Distribution des marchés et interactions spatiales dans le département d’Oumé

0
920

1GUELE Gue Pierre, 2DIABAGATE Abou, 3ALOKO N’guessan Jérôme

Résumé :

FrançaisEnglish


Le marché est un élément essentiel de l’organisation du territoire. A travers sa localisation, l’importance de ce qu’il offre et le volume démographique des localités qui l’abritent, il est un nœud important dans les relations Homme-Espace. La présente étude s’intéresse au département d’Oumé, une zone fortement rurale qui dispose de plusieurs marchés situés à des niveaux hiérarchiques différents. Elle a pour objectif d’identifier les zones de chalandise et les différents flux que ces marchés induisent à travers le nombre de commerçants se déplaçant pour exposer leurs marchandises. A travers l’approche territoriale systémique qui privilégie l’examen des phénomènes dans leurs interactions multiples et soutenue par la recherche documentaire, l’observation de terrain et l’enquête semi dirigée, l’étude révèle que les marchés sont essentiellement ruraux et ont des aires de chalandise constituées principalement de campements et autres villages qui leur sont proches. Quant aux flux de commerçants exposants, l’analyse montre qu’Oumé fait office de centre émettant le plus de commerçants sur les autres marchés qu’elle n’en reçoit.

Entrées d’index


Mots-clés : Oumé, Marché, zone de chalandise, flux

Keywords: Oumé, Market, catchment area, stream

Abstract :

FrançaisEnglish


The market is an essential element of the organization of the territory. Through its location, the importance of what it offers and the population size of the communities that are home, it is an important node in the Human- Space relations. This study is interested in Oumé department, a highly rural area that has several markets at different hierarchical levels. It aims primarily to identify catchment areas and the different flows that induce these markets through the number of traders moving to exhibit their wares. So, through the systematic territorial approach which favors the examination of the phenomena in their multiple interactions and supported by documentary research, observation and semi-led investigation, the study reveals that markets are mainly rural and have catchment areas consist mainly of camps and other villages close to them? As for the flow of exposing traders, analysis shows that central office Oumé emitting more traders in other markets it receives.

Entrées d’index


Mots-clés : Oumé, Marché, zone de chalandise, flux

Keywords: Oumé, Market, catchment area, stream

INTRODUCTION


Le marché joue un rôle important dans les relations homme-espace. Il rythme la vie des communautés à travers les échanges et les différentes interrelations sociales entre elles. La mise sur pied d’un marché et sa fréquentation permettent de rompre l’isolement géographique. En effet, à travers les marchés, il se tisse des interactions quotidiennes ou hebdomadaires entre les villes, les centres semi-urbains, les gros bourgs ruraux, les villages et les campements. Ces différentes mobilités créatrices de flux sont fonction de la taille démographique de la localité, de la nature des produits qu’elle offre et de son accessibilité. Le département d’Oumé, situé au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire (Cf. figure 1), abrite plusieurs marchés de fréquences et d’animations variables. Ces lieux d’échange mettent en mouvement plusieurs acteurs économiques aux intérêts divergents mais qui s’inscrivent dans une complémentarité pour donner à l’espace toute sa vitalité. Ce présent article a pour objectif principal d’identifier les zones de chalandise des marchés et les différents flux qu’ils induisent à travers le nombre de commerçants qui se déplacent d’une localité à une autre pour exposer leurs marchandises.

Figure 1: Localisation de la zone d’étude

110

DONNEES ET METHODE

Pour apprécier les différentes interactions dans l’espace nées des marchés, l’approche systémique a été admise. Cette approche privilégie l’examen des phénomènes dans leurs interactions multiples et dont on trouve la transcription dans le paysage. Il s’est agi de rechercher des corrélations entre les marchés et l’espace basées sur une connaissance antérieure du milieu. Cette approche a été par la suite soutenue par la recherche documentaire, l’observation et l’enquête de terrain. Le premier volet a consisté au repérage des différents marchés et à leur regroupement par Sous-préfecture. Ce travail a mis en exergue le niveau de concentration des marchés dans certains espaces. Cependant, la localisation des marchés s’est avérée difficile au regard de l’étendue de l’espace d’étude. Le choix des localités qui est le deuxième volet de la méthode s’est basé sur la hiérarchisation des différentes localités en prenant en compte le pouvoir de commandement, la taille de la population, l’accessibilité et la présence d’un marché. Le croisement de ces critères a permis de faire ressortir les niveaux hiérarchiques correspondant à chaque localité. Il a été retenu trois villes-centres (Oumé, Diégonefla et Guépahouo), un petit bourg centre (Doukouya), un village centre (Tonla) et deux villages connectés (Kouamefla et Bléanianda). Dans ces localités, le choix s’est porté sur l’ensemble des commerçants venus d’ailleurs et qui possèdent un étal au regard de leur rôle central dans l’animation des marchés. En effet, sur les différents marchés, une place leur est réservée pour exposer leurs marchandises. Un questionnaire a été adressé à ces acteurs économiques. Il porte essentiellement sur la localité de provenance, la distance parcourue, le moyen de transport utilisé, la nature des produits apportés et les lieux d’approvisionnement. L’animation des marchés dans cette zone fortement agricole est plus liée au calendrier des spéculations les plus importantes (cacao, café, riz, igname) et de certains événements socio-culturels (funérailles, fêtes…). Deux passages, l’un pendant la période de traite précisément en décembre et l’autre pendant la période creuse précisément le mois de juillet sur chaque marché a permis de faire une moyenne de commerçants exposants. L’observation de terrain a permis d’identifier les flux émis et les flux reçus de commerçants qui exposent. Une cartographie de tous les marchés du département et des flux de commerçants entre les localités retenues à été réalisée. On a eu recours aux résultats globaux du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2014 (RGPH) qui prennent uniquement en compte les régions, les départements et les Sous-préfectures, les estimations de la population par l’Institut National de la Statistiques (INS) et les données des productions vivrières de l’ANADER de 2014.

111

RESULTATS ET ANALYSES

La mise en place des marchés tient à plusieurs paramètres dont le volume démographique, l’abondance des productions agricoles et la forte présence d’activités non agricoles. Leur niveau de concentration qui diffère d’une localité à une autre favorise les interactions.

1-Les facteurs de la mise en place des marchés

Le département d’Oumé dispose de nombreuses localités qui abritent un marché. La mise en place de ces marchés tient à plusieurs facteurs interdépendants dont le volume démographique et les richesses économiques.

1-1-Une forte population rurale

Le département d’Oumé dispose d’une population évaluée à 274 020 habitants (142 959 hommes et 131 061 femmes) qui se repartit dans quatre sous-préfectures : Oumé, Diégonefla, Guépahouo et Tonla. Les deux grandes villes (Oumé et Diégonefla) abritent respectivement 46 066 habitants et 24 542 habitants (RGPH, 2014). Toutes les autres populations vivent dans les milieux ruraux soit 202 165 habitants (RGPH, 2014). Lors de nos investigations, 9 localités renfermant plus de 5 000 habitants ont été identifiées, de même que 30 localités dont la population varie entre 1 000 et 5 000 habitants. Le département renferme 272 campements inégalement repartis comme l’atteste le tableau 1.

Tableau 1 : Répartition des campements par sous-préfectures dans le département

Les différents campements du département d’Oumé ont des populations importantes (Cf. figure 2) et tendent à devenir de véritables villages avec la présence de certaines commodités telles que l’école, et les centres de santé. Ces différentes populations pratiquent diverses activités économiques (agricoles surtout les cultures vivrières et non agricoles) qui occupent une place importante dans les échanges dans le département.

112

Figure 2 : Répartition de la population dans le département d’Oumé

1-2-Un secteur économique créateur de flux entre les localités

Plusieurs activités économiques se pratiquent dans le département. Le secteur agricole reste le principal domaine économique avec 13 883 chefs de ménages (RGPH 2014). Les principales spéculations sont le cacao et à un degré moindre le café avec respectivement 349 876 tonnes et 441,42 tonnes (Direction départementale de l’agriculture d’Oumé, 2014). L’agriculture vivrière avec une forte valeur marchande occupe aujourd’hui l’espace avec plusieurs acteurs. Elle est d’ailleurs le principal déterminant des échanges sur tous les marchés du département. A coté de cette agriculture, il se développe plusieurs activités économiques informelles (activités de production, de commerce et de services).

1-2-1-La production vivrière au cœur des échanges sur les marchés

Le département d’Oumé est une zone de forte production vivrière. Les résultats des analyses des documents de l’Agence Nationale pour le Développement Rural (ANADER) en 2014 montrent que les principales cultures sont le riz, le manioc, la banane plantain. De toutes ces cultures, la plus importante spéculation reste le riz avec un cumul de 39 388 tonnes. Il se cultive en grande partie dans les bas-fonds (30 510 tonnes sur une superficie de 3 390 hectares pour 3 833 exploitants). L’igname est le deuxième produit vivrier beaucoup cultivé dans la zone avec 17 840 tonnes pour une superficie de 5 736 hectares. Cette culture réputée appartenir aux zones savanicoles du pays s’impose comme une culture de grande production dans la région forestière d’Oumé. En effet, la présence d’une importante population venue des régions de savane (Baoulé, Sénoufo), qui pour conserver leur habitude alimentaire,

113

est à la base de la vulgarisation de ce féculent à Oumé. La production du maïs est aussi très forte dans le département d’Oumé avec 13 100 tonnes pour une superficie de 3 733 hectares. Les populations du Nord de la Côte d’Ivoire et ceux de la sous-région (Maliens, Burkinabés) sont les acteurs majeurs de cette forte production. Au-delà de ces cultures, le département enregistre d’autres cultures résumées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Récapitulatif des cultures vivrières du département d’Oumé

Les différentes cultures vivrières se répartissent dans chaque Sous-préfecture du département à des degrés divers. L’analyse des informations recueillies auprès de l’Anader (2014) et de la direction départementale de l’agriculture d’Oumé (2014) a permis d’identifier la Sous-préfecture de Diégonefla comme la plus grande zone de production de riz avec environ 49% de la production totale du département contre environ 18% pour la Sous-préfecture d’Oumé. La deuxième spéculation vivrière la plus importante dans le département est l’igname produite dans la Sous-préfecture de Diégonefla (1 652 tonnes) suivie de la sous-préfecture de Tonla (5 740 tonnes). Le maïs se localise principalement à Diégonefla (2714 tonnes) et Guépahouo (1 862 tonnes). La Sous-préfecture de Tonla est de loin la plus importante zone de production de manioc soit 59% de la production du département. Le cumul des productions maraichères (tomate, aubergine, gombo, chou) donne la Sous-préfecture de Diégonefla comme une zone de forte production avec un pic pour les choux (1 272 tonnes) ensuite, vient la Sous-préfecture de Guépahouo avec une forte production d’aubergine et de chou. Cette sous-préfecture se classe au dessus des autres par sa production de gombo (61% de la production totale) de département. Cependant, l’enquête révèle que le Département importe quelques produits maraichers en provenance des pays limitrophes du Nord (Burkina-Faso, Mali). Ce sont pour l’essentiel la tomate, l’oignon et le chou (Cf. Figure 3).

114

Figure 3: Production vivrière dans le département d’Oumé en 2014

Ces différentes cultures vivrières, dont une grande partie est destinée à la commercialisation se pratiquent à toutes les échelles du département. En effet, les exploitations familiales destinées autrefois à la subsistance se sont transformées en grandes superficies de cultures pour le commerce. La production vivrière, à but commercial est un secteur dominé par les étrangers (Burkinabés, Maliens) et les allochtones (Sénoufo et Dioula). Aussi, se retrouvent-ils dans la pratique des cultures maraîchères (tomate, chou,…). Quelque soit le secteur vivrier, les femmes restent les principales animatrices de cette activité dans le département. Elles sont au départ, à la production et animent les différents circuits de collecte et d’approvisionnement. Nos analyses montrent que cette production qui ne cesse de croître avec les demandes de plus en plus importantes des villes d’Oumé et de Diégonefla, mais surtout de la ville d’Abidjan, a favorisé l’éclosion des marchés pour la satisfaction des besoins. Ces marchés sont des lieux de groupages des produits vivriers destinés aux zones urbaines principalement la ville d’Abidjan.

1-2-2- Un Secteur non agricole en plein essor

Le développement de l’agriculture a contribué à l’émergence d’autres activités dans certaines localités du département. Ces activités de production, de commerce et de service sont initiées pour faire face au caractère saisonnier de l’agriculture. En effet, c’est une stratégie pour les ruraux de diversifier leurs revenus afin d’affronter les aléas économiques et agro-climatiques. Toutefois, le constat qui se dégage montre que ces activités ne sont pas toujours pris en compte dans les programmes et politiques des pays au regard de leur insignifiance. Aujourd’hui, l’économie rurale ne se résume pas exclusivement à l’économie agricole.

115

Ce sont les activités de production autre que celles du secteur primaire (agro-alimentaire, textile-cuir, travail de bois et de métaux), les activités de commerce et les activités de service (transport, réparation, hôtellerie-restauration, coiffure, blanchisserie, cybercafé). Avec la modernisation de la vie, le secteur non agricole connait une forte demande s’insérant ainsi dans les circuits d’échanges sur les marchés. Dans les différents chefs-lieux de Sous-préfecture, les activités commerçiales sont dominantes suivies des activités de services aux populations puis celles de production ( Cf figure 4). Les produits issus de ces secteurs économiques se retrouvent sur tous les marchés, qui avec la demande crée des flux entre les localités.

Figure 4 : Part des activités non agricoles dans le département d’Oumé en 2014

2-Répartition des marchés dans l’espace

Plusieurs localités du département disposent de marchés. Pour Michotte (1974), le nombre et l’importance des marchés diffèrent selon les zones. On dénombré 17 marchés dans la sous-préfecture d’Oumé; 7 à Tonla ; 6 à Diégonefla et 3 à Guépahouo. Parmi ces marchés disséminés dans l’espace départemental, 14 sont quotidiens et 19 sont hebdomadaires (Cf. Figure 5). Les jours de marché sont pour la majeure partie des localités fixés les mercredis, jeudis et vendredis. Ces différentes périodes ont des caractéristiques fonctionnelles au regard de leurs conséquences en termes de déplacement, de régularité d’approvisionnement et d’organisation des échanges dans le temps et l’espace (Gwenaëlle, 2012). 
Cette dispersion des marchés donne l’occasion aux acteurs économiques de faire le choix du lieu à fréquenter. A cet effet, plusieurs critères s’offrent à eux pour le marché à visiter.

116

Les critères du choix des marchés sont la distance, l’état de la route, le coût de transport, la disponibilité des produits et le degré d’attraction du marché. Ces critères donnent au marché toute sa notoriété dans l’espace. Ces différents marchés présentent une homogénéité dans leur construction et les différents produits qu’ils offrent. Les localités d’enquête, excepté Kouaméfla, disposent d’un hangar d’environ 150 m² construit en dur (briques de ciment) et couvert de tôle servant de lieu principal d’exposition. Ces hangars sont presque toujours vides dans les différents marchés visités. Les commerçants préfèrent construire des appâtâmes autour de cette place principale et aux abords des routes pour exposer leurs marchandises constituées essentiellement de produits locaux issus de quelques arbres fruitiers ( mangue, avocat, orange, mandarine), de l’agriculture ( manioc, aubergine, gombo, riz, igname), de produits d’importation de première nécessité ( savon, huile, sels, ingrédients d’assaisonnement) et de produits artisanaux ( daba, calebasse, piège, corde). La nature de ces produits varie selon la zone de provenance du commerçant. Le vivrier provient généralement des zones rurales périphériques du village où se tient le marché alors que les produits artisanaux et ceux importés sont rassemblés depuis les villes ou les grands centres qui dominent le village marché.

Figure 5 : Répartition des marchés du département d’Oumé

3-Accès au marché et flux des commerçants exposants

Le département d’Oumé renferme de nombreux marchés qui sont animés principalement par des commerçants d’origine diverses. Cette partie analyse l’accessibilité à ces marchés et les différents mouvements de commerçants.

117

3-1-Un libre accès aux marchés

Les marchés se créent et se développent en fonction de leur niveau d’attraction. Selon les offres, les acteurs surmontent des difficultés pour se retrouver sur les marchés qu’ils soient proches ou éloignés. En effet, les types d’activités rencontrées sur les marchés et les catégories de produits engendrent des circulations de flux bien distinctes en fonction des modes d’approvisionnement et de redistribution qui leur sont spécifiques (Paulais, 1998). Les horizons de provenance des vendeurs, acheteurs ou simples visiteurs sont divers. Les principales zones de chalandise se constituent essentiellement de localités proches situées dans un rayon de 1 à 7 km. Ces localités sont des campements qui entourent le marché. C’est le cas du marché d’Oumé (Cf. figure 6).

Figure 6 : Zones de chalandise du marché d’Oumé

Les commerçants qui se déplacent pour exposer sur ce marché viennent des campements de Koffikro, Gobékro, Bomounankro, Tiemoko ladji, Komekro, Kotokro, Kpatabonou. Les enquêtes complétées par les recherches documentaires ont révélé que ces localités ont été créées, en partie, par les migrants Baoulé et Burkinabés qui sont les principaux artisans de la dynamique agricole dans le département. Ces commerçants qui exposent sur les marchés sont porteurs à 75% de produits vivriers, 17% de produits manufacturés et à 8% de produits artisanaux. Les exposants des produits manufacturés et artisanaux viennent des villes et autres localités importantes comme Doukouya et Guépahouo où les activités non agricoles se vulgarisent (Anader, 2014). Plusieurs marchés du département mobilisent également les commerçants des villes limitrophes (Yamoussoukro, Kocoumbo, Sinfra) mais surtout de la ville d’Abidjan. Ces derniers viennent avec des produits manufacturés et retournent avec les vivriers acquis sur les différents marchés. En effet, ces villages (Dougbafla, Yao koko, Brozan, Gabia, Doukouya) sont par excellence des centres de groupage des produits vivriers en direction de la capitale Ivoirienne. Les moyens de déplacement des commerçants tiennent compte de la distance.

118

En effet, selon l’enquête (2015), 78% des commerçants utilisent la marche comme moyen de déplacement tandis que 18% utilisent les camions de transport et 4% les motos-taxis. Ils viennent des localités proches du lieu de marché. Les camions sont les moyens les plus utilisés par les femmes avec leurs produits alors que les hommes se déplacent à vélo et à moto.

3-2-Une diversité de flux de commerçants sur les marchés

Les flux émis par les localités et ceux reçus sont de tailles différentes (Cf. Tableau 3). La fréquentation des marchés tient compte de la notoriété du marché dans l’espace. C’est à juste titre que Grijol (1996) affirme que la notoriété d’un marché découle de quatre facteurs (l’existence d’un axe routier permettant le désenclavement, la fixation d’un noyau de clientèle solvable, l’importance de ressources et de la richesse agricole locale et le volume démographique de la localité). La ville d’Oumé est la plus grande zone émettrice de commerçants exposants en direction des autres localités. Guépahouo et Diégonefla sont les grands récepteurs de ce flux émis par Oumé, suivis des centres de Doukouya et Kouamefla. Ces quatre localités sont d’un accès facile par les camions à partir d’Oumé. Les localités de Tonla et de Bléanianda sont moins fréquentées par les commerçants venant d’Oumé à cause de l’absence d’une ligne directe de transport et à l’état défectueux de la route. Cependant, leur zone de commerce est limitée aux localités proches situées dans un rayon de 15 kilomètres. Ces commerçants qui se déplacent se donnent plus de chances d’écouler leurs marchandises surtout qu’ils sont confrontés à la grande concurrence sur le marché du lieu de résidence. Les femmes Dioula, les Nigériens (Zambramans) sont ceux qui se déplacent dans la majorité des cas (Cf. tableau 3).

Tableau 3: Flux de commerçants exposant par localité

En ce qui concerne les flux reçus, Diegonefla, la deuxième ville du département se présente comme le principal lieu de réception des commerçants venant des autres localités. Elle reçoit plus les commerçants d’Oumé suivi de ceux de plusieurs villages de la Sous-préfecture de Tonla (Cf. Figure 7). En effet, ce simple campement à l’origine est devenu un établissement très important et très composite contrôlant un vaste territoire (Chauveau, 1972). Guépahouo est le deuxième centre de réception de commerçants. Ces deux localités sont desservies régulièrement par les camions; ce qui facilite le déplacement des commerçants.

119

Aussi sont-ils de grands centres peuplés avec un arrière pays fortement rural qui exprime le besoin de produits spécifiques venant des villes. Un flux de moindre importance est reçu par Guépahouo en provenance de Doukouya. Ces deux centres ont sensiblement la même importance économique et ont les jours de marché qui coïncident.

Figure 7: Flux de commerçants exposant sur quelques marchés du département

Le marché de Doukouya reçoit de nombreux commerçants (Cf. Photo 1) venant principalement d’Oumé et de Tonla qui lui est proche de 12 kilomètres. La capitale départementale Oumé ne reçoit pas assez de commerçants des autres centres. Le semis de marchés, le développement amorcé par les autres localités, le fait pour les commerçants des grandes localités de se diriger vers les zones rurales d’achat de produits vivriers, réduisent l’attraction du marché d’Oumé. Le marché de Guépahouo n’attire pas les commerçants des localités comme Tonla, Bléanianda, Diégonefla et Kouamefla. Cela est dû à l’inexistence de lignes directes de transport avec Diégonefla, Tonla et Bléanianda. Aussi, son autonomie économique de plus en plus confirmée vis-à-vis de la ville d’Oumé et de Diégonefla avec la présence de plusieurs produits tant vivriers que manufacturés, constitue t-elle un motif de l’absence des commerçants de cette localité sur les autres marchés. En effet, le marché de Guépahouo qui présente les mêmes caractéristiques en termes d’offre et est beaucoup plus animé que celui d’Oumé. Les centres de Guépahouo et de Kouaméfla, en plus de leurs marchés animés, sont aussi des centres de groupage de produits vivriers ; ce qui empêche le déplacement des productions vers les autres centres. Quant aux vendeurs de produits manufacturés, ils préfèrent rester sur place vu la taille de la localité et la clientèle qui vient des campements. Kouamefla est très éloigné des autres localités.

120

Seule la ville d’Oumé lui est proche de 38 kilomètres, ce qui explique la présence des commerçants venant d’Oumé sur son marché. La longue distance freine le déplacement des commerçants des autres localités sur le marché de Kouaméfla. Toutefois, son marché est beaucoup fréquenté par les commerçants venus des régions limitrophes (Yamoussoukro, Sinfra, Kocoumbo).

Photo 1 : Des commerçants au marché de Doukouya

CONCLUSION

Le département d’Oumé dispose d’une économie essentiellement agricole. Le dynamisme de sa population, venue d’horizons divers et attirée par la richesse naturelle de la région, a favorisé la mise en place de marchés dans de nombreuses localités. Ces marchés qui sont des espaces d‘écoulement des produits vivriers ont des zones de chalandise constituées de localités rurales proches mais aussi de grandes métropoles comme Abidjan. Toutefois, le rapprochement des marchés a un effet limitant sur l’intensité des flux entre les localités notamment le nombre de commerçants qui vient exposer. Cependant, les marchés restent un maillon essentiel dans les relations villes-campagnes et Homme-espace.

121

Bibliographie

ALOKO N. J., 2000, »Dynamiques spatiales des marchés de ravitaillement en Produits vivriers de la ville de Bouaké (Côte d’Ivoire) », in revue Tunisienne de géographie, n°32, pp. 91-113

ALOKO N. J., 2000, « Etude géographique des filières de l’igname et de banane plantain au marché de gros de Bouaké et leur incidence sur les bassins de production et de réception », in annales de l’université du Bénin, série lettres, tome XX, pub, pp. 37-72

DABIE D.N., 2005, Commerce transfrontalier et urbanisation de l’espace au Nord de la Côte d’Ivoire, thèse unique en géographie, Université de Bordeaux 3, 336 p.

BAUMANN E., 1984, Les activités informelles en milieu rural, véhicule de transformations socio-économique, le cas du centre rural de Saa, Centre-Sud, Cameroun, université de Bordeaux 1, 365 p.

GRIJOL K., 1996, « Les marchés hebdomadaires : un facteur essentiel du développement économique et social au Sénégal. L’exemple du marché de Ndioum », in les Cahiers d’Outre-mer, n°49 (1), pp. 594-605

GWENAËLLE R., 2012, Les foires au Mali, de l’approvisionnement urbain à l’organisation de l’espace rural. Le cas de la périphérie de Bamako, Thèse de doctorat en géographie, université PARIS I panthéon-Sorbonne, 413 p.

MICHOTTE J., 1974, « Les marchés du pays baoulé de la zone dense : typologie, organisation et fonctionnement », in L’économie de l’espace rural de la région de Bouaké, travaux et document de l’ORSTOM, 38, pp. 137-201

CHAUVEAU J P., RICHARD J., 1972, »Problèmes soulevés par l’inventaire et la localisation du peuplement en zone forestière : note méthodologique. Le cas du pays Gagou ou Gban, sous-préfecture d’Oumé », in sciences humaines, n°5, ORSTOM, 35 p.

KABAMBA K, NTUMBA K., 1999, « Marchés ruraux et relations ville-campagne dans l’arrière pays immédiat de KANANGA(CONGO) », in bulletin de la société géographique de Liège, 36, pp. 93-101

KOBY A T., 1972, « Etude géographique des marchés de la sous-préfecture de Bondoukou : organisation, fonctionnement, relations villes de Bondoukou-campagnes », in annales de l’université d’Abidjan, série G, tome IV, pp. 147-174

LAURENCE W., 1997, Les circuits d’approvisionnement alimentaire des villes et le fonctionnement des marchés en Afrique et à Madagascar, communication présentée au séminaire sous-régional FAO-ISRA (approvisionnement et distribution alimentaire des villes de l’Afrique Francophone, Dakar, 14-17 Avril 1997), 62 p.

N’GUESSAN Z L., 1980, Oumé et sa région, essai de géographie économique et humaine d’une région forestière de Côte d’Ivoire, 95 p.

PAULAIS T., 1998, « le marché dans la ville d’Afrique noire, équipements publics et économie locale », in annales de la recherche urbaine n°80-81, pp. 35-41

Notes


Table d’illustrations


Auteur(s)


1GUELE Gue Pierre, 2DIABAGATE Abou, 3ALOKO N’guessan Jérôme
1Doctorant, Institut de Géographie Tropicale, Université Félix Houphouët Boigny-Abidjan (Peterguele@yahoo.fr)
2Enseignant-Chercheur, Institut de Géographie Tropicale, Université Félix Houphouët Boigny- Abidjan(aboudiaba76@yahoo.fr)
3 Directeur de recherches, Institut de Géographie Tropicale, Université Félix Houphouët Boigny-Abidjan (alokojerome@yahoo.fr)

Droit d’auteur(s)


Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

Plus de publications