La gestion des ordures ménagères et leurs impacts sur l’environnement à Daloa (centre-ouest de la Côte d’Ivoire)

La gestion des ordures ménagères et leurs impacts sur l’environnement à Daloa (centre-ouest de la Côte d’Ivoire)

Résumé

À Daloa, la dynamique spatiale et démographique rime avec un déficit de services de gestion des ordures ménagères. Ce phénomène entraîne la prolifération des ordures ménagères qui ont des impacts sur l’environnement urbain. L’objectif de cette étude est d’analyser le système de gestion des ordures ménagères et ses conséquences sur l’environnement et la santé des populations. La recherche documentaire et l’enquête de terrain sont les deux techniques de collectes des données utilisées. L’analyse de ces données collectées révèle que la population de Daloa connaît une croissance régulière depuis 1921. La dynamique démographique a entraîné l’étalement spatial de la ville beaucoup plus anarchiques que planifiées ; ce qui rend difficile la collecte des ordures produites par les ménages. Le taux de collecte des ordures ménagères dans la ville est de 4%. La pré-collecte des ordures porte à porte, effectuée par les charretiers n’est pas pratiquée par tous les ménages, car le coût ( 1000 F CFA à 1500 F CFA par mois), est difficilement supportable pour la plupart des ménages. Cette raison économique suscite des pratiques alternatives qui se traduisent par la constitution de dépôts anarchiques (60%), l’enfouissement individuel (11,33%) et l’incinération artisanale des déchets (0,07%) occasionnant de nombreuses conséquences sur la santé des populations et le cadre de vie. Les maladies environnementales telles que le paludisme (65,47%), les infections respiratoires aigues (22,84%) et la diarrhée (8,69%) sont les plus répandues à Daloa.

Mots clés : Production, gestion, ordures ménagères, impact, environnement

Abstract

Household waste management and their impacts on the environment in daloa (central west of cote d’ivoire)

In Daloa, the spatial and demographic dynamics go hand in hand with a lack of household waste management services. This phenomenon leads to the proliferation of household waste which has an impact on the urban environment. The objective of this study is to analyze the household waste management system and its consequences on the environment and the health of populations. Documentary research and the field survey are the two data collection techniques used. Analysis of these collected data reveals that the population of Daloa has been growing steadily since 1921. Demographic dynamics have resulted in the spatial sprawl of the city much more anarchic than planned; which makes it difficult to collect the garbage produced by households. The rate of household garbage collection in the city is 4%. Door-to-door garbage pre-collection, carried out by carters, is not practiced by all households, because the cost (1000F CFA to 1500F CFA per month) is difficult to bear for most households. This economic reason gives rise to alternative practices which result in the constitution of anarchic deposits (60%), individual landfill (11.33%) and the traditional incineration of waste (0.07%) causing numerous consequences on the environment. population health and the living environment. Environmental diseases such as malaria (65.47%), acute respiratory infections (22.84%) and diarrhea (8.69%) are most prevalent in Daloa.

Keywords: Production, management, household waste, impact, environment

Introduction

Les grandes villes du sud voient souvent leur population progresser à des taux encore plus remarquables (5 à 6 % par an) au point qu’on a pu parler d’explosion urbaine (P. Beaud, S. Bourgeat et C. Bras, 2013, p. 532). Dans les villes en développement, le secteur des déchets est souvent relégué au second plan par les gouvernements et les usagers. Or, ce service est essentiel car il touche à de multiples dimensions : économique, sociale, sanitaire et environnemental (L. Brisoux et P. Elgorriaga, 2018, p.5).

La population de la ville de Daloa a connu une croissance démographique régulière depuis 1921 jusqu’à nos jours. En effet, de 2 811 habitants en 1921, elle atteint 266 324 habitants en 2014 (INS, 2014). Du fait de sa croissance démographique incessante, la production globale des ordures ménagères connaît mécaniquement une forte hausse chaque année. Ce faisant la production d’ordures ménagères est passée 17,5 tonnes en 1965 à 133,162 tonnes en 2014. Cette forte production des ordures ménagères met en difficulté les services techniques de la Mairie à assainir la ville. En effet, la quantité d’ordures ménagères collectée quotidiennement par la mairie est de 5 326,48 kg, soit 4% de la production totale (Enquête personnelle, 2021). Les ordures ménagères qui ne sont pas collectées, s’accumulent dans les rues. D’où l’insalubrité de la ville de Daloa qui a des impacts sur la population et l’environnement. Alors, quelles sont les conséquences de l’insuffisance de la collecte des ordures ménagères dans la ville de Daloa?

Cette étude a pour objectif principal d’analyser le système de gestion des ordures ménagères et ses conséquences sur l’environnement et la santé des populations. De façon spécifique, elle présente le mode de gestion des autorités municipales et des ménages en matière de gestion des déchets solides, analyse les conséquences néfastes de la gestion des déchets sur la population et le cadre de vie.

1. Présentation de la zone d’étude et les techniques de collecte des données

1.1 . Présentation de la zone d’étude

La ville de Daloa est située dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, entre 6°49’et 6°56’ de latitude nord et 6°23’et 6°30’ de longitude ouest. Chef-lieu de la région du Haut Sassandra, Daloa est située à 141 km de Yamoussoukro, la capitale politique et à 383 km d’Abidjan, la capitale économique. Le Département de Daloa est limité au nord par le Département de Vavoua, au sud par le Département d’Issia, à l’est par le Département de Zuénoula et Bouaflé et à l’ouest par le Département de Duékoué. La ville de Daloa est la troisième ville de la Côte d’Ivoire après Abidjan et Bouaké. Mais cette position est probablement en train de lui être disputée par la ville portuaire de San-Pedro et Korhogo. (Ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, p. 166). Daloa reste surtout la capitale de la première région agricole la plus productive du pays. En effet, la région du Centre-Ouest constitue la principale zone de production du café et du cacao au niveau national. Dans le département de Daloa en particulier, le couple café-cacao constitue la principale culture de rente. Loin derrière le café et le cacao vient le coton. Quant à la forêt, elle a perdu sa prédominance avec la déforestation de la région (Ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, p. 108).

Daloa est constituée d’un noyau urbain d’une quarantaine de quartiers entourée d’une zone suburbaine progressivement annexée (initialement « villages – quartiers ») (Figure 1).

Figure 1 : localisation de la zone d’étude

La population de la ville de Daloa, qui était de 2 811 habitants en 1921, a atteint 35 000 habitants en 1965 puis 163 575 en 1998. Daloa est la troisième ville du pays avec 266 324 habitants (INS, 2014). Le taux d’accroissement moyen annuel de 5,6% entre 1975 et 1998 a été de 3,4% entre 1988 et 1998. De 1998 à 2014, ce taux est de 3,09%. Les estimations prévoient 361 057 habitants en 2024 et 79 6537 habitants en 2050 (Ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, p. 166). L’augmentation de la population dans la ville rime avec la production quotidienne des ordures ménagères.

1.2. Techniques de collecte de données

Deux techniques de collecte des informations ont permis la réalisation de cette étude. Il s’agit de la recherche documentaire et l’enquête de terrain.

La recherche documentaire a consisté à consulter des documents en rapport avec le sujet et la zone d’étude. Ce sont des données démographiques issues des différents recensements Généraux de la Population et de l’Habitat (INS, 1975 : 1988 : 1998 : 2014) de Côte d’Ivoire, les données socioéconomiques, écologiques et biophysiques concernant la ville de Daloa. Les informations collectées ont permis d’avoir une idée précise du contexte général de la zone d’étude. Pour l’enquête de terrain, on a procédé à une observation directe sur le terrain, des entretiens et l’enquête par questionnaire auprès des chefs de ménage. L’observation nous a permis d’appréhender les contours des modes d’élimination et/ou de gestion des ordures ménagères produites par la population. Au cours des entretiens, nous avons abordé les principales questions relatives à la gestion des ordures ménagères, son impact sur l’environnement et sur la santé humaine. Nous avons organisé l’entretien auprès des structures impliquées directement ou indirectement dans la gestion des ordures ménagères notamment la Mairie, la Préfecture de ladite ville. À la Mairie et à la Préfecture de Daloa, les entretiens ont consisté à recueillir auprès des autorités, les informations relatives à la façon dont l’environnement est géré en matière de gestion des ordures ménagères et les difficultés qu’elles rencontrent. Les chefs de quartiers, les responsables des structures de pré-collecte des ordures ménagères ont également été interviewés. Pour l’enquête auprès de la population, sur 46 647 chefs de ménages à Daloa (INS, 2014) comme base de sondage, nous avons administré un questionnaire auprès de 150 ménages statistiques. La loi de Fisher a permis de calculer la taille de l’échantillon selon la formule suivante :

Avec : N1 = la taille de l’échantillon, t = le taux de confiance que l’on souhaite garantir sur la mesure (« à 90% »,’’valeur type de 1,65’’), p = la prévalence estimative de clients dans chaque strate et m = la marge d’erreur que l’on se donne pour la grandeur que l’on veut estimer (« marge d’erreur à 10% »,’’valeur type de 0,1’’). Le nombre de chefs de ménages à enquêter par quartier en fonction du type d’habitation a été déterminé par la règle de trois (tableau 1).

Tableau 1 : Répartition des chefs de ménages enquêtés par quartier par type d’habitat

Type d’habitatQuartiersEffectif des chefs de ménagesTaille de l’échantillon
 Haut standing Kirman,  Piscine,  Tazibouo-Ecole,  Tazibouo,  Tazibouo Université, Tazibouo Extension, Tazibouo 2, Eveché cité verte  3 61212
Moyen standingCommerce, Orly Extension, Orly5 37317
 Bas standingGbogbelé, Soleil 1, Soleil 2, Kennedy, Zone industrielle, Lobia Extension, Lobia, SUD C, Daloa Sud B (Abattoir II),  Sud  B  ,  Sud  D  ,  Mossidougou,  Marais,  Cissoko, Ouolof, Labia, Rossidou, Belle-ville, Gbeluliville, Baoulé, Segou,  Huberson,  Orly  Extension  2,  Orly  Extension  1, Aviation,  Sud A37662121
Ensemble46 647150
Source : INS, 2014

Au terme des enquêtes, toutes les données ont été traitées à l’aide de l’outil informatique grâce aux logiciels Epi-dada, Excel, Word et Arc Gis. Le logiciel Epi-dada a permis d’élaborer le masque de saisie ; les logiciels Word et Excel ont permis la saisie du texte et la réalisation des graphiques, tandis que le logiciel Arc Gis a servi à la confection des cartes.

2. Resultats

2.1 Etat des lieux de la gestion des ordures ménagères de la ville de Daloa

Cette partie présente le mode de gestion des autorités municipales et le rôle des pré-collecteurs en matière de gestion des déchets solides à Daloa.

2.1.1 La gestion des ordures ménagères, un défi pour les autorités municipales

Dans la ville de Daloa, divers mode d’évacuation des ordures ménagères sont observés. Il s’agit de la charrette, la collecte, le rejet dans la nature, l’incinération et l’enfouissement (tableau 2).

Tableau 2 : Mode d’évacuation des ordures ménagères par les ménages selon le type d’habitat

L’analyse du tableau 2 montre que le taux de collecte des ordures ménagères dans la ville est de 4%, soit 6 ménages sur 150 qui profitent de la collecte. Le service est plus aisé dans les quartiers de haut standing où l’accès est facile. Dans les quartiers résidentiels, les services de la Mairie profitent à 84% de la population. Dans les quartiers de haut standing, la collecte des ordures ménagères est effectuée à l’aide de poubelles individuelles en plastique posées devant chaque habitation et les services techniques de la Mairie se chargent de l’enlèvement par « porte à porte ». L’action de la Mairie reste incontestablement très réduite dans les quartiers évolutifs d’accès difficiles, avec 16% des ménages qui a accès à la collecte. Dans les quartiers populaires, où l’on rencontre de très fortes densités de populations, les bennes sillonnent uniquement les grands axes de circulation. Dans une sorte d’accord tacite, les camions à l’approche de la ruelle, avertissent de leur passage par des klaxons. De part et d’autre des voies perpendiculaires, sortent femmes, domestiques de maison et/ou enfants avec leurs poubelles ou récipients. La situation est tout autre pour les quartiers périphériques illégaux ou spontanés. Ce sont des quartiers sont sans trame urbaine, sans routes carrossables. Ces quartiers présentent par conséquent de très faibles possibilités d’accès pour les véhicules de collecte officiels. Les quartiers spontanés restent les plus défavorisés dans la collecte des déchets (0%).

Le volume total de déchets produits par jour est de 133 132 kg, mais c’est seulement 5326,48 kg qui sont évacués journellement soit 159 794,4 kg par mois.

Le matériel affecté au ramassage des ordures ménagères par la Mairie est composé de : 7 camions bennes (dont 2 en panne), 2 camions porte-coffres (6 m3 par camion), 11 coffres à ordures, 1 camion de vidange, le petit matériel composé de 10 fourches et 20 brouettes. Le personnel affecté au ramassage des ordures ménagères est composé d’un chef de section, 11 chauffeurs, 24 éboueurs, 19 balayeurs et 22 gardiens.

2.1.2 Les pré-collecteurs dans la gestion des ordures ménagères

La pré-collecte des déchets au moyen de la charrette est un mode de récupération des ordures ménagères en plein essor dans la ville de Daloa. Elle se pratique à l’aide de moyens roulants à traction humaine en général. Elle consiste à la collecte porte-à-porte des déchets ménagers par des charretiers auprès des ménages à une fréquence moyenne, généralement de l’ordre de deux fois par semaine contre une taxe mensuelle. La taxe mensuelle est de 1000 F CFA à 1500 F CFA en fonction du standing de vie. La pré-collecte est réalisée à Daloa en Porte-à-Porte par une cinquantaine de charretiers (Photo 1).

Photo 1 : un charretier déversant les ordures ménagères collectées dans un point de rejets anarchiques au quartier Lobia

(Cliché,  ADAYE Kouassi Albert, 2021)

Ils recueillent les déchets des ménages et les transportent par charrette vers les 30 points de transit de la ville. Cette activité est fréquemment insalubre, souvent risquée. La charrette à traction humaine assure une forte part de l’enlèvement des ordures ménagères de Daloa. 25% des ménages recourent aux services des charretiers pour l’évacuation de leurs ordures ménagères à l’échelle urbaine. Ces charretiers interviennent dans les différents quartiers au côté des engins motorisés de la mairie. Le recours aux charretiers est essentiellement le fait des habitats résidentiels et évolutifs, avec respectivement 58% et 36% des ménages interrogés. Les ménages interrogés expliquent leur préférence pour le recours aux pré-collecteurs par l’irrégularité des services offerts par la société de collecte et le manque de postes officiels de dépôts des ordures ménagères dans la ville de Daloa . Quant aux quartiers précaires la proportion d’abonnés aux charretiers est relativement faible, soit 6% des ménages interrogés. Plusieurs raisons expliquent la prédominance des ordures ménagères dans les zones précaires. En effet, 48% des ménages interrogés évoquent le coût élevé des initiatives privées, contre 52% qui ignorent leur existence. Ces dernières années, on observe l’émergence d’une forme de moyen de transport des Déchets Solides Ménagers à Daloa assurant la pré-collecte des déchets solides : le tricycle.

Photo 2 : Une vue d’un tricycle pré-collecteur au quartier commerce à Daloa

Cliché,  KOUADIO Konan Célestin, 2021

2.2 L’élimination des déchets

2.2.1 La décharge municipale : un dépotoir anarchique

Située à huit kilomètres du centre-ville, la décharge municipale est un dépotoir anarchique qui n’a bénéficié d’aucun aménagement. Elle est située au quartier Abattoir II. C’est une décharge, en pleine agglomération, mais d’accès difficile. La voie d’accès à la décharge n’est pas bitumée. Installée au départ sur une marge urbaine peu attrayante (promontoire granitique) et éloignée du centre urbain, la décharge d’abattoir II a été rattrapée par les établissements humains. La clôture de la décharge se confond aujourd’hui avec les habitations environnantes. Pendant la saison sèche, les déchets de cette décharge sont incinérés par les populations vivant à proximité (photo 3).

Photo 3 : Incinération des déchets par les riverains à la décharge d’Abattoir II

Cliché,  BAKARY Nambahigué Mathieu, 2021

La mise en décharge permet certes de se débarrasser des ordures et donne l’impression d’une certaine sécurité aux populations qui cohabitent avec les déchets. Mais la prolifération des animaux et la pollution atmosphérique (par les gaz à effet de serre) issue de la décharge constituent des risques sanitaires pour les riverains.

2.2.2 Une prolifération de points de rejets anarchiques d’ordures ménagères dans la ville de Daloa

60% des ménages de la ville de Daloa se débarrassent de leurs ordures dans les dépôtoirs anarchiques. C’est la faiblesse ou l’inexistence d’une collecte officielle qui pousse les populations à se rabattre sur les points de rejet dits anarchiques. Les depotoirs anarchiques sont généralement : les devantures des établissements scolaires (primaires), les proximités des marchés, l’intérieur des maisons non achevées, les fosses, les caniveaux, les terrains vagues, les vieilles bâtisses destinées à l’abandon etc. L’observation sur le terrain a permis de recenser 90 dépôts anarchiques d’ordures ménagères (figure 2).

Figure 2 : localisation des dépôts anarchiques de la ville de Daloa

En ce qui concerne la répartition des dépôts non contrôlés dans la ville de Daloa, 25 sont concentrés dans les quartiers résidentiels, soit un taux de 28%. Les quartiers évolutifs enregistrent 50 dépôts anarchiques, soit un taux de 55%. Les zones précaires concentrent 17% points de dépôts anarchiques. La méthode d’enfouissement occupe 0,6% des ménages enquêtés. Les ordures produites sont jetées dans un trou creusé dans la concession. Au bout d’un certain temps, elles sont recouvertes de terre. L’incinération est en général observée dans tous les quartiers de Daloa, où elle est généralement pratiquée en alternance avec l’enfouissement et le rejet dans des dépôts anarchiques. 11,33% des habitants reconnaissent avoir recours au moins une fois par an à cette pratique. L’incinération à ciel ouvert des déchets est justifiée par la nécessité pour des habitants ne bénéficiant pas de collecte, de réduire par leurs propres méthodes les monticules de déchets qui enlaidissent leur cadre de vie. Elle est également destinée, à prévenir les risques de présence des rongeurs et autres animaux nuisibles dont les rats, attirés par les matières organiques, mais aussi à limiter les nuisances olfactives induites par les déchets putrescibles. La fréquence d’inflammation des déchets est parfois hebdomadaire ce qui fait en sorte que les décharges gardent en permanence des fumées, inhalées au quotidien par les enfants qui y jouent, les commerçants qui ont des activités dans les environs et les habitants. Les objets en plastique d’acétylène, de plus en plus utilisés produisent des fumées très noires et des odeurs nauséabondes et toxiques.

2.3 Les conséquences néfastes de la gestion des ordures ménagères sur la population et le cadre de vie

2.3.1 Les risques sanitaires liés aux dépôts sauvages

Les dépôts sauvages constituent une menace omniprésente pour la santé des populations. Des tas d’ordures sont accumulés dans la ville, jonchant les rues, les places publiques et les terrains vagues. Aucun quartier n’est épargné.Tous offrent le même décor désolant de poubelles pleines et de rues envahies d’ordures. Cette situation représente un réel danger pour la population. La fréquence des déclarations des enquêtés suivant le type de pathologies est représentée sur la figure 3.

Figure 3 : Les maladies déclarées par les enquêtés en fonction de leurs proportions

Source :  Enquêtes de terrain, décembre, 2020

L’étude a révélé que 65,47% des enquêtés ont déclaré qu’ils contractent régulièrement le paludisme. Il a été observé également que 22,84% des populations enquêtées ont signalé des infections respiratoires imputables aux mauvaises odeurs et à la pollution de l’air. La diarrhée a constitué 8,69% des maladies déclarées par les ménages enquêtés. Quant aux autres maladies, ils concernent 3% des enquêtés interrogés. En effet, abandonnées à elles-mêmes les ordures ménagères sont le siège d’une fermentation d’autant plus rapide que le climat est chaud et humide. Avec cette fermentation, ces déchets contiennent une quantité considérable de germes pathogènes. Ce risque est aggravé par le fait que souvent les déchets sont mélangés à des matières fécales. C’est la prolifération des mouches, moustiques et des rats dans ces points anarchiques qui connstituent le gros facteur de risques pour les populations. Ces animaux et insectes pésentent un pouvoir élevé de propagation et de dispersion des facteurs de contamination. Attirés par les restes de déchets alimentaires, rongeurs et autres nuisibles s’introduisent dans les habitations, bâtiments ou locaux commerciaux, notamment ceux implantés à proximité des dépôts anarchiques. Ces rongeurs restent les principaux vecteurs de maladies. Les ordures ménagères qui comportent beaucoup d’éléments organiques, présentent la particularité de dégager des odeurs assez fortes à l’air libre ; elles subissent en permanence une fermentartion dite aérobie. Ces déchets font l’objet d’une transformation de certaines de leurs substances organiques, sous l’action d’enzymes secrétées par les micro-organismes. Les odeurs nauséabondes sont dues à la décomposition et à la putréfaction des matières organiques qui libèrent du gaz méthane, même principe qui caractérise les gaz des matières fécales. Une autre techcnique populaire utilisée est l’incinération sauvage. La pratique de l’incinération artisanale entend résorber le volume des déchets. Mais en réalité, elle est davantage destinée à prévenir les risques de présence des rongeurs et autres animaux nuisibles dont les souris, attirés par les matières organiques, mais aussi à limiter les nuisances olfactives induites par les déchets putrescibles. Aussi, même en l’absence de réels risques d’incendie, c’est cette combustion du PolyChlorure de Vinyle (PVC), caoutchouc et autres matières plastiques qui est susceptible de causer d’énormes désagréments notamment chez les populations vivant aux alentours des dépôts sauvages du fait d’un dégagement de gaz nocifs.

2.3.2 Les risques environnementaux liés à la décharge

Un risque environnemental majeur provient de la décharge. C’est un lieu de stockage des déchets, mais il n’existe pas de mesures de récupération des biogaz qui émanent des déchets. Les habitations qui bordent la décharge en subissent directement les conséquences (Photo 4).

Photo 4: Habitations contiguës à la décharge menacées par le biogaz

Cliché : KOUADIO Konan Célestin, 2021

Les lixiviats, c’est à dire le jus qui suinte des déchets, s’infiltrent sous les ordures car le sol de la décharge n’est pas imperméable (Photo 5). Le lixiviat produit par ces déchets ruissellent vers les eaux de suface ou s’infiltrent vers la nappe phréatique. L’eau de la nappe, suspectée d’être polluée, notamment par les jus de la décharge, est pourtant encore largement consommée. Les ménages voisins de la décharge ont déclaré être victimes de pahologies (parasitoses, dysentéries, dermatoses, diarrhées etc), liées à la consommation directe de l’eau de puits des périmètres de la décharge. Les résidents les moins démunis disposent d’un robinet inividuel. Pour les plus pauvres, l’unique alternative est de consommer l’eau de puits. Ces populations sont les plus touchées par les pathologies (parasitose, dysentéries,dermatoses, diarrhées) liées à la consommation directe de l’eau de puits. Aussi les véhicules de transport des déchets, venant vider leurs chargements empruntent l’axe habité menant à la décharge. Les incessants passages des véhicules occasionnent des accidents et sont source de bruits. Au-delà de ces nuisances, les désagrements olfactifs, liés au fonctionement actuel de la décharge sont aussi préoccupants : les vents ramènent les odeurs vers les établissements humains. Ces effets touchent aussi des quartiers éloignés de plusieurs kilomètres. Les riverains de la décharge qui subissent les désagréments liés à son fonctionnement, semblent avec le temps, s’être résignés ; avec fatalisme, ils s’accomodent des odeurs fétides que dégagent ces accumulations d’immondices.

Photo 5 : Une vue du lixiviat produit à la décharge d’Abattoir II

Cliché : KOUADIO Konan Célestin, 2021

3. Discussion

Du fait de sa croissance démographique incessante, la production globale de déchets connaît mécaniquement une forte hausse chaque année dans la ville de Daloa. Cette situation s’observe également à Abidjan. En effet, depuis les années 1960, la ville d’Abidjan connaît également une importante croissance de sa population avec pour conséquence, l’augmentation de la production des ordures ménagères. Alors qu’en 2015 la production de déchets était environ de 1 490 000 tonnes à Abidjan, elle s’élève en 2018 à 1 650 000 tonnes, soit une hausse de 9,4% sur la période (L. BRISOUX, P. ELGORRIAGA, 2018, p. 8). A l’image de Daloa et d’Abidjan, l’Afrique toute entière connaît une urbanisation rapide, processus nourri par une croissance démographique élevée. Cette croissance du nombre d’habitants a aussi pour corollaire la production de quantités très importantes d’ordures ménagères (H. M. OBE, N. A. BROU, 2019, p. 2).

La quantité d’ordures ménagères collectée quotidiennement par la Mairie de Daloa est de 5 326,48 kg soit 4% de la production totale ; Comparativement à Abidjan, la quantité collectée est plus élevée. Elle est de 1380 tonnes par jour soit 60% de la production journalière (Ministère de l’Environnement, 2010, p. 96). Abordant toujours dans le même sens, la Plate-forme africaine des villes propres (2019, p.8) soutient que la collecte des déchets n’est pas suffisamment mise en œuvre dans la plupart des villes africaines. Pour elle, d’une manière générale, le taux de collecte est plus élevé dans les pays à revenu élevé et plus faible dans les pays à revenu faible. Alors que le taux de collecte des déchets est d’au moins 90% en Amérique du Nord, il ne serait que de 44% en Afrique subsaharienne. D’après les données obtenues pour 11 villes, les taux de collecte vont de 14 à 100%, avec une moyenne de 52%.

La prolifération de points de rejets anarchiques constitue des risques environnementaux et sanitaires importants dans la ville de Daloa. Les déchets non ramassés sont à l’origine de la propagation des agents vecteurs de maladies tels que le paludisme, les infections respiratoires aigues, les maladies diarrhéiques dans la ville. D’après les statistiques du Ministère de la Santé (de 1994 à 2001), l’exemple de la ville d’Abidjan illustre parfaitement cette situation : le paludisme qui présente une expansion alarmante : de 93 422 cas en 1994 à 273 544 cas en 1996 puis 282 016 cas en 2000 ; les infections respiratoires aigues (IRA) qui sont passées de 43 991 cas en 1994 à 127 377 cas en 1996. Les diarrhées connaissent également une évolution importante, en passant de 16 797 cas en 1994 à 45 385 cas en 1996 (Ministère d’Etat, Ministère du plan et du développement, 2006, p. 88). Nous notons également, qu’au cours de l’année 2014, le paludisme, les infections respiratoires et la diarrhée ont constitué les principales pathologies enregistrées dans la ville de Daloa. Le paludisme a constitué la première cause de consultation des malades surtout des enfants de moins de cinq ans. Le total des cas de paludisme enregistré était de 7748 cas pour un effectif total de 12 092 cas de pathologies. Les infections respiratoires aigues (IRA) ont été la seconde maladie diagnostiquée chez les patients avec un total de 2 402 cas, soit 19,9% de l’effectif total. Le nombre de cas de diarrhée était de 842. (P.TUO, M. COULIBALY, D. A. AWOMON, A.TAMBOURA, 2016, p.14). Ces résultats sont conformes à nos travaux.

La décharge municipale de Daloa est une décharge anarchique et elle ressemble à celle de la plupart des villes de l’intérieur. En effet, dans les villes de l’intérieur, les décharges sont à peine aménagés et ne font pas l’objet de reconnaissances méthodiques (plan détaillé du site, hydrologie, hydrogéologie, géotechnique, étude d’impact environnemental) (Ministère de l’Environnement, 2010, p. 96). S’agissant des déchets solides, leur gestion au Nigeria n’est pas efficiente et présente le même tableau que la ville de Daloa, car il n’y existe aucune norme ni règle pour les décharges. Celles dites contrôlées introduites à Lagos et Onitsha il y a plus de 20 ans ne sont pas en exploitation (ONU- Habitat, 2014, p.127). Cependant, (K. A. N. TOPANOU, 2012, p.24) rapporte que dans les pays industrialisés, grâce à des législation et normes rigoureuses, les décharges se sont transformées progressivement en centre de stockage des déchets permettant d’éviter une pollution, contrairement aux pays en voie de développement où la prolifération de décharges sauvages et non contrôlées est devenue une réelle menace pour la santé des populations et l’environnement. Il soutient également qu’en Afrique, la grande majorité des décharges sont des décharges sauvages comme le cas de la ville de Daloa. Ces mêmes résultaats sont confirmés par les travaux de Lamchouri qui montre les impacts négatifs de la décharge publique de la ville de Taza (Maroc), sur la santé du personnel de la décharge, des chiffonniers et leurs familles installées près du dépotoir (H. M. OBE, N. A. BROU, 2019, p. 8).

Conclusion

La population de la ville de Daloa a connu une évolution régulière depuis 1921. Du fait de sa croissance démographique incessante, la production globale de déchets connaît mécaniquement une forte hausse chaque année. Le taux de collecte des ordures ménagères dans la ville est de 4%. Le service est plus aisé dans les quartiers de haut standing où l’accès est facile. Dans les quartiers résidentiels, les services de la Mairie profitent à 84% des ménages. L’action de la Mairie reste très réduite dans les quartiers évolutifs d’accès difficile, avec 16% des ménages. D’où, la prolifération des dépotoirs sauvages d’ordures ménagères dans ces zones contribuant à polluer le cadre de vie. La prolifération de points de rejets anarchiques constitue des risques environnementaux et sanitaires importants. Les déchets non collectés sont  à  l’origine de la  propagation des  agents  vecteurs de maladies tels que le paludisme (65,47%), les Infections Respiratoires Aigues (22,84%) et la diarrhée (8,69%). Pour atténuer les impacts multiformes de la gestion des ordures ménagères à Daloa, nous proposons le reprofilage régulier des voies d’accès dans tous les quartiers pour faciliter la collecte des ordures ménagères et leur transport vers la décharge. Il serait opportun également d’installer des bacs à ordures, sur les sites des dépôts anarchiques des déchets solides. Enfin, les autorités locales se doivent de sensibiliser les populations de la ville de Daloa, à travers les radios locales et des affiches d’information à dévelloper des comportements éco-citoyens. Il est souhaitable de proposer un site pour une nouvelle décharge répondant aux normes techniques, environnementales et urbanistiques pour le bien-être des populations de Daloa.

Références bibliographiques

  • BEAUD Pascal, BOURGEAT Serge, BRAS Catherine, 2018. Dictionnaire de géographie. HATIER, Paris, août 2013, 606 p.
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  • Institut National de la Statistique, 2014, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, résultats définitifs.
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  • OBE Michel Henri, BROU Ahossi Nicolas, 2019. Impacts de la décharge publique d’Akouédo sur le cadre de vie et la santé de la population riveraine, European ScientificJournal, URL:http://dx.doi.org/10.19044/esj.2019.v15n12, consulté le 25 mai 2021, 20 p.
  • Organisation des Nations Unies Habitat, 2014. L’état des villes africaines 2014 : Réinventer la transition urbaine, www.unhabitat.org, Consulté le 09 septembre 2020, 127 p.
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  • https://africancleancities.org/assets/data/JICA_databook_FR_web_20191224, consulté le 25 juin 2021, 148 p.
  • TOPANOU Nikita Attindékoun Kwési, 2012. Gestion des déchets solides ménagers dans la ville d’Abomey-Calavi (Bénin) : Caractérisation et essais de valorisation par compostage,Thèse, Université d’Abomey-Calavi, 175 p.
  • COULIBALY Moussa, TUO Péga., AKE-AWOMON Djaliah Florence, 2018, Ordures ménagères, eaux usées et santé de la population dans la ville de Daloa (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire), Revue Espace Territoires Sociétés et Santé (en ligne), Vol. 1, No. 1, Juin2018, IGT, Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, 19 p.
  • YAO Kouassi Ernest, 2019. « L’impact environnemental de l’intégration des villages périurbains Petit Zakoua, Sapia et Tagoura à la ville de Daloa », revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°3, 27 p.


Auteur(s)

Konan Célestin KOUADIO

Université Jean Lorougnon Guédé

kouaceles@gmail.com

Nambahigué Mathieu BAKARY

Université FélixHouphouët-Boigny

nambahiguebakas@yahoo.fr

Kouassi Albert ADAYE

Université Jean Lorougnon Guédé

adayekouassialbert@yahoo.fr

Droit d’auteur


EDUCI

Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150

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