Les contraintes liées au transport des produits vivriers au marché de gros de Bouaké (Côte d’Ivoire)

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BAMBA Vakaramoko, KOFFIE-BIKPO Céline Yolande,

Résumé

Le ravitaillement du marché de gros de Bouaké connaît des contraintes au niveau de l’acheminement et de la redistribution des produits vivriers. L’étude a utilisé la base de données de la direction du marché de gros de Bouaké. Elle a permis de recueillir des informations à la fois qualitatives et quantitatives à travers le dépouillement de 1918 tickets de pesée de produits vivriers sur la période du 20 juin 2013 au 31 mai 2015. Par la méthode de l’approche des enquêtes de surveillance de comportement, un échantillon de 375 véhicules a été enquêté. L’analyse de toutes ces données indique que le réseau routier rural ne bénéficie pas des ressources du Fonds d’Entretien Routier (FER) alors qu’il est la première voie de transit des produits en direction du marché de gros. Les budgets disponibles pour l’entretien routier et sa remise en état sont actuellement insuffisants. Aussi, le phénomène de racket s’illustre de diverses manières et varie en fonction de l’auteur, de la victime, du produit vivrier et de l’axe routier. A tous ces problèmes infrastructurels et structurels, se greffent les augmentations des prix du gasoil qui occasionnent la flambée des prix du transport et par ricochet celui des denrées alimentaires sur les marchés urbains. Ainsi, l’amélioration de la chaîne de ravitaillement du marché de gros passe par la prise en compte de tous ces problèmes liés à la chaîne de transport.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Bouaké, marché de gros, transport, produits vivriers.

Abstract :

Key words:

INTRODUCTION

Le transport conditionne la qualité et la régularité de l’approvisionnement d’un marché. C’est un service essentiel pour le ravitaillement du marché de gros de Bouaké. Les produits vivriers des différentes régions du pays et même ceux en dehors du pays sont acheminés vers ce marché à l’aide de divers moyens de transport routier. Le choix du moyen de transport des marchandises
est fonction de la distance. Ainsi, la distance est un facteur déterminant dans la fixation du prix de la marchandise. L’une des difficultés pour l’acheminement des produits vivriers par les grossistes est liée aux frais élevés de transport auxquels ils doivent faire face comme le soutient I. Kassi-Djodjo (2011, p.217). A celle-ci s’ajoute d’autres contraintes, notamment, l’état de la route, la concurrence déloyale au niveau du périmètre de protection et le racket. Tous ces problèmes structurels liés à l’approvisionnement du marché de gros de Bouaké débouchent sur la cherté des produits en fin de chaîne. Par conséquent, ils ne permettent pas une
commercialisation efficace des produits vivriers d’où l’intérêt de mener cette étude pour identifier et analyser les contraintes qui jalonnent le parcours des commerçants dans l’approvisionnement du marché. L’objectif de ce travail est d’identifier et analyser ces
contraintes dans le ravitaillement du marché de gros de Bouaké. Nous émettons l’hypothèse que le racket est la contrainte majeure liée à l’approvisionnement du marché de gros de Bouaké malgré les mesures prises par les pouvoirs publics pour l’éradiquer. Ainsi, l’amélioration de la chaîne de ravitaillement du marché de gros passe par la prise en compte de toutes ces difficultés
liées à la chaîne de transport qui permet une commercialisation efficiente des produits vivriers.

I-Présentation de l’espace d’étude

Situé au coeur de la Côte d’Ivoire, dans la région de Bouaké, à 379 km d’Abidjan sur la voie internationale A3 menant au Mali et au Burkina Faso, le marché de gros de Bouaké (Figure 1) est une plate-forme de commercialisation des produits vivriers, unique en son genre dans la sous-région ouest africaine. Il a une capacité d’accueil de 431 magasins toutes filières confondues. C’est un marché bâti sur une superficie de 600 m de long et 450 m de large, soit 27 hectares. Ce marché a été inauguré le 16 avril 1998.

II-Matériels et méthodes

La méthodologie de cette étude se base d’abord sur la recherche documentaire relative au sujet de recherche et ensuite la collecte des données primaires sur terrain. La recherche documentaire a aidé à constituer la revue de la littérature des travaux effectués sur le transport des produits vivriers. Ces ouvrages ont axé leurs analyses pour l’essentiel sur les modes et moyens de transport, les circuits d’approvisionnement et les difficultés de desserte des marchés. Des enquêtes de terrain de mars à juillet 2015 puis de juin à novembre 2016 au sein du marché de gros de Bouaké et un suivi itinéraire ont été également effectués. Ces enquêtes nous ont permis de recueillir des informations à la fois quantitatives et qualitatives à travers un dépouillement des documents de ce marché et des entretiens auprès de la direction, des commerçants et des transporteurs intervenant dans les circuits de ravitaillement. N’étant pas pris en compte dans la base de données du marché, l’identification des véhicules de transport s’est faite à partir du
dépouillement des tickets de pesée au débarquement et au rembarquement des produits sur la période du 20 juin 2013 au 31 mai 2015. Le 20 juin 2013 correspond au début de la reprise en compte des statistiques par l’administration officielle et le 31 mai 2015 celle de notre premier passage pour l’enquête proprement dite. Ce procédé a permis d’enregistrer 1918 tickets concernant les produits vivriers. Ainsi, 1751 véhicules ont été enregistrés à l’entrée et 167 véhicules à la sortie pendant cette période. Ceux-ci ont permis de déterminer 5 catégories de véhicules. La méthode de l’approche des enquêtes de surveillance de comportement a déterminé un échantillon de 375 véhicules à enquêter. Les transporteurs sont enquêtés systématiquement quand ils viennent au marché de gros jusqu’à atteindre le nombre attendu dans chaque catégorie. Le suivi-itinéraire a consisté à visiter les localités à bord des véhicules de transport qui approvisionnent le marché. L’objectif était de vérifier l’état de la route et de relever les différentes entraves au ravitaillement du marché.

III-Résultats

Les résultats obtenus se déclinent en trois contraintes majeures : les contraintes infrastructurelles, l’influence du prix du carburant et l’impact négatif du racket.

1- Les contraintes infrastructurelles liées au transport de produits vivriers

Depuis son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire a accordé une priorité au développement de son réseau routier. Il s’agissait de rendre accessible les nouveaux espaces à mettre en valeur, de favoriser l’évacuation des produits agricoles surtout d’exportation et permettre les échanges entre les centres urbains et ruraux. Mais l’état des lieux du réseau routier revêtu montre un important taux de routes dégradées (Tableau 1).

Sur un réseau de 6109 km seulement 10 % sont en très bon état. Cela implique que le réseau routier bitumé, vieux de plus de 50 ans nécessite une intervention urgente. Cet état de dégradation, fruit de plusieurs années de sous-investissement, pourrait avoir des conséquences aussi bien au niveau économique qu’au niveau social, avec une augmentation du coût du transport, une réduction des échanges entre les différentes régions de ravitaillement du pays et l’appauvrissement des populations rurales enclavées. Le secteur routier ivoirien est confronté à plusieurs défis : rattraper le retard accumulé en matière d’investissement et d’entretien, répondre aux besoins croissants de demande de transport pour accompagner le développement économique du pays et assurer la pérennité du patrimoine routier grâce au financement de l’entretien routier. L’exemple de la région de Mankono (comprenant les localités de Bouandougou, Dianra, Kongasso, Kounahiri et Tiéningboué) est édifiant. Elle regorge 1 % de routes bitumées et 5 % de routes en terre de la Côte d’Ivoire. Pourtant, elle participe de manière efficiente au ravitaillement du marché de gros. Les denrées alimentaires provenant de cette région selon nos enquêtes se chiffrent à 7 020, 357 tonnes. Le manque d’infrastructures routières pour l’évacuation des produits entraîne une perte post récolte très importante, ce qui constitue un manque à gagner pour les producteurs. Seules Tiéningboué (2 600, 327 tonnes) et Bouandougou (3 078, 880 tonnes) sont reliées par le bitume au marché de gros. Elles sont parmi les quatre localités qui ont le plus de relation avec le marché de gros soit 150 à 180 liaisons sur la période de nos enquêtes. Ces chiffres traduisent un approvisionnement régulier par rapport aux autres axes du département. Les commerçants estiment que les routes bitumées permettent un approvisionnement du marché pendant toute l’année quelle que soit la saison. Les axes Mankono-Kongasso-Kounahiri-Béoumi, Tiéningboué-Mankono-Séguéla, Kongasso-Séguéla et l’axe Mankono-Kongasso-Zuénoula ne sont pas bitumés. Ces voies deviennent impraticables pendant la saison des pluies alors que cette région est l’un des greniers du marché de gros. L’inaccessibilité en période de pluie est un frein à l’approvisionnement du marché.

2-L’influence du prix du carburant sur le transport des produits vivriers par rapport à la distance parcourue

Les transports en direction du marché de gros s’ajustent à cause de multiples facteurs, parmi lesquels il faut noter la distance de la zone de production qui reste l’un des facteurs déterminants de la tarification. Ce facteur est déterminant car il permet aux camionneurs de faire l’état de leurs dépenses et de juger le prix du voyage. Ainsi plus le trajet est long, plus les dépenses en carburant sont élevées. Ce qui impose de facto cette dépense dans la négociation d’un trajet. En effet, la plupart des localités qui ravitaillent le marché de gros sont en dehors du périmètre de protection c’est-à-dire une distance supérieure à 50 km (Tableau 2).

On remarque selon nos enquêtes (2016) qu’au niveau des entrées de produits vivriers au marché de gros, 22 % des produits proviennent de la zone de protection du marché (flux locaux) et 14 % des pays de la sous-région. Quant aux flux nationaux, ils représentent 64 %. Cela traduit des échanges intenses entre le marché et les localités ivoiriennes et montre que le marché de gros à une vocation nationale. Les localités qui commercent avec le marché de gros sont disséminées à travers le pays. De surcroît, 58 localités hors du périmètre de protection ravitaillent le marché de gros en différents produits vivriers contre 15 localités localisées au sein du périmètre. Ces chiffres confirment encore le rayonnement national du MGB. Par exemple, pour les ignames, elles sont stockées dans un endroit accessible aux véhicules pour faciliter le ravitaillement du marché. Ce groupage est fait par les transports non motorisés. Le producteur fait ensuite appel à un camionneur pour l’évacuation du produit vers le marché de gros. Le prix du trajet est discuté en fonction de la distance en premier lieu. Mais d’autres facteurs comme le coût du carburant interviennent dans la discussion du trajet. Le carburant joue donc un rôle majeur dans l’acheminement des produits vivriers. En Côte d’Ivoire, les bases taxables des hydrocarbures fixées par les autorités se situent à 146,9 FCFA/l pour le super, 132,1 FCFA/l et145, 588 FCFA/l respectivement pour le gasoil et le pétrole lampant. A ces valeurs, sont appliqués les droits d’entrée, la redevance statistique et la Taxe sur Valeur Ajoutée (TVA). Sur cette base, le montant total des taxes se chiffre à 248 F CFA/l pour le gasoil couramment utilisé dans le transport de marchandises. Cette taxation se répercute à la pompe. De plus, on observe une variation des prix sur le marché international. Le prix du gasoil est passé de 570 à 595 F CFA soit une augmentation de 25 F CFA en décembre 2017. Ce produit a connu une autre variation du prix passant de 595 F CFA à 610 F CFA en 2018 soit une augmentation de 40 F CFA en l’espace d’un an. Ainsi, toutes ces augmentations du prix occasionnent la flambée du coût du transport et par ricochet celui des denrées alimentaires sur les marchés urbains. L’inflation du prix du carburant a engendré l’émergence d’un marché parallèle du gaz en remplacement du carburant pour les taxis-brousse et les taxis-ville à Bouaké. Les autres véhicules ont recours au carburant moins cher notamment celui de la contrebande. L’essor de cette activité de contrebande résulte d’un différentiel de prix à la pompe très élevé entre la Côte d’Ivoire et ses pays voisins. Ce trafic illicite est aussi favorisé par l’augmentation successive du prix des carburants.

3-L’incidence du racket sur l’acheminement des produits vivriers au marché de gros de Bouaké

Les hausses de prix des produits vivriers sont en partie attribuées au racket selon nos enquêtes (Figure 2).

Le racket, selon les transporteurs et commerçants enquêtés, constitue la première contrainte lors du ravitaillement du marché de gros de Bouaké soit 81,86 % sur un ensemble de 6 facteurs. Il est donc l’entrave majeure à la fluidité du commerce du vivrier en direction du marché de gros de Bouaké. Ces contraintes s’imposent aussi bien aux transporteurs qu’aux commerçants. Le transporteur paye les faux frais lors des contrôles à la police et à la gendarmerie. Quant aux commerçants, ils règlent ces frais aux agents de la douane et ceux des eaux et forêts (Figure 3).

La figure 3 montre que plus de 80 % des enquêtés estiment être victime de racket de la part des agents de la gendarmerie et de la police. Ces prélèvements illicites constituent pour les usagers du marché une entrave à son ravitaillement. L’irrégularité des pièces afférentes aux véhicules, la surcharge, les factures manquantes favorisent le racket. Le président de la filière igname affirme que le nombre de barrages n’est plus respecté lorsqu’on quitte l’autoroute du nord et que le racket impacte le prix final de l’igname. Il fait noter par exemple que pour un chargement d’ignames de Bondoukou à Bouaké, l’enveloppe allouée au racket peut atteindre 100 000 F CFA. Lors d’un voyage à Diabo, commune située à 20 km de Bouaké, pour assister au dépotage d’un camion d’ignames nous avons dénombré 3 barrages qui ne devraient pourtant pas exister. A ces postes de contrôle, les véhicules de marchandises sont soumis à un péage systématique informel selon la quantité de charge. Le transport de l’oignon subit le même sort avec de nombreux postes de contrôle rencontrés depuis la zone de production au Niger jusqu’au marché de gros. Ainsi, le prix de revient d’un sac d’oignon de 120 kg au marché de gros est estimé à 21 000 F CFA (Tableau 3).

Après le chargement de l’oignon, les camions effectuent le dédouanement. Ils établissent un certificat de contrôle phytosanitaire au poste frontalier Niger-Burkina de Torodi et procèdent aux paiements des droits de transit. Après l’acquisition de ces documents, les transporteurs sont contraints de payer des frais de route à chaque poste de contrôle des douanes, de la gendarmerie ou de la police tout au long du trajet. Une tarification tacite existe entre les opérateurs et les forces de l’ordre. Les frais de route de chaque camion et à chaque poste sont fixés comme suit : 5000 F CFA par poste de douanes au Niger à l’exception des postes de Niamey, de Torodi (frontière Burkina Faso) où les frais sont de 10 000 F CFA. Ce montant de 5000 F CFA est doublé à la sortie des frontières nigériennes jusqu’à destination pour un véhicule immatriculé au Niger. Ces frais peuvent être quelquefois en nature, un sac d’oignon par exemple. Ils sont payés pour éviter un déchargement du camion aux différents postes de contrôle de douane pour vérification de la conformité douanière. Cette vérification qui pourrait être une menace pour les produits, contraint les commerçants à la recherche d’un compromis d’autant plus que l’oignon est une marchandise très périssable. En ce qui concerne la gendarmerie et la police, les frais prélevés sont de l’ordre de 1000 F CFA au Niger et entre 2000 F CFA et 3000 F CFA dans les postes des pays traversés. Les montants des frais de route sont remis au départ au chauffeur par l’exportateur. Il est d’environ 4 000 F CFA par sac d’oignon. Le chargement d’un camion est de 350 sacs de 100 à 120 kg. Cette dépense liée au frais de route pourrait avoisiner 1 400 000 FCFA selon les commerçants par chargement. Le racket se matérialise aussi par une augmentation des barrages sur les principaux axes de ravitaillement du marché de gros de Bouaké (Tableau 4).

L’analyse du tableau 4 montre un nombre pléthorique de barrages sur les principales voies d’accès du marché alors que la norme CEDEAO admet 3 barrages sur 100 km. Les relations que ces agents ont avec les commerçants influent sur bien des aspects de la commercialisation des denrées alimentaires (durée de voyage, qualité et prix de vente sur le marché). Le calcul des coûts réels de commercialisation des produits vivriers entre les zones de production et le marché de gros doit prendre en compte non seulement les frais de location de véhicules, les diverses transactions sur les marchés de brousse, mais également les charges fiscales légales et illégales que doivent supporter les transporteurs. Les négociations et les marchandages portent éventuellement non pas sur l’authenticité ou la régularité des pièces de véhicule, moins encore sur la qualité, l’origine ou la destination du produit, mais sur la somme à payer. Le commerçant et le transporteur savent qu’ils ont intérêt à jouer le jeu pour gagner en temps et en argent, surtout qu’il s’agit de produits périssables. Le montant de ces faux frais dépend du type de véhicule et surtout de leur capacité de charge. Ce montant est estimé à 16 000 F CFA sur l’axe Béoumi-Bouaké distant de 53 km pour un véhicule pick up. Sur ce tronçon, on dénombre 8 barrages ce qui fait un ratio d’un barrage tous les 6,62 km. Dabakala (2 103,170 tonnes), Tiéningboué (2600,327 tonnes) et Mankono (338,230 tonnes) sont les villes où on dénombre le plus de barrages.

IV-Discussion

Notre étude a montré que les principales infrastructures routières desservant le marché de gros de Bouaké ne sont pas bitumées pour la plupart et donc sont dans un état dégradé en saison de pluie. Dans les années 1980, avec la crise économique et le début d’application des programmes d’ajustement structurels, les budgets alloués à l’entretien des routes et voiries ont connu une baisse drastique. Ils se sont réduits significativement pour passer en dessous des normes internationales. Ces dysfonctionnements se traduisent à plusieurs niveaux : structurel, matériel et financier. Au niveau structurel, les travaux d’entretien sont exécutés par l’Etat qui est maître d’ouvrage et maître d’oeuvre. A cela, il faut ajouter la réduction des budgets alloués à l’entretien routier et la lourdeur administrative dans l’exécution des travaux. Depuis 1999, cette situation s’est fortement détériorée du fait des crises qu’a connues le pays. A. A. Hauhouot (2002, p.149) écrit à cet effet que « le budget alloué à l’entretien routier s’est considérablement rétréci, passant de 13,7 milliards à 8,8 milliards ». De plus avec la guerre de 2002, les zones dites ex assiégées n’ont pas connu d’entretien routier. Compte tenu du niveau de pluviométrie dans l’ensemble du pays, il est évident que le réseau routier en terre s’est considérablement détérioré. Le secteur du transport a été très tôt perçu par l’Etat comme étant un secteur vital pour son rayonnement économique. L’Etat a donc mis l’accent sur le développement et la modernisation des transports, aussi bien pour le déplacement des personnes que pour le transit des marchandises. La crise économique ne permet pas à l’Etat d’accroître le kilométrage des voies bitumées et d’assurer un entretien régulier de celles qui existent. Par conséquent, les infrastructures routières, qui pendant longtemps ont été un avantage pour le commerce national et international, sont en passe de devenir une entrave au transport des marchandises, et en particulier celui des vivriers qui sont, la plupart du temps, dans les zones inaccessibles. Ceci est corroboré par C. Y. Koffié-Bikpo, (2011, p.228) arguant que « l’insuffisance des infrastructures routières, la faiblesse des moyens de transports et les tracasseries routières de toutes natures ne facilitent pas l’acheminement des récoltes des zones de production vers les zones de grande consommation ». Le manque d’entretien régulier influe sur la qualité du service et ne permet pas une bonne circulation des biens et des personnes. Ce réseau privilégie les grands axes de circulation notamment les routes inter-Etats, les voies reliant les capitales régionales et départementales alors que les voiries secondaires, qui relient les petites localités et les villages ou campements, sont rarement bitumées. Or, la majorité des produits vivriers proviennent de ces zones à voirie non bitumée et fortement dégradée lors des saisons de pluies, ce qui pose naturellement le problème de l’écoulement de l’ensemble de la production vivrière. « Le système de transport routier joue donc un rôle éminemment important entre les pôles commerciaux et en particulier entre les zones de production et celles de consommation » (I.Kassi-Djodjo, 2011, p.215). En 2012, les besoins de financement ont été évalués à : « 1 500 milliards de FCFA pour la remise en état d’un réseau prioritaire d’environ 33 000 km (trois quarts du réseau revêtu et un tiers du réseau en terre), auquel il faut ajouter un besoin annuel
d’environ 100 milliards de FCFA pour l’entretien » (MIE, 2015, p.1). Les budgets disponibles sont actuellement largement insuffisants, tant pour la remise en état du réseau que pour son entretien. Contrairement à de nombreux pays africains qui répartissent les ressources de leurs fonds routiers entre le réseau principal, rural et urbain, « la Côte d’Ivoire affecte 90 % des ressources de son fonds au réseau principal et le reste à la voirie urbaine, le réseau rural ne bénéficie pas des ressources du fonds» (Banque Mondiale, 2010, p.15) alors qu’il est la première voie de transit des produits vivriers vers les différents marchés. Quant au carburant, il reste une dépense qui pèse sur la tarification lors de la conclusion d’un contrat de transport. En effet, l’étude a indiqué que l’acquisition de ce produit est primordiale dans la discussion du coût du trajet à cause des distances d’approvisionnement. L’importance du carburant dans les coûts d’exploitation des véhicules est le fait de la conjoncture mondiale qui affecte le marché du brut depuis quelques années. Ce qui confirme les propos de I. Kassi-Djodjo (2011, p.219) stipulant que « le carburant représente donc le poste le plus important des coûts de production des transports, parfois plus de 50 % ». La consommation de carburant est élevée en Afrique en raison de nombreux facteurs qui tiennent à l’âge des véhicules et de la qualité de l’entretien, au comportement des chauffeurs (surcharge, vitesse) et aux types d’infrastructures. « Les coûts de production augmentent à cause de la hausse permanente du prix du pétrole sur le marché international, qui est un facteur déterminant à l’augmentation des prix de transports » (I. Kassi, 2007, p.210). A la suite de la montée vertigineuse du cours du pétrole, avec son point culminant en 2005, plus de 70 dollars le baril, le prix du carburant n’a pu échapper à cette dérive dans un contexte économique particulièrement difficile pour la Côte d’Ivoire qui demeure un pays importateur de produit pétrolier avec un niveau élevé de taxation. Notre étude démontre que le phénomène du racket routier a pris de l’ampleur et a des conséquences au plan économique et commercial au marché de gros de Bouaké. En effet, plusieurs auteurs (E.T.Hatcheu, 2006, p. 9 ; et I. Kassi-Djodjo, 2011, p.215) ont montré que ce phénomène a comme conséquence l’augmentation des accidents de la circulation, la réduction des entrées de ressources fiscales et parafiscales, la perturbation des circuits de distribution, la génération des coûts additionnels de transport et la contribution au renchérissement des prix des produits vivriers. Par ailleurs, en plus d’entraver le fonctionnement des transports, le racket a des conséquences sur l’environnement des affaires et entrave la libre circulation des personnes et des biens. La pratique du racket routier engendre d’énormes pertes pour l’économie. Les montants versés au titre du racket engendrent des coûts supplémentaires dans la formation des prix. Ainsi, certains commerçants répercutent les montants du racket sur les prix des produits vivriers. Quant aux transporteurs, ils répercutent ces faux frais sur la charge des véhicules qui endommage les routes. La fluidité du transport est fortement contrariée par les barrages routiers et les tracasseries routières. Une des mesures de l’Etat pour annihiler ce fléau, a été la création de l’Unité de Lutte Contre le Racket (ULCR). L’objectif principal de cette structure est le démantèlement des barrages illicites en vue de faciliter la fluidité routière, mais aussi de sanctionner. En 2011, le gouvernement et ses partenaires ont initié une vaste opération de suppression des barrages anarchiques sur tout l’ensemble du territoire et ont publié une liste officielle de 33 barrages. L’Etat a également mis en place un Observatoire de la Fluidité des Transports (OFT). Depuis une décennie, l’Etat de Côte d’Ivoire a donc entrepris plusieurs actions de lutte contre le racket routier. Il s’agit de la mise en place du dispositif d’escorte, l’introduction du ticket unique de traverse, la sensibilisation des transporteurs et l’organisation des opérations de suppression des barrages anarchiques. Malgré tous ces efforts des gouvernants, les barrages routiers sont érigés pour effectuer des contrôles des véhicules, des pièces et des marchandises de manière intempestive. Ils ont pour but d’assurer la sécurité des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire en théorie selon les responsables sécuritaires et militaires. Mais en réalité, ils sont devenus le lieu privilégié de la pratique du racket. Ces barrages occasionnent des pertes de temps pour les automobilistes et constituent une entrave à la fluidité routière. Les tracasseries policières, le mauvais état des routes et l’absence de moyens de transport appropriés entraînent une augmentation des coûts des produits vivriers achetés par les grossistes. Pour E.T.Hatcheu (2006, p. 9) « l’innovation aujourd’hui par rapport à la période coloniale et au cours des premières années d’indépendance, c’est l’apparition et la multiplication d’une nouvelle catégorie d’interlocuteurs : polices et gendarmes officiellement chargés de la sécurité routière ». Le calcul des coûts réels de commercialisation des produits vivriers entre les campagnes et le marché de gros doit prendre en compte non seulement les frais de location de véhicules, les diverses transactions sur les marchés de brousse et le prix du carburant en augmentation permanente, mais également les charges fiscales légales et illégales que doivent supporter les transporteurs. L’étude de M.A.Touré (2008, p.9) sur le racket révèle que : « les ressources annuelles collectées par les agents commis aux contrôles au titre du racket sur les axes routiers sont évaluées entre 22,6 et 28,3 milliards de F CFA pour les véhicules de marchandises (café, cacao, coton, produits vivriers, marchandises diverses, bétail). Soit un total global compris entre 95 et 150 milliards de F CFA ». Le racket impacte donc négativement la libre circulation des personnes et des produits vivriers. On assiste à la dislocation des circuits traditionnels et conventionnels et à la réduction des trafics inter-Etats et nationaux. L’état des infrastructures routières se dégrade du fait des surcharges des véhicules de transport de marchandises. Les opérateurs transportent le maximum de produits pour couvrir les frais de racket. M.A.Touré (2008 p.25) révèle que « le racket à la tonne kilométrique des produits vivriers est compris entre 1,42 et 106,94 F CFA. Les produits vivriers sont transportés en moyenne sur une distance de 100 km ». Ainsi le racket devient alors un obstacle majeur à l’approvisionnement des marchés urbains en général et du marché de gros de Bouaké en particulier.

Conclusion

L’environnement socio-politique qui a prévalu en Côte d’Ivoire après le coup de force de décembre 1999 a été le plus grand frein au démarrage du marché de gros de Bouaké. Au chapelet des difficultés se greffent celles liées aux tracasseries routières rencontrées par les commerçants lors de l’approvisionnement du marché, l’instabilité des prix du gasoil et de la dégradation des infrastructures routières. Les routes ivoiriennes ont été construites pour relier le reste du pays à la métropole abidjanaise. Ces routes ont été dans un premier temps construites pour l’évacuation des produits d’exportation. C’est de celles-ci que découle le substrat des routes d’aujourd’hui. Mais on remarque que l’ensemble de ces routes n’a pas connu de travaux de réhabilitation et d’entretien après plusieurs années d’utilisation. Le nombre de postes de contrôle et les perceptions illicites demeurent persistants sur l’ensemble des routes nationales et les corridors sous régionaux malgré les efforts déployés par les gouvernants pour la mise en place du plan régional de contrôle routier. Les Etats sont déterminés à mener des actions pour réduire les postes de contrôle et surtout les perceptions illicites. Les tracasseries routières impactent négativement la compétitivité économique car elles empêchent les commerçants d’exercer leur activité en raison du coût de la chaîne de transport et de transit. Celles-ci restent selon les commerçants et les transporteurs, une entrave importante de la commercialisation des produits vivriers vers le marché de gros ce qui confirme notre hypothèse de départ que le racket est une contrainte majeure dans le ravitaillement de ce marché.

Références bibliographiques

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HATCHEU Emil Tchawe, 2006, « Les commerçants et les transporteurs dans l’approvisionnement vivrier et la distribution alimentaire à Douala (Cameroun) » in Bulletin de l’APAD [En ligne], 19 | 2000, mis en ligne le 12 juillet 2006, Consulté le 11 novembre 2015. URL : http://apad.revues.org/431, 16p.

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MINISTERE des Infrastructures Economiques (MIE), 2015, Fiche projet Côte d’Ivoire sur le programme d’appui au secteur routier, Abidjan, 2p.

TOURE Moustapha Almami, 2008, Etude du racket sur les routes en Côte d’Ivoire, rapport d’étude, Abidjan, Banque Mondiale, 73p.

Auteur(s)


1BAMBA Vakaramoko : Doctorant ; e-mail : bvakaramoko81@gmail.com- Institut de Géographie Tropicale / Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)

2 KOFFIE-BIKPO Céline Yolande : Professeur Titulaire; e-mai l: bikpoceline@yahoo.fr – Institut de Géographie Tropicale / Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)

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