L’agriculture dans l’aire urbanisée de Danané : une activité multi-utile pour les citadins et la ville

0
324

Kouakou Attien Jean Michel KONAN

Université Alassane OUATTARA attien_2@yahoo.fr

Résumé :

Héritée de la colonisation, l’agriculture urbaine connait depuis des décennies une expansion dans les villes ivoiriennes. Bien plus qu’un phénomène éphémère, elle fait aujourd’hui partie intégrante des villes malgré le fait qu’aucune disposition légale ne l’autorise. Sa contribution à l’amélioration du cadre de vie des citadins à travers son apport au niveau alimentaire, socioéconomique est à l’origine de son développement au sein des villes.

A Danané, ville frontalière à l’ouest de la Côte d’Ivoire, l’agriculture urbaine tient aussi une place importante dans le quotidien des populations citadines. Dans les zones marécageuses comme sur les terres fermes de l’aire urbanisée, une frange de la population citadine s’investie au quotidien dans l’activité agricole qui offre une multitude de profits aux habitants mais aussi à la ville. La présente étude est une contribution à une meilleure compréhension des multiples services que procure l’agriculture urbaine aux citadins et à la ville de Danané. Par ailleurs, pour notre étude, notre méthode de travail repose à la fois sur l’approche quantitative et qualitative.

À cet effet, une recension bibliographique et des enquêtes de terrain auprès de 136 citadins-agriculteurs dans différents quartiers et des structures intervenants dans le cadre de notre sujet, ont fondé notre démarche. Les résultats des investigations révèlent l’agriculture urbaine est utile à la ville car elle assure une relative sécurité alimentaire pour les 131 500 citadins de Danané avec une gamme variée de plantes cultivées. Au niveau économique, elle constitue une source de revenus non négligeable pour les producteurs. Plus de 50% ont un revenu mensuel égal ou supérieur au SMIG ivoirien qui est de 75 000 FCFA. En outre, l’étude indique que l’essor des activités agricoles sur l’aire urbanisée de Danané est aussi favorisé par des facteurs d’ordre naturel et humain.

Mots clés : Danané, aire urbanisée, agriculture urbaine, multi-utile

Abstract

Inherited from colonial times, urban agriculture has been expanding in Ivorian cities for decades. Much more than an ephemeral phenomenon, it is now an integral part of cities, despite the fact that no legal provision authorizes it. Its contribution to improving the living environment of city dwellers through its contribution to food and socio- economic development is at the root of its development in towns.

In Danané, a border town to the west of Côte d’Ivoire, urban agriculture also plays an important role in the daily lives of city dwellers. In the marshy areas as well as on the firm lands of the urbanized area, a fringe of the city’s population is involved on a daily basis in agricultural activity, which offers a multitude of benefits to the inhabitants as well as to the city. The present study is a contribution to a better understanding of the multiple services that urban agriculture provides to city dwellers and to the city of Danané. For our study, our working method is based on both quantitative and qualitative approaches.

To this end, our approach was based on a literature review and field surveys of 136 city-dwellers/farmers in different districts and structures involved in our subject. The results of our investigations reveal that urban agriculture is useful to the city, as it ensures relative food security for the 131,500 residents of Danané, with a varied range of crops. In economic terms, it is a significant source of income for producers. More than 50% have a monthly income equal to or higher than the Ivorian minimum wage of 75,000 FCFA. In addition, the study shows that the growth of agricultural activities in the Danané urban area is also favored by natural and human factors.

Keywords: Danané, urbanized area, urban agriculture, multi-utility

Introduction

En Côte d’Ivoire, comme dans bien d’autres pays africains, l’agriculture urbaine est pratiquée dans plusieurs villes bien qu’elle soit marginalisée des politiques d’aménagement urbain (S. A. Affou, 1998, p.1 ; V. Kra, 2019, p.344). Cette activité apporte des revenus et est un moyen d’approvisionnement pour une population citadine qui croit de plus en plus. Le taux d’urbanisation en Côte d’Ivoire est passé de 2,1 % en 1921 à 50,30 % en 2014 (INS, 2014) et pourrait atteindre le cap de 60 % en 2030 (estimations INS, 2021). A Danané, ville ivoirienne située à l’Ouest du pays, l’agriculture urbaine connait un essor du fait des facteurs naturels propices. Cette activité fait aujourd’hui partie intégrante de la ville et offre à ses habitants un apport alimentaire en produits diversifiés frais et des revenus non moins négligeables face à la rareté des emplois. La présente étude a pour objectif de contribuer à une meilleure compréhension des multiples services que procure l’agriculture urbaine aux citadins et à la ville de Danané. De façon spécifique, il s’agira d’indiquer d’abord les facteurs explicatifs de l’essor des pratiques agricoles dans l’aire urbanisée de Danané avant d’analyser la multi-utilité de l’agriculture pour les populations et la ville.

1.    Méthodologie

Les résultats présentés reposent en grande partie sur des enquêtes de terrain sur une période d’un trimestre (avril à juin 2023). Ces enquêtes ont d’abord commencé par une observation des sites agricoles afin de circonscrire notre espace d’étude et d’analyser l’attitude et les communications des citadins-agriculteurs. Ensuite, des entretiens ont été réalisés auprès des structures de recherche, d’encadrement des agriculteurs et de gestion de l’espace urbain, les responsables des producteurs, les chefs de quartier et de certains chefs coutumiers.

Avec les structures d’encadrement, à savoir l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER), le ministère en charge de l’agriculture et les responsables de producteurs, les entretiens ont aidé à connaitre les types de terre culturale, les types de cultures, les quartiers où l’activité est plus présente, le rôle des institutions gouvernementales et non gouvernementales dans l’agriculture urbaine. Concernant les structures de gestion de l’espace urbain, nous avons échangé avec la Direction technique de la mairie de Danané et la Direction régionale du ministère en charge de la construction et de l’urbanisme. Les échanges ont porté sur les méthodes de contrôle et les investigations menées pour le respect des normes urbanistiques. Le processus d’obtention des parcelles et l’impact de l’agriculture sur la gestion de la ville ont été aussi évoqués avec ces entités. Avec les chefs de quartier et les chefs coutumiers, les entretiens ont donné des informations sur le mode d’acquisition des terres culturales. Les différents entretiens qui ont permis de recueillir des informations auprès des différentes structures étaient non-structurés (entretiens libres axés sur notre sujet d’étude).

Par la suite, une enquête par questionnaire a été réalisée auprès de citadins-agriculteurs exerçant dans les zones ciblées, afin de cerner les raisons des pratiques agricoles mais aussi comprendre la multi-utilité de l’agriculture dans le quotidien des populations. Pour recueillir ces informations, nous avons adopté la méthode d’enquête « boule de neige » vu le caractère informel de l’agriculture urbaine, qui rend souvent difficile l’obtention de chiffres officiels, mais aussi l’irrégularité des temps de présence des producteurs sur les sites. Cette méthode d’enquête « boule de neige » qui consiste à diffuser un questionnaire à des personnes ayant les

caractéristiques que vous recherchez puis de leur demander d’indiquer d’autres personnes de profil similaire a permis d’enquêter 136 producteurs. Aussi dans l’impossibilité d’enquêter tous les quartiers, sept (07) quartiers ont été choisis (figure1). Le choix de ces quartiers repose sur l’ampleur de l’activité agricole, la localisation géographique, le poids démographique des producteurs sur les sites de culture et la nature des plantes cultivées.

Figure 1 : localisation des quartiers enquêtés

La figure 1 indique les 07 quartiers enquêtés dans le cadre de notre étude. Sur les parcelles agricoles de ces 07 quartiers, à des passages répétés, un questionnaire a été administré à 136 citadins agriculteurs répartis comme suit dans le tableau 1.

Tableau 1 : répartition des enquêtés par quartier

Quartiers enquêtésNombre de producteurs interrogés
Gningleu22
Fonctionnaire13
Blessaleu11
Lapleu17
Morrybadougou29
Dioulabougou20
Zokouaville24
Total136

Source : Nos enquêtes de terrain, 2022

Les échanges avec les producteurs ont porté sur l’identité des acteurs, les facteurs explicatifs de la pratiques agricoles et la typologie des cultures pratiquées et les revenus tirés des productions. Enfin les informations recueillies lors de nos différentes enquêtes de terrain ont subi un traitement quantitatif et qualitatif. Les logiciels Sphinx, QGIS 2.16, Adobe Illustrator CS 6, et les outils bureautiques (Word 2010 et Excel 2010) ont permis l’exploitation de ces données. Le logiciel Google Earth Pro a été utilisé pour traiter les phénomènes et calculer les superficies de certains sites étudiés.

2.    Résultats

2.1.   Agriculture urbaine à Danané : une activité propulsée par des facteurs d’ordre naturel et socioéconomique.

2.1.1.   Danané : un climat propice à l’activité agricole dans l’aire urbanisée

Zone de Texte: Précipitations (mm)Zone de Texte: Nombre de pluie/JourLe développement de toute activité agricole dans une région dépend fortement du climat de cette localité. Le climat de type guinéo-soudanien de la région, confère à la ville Danané deux saisons bien différenciées (CEDEAO, 2011, p. 51). L’une sèche (novembre à mars), avec des précipitations moyennes inférieures à 50 mm de pluie et l’autre pluvieuse (avril à octobre), marquée par une moyenne de 300 mm d’eau. La ville de Danané fait partie des régions les plus arrosées de la Côte d’Ivoire (figure 2) avec une température assez douce (figure 3).

Figure 2 : Répartition des précipitations moyennes et nombre de jours de pluies / mois entre 2000 et 2022

Zone de Texte: Température (°C)Source : Sodexam, 2022

Figure 3 : Température moyenne de Danané entre 2000 et 2022

Source : Sodexam, 2022

La figure 2 indique la moyenne de pluviométrie de Danané sur les vingt (20) dernières années. La localité de Danané est arrosée par une pluviométrie abondante. Les précipitations moyennes du mois le plus arrosé (septembre) avoisinent les 300 mm de pluies. Même pendant les mois de

saison sèche où certaines régions du pays ne reçoivent aucune pluie, Danané en reçoit. Pendant le mois de septembre, la région reçoit en moyenne environs 23 jours de pluie sur 30 soit 77% des jours de mois. Les températures de la localité sont aussi douces avec une moyenne autour de 25°C. L’hydrographie varie de 80 à 85% (Anader, 2017 et CEDEAO, 2011).

Ce climat presque généreux de la région est favorable à la pratique de l’agriculture urbaine à Danané. Les précipitations sur toute l’année favorisent la pratique de l’agriculture sur toutes les périodes de l’année. Les cultures moins exigeantes en eau sont pratiquées en saison sèche pendant que celles en forte besoin d’eau sont faites en saison plus humides. En dehors du facteur climatique, le développement de l’agriculture sur l’espace urbanisé est aussi dû à la présence de cours importants qui arrosent la ville. En effet, la localité de Danané est traversée par plusieurs cours d’eau dont les principaux sont le Cavally et le Nuon qui marque la frontière naturelle entre la Côte d’Ivoire et le Libéria. Ces cours d’eaux alimentent les zones marécageuses qui restent humide pratiquement toute l’année.

2.1.2.   Les nombreux bas-fonds de la ville de Danané: un atout pour l’agriculture urbaine

Le sol constitue un facteur très déterminant dans la pratique de l’agriculture. De par sa position, la localité de Danané se caractérise par un relief constitué de vallées, collines et buttes structurants du paysage. En effet, sur ce relief apparait une topographie marquée par la présence de nombreux bas-fonds profonds et convexes (P. Windmeijer et W. Andriesse. 1993, cité par A. Touré et al, 2005, p.221) qui serpentent presque toute la ville de Danané comme on peut le voir sur image aérienne 1 et figure 4.

Une image aérienne et une figure 4 indiquant l’ampleur des bas-fonds sur l’aire urbanisée de Danané

Ces nombreux bas-fonds de superficie estimée à plus de 200 hectares et de largeurs pouvant atteindre la centaine de mètre sont alimentés par une hydrographie assez dense. Les principaux cours d’eau qui arrosent Danané sont le Cavally et le Nuon. Ces cours d’eau marquent la frontière naturelle entre la Côte d’Ivoire et le Liberia. A Danané, les bas-fonds sont pratiquement humides toute l’année, favorable à la rotation des cultures (riz, maraichère). Toutes ces caractéristiques précitées des zones hydromophes de la région de Danané offrent de nombreuses opportunités dans le domaine de l’agriculture, surtout rizicole et maraichère (PNUD, 2020, p.35). En outre, ces endroits permettent de pratiquer le système de rotation de cultures.

2.2.  Rétrécissement du marché du travail urbain : un facteur important dans l’essor de l’agriculture urbaine à Danané.

L’économie de la localité de Danané repose aujourd’hui principalement sur l’activité agricole. En effet, selon l’INS 2014, plus de 3/5 de la population exerce une activité économique dont moins de 10% dans le secteur secondaire. D’ailleurs, les quelques industries et autres services de la région sont pour la très grande majorité dans la ville de Man (chef-lieu de région). Face au manque d’opportunité d’emploi dans un secteur industriel presqu’inexistant à Danané avec taux de pauvreté estimée à 60,6% (PND, 2015, p.27), l’agriculture urbaine se présente donc comme un filet social pour une frange de la population citadine homme comme femme. Les nombreux bas-fonds et autres zones vacants sont occupés par une diversité de cultures à cycle généralement court.

2.3.  L’agriculture urbaine, multi-utile à la ville de Danané

2.3.1.   Un apport alimentaire à travers une gamme variée de produits pour une population de plus en plus nombreuse

Zone de Texte: PopulationsSelon l’INS, l’Indice Synthétique de fécondité de la région de Danané est de 5,2. C’est-à-dire que le nombre moyen d’enfants que les femmes âgées de 15 à 49 ans auront au cours de leur vie est plus 5,2 enfants. En effet, au cours des 45 dernières années, Danané a connu une croissance démographique très soutenue et remarquée (figure 5).

Figure 5: évolution démographique de la ville de Danané de 1975 à 2021

Source : RGP, 1975, RGPH, 1988, 1998, 2014 et 2021

Nourrir plus de 131 000 habitants (INS, 2021) crée de forts besoins alimentaires en produits frais de qualité et de quantité. La pression de la demande est un défi de taille pour la production régionale entière, et particulièrement pour la production de proximité qui se doit d’assurer convenablement l’approvisionnement des marchés urbains (Koffi-Didia et al, 2016).

Un atout notable du contexte local réside de ce fait dans la diversité des produits cultivés sur l’espace urbanisé de Danané, ce qui offre la liberté aux citadins de choisir leurs aliments en fonction de leurs préférences. Dans la ville de Danané, les activités culturales la plus visible sont le couple riziculture/maraichère mais aussi les cultures tels que le manioc, le maïs comme on peut le voir sur la planche photo 1.

Planche photo 1 : la typologie des activités agricoles pratiquées dans la ville de Danané

1.a. La riziculture au quartier Zokouaville1.b. Culture maraichère au quartier Dioulabougou
1.c. Culture de maïs au quartier Lapleu1.d. Champ de manioc au quartier Fonctionnaire

Prise de vue : A. Konan et A. Dah, 2022

La planche photo 1 indique la gamme variée de cultures pratiquées dans la ville de Danané pour servir de complément (en plus les produits venus du milieu rural) à l’alimentation de la population citadine. Les enquêtes ont révélé que les nombreux bas-fonds de la ville et autres sites vacants sont exploités pour l’agriculture. Concernant les espaces hydromorphes de bas- fonds, ils servent à la culture du riz et au maraichage. En effet, autrefois consacré seulement à la riziculture du fait que certaines plantes (laitue, chou, feuilles d’oignons, etc..) n’étant pas encore ancrées dans l’habitude alimentaires des citadins, les riziculteurs pouvaient se permettre de laisser les bas-fonds en jachère quelques mois après la récolte du riz. Aujourd’hui, les bas- fonds sont exploités à la fois pour le riz et pour les cultures maraichères pendant les périodes de contre saison. Les légumes cultivés sont généralement des cultures à cycle courts. A Danané, 54% des agriculteurs-urbains enquêtés sont des riziculteurs mais cultivent aussi le maraîchage pendant une partie de l’année. Le riz local notamment le « riz Danané » constitue la nourriture de base des citadins de Danané. Ce riz local dont la promotion est faite aujourd’hui par les autorités est commercialisé dans plusieurs villes de la Côte d’Ivoire. Sur les terres fermes, 16% cultivent seulement du maraichage des légumes dits européens (chou, laitue, feuilles d’oignons, tomate, etc.) mais aussi les légumes dits africains (piment, gombo, aubergine, etc.). Les systèmes de rotation et association de culture sont pratiqués en fonctions des périodes de l’année. En outre, sur certains espaces vacants non encore mis en valeurs et les espaces à topographie difficile à aménager sont exploités par 30% des enquêtés pour les cultures vivrières ou cultures sèches (manioc, maïs, patate, haricot, gombo, etc.).

Les produits divers et variés issus des activités agricoles de l’aire urbanisée de Danané constituent pour beaucoup de foyers un atout en termes de denrée alimentaire.

2.3.2.   Agriculture urbaine à Danané : une source économique (revenu tiré) pour les citadins

La pratique agricole à Danané constitue une véritable source de revenus, un moyen de subsistance et une activité de création d’emplois pour une frange de la population de la ville. En l’absence d’opportunités d’emplois dans certains secteurs de l’économie (industrie, services) pour une région où le taux de pauvreté est autour de 61%, l’agriculture urbaine reste une activité clé pour bon nombre de familles citadines de Danané. L’agriculture urbaine constitue la première activité pour la majorité agriculteurs-urbains (figure 6).

Figure 6 : Proportion de la nature de l’agriculture urbaine pour les producteurs de Danané

Source : enquête de terrain, 2022

Zone de Texte: revenus des enquêtésLa majorité des citadins-agriculteurs enquêtés (62%) vit des activités agricoles dans la localité de Danané. Ce fort taux de citadins-agriculteurs est issu de l’exode rural. En effet, du fait de la pression foncière du milieu rural et espérant trouver un mieux-être en ville, ces personnes sont venues en ville. Mais, le manque d’emploi en ville, les a de nouveau contraints à pratiquer l’agriculture à Danané. Quant aux personnes ayant l’agriculture pour activité secondaire, il s’agit pour l’essentiel, des fonctionnaires d’Etat et des personnes exerçant dans le secteur informel. L’agriculture pratiquée permet d’arrondir les fins de mois selon les enquêtés. L’agriculture urbaine à Danané constitue une source de revenus pour les exploitants (figure 7).

Source : enquête de terrain, 2022

Figure 7 : Revenus mensuels tirés de l’agriculture urbaine à Danané

La figure 7 révèle la proportion des revenus mensuels (entre moins 75 000 F CFA à plus 250 000 F CFA) engrangé par les citadins-agriculteurs de la ville de Danané. Sur l’ensemble des 136 producteurs interrogés, 46% disent avoir moins 75 000 F CFA. Mais 16% affirment

percevoir entre 75 000 et 100 000 F CFA quand 13%, 10% et 8% d’entre eux engrangent

respectivement entre 100 000 et 150 000 F CFA, entre 150 000 et 200 000 F CFA et entre

200 000 et 250 000 F CFA. Des montants dépassant les 250 000 F CFA sont les revenus perçus par 7% des producteurs. On remarque ici que 54% des enquêtés ont des revenus compris entre 75 000 F CFA et plus de 250 000 F CFA. En Côte d’ivoire le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est passé de 60 000 F CFA à 750 000 F CFA (depuis janvier 2023). En effet, dans une ville comme Danané où le marché du travail urbain se fait rare et pour des activités agricoles dites informelles ne demandant pas un fort capital d’investissement, les revenus tirés sont acceptables pour les exploitants. Selon les producteurs, les revenus tirés servent à faire face aux nombreuses charges familiales et permettent d’améliorer les conditions de vie dans une société ivoirienne où la cherté de la vie est quasi constante. Par ailleurs, dans la ville de Danané, le maraîchage est la pratique agricole qui procure plus de revenu aux citadins. La raison est que les légumes sont pour la majorité commercialisée après la récolte. La part de consommation est faible parce que les légumes cultivés (laitue, chou, haricot vert, carotte, etc.) sont faiblement ancrés dans l’alimentation des habitants à majorité autochtone.

2.3.3.   L’agriculture urbaine : moyen d’assainissement pour la ville de Danané

L’agriculture urbaine est une alternative intéressante dans l’entretien de l’environnement urbain. Elle participe au maintien de la salubrité du cadre de vie. Dans la ville de Danané, les activités agricoles pratiquées sur l’aire urbanisée participent aussi à l’assainissement de l’environnement. En effet, les activités agricoles et la présence permanente des producteurs dissuadent fortement les populations environnantes des champs et certains collecteurs d’ordure véreux de pollution des espaces y en déposant les ordures ménagères. En outre, certaines cultures comme le manioc qui sait s’adapter à tous les types de sols (Anader, 2017, p.1), pratiqué sur les versants des pentes de la ville de Danané, permet de lutter contre les éboulements de terrain et l’érosion (planche photo 2). Par ailleurs, l’activité agricole dominée par les plantes vertes participe aussi à la photosynthèse et donne un peu plus de verdure à une ville de Danané où les jardins publics et espaces verts se font rares.

Planche photo 2 : l’agriculture pratiquée sur les versants au quartier Lekpéapleu

2.a. Site marqué de l’érosion dans le quartier Lapleu en 20212.b. Occupation du site par la culture de manioc pour lutter contre l’érosion à Lapleu en 2022

Prise de vue : A. Dah et A. Konan, 2021 et 2022

3.    Discussion

L’agriculture urbaine est beaucoup plus qu’un phénomène éphémère dans les villes surtout celles des pays en développement. On assiste à un nouvel équilibre entre ville et alimentation, un espace où se combinent vie urbaine et activité agricole (M. Martin-Moreau, 2019, p.3). Il est complexe aujourd’hui de voir une ville sans une présence d’activité agricole. Cette réalité se perçoit aussi dans la ville de Danané, à l’Ouest de la Côte d’Ivoire où l’agriculture est devenue une activité multi-utile pour les citadins et la ville. Si à Danané, l’agriculture persiste et se développe sur l’espace urbanisé, c’est bien à cause des facteurs naturels assez propices. Le climat notamment la pluviométrie et la température sont capitales dans l’activité agricole à Danané. Une bonne pluviométrie est synonyme de bon rendement. C’est ce qu’a montré aussi

F. J. Cabral (2012, p.73) dans son étude au Sénégal sur l’impact des aléas pluviométriques sur les activités agricoles. L’auteur atteste que les années de mauvaise pluviométrie se traduisent généralement par une baisse de productivité dans certaines régions du Sénégal. Sur cette approche, B. Sultan et al (2015, p.217), G.L. Djohy et al (2015, p. 192) dans le cadre de leur étude des impacts du changement climatique sur les rendements agricoles ont montré respectivement qu’il existe une relation forte entre pluviométrie et productivité du mil au Niger et dans la culture péri-urbaine du maïs au Benin. En dehors du facteur climatique, le sol hydromorphe composé de vastes et nombreux bas-fonds dont bénéficie la localité de Danané favorise l’agriculture dans la ville. La plupart des villes bénéficiant de bas-fonds suscite de l’engouement pour l’agriculture dans la mesure où ces espaces sont difficilement aménageables et offrent un cadre idéal pour l’agriculture. C’est ce que les études de P. et al, (2008, p.97) à Yaoundé (Cameroun), J.M Konan (2017, p.11) à Bouaké (Côte d’Ivoire), Nguegang Laurence Defrise et al (2019, p.264) à Antananarivo (Madagascar) ont aussi relevé sur l’apport des zones marécageuses dans l’essor des pratiques agricoles dans les villes.

Pour une population en perpétuelle croissance comme celle de Danané, l’agriculture urbaine constitue un apport alimentaire assez important. Les divers produits cultivés servent aussi à nourrir de nombreuse famille de la ville et ses environs en produits frais. Cette fonction alimentaire de l’agriculture urbaine se perçoit aussi dans plusieurs villes en Afrique et dans le monde. Les études menées par A.-M. Jouve et M. Padilla, (2007, p.315), P. A. Nguegang (2008, p.97), A-M Koffi-Didia et al (2016, p.36), l’AFD (2017, p.12) montrent à l’unanimité que l’agriculture pratiquée à l’intérieur des villes assure aux citadins et ceux qui la pratiquent des produits frais et diversifiés pour l’alimentation. La fonction alimentation constitue est primordial dans l’agriculture urbaine car elle joue un rôle important dans la sécurité alimentaire. Au-delà de sa fonction alimentaire, l’agriculture urbaine est une activité créatrice d’emplois mais surtout une source de revenus non négligeable pour une frange de la population citadine de Danané. Cette fonction, plusieurs auteurs comme C. Schilter, (1991, p.163), C. Aubry et J.Pourias (2013, p.146), A. Olahan (2010, 6p). A-M Koffi-Didia et al (2016, p.37), Centre d’Informations sur l’Agriculture Urbaine (RUAF, 2002), dans leurs différentes études sur l’aspect économique de l’agriculture urbaine à partir de plusieurs villes africaines en sont arrivés à la conclusion que l’agriculture urbaine procure des revenus à plusieurs acteurs (agriculteurs, transporteurs, commerçants). Les revenus tirés de l’agriculture urbaines sont pour la plupart orientés à subvenir aux besoins familiaux mais aussi injectés dans la production.

Au niveau environnemental, A-M Koffi-Didia et al (2016, p.37), A. Konan (2017, 302), Laurence Defrise et al (2019, p.272) nous rejoignent dans le fait que l’agriculture urbaine permet d’assainir l’environnement. En plus, la pratique des activités agricoles sur les terrains à la topographie tourmentée (collines, fortes pentes, etc.) évite les éboulements et les effets de l’érosion des sols dans les quartiers.

Conclusion

L’agriculture urbaine connait un essor depuis des décennies dans les villes ivoiriennes malgré sa marginalisation. Dans l’aire urbanisée de Danané, l’essor de l’activité agricole est favorisé par la générosité de la nature et des facteurs socioéconomiques. Elle est multi-utile à une population urbaine en constante évolution à travers une diversité de plantes qu’elle offre pour l’alimentation contribuant ainsi à la sécurité alimentaire. En plus, elle procure aux producteurs des revenus non négligeables et participe à l’assainissement de la ville.

En outre, vue la multi-utilité de l’agriculture urbaine pour les citadins et sa participation à l’amélioration des conditions de vie d’une frange de la population, il apparait nécessaire que les aménageurs urbains l’intègrent aux plans d’urbanisme afin d’offrir aux acteurs une sécurité foncière.

Références bibliographiques

AFD, 2017, L’alimentation des villes, Quels rôles des collectivités du Sud ? N°4, 56p. AFFOU Simplice Yapi, 1998, Agriculture intra-urbaine en Côte d’Ivoire : les cultures et les acteurs, Orstom, 16p.

Agence     Nationale     d’Appui     au     Développement     Rural     (ANADER),     2017, Fiche technicoéconomique du manioc, Direction d’Appui aux Filières Agricoles, 8 p.

AUBRY Christine et POURIAS Jeanne, 2013, « L’agriculture urbaine fait déjà partie du « métabolisme urbain », Demeter, pp.135-155

CABRAL François Joseph, 2012, « L’impact des aléas pluviométriques sur les disparités régionales de pauvreté au Sénégal », Revue d’économie du développement, Éditions De Boeck Supérieur, Vol. 20, pp. 69-95

Centre d’Informations sur l’Agriculture Urbaine (RUAF), 2002, Aspects économiques de l’agriculture urbaine, 84p, www.ruaf.org

DEFRISE Laurence, BURNOD Perrine, TONNEAU Jean Philippe, ANDRIAMANGA Valérie, 2019, « Disparition et permanence de l’agriculture urbaine à Antananarivo », L’Espace géographique (Tome 48), Éditions Belin, pp.263- 281

DJOHY Gildas Louis, EDJA Ange Honorat, NOUATIN Guy Sourou, 2015, « Variation climatique et production vivrière : la culture du maïs dans le système agricole péri-urbain de la commune de Parakou au Nord-Benin ». Afrique Science, 11 (6), pp.183-194.

JOUVE Anne-Marie et PADILLA Martine, 2007, « Les agricultures périurbaines méditerranéennes à l’épreuve de la multifonctionnalité : comment fournir aux villes une nourriture et des paysages de qualité ? » Synthèse Pression sur les ressources et développement durable, Cahiers Agricultures, vol. 16, n° 4, pp.311-317

KOFFI-DIDIA A Marthe, KONAN Attien Jean-Michel, GOLLY Anne Rose N’Dry, 2016,

« Une agriculture en sursis dans l’agglomération abidjanaise », Le Journal des Sciences Sociales, N° SPECIAL « Variations Subsaharienes », pp.35-46

KONAN Kouakou Attien Jean-Michel, Compétition entre bâti et agriculture dans la conquête des bas-fonds de la ville de Bouaké : le savoir-faire ou les actions stratégiques des citadins- agriculteurs pour préserver les espaces agricoles, VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 28, 17p

KRA Kouakou Valentin, 2019, « maraîchage intra-urbain à Abidjan et Bouaké (côte d’ivoire): entre économie spéculative et dimension socio-culturelle des acteurs », Revue N’Zassa 2, pp. 343-354

MARTIN-MOREAU Mathilde, DE JERPHANION Lorraine et MENASCE David, 2019,

Agriculture urbaine : nourrir les villes autrement, La revue de l’institut Veolia, 124p. NGUEGANG Prosper Asaa, 2008, L’agriculture urbaine et périurbaine à Yaoundé : analyse multifonctionnelle d’une activité montante en économie de survie, Thèse de doctorat en Sciences Agronomiques et Ingénierie Biologique, université libre de Bruxelles, 200 p.

NGUEGANG Prosper, PARROT Laurent., LEJOLY Jean., JOIRIS Daou Véronique, 2008, Mise en valeur des bas-fonds à Yaoundé : système de production, savoir-faire traditionnel et potentialités d’une agriculture urbaine et pérurbaine en développement, In : Parrot Laurent (ed.), Njoya Aboubakar (ed.), Temple Ludovic (ed.), Assogba-Komlan Françoise (ed.), Kahane Rémi (ed.), Ba Diao Maty (ed.), Havard Michel (ed.). Agricultures et développement urbain en Afrique subsaharienne : environnement et enjeux sanitaires. Paris : L’Harmattan, p. 97-108.

OLAHAN Abraham, 2010, Agriculture urbaine et stratégies de survie des ménages pauvres dans le complexe spatial du district d’Abidjan, revue en sciences de l’environnement, volume 10 numéro 2, 15p

SCHILTER Christine, 1991, « l’agriculture urbaine : une activité créatrice d’emplois, en économie de survie (Le cas de Lomé) », Cahier des Sciences Humaines, pp. 159-76

SULTAN Benjamin, ROUDIER Philippe, TRAORÉ Seydou, 2015, « Les impacts du changement climatique sur les rendements agricoles en Afrique de l’Ouest », In : Sultan Benjamin (ed.), Lalou Richard (ed.), Amadou Sanni M. (ed.), Oumarou A. (ed.), Soumaré M.A. (ed.). Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest, pp.209-225

Plus de publications