Impact du changement climatique sur la culture de la canne à sucre et les stratégies d’adaptation des producteurs dans la cuvette de Doungou au Niger

Résumé

La présente étude traite de l’impact du changement climatique sur la culture de la canne à sucre dans la cuvette de Doungou dans le Département de Kantché en Région de Zinder. Les objectifs de cette étude consistent à analyser d’une part la répercussion du changement climatique sur la culture de la canne à sucre et d’autre part les stratégies d’adaptation développées par les producteurs. Les données ont été collectées à travers une approche méthodologique axée essentiellement sur les enquêtes qualitatives (les entretiens individuels), quantitatives (enquête individuelle par questionnaire). Les résultats révèlent que les paysans perçoivent clairement les changements climatiques. Ainsi, tous les enquêtés affirment que depuis les années 1980, la saison des pluies s’installe avec un retard d’un mois. Au nombre de ces paysans, 91,5% ont remarqué une augmentation globale des températures actuelles comparées à celles pendant la même période. Aussi, pour 91,33% des enquêtés, c’est en début de la saison hivernale et pendant la saison froide que l’activité éolienne devient de plus en plus intense. Une fréquence des inondations du site de la canne à sucre a été constatée par 75% des producteurs. Les variations de ces différents indicateurs climatiques ont entrainé la baisse de la production de la canne à sucre comme l’attestent 80% des producteurs, la réduction des superficies cultivables et la disparition de certaines variétés de la canne à sucre. Pour faire face à ce phénomène, les producteurs ont développé des stratégies d’adaptation telles que l’association de culture, l’irrigation de complément, le remblayage, la diguette et le buttage. Devant la persistance de la variabilité climatique, 82% des enquêtés ont abandonné la culture de la canne à sucre au profit de celles du poivron et de la pomme de terre.

Mots clés : Commune Rurale de Doungou, Canne à sucre, changement climatique, perception, stratégies d’adaptation

Abstract

Farmer perception of climate change and adaptation strategy on sugar cane cultivation in Doungou basin /Niger Republic

This study deals on the impact of climate change on the cultivation of sugar cane in the Doungou basin in the Department of Kantché in the Zinder region. The objectives of this study are to analyze on the one hand the impact of climate change on the cultivation of sugar cane and on the other hand the adaptation strategies developed by the producers. The data were collected through a methodological approach focused primarily on qualitative surveys (individual interviews), quantitative (individual questionnaire survey). The results show that farmers clearly perceive climate change. Thus, all those interviewed affirm that since the 1980s, the rainy season has set in with a delay of one month. Of these farmers, 91.5% noticed an overall increase in current temperatures compared to those during the same period. Also, for 91.33% of respondents, it is at the start of the winter season and during the cold season that wind activity becomes more and more intense. A frequency of flooding of the sugar cane site was observed by 75% of producers. The variations in these different climatic indicators have led to the drop in sugar cane production as attested by 80% of producers, the reduction in cultivable areas and the disappearance of certain varieties of sugar cane. To cope with this phenomenon, producers have developed adaptation strategies such as crop association, supplemental irrigation, backfill, bund and ridging. Faced with the persistence of climatic variability, 82% of respondents abandoned the cultivation of sugar cane in favor of peppers and potatoes.

Key words: Rural Ereas of Doungou, Sugar cane, Climate change, perception, strategies of adaptation

Introduction

Les changements climatiques constituent aujourd’hui une menace majeure pour le développement durable. Les communautés pauvres vivant dans la précarité sont les plus vulnérables du fait de leurs capacités d’adaptation limitées et de leur grande dépendance des ressources à forte sensibilité climatique (AMOUKOU, I, 2009). Selon GIEC (2007), l’Afrique est le continent le plus vulnérable face aux effets liés au changement climatique.

Face à cette situation et surtout pour lutter contre l’insécurité alimentaire, les pays d’Afrique subsaharienne ont développé les cultures irriguées qui s’imposent aujourd’hui comme une véritable réponse à la variabilité climatique (HAROU M., 2012). « De ce fait le développement de l’agriculture irriguée s’est imposé comme moyen indispensable en complément à l’agriculture pluviale pour la recherche de la sécurité alimentaire. Ainsi dans les années 1980, le gouvernement du Niger a fait de la mise en valeur des milieux humides, une question prioritaire dans la politique d’intervention pour atténuer les effets de la sécheresse de 1983-1984 » (MONCHALIN, 1992 in MAMAN, I., 2010).

En 1993, le gouvernement du Niger et la Banque Mondiale ont appuyé les agriculteurs pour la de l’irrigation privée sous la tutelle du Ministère du développement agricole (NYSSA, A., 2008).

Ensuite, à partir de 2011, le gouvernement a fait de la mise en valeur du milieu humide, une question prioritaire dans sa politique d’intervention à travers l’initiative 3N (les Nigériens Nourrissent les Nigériens). Les objectifs visent à atténuer conjointement les effets de l’insécurité alimentaire, ceux de la variabilité et des changements climatiques.

Ainsi, les populations de la Région de Zinder, ont aussi mis l’accent sur l’agriculture irriguée par la mise en valeur des milieux humides (bas-fonds, mares et cuvettes) qui sont à fortes potentialités agricoles (Conseil Régionale de Zinder, SRAT, 2014).

Située dans la région de Zinder (Carte 1), la cuvette de Doungou (département de Kanché) objet de cette étude est exploitée en culture maraichères. L’agriculture sous pluie, les cultures maraîchères et l’élevage constituent les principales activités des populations. Cependant, ces activités connaissent des problèmes liés aux aléas climatiques et à la pression démographique. Les terres agricoles sont soit morcelées soit insuffisantes pour supporter la forte croissance démographique (314 habitants/Km en 2012 pour une superficie de 124,29km). Les récoltes ne couvrent le besoin alimentaire du ménage que pendant à peine quatre mois. Ainsi, la zone d’étude regorge d’énormes ressources en eau constituées d’importantes eaux souterraines de la Korama dont le niveau statique de la nappe ne dépasse guère les 10 mètres, et les cuvettes parsemées tout au long de la Korama. Les cultures maraîchères sont constituées essentiellement de la production de la canne à sucre, qui procure d’importants revenus aux populations. Cette zone constitue un véritable bassin de la production de cette denrée, mais aujourd’hui, avec les effets de la variabilité climatique cette culture est durement affectée.

La présente étude porte sur «l’impact du changement climatique sur la culture de la canne à sucre et les stratégies d’adaptation des producteurs dans la cuvette de Doungou au Niger». Il s’agit, à ce niveau, d’apporter une réponse à l’interrogation suivante : comment les producteurs de la canne à sucre perçoivent et vivent le changement climatique ? Ce travail se construit autour de l’hypothèse suivante : les exploitants perçoivent la variabilité climatique à travers les facteurs climatiques et leurs conséquences sur la culture de la canne à sucre.

Carte n°1 : Présentation de la Commune Rurale de Doungou

1. Méthodologie

Pour réaliser cette étude, deux outils ont été essentiellement utilisés. Il s’agit principalement d’un questionnaire individuel (enquête quantitative) et d’un guide d’entretien (enquête qualitative). Le questionnaire est adressé aux exploitants de la canne à sucre tandis que le guide d’entretien est destiné aux autorités coutumières, aux élus locaux et aux services techniques de l’Etat. Ainsi, la collecte des données s’est déroulée en deux phases. La première phase a été consacrée aux entretiens avec des personnes ressources. Cette étape s’est déroulée auprès des autorités coutumières, des élus locaux, des responsables des services techniques, des organisations paysannes et des personnes très âgées dans la production de la canne à sucre. Elle a permis d’obtenir des informations d’ordre général sur le changement climatique et l’activité cannière.

La deuxième étape, quant à elle, a été consacrée à la collecte des données quantitatives. L’échantillon enquêté est constitué de 200 exploitants dont l’âge varie de 25 à 70 ans avec une proportion (47%) des personnes âgées (65 à 70 ans). Ces enquêtés ont été choisis aléatoirement dans trois villages à forte production de canne à sucre. Il s’agit de Doungou Haoussa (80 exploitants), Kabori (60 exploitants) et Garin Gao (60 exploitants). Ces données portent sur la perception paysanne de la variabilité interannuelle des paramètres climatiques (températures et précipitations) dans la zone d’étude. Ces données concernent de façon générale les systèmes de production de la canne à sucre, les différentes variétés cultivées, les rendements, ainsi que l’impact de la variation du climat sur la culture de la canne à sucre. Cette étape s’achève par la prise en compte des différentes stratégies d’adaptation mises en œuvre par les producteurs locaux dans ce contexte changement climatique. Les données quantitatives ont été dépouillées et analysées avec le logiciel Sphinx Plus V5. Ces enquêtes ont été soutenues par une documentation sur la mise en valeur des cuvettes dans les pays sahélo-sahariens.

2. Perception paysanne du changement climatique

2.1. Perception paysanne sur la variation de la pluviométrie

Dans la zone d’etude,la totalité des enquêtés affirment que ces dernières décenies ( 1990, 2000, 2010), la saison de pluie s’installe en retard ( mois de juillet). En effet, pour 20,7% des personnes interviewées, ce retard est dû à une sanction divine sur la population. Par contre 46,6% attribuent ce retard à la nutation de la mère nature dont la traduction locale est « juyin locaci » ou « canjin yanayi ». Quand la saison des pluies s’installe, elle ne dure au maximum que trois(3) mois (juillet, août, septembre) et la quantité des pluies tombées varie fortement d’une année à une autre. Selon 90,7% des enquêtés, la saison de pluie est aussi perturbée par des séquences sèches de plus de 10 jours. Selon tous les interviewés, cette phase sèche intervient le plus souvent en plein milieu de saison hivernale entrainant ainsi la baisse de la production agricole en général.

2.2. Perception paysanne sur la variation de la température

Par rapport aux manifestations des températures, la quasi-totalité (91,5%) des enquêtés disent avoir constaté une augmentation globale. Il fait très chaud. Selon 91, 7% des enquêtés, les saisons hivernales sont très chaudes ces dernières années, tandis que 66,7% disent que même la saison froide devient de plus en plus chaude.

2.3. Perception paysanne sur la fréquence du vent

Dans la Commune Rurale de Doungou, tous les producteurs de la canne à sucre affirment que c’est surtout en début de la saison des pluies (période de montaison de la canne à sucre) et pendant la saison sèche froide (période de la maturation) que l’activité éolienne est plus violente et intense ces dernières années (Photo 1). Ainsi, 91,33% des paysans interrogés sur l’intensité du vent affirment que pendant la saison des pluies, le vent cause en général plus des dommages sur la végétation, en particulier sur la canne à sucre qui fait la spécificité de la zone d’étude. Cette perception s’explique par le fait que pendant la saison pluvieuse, les vents forts proviennent du passage plus fréquent des phénomènes orageux.

Photo 1 : Action du vent sur les tiges de la canne à sucre

Cliché : I. Anass (2015).

2.4. Perception paysanne sur les inondations

Concernant la fréquence des inondations (Photo 2), 75% des exploitants enquêtés ont constaté une persistance des inondations du site de la canne à sucre à Doungou. Ainsi, 25% des populations enquêtées ont affirmé que les parcelles affectées par ces inondations fréquentes, sont de plus en plus grandes. La mémoire collective garde toujours les inondations exceptionnelles des années 1986, 2001 et 2018.

Photo n°2 : Parcelle de la canne à sucre inondée

Cliché : I. Anass (2015).

Selon un exploitant, ces inondations dues aux grandes pluies ces dernières années viennent dévaster la canne avant la phase de la maturation. Cette situation est aggravée par la remontée de la nappe phréatique pendant la saison froide appelée « baja » dans le langage local. Ce phénomène entraine le rabougrissement des jeunes plants de la canne ou le submergement des sites marécageux.

3. Impact du changement climatique sur la culture de la canne à sucre

3.1. Impact sur les ressources en eau.

 «Doungou’N Ruwan Dan Toka » autrement dit le village de Doungou a été jadis crée à la bordure d’un cours d’eau du nom de « Dan Toka » qui n’est rien d’autre que la vallée de la Korama. Dans années 1970, cette vallée avait un écoulement permanent et regorgeait aussi d’énorme quantité d’eau. Suite à la construction du barrage de Dan Bata au Nigeria, et surtout les effets combinés du changement climatique (variabilité des précipitations, fortes chaleurs, ensablement), la Korama est transformée en un cours d’eau temporaire. Cette vallée est réduite à une série de mares sur son parcours. Ce phénomène est aussi constaté par 81,7% des enquêtés qui témoignent que les ressources en eau sont insuffisantes pour l’activité de la canne à sucre car, la Korama est en train progressivement de perdre son potentiel en eau. Selon un vieil exploitant, il y’a trente ans, la culture de la canne à sucre ne nécessitait pas un arrosage du fait de la disponibilité de l’eau. Actuellement, on assiste au tarissement des puits traditionnels. Les exploitants utilisent désormais des forages pour atteindre le niveau de la nappe phréatique pouvant atteindre 10m de profondeur. Cette insuffisance des ressources en eau peut aussi s’expliquer par la disparition de certaines cuvettes par l’effet d’ensablement pourtant réputées pour la production de la canne à sucre. Aujourd’hui, cet espace est transformé en champs des cultures pluviales.

3.2. Impact sur la production

L’analyse de la courbe de l’évolution de la production annuelle de la canne à sucre (fig. 1) pour l’ensemble du département de Kantché montre une baisse récurrente de la production de la canne à sucre. En effet, cette dernière est beaucoup plus marquée au cours des périodes suivantes : 2005, 2010 et 2012. Ces trois périodes correspondent aux années où la pluviométrie a été très abondante. Les précipitations enregistrées au cours de ces années sont respectivement 597mm, 657mm et 622mm. Ces dernières sont largement supérieures à la moyenne soit 497mm. Au cours de ces trois périodes pluvieuses les sites de la production (à texture argilo-limoneuse hydromorphe) a connu des grandes inondations récurrentes avec pour conséquence d’énormes pertes des cultures de la canne à sucre par asphyxie sévère.

A partir de 2014, on constate également une légère hausse de la production de la canne à sucre. Celle-ci est due à une pluviométrie enregistrée de 502mm (non loin de la moyenne annuelle). Ce qui a permis ainsi à la canne à sucre de terminer son cycle végétatif sans stress hydrique ni inondation.

Figure 1: Evolution de la production annuelle en tonne de la canne à sucre de 2002 à 2014 (DDA/Matamèye, 2015)

Cette baisse récurrente de la production de la canne à sucre concorde bien avec les constats des populations. Selon les résultats des enquêtes, tous les exploitants ont constaté une baisse de la production de la canne à sucre liée aux risques climatiques (fig. 2). Ainsi, 56% de ces derniers attribuent d’abord cette baisse de production au démarrage tardif de la saison des pluies et à la fin précoce de cette dernière. En effet, à la montaison (Mai, Juin), période où la canne à sucre a plus besoin d’eau, la pluie s’arrête ce qui crée un déficit hydrique. Ce manque d’eau empêche la canne de croître. De plus, quand la pluie s’installe, elle prend fin généralement au cours de mois de septembre, période par excellence de la maturité de la canne à sucre. Cette perturbation du cycle végétatif de la canne à sucre liée au dérèglement de la saison de pluie conduit à la production de canne avec de petits pousses entre-nœuds et moins sucrée appelée « gounji » ou canne courte (photo 3). Ensuite 20% des exploitants expliquent qu’avec les grandes averses du mois d’août, les sites situés dans les bas-fonds sont submergés et dévastés. Ce qui oblige les paysans à une récolte précoce où à l’abandon total de leurs exploitations. Par contre 12% des exploitants associent cette baisse de la production à la baisse des précipitations.

Par ailleurs, certains exploitants (10%) attribuent la baisse de la production à la forte chaleur surtout du mois de Mai et Juin qui crée un déficit hydrique aux jeunes plants de la canne à sucre se trouvant surtout à la périphérie du jardin, où l’humidité du sol est très faible. Enfin, 2% seulement des exploitants affirment que la baisse de la production est liée aux vents violents de la saison froide qui cassent les tiges de la canne à sucre en pleine maturité.

Figure 2: Perception paysanne des causes de la baisse de la production de la canne à sucre

Photo n°3 : Taille de la canne à sucre  suite à l’arrêt précoce de pluie,

Cliché : I. Anass (2015).

3.3. Disparition de certaines variétés de la canne à sucre

Avant l’introduction de la canne violette, les exploitants cultivaient plusieurs variétés de canne à sucre au niveau local.  Il s’agit de:

  • « Farar Kara » ou canne de couleur blanchâtre : c’est la première espèce cultivée dans la commune. C’est une canne très sucrée mais beaucoup plus exigeante en eau et dont la morphologie (taille et diamètre) n’atteint pas celle de la canne violette,
  • « Farar Kara » ou canne de couleur blanchâtre : c’est la première espèce cultivée dans la commune. C’est une canne très sucrée mais beaucoup plus exigeante en eau et dont la morphologie (taille et diamètre) n’atteint pas celle de la canne violette,
  •    « Ya TAMBU » qui est une canne de même couleur que « kantoma » (violette) mais se distingue surtout par sa morphologie car son diamètre est trop petit, ne dépassant guère 3cm.

Avec le phénomène du changement climatique et ses corollaires en particulier la baisse de la nappe phréatique, ces trois différentes variétés locales de la canne à sucre ont disparu pour ne laisser que le « kantoma » ou canne violette qui est aujourd’hui la seule espèce cultivée dans la commune comme en témoignent 93,33% des exploitants.

Ceci s’explique par le fait que cette dernière est moins exigeante en eau que les autres variétés mais aussi pour des raisons économiques car « kantoma » est plus prisée sur le marché.

3.4. Abandon progressif de la culture de la canne à sucre

La canne à sucre est une culture qui ne supporte pas le manque ou l’excès d’eau. Les producteurs de la Commune Rurale de Doungou procèdent au remplacement de la canne à sucre par d’autres espèces qui s’adaptent au contexte actuel de la variabilité climatique. C’est ainsi que 82% des exploitants ont compris la nécessité de la remplacer avec d’autres spéculations moins exigeantes principalement le poivron (62%) et de la pomme de terre (20%).

  • Stratégies d’adaptation paysanne au changement climatique

Afin d’optimiser et de maintenir leur production à un niveau satisfaisant, les producteurs de la commune rurale de Doungou font recours à diverses stratégies d’adaptation. Ces dernières permettent de maintenir la production tout en minimisant les risques liés au phénomène climatique.

4.1. Association des cultures

Les paysans abandonnent progressivement la monoculture (15%) au profit de l’association de cultures (85%). Ainsi, dans la cuvette de Doungou, la canne à sucre est surtout cultivée en association avec la courge, de l’oignon et de la tomate qui sont des espèces répondant aux mêmes conditions climatiques et édaphiques que la canne à sucre. Les raisons évoquées par les exploitants sont l’économie non seulement du temps et de l’énergie mais aussi et surtout de faire une utilisation rationnelle de l’eau en évitant un double arrosage (arroser la canne, et arroser les plantes associées) en tenant compte de la fluctuation du débit des puits traditionnels. Elle permet aussi de minimiser le risque lié à la mauvaise récolte de la canne à sucre. Mais, l’association présente des limites dans la mesure où la canne à sucre ne peut se produire que sur un sol argilo-limoneux très humide(Tabo). Elle ne peut donc être associée avec n’importe quelle plante surtout celles qui se cultivent sur un sol léger comme le poivron et la pomme de terre, Les paysans optent le plus souvent pour ces deux spéculations qui génèrent beaucoup de revenus.

4.2. Irrigation de complément

La canne à sucre exige beaucoup plus d’humidité. Pour se faire, les producteurs procèdent à l’irrigation de complément qui consiste à augmenter la fréquence d’arrosage surtout pendant la saison sèche et chaude. Cette fréquence varie en fonction de l’humidité du site. C’est ainsi que dans les sites de Doungou Haoussa et de Garin Gao, fréquence est d’une fois tous les deux (2) jours. Cependant à Kabori où la nappe phréatique est affleurante, la fréquence est de deux (2) fois par semaine au maximum. Mais ces derniers temps, l’opération d’arrosage est perturbée par la baisse de débits des puits surtout pendant la période de forte chaleur.

4.3. Stratégies d’adaptation contre les inondations

Pour faire face aux inondations récurrentes liées aux averses ou à l’intensité des précipitations, les exploitants ont développé un certain nombre d’ouvrages au niveau local.

4.3.1. Remblayage

Appelé « Konkon » dans le langage local, le remblayage est une technique qui consiste à enlever du sable de l’amont de la vallée pour le mettre dans le bas-fond inondable (Photo 4). Cette technique se fait avant la plantation et présente un double avantage. Elle permet non seulement de récupérer les terres submergées du bas-fond, mais aussi de récupérer l’amont envahit par l’érosion éolienne et hydrique. Cependant, cette technique comporte le risque d’ensabler d’avantage le bas-fond à long terme et de compromettre cette activité.

Photo n°4 : Remblayage du bas-fond à Kabori

Cliché : I. Anass (2015)

4.3 .2. Diguette

C’est une petite digue en terre que les exploitants construisent afin d’éviter que les eaux (de pluie ou de la nappe phréatique) ne dévastent leurs cultures (Photo 5). La diguette est généralement construite juste après la plantation ou au cours du premier labour et ses dimensions varient selon la nature du site. Plus le site est inondable, plus la diguette et beaucoup plus grande et plus élevée.

Photo n°5 : Diguette à Doungou

Cliché : I. Anass (2015)

4.3.3. Buttage

Le buttage ou « Tougouhwa », est une technique qui consiste à surélever de la terre autour du pied de la canne à sucre dans le but de la protéger contre les inondations et l’action du vent (Photo 6). Contrairement au remblayage, le buttage s’effectue trois (3) à quatre (4) mois après la plantation plus précisément au cours de la période de montaison et avant l’installation de la saison hivernale. Avec l’intensité de la pluie, le buttage devient très compact, ce qui rend le sol très dur pour la prochaine mise en valeur.

Photo n°6 : Buttage à Kabori

Cliché : I. Anass (2015)

5. Discussion

Ces résultats sont en harmonie avec les conclusions de WAZIRI MATO M., et MALAM ABDOU K. (2012) qui constatent une alternance d’années humides et sèches pour la station de Magaria et qu’à partir de 1998, les années sont relativement humides donc on assiste à un retour aux conditions climatiques plus humides. Par contre, ABDOU BOKO B. (2014) et MALAM ABDOU M. S., (2014) ont fait ressortir une tendance des pluies en baisse à la station de Zinder mais elle n’est pas significative.

L’augmentation de la température dans la zone d’étude est confirmée par 91,5% des exploitants qui relatent qu’ils ont perçu une augmentation globale des températures actuelles, comparées à celles des trente dernières années. Ceci pourrait expliquer les résultats de GIEC (2007) qui prévoient une augmentation de la température de 1 à 1,5° à l’horizon 2025 pour le pays de l’Afrique subsaharienne. Pour la série des données des températures minimales, cette augmentation est de 0,72°C. Ceci corrobore les travaux de BATIONNON Y. D., (2009) qui parle d’une augmentation de la température mondiale de 0,73° en un siècle.

En ce qui concerne l’intensité du vent, 91,33% des paysans interrogés affirment que pendant la saison des pluies, le vent cause en général plus des dommages sur la végétation, en particulier sur la canne à sucre qui fait la spécificité de la zone d’étude. Cette perception s’explique par le fait que pendant la saison pluvieuse, les vents forts proviennent de la fréquence des phénomènes orageux. . Cette analyse concorde bien avec celle des exploitants du site des cultures irriguées de Wacha sur le régime des vents, qui fait ressortir deux périodes pendant l’année. Au cours de ces périodes, les vents se démarquent par leurs intensités et par les dégâts qu’ils engendrent sur le milieu naturel selon WAZIRI MATO M., et MALAM ABDOU K. (2012).

Par rapport aux impacts du changement climatique, nos résultats ont fait ressortir les principaux impacts suivants : la baisse de la nappe phréatique, la baisse de la production, la disparition de certaines variétés de la canne à sucre voire l’abandon progressif de l’activité cannière. La baisse de la production de la canne à sucre s’explique d’abord par le démarrage tardif et l’arrêt précoce de la saison des pluies qui vient perturber le cycle végétatif de la canne à sucre. Ensuite, dans certains sites notamment dans les bas-fonds, c’est surtout les grandes averses du mois d’août qui submergent et dévastent la plantation de la canne à sucre. Ces résultats sont similaires aux constats de WAZIRI MATO M., et MALAM ABDOU K. (2012) qui relatent que l’ensemble des exploitants enquêtés attestent que le phénomène de l’inondation frappe assez souvent la partie la plus fertile, donc l’auréole centrale du bas-fond. Dans certains cas, elle empêche carrément la mise en valeur de cet espace en raison des difficultés liées à la préparation des parcelles et de l’abondance de l’eau. Nos résultats se rapprochent également des travaux d’AMOUKOU I., (2009), qui montrent une augmentation de la fréquence des mauvaises récoltes car, poursuit-il, pour les paysans, « il n’y a que d’années déficitaires dans le terroir ».

Conclusion

La cuvette de Doungou est réputée dans la culture et la production de la canne à sucre dans la Région de Zinder. Ces dernières années le changement climatique et ses corollaires tendent à compromettre cette activité qui faisait la fierté de toute la population. Ainsi, l’ensemble de personnes enquêtées affirment que la saison des pluies s’installe en retard et quand elle s’installe elle ne dure qu’au maximum trois (3) mois (juillet, août, septembre) avec des quantités des pluies variables d’une année à une autre. L’analyse de la production annuelle en tonne de la canne à sucre de 2004 à 2014 pour l’ensemble du Département de Kantché, montre une baisse récurrente de la production de la canne à sucre qui est beaucoup plus marquée au cours des années 2005, 2010 et 2012. En effet, les enquêtés attribuent d’abord cette baisse de production au dérèglement de la saison des pluies. Cette perturbation du cycle végétatif de la canne à sucre liée au dérèglement de la saison des pluies conduit à la production de canne avec de petites pousses entre-nœuds et moins sucrée appelée « gounji » ou canne courte. Les évènements extrêmes à savoir l’inondation, les vents violents et la forte chaleur obligent les paysans à une récolte précoce où à l’abandon total de leurs exploitations.

Afin d’optimiser et maintenir la production à un niveau satisfaisant dans un contexte de variabilité climatique, les producteurs locaux ont développé diverses stratégies d’adaptation à savoir l’association des cultures, l’irrigation de complément, le remblayage, la diguette et le buttage. La variation de la pluviométrie et de la température a entrainé la disparition de trois (3) variétés de la canne à sucre : « Farar Kara » ou canne de couleur blanchâtre, « Kara » ou canne de couleur verte et « Ya Tambu » qui est une canne de même couleur que la canne violette mais dont le diamètre est inférieure à celui de cette dernière. Aujourd’hui, « Kantoma » ou canne violette demeure la seule espèce cultivée sur le site. Actuellement, on assiste progressivement à l’abandon de l’exploitation de la canne à sucre au profit des cultures du poivron et de la pomme de terre.

Références bibliographiques

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  • ADAMOU Maman (2014), « Apport de la culture de la canne à sucre à l’amélioration des conditions socio-économiques des populations du village de Jambirgi (Commune rurale de Gouchi, département de Dungass », Mémoire de Master de Géographie, Université AbdouMoumouni de Niamey, p.54
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  • HAROU Moussa (2012), Impact des cultures de contre saison sur la sécurité alimentaire des ménages : Cas des villages de Doungou et Garin Gao dans la commune rurale de Doungou,Mémoire de Maîtrise de Géographie, Université Abdou Moumouni de Niamey, p.70 MALAM ABDOU KARAMI Mahaman Salissou (2014), Analyse de la résilience des écosystèmes des zones humides et de leurs exploitants face aux changements climatiques au Niger : cas de la cuvette de Guidimouni (région de Zinder), Mémoire de Master de Géographie,Université Abdou Moumouni de Niamey p.88
  • MAMAN Issa (2010) : « Le diagnostic et les impacts du maraichage dans la cuvette de Guidimouni », Mémoire de Master, Université Abdou Moumouni de Niamey, p.70
  • NYSSA Abdou (2008), La petite irrigation privée : innovation et vulgarisation des technologies dans les sites de Soura et Tibiri (vallée du Goulbi Maradi), Mémoire de DEA deGéographie, Université Abdou Moumouni de Niamey p.91
  • WAZIRI MATO Maman (2000), Les cultures de contre saison dans le sud de la région de Zinder (Niger), Thèse de doctorat de l’Université de Lausanne, Suisse, p. 357
  • WAZIRI MATO Maman., MALAM ABDOU K. 2012, « Impacts de la variabilité et des changements climatiques sur le site des cultures irriguées de Wacha dans la région de Zinder » au NigerJournal des sciences de l’environnement, vol.1, n°1. pp. 53-62



Auteur(s)

Kabirou SOULEY

Université de Zinder/Niger

kabsoul@gmail.com

Anass ITTA

Université Abdou Moumouni de Niamey/Niger

Maman WAZIRI MATO

Université Abdou Moumouni de Niamey/Niger


Droit d’auteur

EDUCI

Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150

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