Apport de l’activité apicole dans la lutte contre la pauvrété en milieu paysan (région centrale-TOGO)
Koudzo SOKEMAWU
Lapiculture est un secteur important de léconomie agricole, tant pour le rôle joué par les abeilles dans la production du miel et la conservation de lenvironnement que pour son rôle dans la diversification des revenus des producteurs. Activité émergente dans la Région Centrale au Togo, elle participe au processus de développement durable et à la lutte contre la pauvreté dans les milieux ruraux où elle se pratique. Lobjectif de cette étude est danalyser son importance dans la vie socio-économique des populations rurales et sa contribution dans la lutte contre la pauvreté dans le secteur détude. La méthodologie utilisée pour la collecte des données se résume à la documentation, aux observations et aux enquêtes par questionnaire. Il ressort des résultats des investigations que lactivité apicole est une véritable source de revenu pour les producteurs ; revenu qui leur permet de subvenir à leurs besoins vitaux.
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Mots-clés : Apiculture, développement durable, pauvreté, ruches, Région Centrale.
Keywords: Bee-keeping, sustainable development, poverty, hives, Central Region.
Abstract :
Bee-keeping is a significant sector of the agricultural economy, both at the level of the role played by the populations of bees in pollination, the production of honey, and the conservation of the environment as well as its role in the socio-economic and medical development of the producers. An emerging activity in Togo, bee-keeping takes part in the process of sustainable development and the fight against poverty in rural areas where it is practiced. The objective of this study is to present not only what this activity is, but also to specify its role and its importance in the economic life of the rural populations in the Central Region of Togo. My data collection methodology is based on documentation, observations and investigations with questionnaires. It arises from the results of my investigations that bee-keeping activity is a true source of income for the producers; income which enables them to provide for their vital needs.
Keywords: Bee-keeping, sustainable development, poverty, hives, Central Region.
INTRODUCTION
Les produits forestiers non ligneux (PFNL) font partie des ressources naturelles auxquelles des populations rurales ont recours pour diversifier leurs activités productives et améliorer leurs revenus. Ils sont connus et utilisés depuis très longtemps par les populations à des fins alimentaires, médicales, rituelles, artisanales, etc. Ils sont constitués des PFNL dorigine animale et végétale. Ces produits servent à relever trois défis majeurs à savoir : la conservation de la biodiversité, la réduction de la pauvreté et la lutte contre linsécurité alimentaire. La présente étude met en exergue lapiculture dans la Région Centrale au Togo avec un accent particulier mis sur la production du miel et les revenus tirés de la vente de ce produit.
On parle dapiculture lorsque des colonies dabeilles ont un propriétaire qui les protège, sen occupe, récolte les produits fabriqués au bon moment et de façon à ce que la colonie puisse se nourrir et survivre (Marieké et al., 2005). Dérivant du mot latin Apis qui signifie abeille, lapiculture est la pratique délever des abeilles afin de prélever le miel et dautres produits dérivés des colonies dabeilles sauvages (Bradbear, 2010). Elle est une pratique ancienne du système de production agricole en Afrique subsaharienne (Delahais, 2012). Dabord basée sur un système de cueillette1, lélevage des abeilles a progressivement évolué vers lutilisation des ruches. Avec les besoins de diversification des revenus, il y a un regain dintérêt pour lapiculture qui paraît comme une des alternatives intéressantes de réduction de la pauvreté des paysans.
Cest justement le cas dans la Région Centrale au Togo où des paysans ont opté pour cet élevage des abeilles afin de produire et dexploiter le miel, un des nombreux produits de la ruche. Compte tenu de lintérêt accordé à cette activité il y a lieu de répondre à linterrogation suivante : comment lapiculture contribue-t-elle à résoudre les problèmes de pauvreté chez les paysans de la Région Centrale au Togo?
Lobjectif de létude est de faire un diagnostic de lactivité apicole afin de relever son importance économique et sociale dans le processus de lutte contre la pauvreté dans le milieu.
La méthodologie utilisée pour la collecte des données se compose de la recherche documentaire, des observations et des enquêtes par questionnaire. La documentation, dans son ensemble, a permis de cerner davantage les contours du thème. Les observations faites sur le terrain ont été réalisées en même temps que les enquêtes qui se sont déroulées en deux phases. La première phase a eu lieu en saison sèche (janvier et mars). Elle a permis dobserver les processus dexploitation ou de récolte du miel et détudier les prix sur les différents marchés. La seconde phase qui sest déroulée en saison des pluies (mai et juin) a permis dobserver les moyens de capture des abeilles et les techniques de pose des ruches. De façon précise, les enquêtes ont touché dix-huit (18) localités de la Région Centrale où les paysans sadonnent à cette activité. Elles sont réparties dans les différentes préfectures (Carte n°1).
Carte n°1 : Localisation des villages enquêtés
Les zones forestières du parc national de Fazao-Malfakassa ont été les plus visitées à cause du développement de lapiculture par les populations riveraines de ce secteur. Dans lensemble, 241 exploitants ont été enquêtés sur un total de 420 recensés dans les localités choisies pour les travaux, soit 57,38% de lensemble des exploitants. Pour lensemble de la Région Centrale et daprès les données du dernier recensement agricole de 2010 organisé par la Direction des Statistiques, de lInformation et de la Documentation (DSID), 2 199 personnes sont fichées comme apiculteurs.
Parmi les apiculteurs enquêtés, il y a eu 87, soit 36,01%, qui sont des apiculteurs à temps plein ou des producteurs permanents et 154 (63,90%) qui sont dabord des paysans-cultivateurs. Ils ont suivi des formations en apiculture auprès des spécialistes et lexercent comme activité secondaire. Le tableau n°1 présente la répartition des enquêtés par localité et par préfecture.
Tableau n°1 : Répartition des enquêtés par localité et par préfecture
Le choix des localités enquêtées a été difficile du fait que lactivité apicole se réalise dans tous les milieux ruraux de la région. Afin de surmonter cette difficulté, nous avons mis laccent sur le critère « accessibilité ». Seules les localités qui sont daccès faciles, notamment par une voie de communication terrestre (piste rurale, route) ont été retenues.
1. La Région Centrale, une entité géographique aux conditions naturelles propices aux activités apicoles
La Région Centrale est lune des cinq régions économiques du Togo issues de la loi n°81/9 du 23 juin 1981 portant réorganisation du territoire national. Elle couvre une superficie d’environ 13 500 km2 dont plus de 20% (environ 2 700 km²) daires protégées. Ces aires protégées (Parc National du Fazao-Malfakassa et dAbdoulaye) constituent le plus important secteur de production apicole.
Lespace détude est caractérisé sur le plan physique et naturel par un relief de plateaux et de plaines propices au développement dune gamme variée darbres mellifères (anacardes, tecks, orangers, manguiers, eucalyptus, néré, karité, etc.) sur des sols diversifiés. Du point de vue climatique, le secteur détude appartient à la zone tropicale semi-humide et fait partie intégrante de la zone soudano-guinéenne caractérisée par deux saisons nettement distinctes. Il sagit dune saison pluvieuse qui dure 6 mois (mai à octobre) et dune saison sèche qui sétend sur 6 mois (novembre à avril). La température varie entre 20°C et 32°C avec les minima enregistrés pendant la période dharmattan et les maxima relevés pendant les mois de février-mars (Samarou, 2011). Ces paramètres climatiques, combinés aux éléments physiques favorisent le développement du couvert végétal, lieu de prolifération des abeilles. La longueur de la saison sèche est très bénéfique à la production du miel de qualité par les abeilles. La saison pluvieuse est celle de la pose des ruches par les apiculteurs, de leur colonisation par les abeilles et du prélèvement du nectar des fleurs de plantes par les abeilles pour la production du miel.
Il est à retenir que le régime climatique, synchrone du couvert végétal, permet didentifier trois zones éco-floristiques dans la région. Il sagit des zones II, III et IV comme le présente la carte n°2).
Carte n°2 : Les zones éco-floristiques de la Région Centrale
Selon le Ministère de lEnvironnement et des Ressources Forestières cité par Ouro-Djéri (2012), la Région Centrale constitue le second bassin forestier du Togo après lOuest de la Région des Plateaux. Cest un secteur qui comporte un important couvert végétal ligneux anthropique et naturel, favorable à la pratique de lapiculture.
2. La filière apicole dans la Région Centrale, une activité récente mais en plein essor
Depuis des temps ancestraux, la cueillette du miel a été pratiquée dans la région, mais était orientée plus vers la chasse aux abeilles. Le feu était utilisé pour éloigner les abeilles de leur ruche naturellement réalisé afin de prélever le miel produit. Cette pratique était à la base de la destruction des colonies dabeilles et de leur environnement.
2.1. Historique de lactivité apicole dans la région
Lapiculture a débuté dans le secteur détude en 1975, grâce à lAgence Allemande pour la Coopération Technique dénommé « GTZ » (actuelle GIZ). De 1975 à 1990, la structure a initié les paysans à la modernisation de lapicueillette. Cette modernisation sest caractérisée par lélevage des abeilles dans les ruches fabriquées afin de produire du « bon » miel (Ouro-Djéri, 2012). Le départ de cette structure de la région en 1990, suite aux crises socio-politiques qua connues le Togo, a mis un frein à cette activité. Il a fallu lintervention des Frères Catholiques dénommés « les Frères Marianistes » installés dans la ville de Sotouboua en 2006, pour redynamiser cette activité auprès des paysans.
Ceux-ci ont montré aux paysans, les techniques de protection de lenvironnement à travers lélevage des abeilles dans des ruches. Ils ont amené des populations paysannes, notamment les jeunes, à sintéresser à cette activité jugée au début « à risque. Depuis cette période, lactivité apicole a pris de lampleur avec lutilisation de matériels modernes. La ruée des paysans vers cette nouvelle activité a été motivée également par la baisse du prix du coton-graine (principale culture industrielle développée dans le milieu), lendettement des paysans vis-à-vis de la Société Togolaise du Coton (SOTOCO), structure qui gérait la filière coton au Togo et finalement, la disparition de cette structure en 2005. Dans loptique de diversifier leurs sources de revenu et de protéger leur environnement, les paysans ont fini par sadonner à cette activité qui, selon Bradbear (2005), nécessite peu de ressources et peut être pratiquée par tous.
2.2. Lapiculture, une activité nécessitant peu de ressources
Lélevage des abeilles nécessite peu de ressources tant financière, matérielle quhumaine. Les abeilles sont en effet, recueillies dans la nature. Elles nont pas besoin de lapiculteur pour se nourrir. Elles collectent elles-mêmes le nectar et le pollen partout où elles peuvent les trouver. Le matériel est fabriqué localement. La possession de terres (riche ou pauvre) pour la pratique de lapiculture nest pas essentielle. Dailleurs, sur ce plan, 38% des enquêtés utilisent les exploitations arboricoles dautres paysans pour y implanter leurs ruches. Dans ce système, le miel récolté est généralement partagé entre le propriétaire des ruches et le propriétaire de lexploitation. Cest une forme du « dibi ma dibi »2 qui signifie « tu manges un peu, je mange un peu ». Dans ce cas précis, il sagit dune forme de contrat où le propriétaire de la plantation permet à lapiculteur dimplanter ses ruches et délever les abeilles dans le but de partager le miel récolté à la fin de la saison de production. Contrairement à ce qui se fait dans les zones de plantation caféière et cacaoyère du Sud-Ouest de la Région des Plateaux au Togo, la quantité de miel reçue par le propriétaire de la plantation fait toujours lobjet de discussion entre les deux acteurs. Aucune norme nest fixée. Les deux parties trouvent leur compte. Lactivité apicole demeure une activité pratiquée par des hommes et des femmes de tous âges comme le montrent les données du graphique n°1.
Graphique n°1 : Répartition des enquêtés par âge
Le taux élevé des moins de 50 ans (58,62%) témoigne de lintérêt que portent les personnes jeunes à cette activité menée parallèlement aux autres activités agricoles. Lapiculture est pour 36,01% des exploitants enquêtés, la principale activité génératrice de revenus et pour 63,99%, une activité secondaire. Dans lensemble, les exploitants enquêtés sont composés de 58,92% de paysans-cultivateurs, de 17,84% de retraités de la fonction publique et privée, de 14,11% de menuisiers, de 6,64% de mécaniciens (réparateurs dengins à deux et quatre roues) et de 2,49% de forgerons. Ils sy adonnent car reconnaissent-ils, « lapiculture est une activité simple qui génère des revenus sans détruire les abeilles, les arbres et la brousse ». Des propos qui rejoignent ceux de Bradbear (2010), qui précise que « lapiculture favorise le maintien de la biodiversité ».
2.3. Les plantes mellifères les plus utilisées pour une bonne production du miel
Sur lensemble du territoire régional, on note une gamme variée de plantes propice à lélevage des abeilles. Depuis longtemps, la végétation naturelle a servi à la pratique de cette activité. Mais, avec le développement de larboriculture, des sélections sont faites par les apiculteurs pour abriter les ruches. Lors des différentes phases de visite sur le terrain, deux principales plantes servant dabris pour les abeilles ont attiré notre attention. Il sagit des anacardiers (Anacardium occidentale) et des manguiers (Mangifera indica), notamment des manguiers améliorés dits « manguiers greffés ». Très cultivé dans lensemble de la région, lanacardier est avant tout planté pour sa graine (noix de cajou). Selon les apiculteurs enquêtés, les abeilles profitent du jus des fruits de cette plante (Photo n°1) pour fabriquer leur miel.
Photo n°1 : Des abeilles sur les pommes danacarde dans une exploitation à Titigbé
Après la récolte des graines, les pommes (fruits) sont abandonnées sur lexploitation et sont aussitôt envahies par ces abeilles qui prélèvent leur jus pour la fabrication du miel. Outre lanacarde et le manguier, dautres plantations arboricoles et fruitières servent dabris pour les ruches (Graphique n°2).
Graphique n°2: Les essences ligneuses les plus utilisées dans lélevage des abeilles par les apiculteurs enquêtés
Au regard des données du graphique n°2, il ressort que les plantations danacarde sont les plus utilisées (68,80%). On assiste également à des combinaisons de cultures (culture des ananas juste à côté des plantations de manguiers ou dacajou), afin de maximiser la production et les récoltes de miel. Au demeurant, il est à souligner quau-delà des plantations et des cultures citées, dautres espèces ligneuses sont utilisées pour leurs activités apicoles même à des proportions faibles. Il sagit du néré, du baobab, de teck et de leucalyptus.
3. Les systèmes de production apicole
Lactivité apicole telle que pratiquée par les paysans dans la région fait intervenir plusieurs outils dont les principaux sont : les ruches, les attire-abeilles, la cire, le lèvre-cadre, le matériel de protection, lenfumoir. Les ruches demeurent, cependant, le matériel de base et de lélevage des abeilles. De fabrication locale, la ruche est labri destiné à accueillir convenablement une colonie d’abeilles. On y rencontre dans le secteur dinvestigation, plusieurs gammes de ruches allant de la traditionnelle aux plus modernes.
3.1. Les types de ruches utilisées
Deux catégories de ruches sont utilisées par les apiculteurs. Il sagit des ruches traditionnelles (Photo n°2) et des ruches modernes.
Photo n°2 : Un exemple de ruche traditionnelle à Séssaro
La ruche traditionnelle est réalisée à base dargile cuite. Cétait la première forme de modernisation de lapiculture constatée dans le milieu détude bien avant larrivée et limplantation des ruches réalisée en bois. Lors de nos enquêtes de terrain, seul un (1) exploitant enquêté, rencontré dans la localité de Séssaro (préfecture de Sotouboua), le détient.
Parmi les ruches modernes rencontrées, on peut citer la ruche kényane, la ruche Dadant et la ruche simplex. La ruche dénommée « la kényane3 » est une ruche réalisée en bois et généralement placée dans les arbres (Photo n°3).
Photo n°3 : Des exemples de ruches kényanes
Elle présente des nombreux avantages selon les utilisateurs. Cest une ruche dont les cadres sont mobiles, constitués dune seule barrette sur laquelle les abeilles réalisent leurs rayons. Elle permet le déplacement de cadres. Les rayons produits par les colonies dabeilles peuvent être enlevés de la ruche et replacés. Avec ce type de ruche, lapiculteur peut vérifier létat des colonies sans risque de les détruire. Elle permet une meilleure récolte de la cire et préserve la colonie dabeilles. Même après la récolte des produits de la ruche, les abeilles peuvent continuer par fabriquer du miel pour remplacer celui qui a été récolté.
Le second type de ruche moderne est la ruche Dadant. Cette ruche, contrairement à la ruche kényane, se place sur des supports implantés au sol et sous les arbres fruitiers (Photo n°4).
Photo n°4 : Des ruches Dadant placées dans une plantation danacarde à Alibi 1
Cest une ruche à cadre mobile et étagé. Elle présente les mêmes avantages que la ruche kényane à la différence quelle ne permet pas une récolte abondante de cire. Contrairement à la ruche kényane, la ruche Dadant est facilement plus exposée aux ennemis des abeilles comme les fourmis magnans et les fausses-teignes, etc. Le troisième type de ruche utilisée par les apiculteurs dans le secteur détude est la ruche simple ou « ruche simplex » (Photo n°5).
Photo n°5 : Des ruches simplex dans une exploitation à Blitta
Ces ruches sont couvertes de tôles et placées sur des supports métalliques ou en bois. Cest la forme la moins évoluée de la ruche kényane, facile à réaliser. Tout comme la ruche traditionnelle, elle est également en voie de disparition au détriment des deux présentées. Dans lensemble, 58,09% des apiculteurs font usage des ruches en pur, cest-à-dire des exploitations constituées dun même type de ruche. Dans ce cas précis, 51,43% nont que des ruches kényanes quils utilisent. Ils sont 40% à nutiliser que de la ruche Dadant contre seulement 8,57% qui élèvent les abeilles dans les ruches simplex.
Pour ce qui est de la combinaison des ruches, 41,91% des apiculteurs en font usage dans leur exploitation. Cette combinaison concerne les ruches Dadant et kényane (65,35% des exploitants), les ruches Dadant et simplex (15,84%), les ruches kényane et simplex (11,88%) et les ruches kényane et la ruche traditionnelle (6,93% des enquêtés). Le choix des ruches kényanes par 35,24% des apiculteurs se justifie par son bas coût de réalisation et de vente par rapport à la ruche Dadant.
Le coût de réalisation dune ruche Dadant est fonction de leur capacité. Il varie entre 16 000 F et 21 000 F CFA. Le prix de vente aux apiculteurs se situe entre 27 000 F et 33 000 F CFA. Celui de la ruche kényane se situe entre 7 000 F et 9 000 F CFA et son prix de vente varie entre 12 000 F et 17 000 F CFA. De ce fait, le nombre de ruches par exploitant varie en fonction de ses revenus. Les enquêtes ont montré que plus de 60% des apiculteurs disposent de plus de 10 ruches (Tableau n°2).
Tableau n°2 : Nombre des ruches par apiculteur
Les taux les plus importants de ruches par exploitant se retrouvent le plus dans les préfectures de Tchamba et de Sotouboua, où les activités apicoles prennent de lampleur. Cette situation est inhérente au développement de la culture danacarde, une autre source de revenu paysan.
3.2. Les techniques de capture des essaims dabeilles et les produits de la ruche Selon les personnes touchées par lenquête, deux types de produits sont utilisés pour attirer les abeilles dans les ruches. Il sagit du charme des abeilles et de la cire. De fabrication industrielle et artisanale, ces produits sont aspergés dans la ruche afin dattirer les abeilles qui viennent sy loger. Une fois la ruche colonisée, les abeilles produisent une gamme variée de produits. Il sagit du miel, de la propolis, de la cire, de la gelée royale. Dans la Région Centrale, cest le miel qui est le produit le plus connu et le plus recherché comme le montre le graphique n°3.
Graphique n°3 : Proportion des enquêtés en fonction des produits de la ruche recherchés
Lactivité apicole suit un calendrier assez rigoureux que lexploitant est tenu de respecter (Tableau n°3).
Tableau n°3 : Calendrier des activités apicoles en vigueur dans la région
Suivant le type de ruche dont dispose lexploitant, la récolte du miel peut se faire une à trois fois par an. Il faut cependant noter que cette récolte se fait en saison sèche (de novembre à avril voire mai). La raison évoquée pour le choix de cette période de lannée est la viscosité du miel. Cest une des qualités recherchées par les consommateurs qui estiment que plus le miel est visqueux, plus il est de bonne qualité. Lobtention du miel de qualité passe par des étapes allant de la récolte des rayons à lextraction.
3.3. Des étapes dobtention du miel encore traditionnelles
Après la récolte des rayons (Photo n°6), le miel est traité et les producteurs procèdent à sa vente.
Photo n°6 : Des rayons contenant du miel récolté
Une fois la phase de récolte terminée, lapiculteur procède à lextraction du miel en utilisant le matériel local. Il sagit généralement du panier qui sert de filtre. Les rayons sont pressés à la main afin dextraire le maximum de miel (Photo n°7).
Photo n°7 : Phases dextraction du miel et de pressage des rayons dessaims
Le miel recueilli à la suite de cette opération est du miel brut (Photo n°8).
Photo n°8 : Du miel brut recueilli après pressage
Le miel une fois extrait peut être commercialisé en létat ou traité en lexposant près dune semaine au soleil afin den tirer la gelée royale, la cire, puis filtré pour se débarrasser des déchets. Au demeurant, une ruche Dadant ou kényane peut produire en moyenne trois (3) à cinq (5) litres de miel brut lors dune phase de récolte. Le miel récolté contribue, pour une part importante, à relever le niveau de vie des exploitants à travers sa vente et son autoconsommation. Il est pour ainsi dire, une source de lutte contre la pauvreté dans les espaces ruraux du secteur dinvestigation.
4. Lapiculture et sa contribution à la lutte pour la réduction de la pauvreté
Lapiculture et les activités commerciales qui en découlent constituent des sources incalculables de moyens dexistence pour les producteurs au regard de son importance sociale et économique.
4.1. Le miel, un produit aux multiples vertus pour la population
Les vertus du miel sont nombreuses, à en croire les apiculteurs enquêtés. Il intervient dans bon nombre de rites. Dans certaines localités comme Kousountou, Alibi I et Kabolé, le miel est utilisé lors des mariages traditionnels, des baptêmes traditionnels des enfants à leur naissance et dans certaines cérémonies rituelles. Cest ainsi quon retrouve le miel chez les herboristes, les féticheurs, les marabouts. Il a, à ce point, une valeur culturelle et spirituelle inestimable. Lutilisation de ce produit contribue en outre à lutter contre certaines maladies ou à en soigner une gamme variée de pathologies.
Selon les apiculteurs enquêtés, le miel permet de lutter et de guérir lanémie, les maladies de lestomac, en particulier lulcère, les troubles urinaires, les infections des voies respiratoires, la fièvre et le paludisme, les maladies du foie, les angines et les crises dasthme. En application externe, le miel permet de soigner les blessures, les plaies infectées, leczéma, les furoncles chez les adolescents et les brûlures. En association avec des plantes médicinales traditionnelles, il assure la guérison de nombreuses pathologies. Le miel entre ainsi dans la tradithérapie ou la médecine traditionnelle. Il constitue toute une pharmacopée, accessible aux plus démunis et connue sous lappellation de « apithérapie » (Bradbear, 2010).
Sur le plan nutritionnel, le miel est une source dalimentation très riche en matières nutritives. A en croire les exploitants enquêtés, le miel est un aliment de qualité qui facilite la digestion. Cest un produit énergétique, connu pour ses vertus soporifiques, intéressantes pour les performances physiques (Bradbear, 2010). Les apiculteurs reconnaissent que la consommation du miel excite lappétit chez les nourrissons et facilite la poussée des dents. Il lutte contre la nervosité. Il est un somnifère « bio ». « Cest un médicament naturel » conclut un producteur à Titigbé.
4.2. Lapport économique de lactivité apicole
Un peu partout dans le monde, lobjectif principal des apiculteurs est la vente de leurs produits. Lapiculture est une activité économique potentielle (Tsafack Matsop et al, 2011). Elle sinsère dans une pluriactivité agricole du fait quelle contribue à augmenter le revenu paysan. Les bénéfices tirés contribuent à satisfaire les besoins des ménages et à réaliser leurs projets immédiats et futurs. Les prix du litre de miel produit par les apiculteurs enquêtés varient dune localité à une autre et dune saison à une autre comme le montre le tableau n°4.
Tableau n°4 : Prix du litre de miel
Les prix les plus bas sont enregistrés en saison sèche, correspondante à la période dabondance. Le litre de miel devient plus cher en saison pluvieux où la production baisse énormément. La vente du miel chez les apiculteurs suit un circuit court qui prend directement en compte le producteur et le consommateur ou lacheteur. Aucun intermédiaire nintervient. De ce fait, les prix ne sont pas négociables. Lactivité étant à ses débuts, les apiculteurs se méfient des ventes où interviennent plusieurs acteurs comparativement à ce qui se fait dans la préfecture de Danyi au Togo (Hoamékpo, 2014). La part représentée dans le revenu global de la vente des produits apicoles varie dun exploitant à un autre.
4.3. Lapiculture, une activité au centre de plusieurs autres activités
Différents secteurs dactivités tirent profit de lapiculture. A lexception des apiculteurs eux-mêmes, on note les fabricants et vendeurs des ruches, les fabricants des combinaisons de protection, des sociétés de vente des bottes, des gants et dautres équipements nécessaires à lactivité apicole. Il faut ajouter à ces acteurs, les fabricants locaux de la cire, du charme des abeilles, des enfumoirs, des lève-cadres, etc. Daprès les résultats des enquêtes de terrain, les menuisiers fabricants des ruches étaient au nombre de 7 en 2011. En 2014, au moment des enquêtes, ce nombre est passé à 17, soit plus du double en seulement 3 ans. Les deux principales villes de la région (Sokodé et Sotouboua) enregistrent plus de 52,94% de fabricants de ruches.
A lexception des activités connexes qui rapportent des revenus supplémentaires aux différents acteurs impliqués, il est à faire remarquer que la vente du miel rapporte par an, entre 98 000 F et 1 800 000 F CFA de revenu annuel net pour un producteur (Graphique n°4).
Graphique n°4 : Proportion des apiculteurs par revenu net tiré de la vente du miel
A lanalyse des données du graphique n°4, il se dégage que près de 47% des apiculteurs tirent un revenu net de plus de 500 000 F CFA de la vente du miel. En comparaison avec les revenus nets tirés de la vente de ligname, du maïs, du niébé (principales cultures vivrières de la région) et même du coton, une culture de rente, 72,20% de producteurs sestiment plus heureux avec ce revenu apicole, puisque la vente de ces produits vivriers et de rente navoisine que 120 000 F CFA de revenu net. Pour linstant, ces revenus apicoles constituent la principale source de revenu pour la majorité des paysans. Seulement 27,8% des enquêtés ont encore l’agriculture comme la principale source de revenu. Ces apiculteurs doivent se sentir dautant plus heureux en comparant son revenu mensuel au Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) en vigueur au Togo dans la fonction publique. Le SMIG au Togo est de 35 000 F CFA. Le revenu net annuellement dégagé par lapiculteur est supérieur à 500 000 F CFA, soit plus de 41 700 F CFA par mois. Il est dailleurs encore plus fier quen plus du revenu apicole, la vente des autres produits agricoles lui rapportent des de gains financiers supplémentaires.
Ces revenus tirés de la vente du miel sont réinvestis dans plusieurs secteurs de vie du ménage. De façon générale, une partie des revenus est réinvestie dans lachat du matériel agricole ou apicole, une autre partie dans léducation des enfants, lalimentation, la santé et la construction des habitations. Le reste du revenu est mis de côté sous forme dépargne. Lapiculture constitue une filière qui permet donc aux producteurs de réduire leur pauvreté économique, sociale dans laquelle ils se trouvent.
Au demeurant, lactivité apicole revêt une grande importance socio-économique. Elle emploie une main-duvre importante spécifique aux différentes activités y afférentes. De ce fait, elle répond aux normes du développement durable que sont le social, léconomie et lenvironnement. Elle demeure donc une activité qui encourage la sensibilisation au niveau écologique dans la mesure où tous les apiculteurs sont intéressés par la conservation de la nature afin que les arbres, les fleurs et les abeilles soient protégés contre les feux de brousse et autres moyens de destruction. Elle participe ainsi à la protection et à léquilibre de lécosystème régional.
5. Les contraintes inhérentes à lapiculture dans la Région Centrale
Diverses contraintes entravent la bonne marche des exploitations apicoles dans laire dinvestigation. Il sagit du manque la maîtrise des techniques de conservation des abeilles dans les ruches, du vol des ruches, de lutilisation des feux de brousse aussi bien par les paysans que par les éleveurs bouviers, de lusage par certains paysans des pesticides dans les exploitations agricoles proches des zones de plantation comportant les ruches. Un autre mal qui décourage les éleveurs dabeilles et producteurs de miel est la destruction des ruches par les insectes et les maladies dont la plus connue dans le milieu est la fausse-teigne. Les ruches mal entretenues sont régulièrement envahies par les fourmis magnans, les grenouilles et les cafards qui détruisent les colonies dabeilles comme le montre la photo n°9.
Photo n°9 : Contenu dune ruche complètement détruite par des fourmis magnans à Kabolé
Tous ces éléments représentent de véritables freins au développement de cette activité dans certains secteurs visités. Sur le plan commercial, la non organisation du système de commercialisation du miel représente un problème pour la maîtrise du marché de ce produit. Il est difficile de suivre le miel depuis sa production jusquà sa commercialisation finale. La traçabilité est difficile dans ces conditions. Cest pourtant un facteur dont il faut tenir compte dans le cadre dune stratégie de développement de la filière.
Le manque de regroupement des apiculteurs en des associations cohérentes désorganise la production. A lexception du groupement « ARZIKI » qui signifie dans la langue Tem, « Richesse » qui regroupe les apiculteurs de la localité de Tchalo, aucune organisation de ce genre nest enregistrée dans les secteurs visités. Ce groupement est juridiquement reconnue dans la région, a une existence légale avec un statut et une ligne de conduite que chaque membre est tenu de respecter. Les membres de ce groupement reçoivent régulièrement, des agents du Ministère de lAgriculture, de lélevage et de lHydraulique, de la FAO, de l’Organisation Islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture (ISESCO) et du Ministère de lEnvironnement et des Ressources Forestières pour les former sur de nouvelles techniques de production.
CONCLUSION
Lobjectif de létude est de faire un diagnostic de lactivité apicole afin den relever son importance sociale et économique dans le processus de lutte contre la pauvreté dans les milieux ruraux de la Région Centrale au Togo. Létude a montré que lapiculture, en tant quactivité économique et fournissant des produits alimentaires de qualité, joue un rôle vital dans le développement rural. Le miel, principal produit issu de cette activité, présente de nombreuses valeurs tant du point de vue alimentaire, sanitaire, culturelle quéconomique. Malgré lexistence de nombreuses entraves à son bon développement, lactivité apicole demeure une importante solution dans la lutte contre la pauvreté et lexclusion des populations rurales démunies de la région détude. Quelle soit la principale activité génératrice de revenu ou la secondaire, il est à noter que les revenus tirés permettent aux différents acteurs impliqués dans la filière, notamment les producteurs, de satisfaire autant soit peu leurs besoins.
Des efforts doivent cependant être faits dans la région pour encourager lapiculture même à petite échelle, afin daider les populations à consolider leurs moyens dexistence et assurer la stabilisation de la biodiversité. Ce renforcement des moyens dexistence signifie quil faudra aider les populations à devenir moins vulnérables à la pauvreté. Pour ce faire, il est nécessaire de les aider à accéder plus facilement à une série davoirs et soutenir leur capacité à les incorporer dans des activités de subsistance productives. Lapiculture joue à cet effet, un important rôle dans la création de moyens dexistence durables.
Bibliographie
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Notes
1Ce système de cueillette est appelé lapicueillette.
2Le système du « dibi-ma-dibi » est une forme est une pratique foncière autochtone en vigueur dans le Sud-Ouest du Togo (GU-KONU E. Y., 1986). Il sagit dune forme de contrat de métayage où le propriétaire cède une parcelle au métayer dans le but de partager les récoltes à la fin de la saison agricole. Au temps du boom caféier et cacaoyer, à la fin de la récolte du café et du cacao, le propriétaire de la plantation et le métayer (à qui revenait lentretien de la plantation), se partagent les récoltes au prorata de 1/3 revenant au métayer et de deux-tiers (2/3) représentant la part du propriétaire de la parcelle ou de la plantation.
3La ruche kényane a été développée à partir de 1971 dans le pays dont elle porte le nom par le Canadien Maurice V. SMITH (http://www.apiservices.com/rfa/articles/ruche_kenyane.htm).
Notes
1 Ce système de cueillette est appelé lapicueillette.
2 Le système du « dibi-ma-dibi » est une forme est une pratique foncière autochtone en vigueur dans le Sud-Ouest du Togo (GU-KONU E. Y., 1986). Il sagit dune forme de contrat de métayage où le propriétaire cède une parcelle au métayer dans le but de partager les récoltes à la fin de la saison agricole. Au temps du boom caféier et cacaoyer, à la fin de la récolte du café et du cacao, le propriétaire de la plantation et le métayer (à qui revenait lentretien de la plantation), se partagent les récoltes au prorata de 1/3 revenant au métayer et de deux-tiers (2/3) représentant la part du propriétaire de la parcelle ou de la plantation.
3La ruche kényane a été développée à partir de 1971 dans le pays dont elle porte le nom par le Canadien Maurice V. SMITH (http://www.apiservices.com/rfa/articles/ruche_kenyane.htm).
Table d’illustrations
Auteur(s)
Koudzo SOKEMAWU
Maître de Conférences
Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES)
Département de Géographie
Université de Lomé Togo
E-mail : yves.soke@yahoo.fr
Droit d’auteur
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte dIvoire