour la distribution des questionnaires. L’enquête de terrain, a été articulée autour de l’observation sur le terrain, des interviews et des questionnaires. Cette phase d’enquête de terrain s’est déroulée de février 2019 à octobre 2019 dans toutes les villes de la région du Moronou notamment Anoumaba, Arrah, Bongouanou, M’batto et Tiémélékro qui constituent les territoires urbains régionaux selon le critère démographique de plus de 4 000 habitants et la norme socio-économique de plus de 50% des populations exerçant une activité non agricole. Au cours de cette phase, une carte de repérage, un bloc-notes et un appareil photographique ont été utilisés pour l’observation directe. Ainsi, en sillonnant les différentes villes, des observations ont été consignées dans le bloc-notes. L’appareil photo a servi à capter des images. Parallèlement à cette phase d’observation, des entretiens ont été réalisés avec les responsables départementaux de la construction et de l’urbanisation de Bongouanou, de M’batto et d’Arrah. Ces derniers ont fourni des statistiques relatives à l’évolution spatiale et la typologie des ouvrages de gestion desdites villes. Ces entretiens se sont étendus aux chefs des services techniques des différentes Mairies pour obtenir des informations sur les stratégies de gestion municipale des déchets et sur la longueur du réseau bitumé et non bitumé dans ces villes. Une enquête par questionnaire a été réalisée à partir d’un échantillon représentatif. La formule statistique d’A. EL Marhoum (2019, p. 11) suivante a été utilisée pour déterminer la taille de l’échantillon représentatif :

Avec :

n = Taille de l’échantillon ; N = Taille de la population mère ; Z = Coefficient de marge (déterminé à partir du seuil de confiance) ; e = Marge d’erreur ; P = Proportion de ménage correspondant à Z= 1,96. Cette proportion variant entre 0,0 et 1 est une probabilité d’occurrence d’un événement. Dans le cas où l’on ne dispose d’aucune valeur de cette proportion, celle-ci est fixée à 50% (0,5) ;Q = 1 – P.

Au niveau de l’application de la formule, on présume que P = 0,50 donc Q = 0,50. Ainsi, à un niveau de confiance de 95%, Z= 1,96 et la marge d’erreur e = 0,05.

À un niveau de confiance de 95%, la taille minimale de ménages représentatifs est estimée à 384. La perte anticipée a été compensée en multipliant la taille de l’échantillon par l’inverse des taux de réponses. Dans le cadre de cette étude, on estime le taux de réponse à 90%, alors la taille de l’échantillon corrigé est : n*= (384) x (100/90) = 427. Pour la définition des quotas de distribution des chefs de ménages à interroger par quartier, la méthode de l’échantillon aléatoire stratifié non proportionnel a été utilisée. Ainsi, dans chaque ville, l’effectif des chefs de ménages interrogés par ville a été divisé par le nombre de quartier. L’enquête a concerné tous les des quartiers des cinq villes de la région du Moronou structurées en trois types de quartiers (résidentiel, économique et évolutif). Le tableau n°1 suivant présente le plan de l’échantillonnage.

Tableau 1 : Récapitulatif du plan d’échantillonnage

Le questionnaire a été administré auprès du chef de ménage ou à défaut sa conjointe. La détermination d’un pas de sondage aléatoire minimal de 10 lots entre deux chefs de ménages enquêtés dans chaque type de quartier (Résidentiel, économique, évolutif, de la route principale aux routes secondaires et tertiaires. Les données recueillies ont été traitées à l’aide de divers outils. Le logiciel Sphinx Plus² a permis d’effectuer un dépouillement automatique des données issues de l’enquête par questionnaire mené auprès des chefs de ménages. Ce logiciel a servi à dégager les proportions selon les variables. La traduction tabulaire et graphique des données est le fait du logiciel Microsoft Excel. Le traitement cartographique, a été effectué à l’aide des logiciels Arc Map 10.2.

2. Résultats

Les résultats obtenus révèlent une variété de ressources humaines et matérielles inégalement réparties. Au regard de la faible couverture des villes en ouvrage de gestion des déchets, les populations développent diverses stratégies résilientes.

2.1 Les marqueurs spatiaux de la déficience de gestion des déchets urbains dans le Moronou

La gestion des déchets solides et liquides constitue un véritable goulot d’étranglement pour ces villes aux aménagements fonciers déficitaires.

2.1.1. Des ressources matérielles et humaines variées de gestion de déchets

En Côte d’Ivoire, la gestion des déchets est dévolue à l’Agence Nationale de Gestion des Déchets. Les collectivités décentralisées participent également à la gestion des déchets locaux. Des ressources humaines et matérielles sont alors déployées à l’échelle des villes régionales. Ce potentiel de gestion au niveau des villes de la région du Moronou est présenté par le tableau 2 suivant :

Tableau 2 : Répartition des ressources matérielles et humaines de gestion de déchets dans les villes du Moronou

VillePersonnelTracteurChargeuseTricycle
Anoumaba6114
Arrah7112
Bongouanou6110
M’batto7103
Tiémélékro5103
Total315312

Sources : Mairie d’Anoumaba, d’Arrah, de Bongouanou, M’batto et Tiémélékro, 2019

De ce tableau n°2, il ressort que le personnel de gestion des déchets urbains dans la région du Moronou varie d’une ville à une autre. Les villes de M’batto (22,58%) et d’Arrah (22,58%) disposent d’une proportion plus élevée d’agents de gestion de déchets solides qu’à Tiémélékro (16,14%), Bongouanou et Anoumaba (19,35% chacune). Les ressources matérielles sont réparties en tricycles (60%), tracteurs (25%), chargeuses (15%). Elles sont plus nombreuses à Anoumaba (30%) qu’à Arrah, M’Batto et Tiémélékro (20% chacune) ainsi qu’à Bouagouanou (10%). Les tracteurs et les chargeuses sont équitablement répartis à l’échelle des villes du Moronou. Cependant, les tricycles sont plus nombreux à Anoumaba (33,33%), M’Batto (25%), Tiémélékro (25%) et Arrah (16,67%).

2.1.2. Un déficit d’ouvrages de gestion des eaux usées

La région du Moronou souffre d’une insuffisance d’équipements de gestion des eaux usées. Le réseau de canalisations pour l’évacuation des eaux pluviales dont bénéficient Arrah, Bongouanou et M’batto longe uniquement quelques endroits des axes bitumés et couvre une petite partie de certains quartiers centraux. La planche cartographique n°1 est illustrative à cet effet.

Planche cartographique n°1 : Réseau routier des villes de la région du Moronou

Il ressort de la planche cartographique n°1 qu’en relation avec la route bitumée, au niveau de la ville d’Arrah, les quartiers disposant d’un réseau de canalisation sont CEG, Centre et Koko. A Bongouanou ce sont plutôt Dioulakro et Agnikro tandis qu’à M’batto on retrouve les caniveaux aux quartiers Dioulakro, Agnikro et Addis Abeba. Les caniveaux qui existent, du fait d’un manque d’entretien, sont obstrués par les ordures, les alluvions (sables, graviers) Les autres quartiers de ces villes tout comme l’ensemble des quartiers de Tiémélékro et d’Anoumaba sont dépourvus de réseau de canalisation (Photo 1).

Photo 1 : Un caniveau obstrué par les ordures et les alluvions à Bongouanou

Prise de vue : KRAMO Valère, 2019

Ce caniveau à ciel ouvert (photo 1) et de faible capacité (30 cm sur 40 cm) est totalement bouché par les ordures et les alluvions. Cette situation provoque de facto la dégradation du bitume. Aussi, l’eau de couleur verdâtre qui stagne constitue un foyer de prolifération des vecteurs de maladies hydriques.

2.2. Les stratégies résilientes de gestion des déchets urbains dans le Moronou

2.2.1. Des modes d’évacuation des eaux usées dominés par des ouvrages individuels

Le mode d’évacuation utilisé par les ménages est partout de type individuel. La planche cartographique n°2 montre la variation du mode de gestion des eaux usées issues des douches et de toilettes au niveau des villes du Moronou.

Planche cartographique n° 2 : Variation du mode d’évacuation des eaux usées issues des douches

De cette planche cartographique n°2, il ressort que le mode de gestion des eaux usées issues des douches et des toilettes est dominé par l’évacuation à travers les fosses septiques. La proportion de ménages qui a recours à ce mode de gestion, est estimée à plus de 83% à Arrah, 89,74% à Bongouanou et 90,2% à M’batto. Les plus faibles proportions sont observées à 46,7% à Anoumaba et 42,9% à Tiémélékro.

Le second mode d’évacuation des eaux usées en provenance des douches est le rejet sur les terrains vagues. Les villes d’Anoumaba (53,3%) et de Tiémélékro (57,1%) détiennent les proportions les plus élevées au niveau duduit mode de gestion. Les plus faibles propotions sont enregistrées au niveau des villes de M’batto (9,8%), Bongouanou (10,6%) et Arrah (23,2%). Ce mode d’évacuation traditionnel des eaux usées est à l’origine de l’humidité permanente que l’on constate sur les voies publiques et terrains vagues.

Au niveau des eaux usées provenant des lessives et vaisselles, l’étude révèle également un mode de gestion qui varie en fonction de la ville. La planche cartographique n° 3 est évocatrice à cet effet.

Planche cartographique n° 3 : Variation du mode de gestion des eaux usées issues de la lessive et de la vaisselle

La planche cartographique n° 3 révèle que les eaux usées issues de la lessive et de la vaisselle dans les villes du Moronou sont déversées sur les terrains vagues à 84,6% des ménages. Cette proportion varie de 100% à Anoumaba et à Tiémélékro à 72,5% à Bongouanou en passant par 90,2% à M’batto ainsi que 86,1% à Arrah. La propension à utiliser les fosses septiques comme ouvrage d’évacuation des eaux usées issues de la lessive et de la vaisselle est observée à 15,4% dont 27,5% à Bongouanou, 13,9% à Arrah et 9,8% à M’batto. L’étude a révélé également que cette diversité de lieu d’évacuation qui cumule mode légal et illégal varie en fonction du standing de l’habitat. La figure 1 présente la situation au niveau des eaux usées issues des douches et des toilettes.

Figure 1 : Variation du mode d’évacuation des eaux usées issues des douches et toilettes selon les quartiers des villes du Moronou

De la figure 1, il ressort que la fosse septique est utilisée à 100% par les ménages des quartiers résidentiels. Dans une fourchette de 87,5% à Tiémélékro à 100% à M’batto en passant par 91,2% à Arrah, les habitants des quartiers d’habitat économique recourent à la fosse septique pour évacuer les eaux usées issues des douches. Ces proportions chutent au niveau des quartiers de évolutifs avec 33,3% à Anoumaba, 34,2 % à Tiémélékro, 69,9% à Arrah, 79,8% à Bongouanou et 85,7% à M’batto. L’usage du terrain nu s’accommode avec les quartiers évolutifs : 66,7% à Anoumaba, 65,8% à Tiémélékro, 30,1% à Arrah, 20,2% à Bongouanou, 14,3% à M’batto de même à Tiémélékro (12,5%), Arrah (8,8%) et à Bongouanou (2,2%). Le terrain nu est sollicité également par les ménages du quartier résidentiel d’Arrah à 8,3% pour la gestion des eaux usées issues des douches et des toilettes. Cette variation s’étend au niveau des types de quartier (figure 2).

Figure 2 : Variation du mode de gestion des eaux usées issues de la lessive et de la vaisselle selon les quartiers des villes du Moronou

De cette figure 2, il ressort 83,4% des ménages jettent les eaux usées issues des vaisselles et des lessives sur les terrains nus. Cependant les plus fortes proportions sont observées au niveau des quartiers évolutifs avec 100% à Anoumaba, 97,6% à Tiémélékro, 97,3% à Arrah, et, 91,4% à M’batto et 86,1% à Bongouanou. A l’échelle des quartiers d’habitat économique, les villes d’Anoumaba (100%), Tiémélékro (100%) et M’batto (93,3%) enregistrent les taux les plus élevés. Les taux les plus faibles liés à ce mode de gestion sont observés à Arrah (69,6%) et à Bongouanou (66,7%). Au niveau des quartiers résidentiels, 50% des ménages à Bongouanou et Arrah et 82,3% à M’batto évacuent les eaux usées de vaisselle et des lessives sur les terrains nus. L’usage de la fosse septique est également pratiqué à Anoumaba (50%) et à Bongouanou (50%). Dans une faible proportion (17,7%), les ménages des quartiers résidentiels de M’batto utilisent aussi les fosses septiques pour se débarrasser des eaux issues de vaisselle et de lessive. Les ménages des quartiers d’habitat économique d’Arrah (30,4%), de Bongouanou (33,3%) et de M’batto (6,8%) font aussi usage de la fosse septique. Au niveau des logements évolutifs, les proportions sont plus faibles : 13, 9% à Bongouanou, 8,6% à M’batto, 2,7% à Arrah et 2,4% à Tiémélékro.

2.2.2. Un mode de gestion des ordures ménagères varié selon les villes

Les ménages des villes du Moronou pratiquent les dépôts sauvages (65,7%), l’enfouissement (2%), l’incinération (2,5%). À l’inverse, des ménages (32,5%) ont recours à les des camions de collecte (29,4%) et à des points de collecte (3,1%). La planche cartographique n° 4 montre la variation de ces modes de gestion..

Planche cartographique n° 4 : Distribution des modes de gestion des ordures ménagères selon les villes

De l’analyse de la planche cartographique n° 4, il ressort que dans toutes les villes de Moronou, les dépôts sauvages constituent les canaux privilégiés de déversement des ordures. Cette situation est beaucoup plus accentuée dans les villes de M’batto (85,3%), de Tiémélékro (79,6%) et d’Anoumaba (76,7%). Elle l’est moins dans les villes de Bongouanou (58,1 %) et d’Arrah (49,1%) où les ménages évacuent leurs ordures respectivement à hauteur de 37,5% et 50% dans les camions affectés à la collecte d’ordure. Dans ces villes, il n’est pas rare de voir les ordures jonchées les rues et les artères (Photo 2).

Photo 2 : Dépôt sauvage des déchets à Arrah

Prise de vue : KRAMO Valère, 2019

L’étude a révélé que le mode de gestion des ordures ménagères est aussi lié au standing de l’habitant comme on peut le constater à travers de la figure 3 suivante.

Figure 3 : Mode d’évacuation des ordures ménagères en fonction du standing du quartier

Source: Enquêtes de terrain, 2019

A l’échelle de chacune des villes du Moronou, les ordures sont gérées selon cinq modes notamment les points de collecte (3,9%), les camions de collecte (25,4%), les dépôts sauvages (64,9%), l’incinération (4,2%), et l’enfouissement (1,6%). Ces proportions varient d’une ville à une autre selon le type de quartier. Le recours aux points de collecte est pratiqué au niveau des quartiers d’habitat économique avec 13,8% à Arrah, 25% à Tiémélékro et 2,2% à Bongouanou. Ce type d’ouvrage de gestion est aussi utilisé par les ménages des quartiers évolutifs (2,2% à Bongouanou, 5,7% à M’batto) et des quartiers résidentiels (2,8% à Arrah).

Quant à l’enfouissement, il est utilisé à toutes les échelles de quartier avec une prépondérance des habitats des quartiers résidentiels à M’batto (5,9%) contre 2,8% à Bongouanou. Seul un quartier d’habitat économique de Bongouanou (2,2%) évacue les ordures par enfouissement. Dans les autres quartiers évolutifs de Tiémélékro (4,9%), M’batto (4,3%) et Bongouanou (1,3%), le recours à l’enfouissement est également pratiqué. Parfois, les déchets sont incinérés dans les quartiers d’habitat économique : 16,7% à Anoumaba, 12,5% à Tiémélékro et 2,2% à Bongouanou. Cette proportion chute au niveau des quartiers résidentiels : 2,8% à Bongouanou. Au niveau des quartiers évolutifs, le recours à l’incinération est de 12,5% à Tiémélékro, 4,3% à M’batto. Par ailleurs, les camions de collecte participent à la gestion des déchets solides dans des proportions plus élevées dans les quartiers résidentiels : 66,7% à Anoumaba, 63,8% à Bongouanou. Dans les quartiers d’habitat économique, cette proportion est relativement faible avec 56,5% à Arrah, 20% à Bongouanou. Pour ce qui est des quartiers évolutifs, le recours aux camions de collecte est évalué à 33,3% à Anoumaba, 42,3% à Arrah, 35,7% à Bongouanou et 11,7% à M’batto. La proportion de ménages qui fait des dépôts sauvages est plus significative dans les quartiers d’habitat économique : 100% à M’batto, 83,3% à Anoumaba, 73,4% à Bongouanou, 62,5% à Tiémélékro. La plus faible proportion est observée à Arrah (30,4%). Dans les quartiers évolutifs, cette proportion reste élevée : 82,9% à Tiémélékro, 74% à M’batto, 62,5% à Anoumaba, 60,8% à Bongouanou, 57,7% à Arrah. Les quartiers résidentiels procèdent aussi par dépôt sauvage pour la gestion des ordures : 94,1% à M’batto, 33,3% à Anoumaba, 27,8% à Bongouanou.

3. Discussion

De cette étude, il ressort que les villes de la région du Moronou sont sujettes à des difficultés de gestion des déchets urbains. Il en résulte des stratégies de résilience populaire qui amplifient l’avilissement du paysage urbain. Cette situation découle du déficit d’ouvrages de gestion des eaux usées, de l’insuffisance de ressources matérielles et humaines induit par l’incapacité des pouvoirs publics locaux à accompagner le rythme accéléré de l’urbanisation régionale. Cette approche est confirmée par M-D. El Jihad (2005, p. 7) dans le cas des villes algériennes où il affirme que le développement urbain, la faiblesse des ressources communales, l’insuffisance des revenus de la population ainsi que les problèmes de gestion constituent des obstacles sérieux à l’assainissement liquide et pluvial. Pour leur part, L. Karidioula et N. Assi-Kaudjhis (2017, p. 314) remettent en cause cette assertion. Selon ces auteurs, ce sont les sols à travers leur qualité qui occasionnent la dégradation de l’environnement urbain. C’est le cas des sols de la commune d’Attécoubé dont la texture sableuse avec de nombreux pores submergés par une couche étanche peu résistante à l’infiltration qui facilite l’action érosive du ruissellement. Au niveau des ordures ménagères, l’étude menée par K. P. Konan et al. (2017, p.50) à Bongouanou a également révélé qu’en plus de l’insuffisance de matériels de collecte, il existe aussi les difficultés financières et l’assiette topographique contraignante qui fragilisent la gestion efficiente des ordures. L’étude a mis en évidence dans une seconde partie les stratégies de résilience populaire en matière de gestion des déchets. Il est ressorti que pour les ordures, 70,2% des chefs de ménages interrogés ont recours à ces modes illégaux de gestion des déchets. Ce résultat est corroboré par K. P. Konan et al. (2017, p. 57). Ces auteurs ont montré que les ménages choisissent des solutions de proximité pour l’évacuation des détritus face à l’impraticabilité des routes en terre battue qui occasionne l’inaccessibilité des zones de production des ordures ménagères. Les alternatives restent les rues et les caniveaux. Au niveau de la ville de Bouaké, S. Diabagaté et K. P. Konan (2018, p. 126) abordent la question de la gestion des déchets sous le même angle. Selon eux, le problème des ordures ménagères se révèle un véritable défi pour les autorités municipales de la ville de Bouaké. Avec une production journalière de plus de 320 tonnes, plus de 60% des déchets ne sont pas collectés et sont rejetés dans la nature. En ce qui concerne les eaux usées, l’étude a noté que le mode d’évacuation privilégié par les ménages est les ouvrages individuels en absence de réseau d’assainissement collectif. Toutefois, ils ont aussi recours à la rue et aux terrains vagues. Cette situation est également décrite par K. Kouassi et J. Assi-Kaudjhis (2013, p. 120). A partir des résultats obtenus à l’échelle de la commune d’Adjamé, ces auteurs ont révélé que les caniveaux à ciel ouvert constituent les voies d’évacuation des eaux vannes des ménages n’ayant pas bénéficié d’un raccordement au réseau souterrain d’évacuation des eaux usées. Cette situation résulte du fait que l’assainissement autonome utilisé par plus de 75% des ménages investigués, ne sont pas intégrés dans la politique d’assainissement (K. Kouassi, 2015, p. 317). Ainsi, la rue constitue l’exutoire des eaux usées émanant des douches. Confirmant les résultats de cette étude, F. G. Bechi (2013, p. 127) affirme que dans de telle situation, les rues deviennent des réceptacles non seulement des matières fécales, des alluvions (sables, graviers…) et autres brindilles de bois morts que charrient les eaux de ruissellement en saison des pluies ; ils servent également de lieu de dépôt d’ordures ménagères, de détritus de produits alimentaires.

Conclusion

L’étude a montré que les villes du Moronou restent confrontées à un déficit d’ouvrages de gestion des déchets solides et liquides. Le matériel roulant et l’effectif du personnel, déployés à cet effet s’avèrent de taille réduite pour un ramassage quotidien des déchets solides. Les ouvrages d’assainissement collectif sont insuffisants pour une évacuation optimale des eaux usées issues des douches, de la vaisselle et de la lessive. Les pratiques résilientes déployées par les populations s’articulent autour du recours aux fosses septiques pour évacuer des eaux usées issues des douches, des toilettes et de la lessive ainsi que de la vaisselle. Les dépôts sauvages constituent le mode prépondérant de gestion d’ordures ménagères. Ces options de contournement des difficultés de gestion des déchets divers enlaidissent davantage les paysages urbains dans la région du Moronou. La dégradation accentuée de l’environnement urbain renferme un faisceau de facteurs de risques sanitaires susceptibles d’occasionner l’émergence de certaines maladies environnementales comme le paludisme, la fièvre typhoïde et les infections respiratoires aiguës.

Références bibliographiques

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Auteur(s)


Yao Valère KRAMO,

valerekramo@gmail.com

Anicet Renaud GNANKOUEN,

agnankouen@gmail.com

Narcisse ASSI-KAUDJHIS,

narcissekaudjhis@gmail.com

Université Alassane OUATTARA

Droit d’auteur


EDUCI

Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150

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