Les facteurs du recul du port d’Abidjan dans le classement des ports à conteneurs sur la côte ouest africaine
Koulai Hervé YRO
Université Peleforo Gon Coulibaly Korhogo
Résumé :
Le port d’Abidjan a occupé la première place des ports à conteneurs sur la côte ouest africaine et la deuxième place en Afrique sub-saharienne après celui de Durban jusqu’en 2000. Il a joué le rôle de pivot dans la redistribution des conteneurs sur la côte ouest africaine. À partir des années 2000, le port d’Abidjan a progressivement perdu le rôle de hub sur cette façade maritime et a reculé pour se positionner aujourd’hui à la trente neuvième place du classement des ports à conteneurs en Afrique, loin derrière celui de San Pedro. Cette étude vise à mettre en évidence les facteurs qui ont entrainé la régression du port d’Abidjan dans l’organisation du trafic conteneurisé sur la côte ouest africaine. La méthode de travail utilisée repose sur une revue de la littérature sustentée d’enquête de terrain qui combine entretiens avec les personnes ressources et observation du terrain. Les résultats obtenus montrent que le recul du port d’Abidjan dans le classement des ports à conteneurs est dû à une perte de compétitivité du fait de l’absence d’anticipation de la part des autorités portuaires face au gigantisme naval amorcé sur les autres façades, au manque de réactivité face aux difficultés que rencontrent les armateurs du fait de la saturation des infrastructures portuaires et l’inadéquation des installations et à la succession des crises militaropolitiques en Côte d’Ivoire depuis le coup d’état militaire de 1999.
Mots clés : Port d’Abidjan, Transport maritime, Conteneurisation, Performance, Compétitivité.
Abstract
Until 2000, the port of Abidjan was the leading container port on the West African coast and the second largest in sub-Saharan Africa after Durban. It played a pivotal role in the redistribution of containers on the West African coast. From the 2000s onwards, the port of Abidjan gradually lost its role as a hub on this seafront and fell back to thirty-ninth place in the ranking of container ports in Africa, well behind the port of San Pedro. This study aims to highlight the factors that have led to the decline of the port of Abidjan in the organisation of containerised traffic on the West African coast. The working method used is based on a literature review supported by a field survey combining interviews with resource persons and field observation. The results show that the decline of the port of Abidjan in the ranking of container ports is due to a loss of competitiveness as a result of a lack of foresight on the part of the port authorities in the face of the gigantism of shipping that has begun on other coasts, a lack of responsiveness to the difficulties encountered by shipowners as a result of the saturation of port infrastructures and the inadequacy of facilities, and the succession of military and political crises in Côte d’Ivoire since the military coup of 1999.
Keywords : Port of Abidjan, Maritime transport, Containerisation, Performance, Competitiveness.
Introduction
Le trafic conteneurisé a débuté en Côte d’Ivoire à partir de 1971. Le port d’Abidjan est le premier à recevoir les conteneurs sous l’initiative des armateurs occidentaux. Pour gérer ce type de trafic, les autorités portuaires se sont lancées dans un programme de réaménagement spatial afin de faire face aux exigences de ce mode de transport (J. M. Moulot, 2013, p.70). Il a consisté à une réaffectation des espaces destinés à la gestion des marchandises en vrac afin de servir au traitement des marchandises conteneurisées. En effet, le deuxième plan directeur a été modifié avec l’intégration de la construction d’un véritable terminal à conteneurs. Les quais 22, 23 et 24 en construction pour accroître la capacité de traitement du vrac sont désormais réservés au terminal à conteneurs. Les magasins cales qui étaient prévus en arrière-plan de ces quais sont remplacés par des terre-pleins d’une superficie de 25 ha pour le stockage des conteneurs avec un linéaire de quai total de 800 m fondé à 12 m. Cette infrastructure entre en service en 1982 et est le seul terminal dédié au traitement du conteneur sur la côte ouest africaine.
Le fait de disposer du seul terminal à conteneurs sur cette rangée maritime en 1982 a permis au port d’Abidjan de se positionner comme le principal hub de transbordement sur la côte ouest africaine sur plus de deux décennies. Cependant, à partir des années 2000, le port d’Abidjan a progressivement perdu son rôle de pivot dans la redistribution du conteneur en Afrique de l’ouest et a reculé pour se positionner aujourd’hui à la trente neuvièmes places du classement des ports à conteneurs en Afrique, loin derrière celui de San Pedro (Banque mondiale, 2023, p.7). L’objectif de cette étude est de mettre en évidence les facteurs qui ont entrainé la régression du port d’Abidjan dans l’organisation du trafic conteneurisé sur la côte ouest africaine.
1. Méthodologie
La méthode de travail utilisée repose sur une revue de la littérature sustentée d’enquête de terrain menée auprès des autorités portuaires notamment celles de la direction des opérations maritimes et portuaires. Les échanges avec le directeur et les chefs de services ont porté sur trois aspects. Il s’agit de l’accueil des navires, de la planification des opérations de manutention et du service de remorquage. Au niveau d’Abidjan Terminal, il a été question, de la planification, de la gestion du terminal à conteneurs, des installations du terminal à conteneurs, du trafic et de la capacité d’accueil lors des échanges avec le responsable de la planification. Quant aux compagnies maritimes que sont Meditteranean Shipping Company (MSC) et Bolloré Africa Logistique (BAL), les échanges ont eu lieu avec les responsables de la planification et les consignataires chargés du séjour des navires dans le port. Les questions abordées sont en rapport avec les temps d’attente, le séjour à quai, la taille des navires utilisés, l’organisation de la desserte de la côte ouest africaine, les procédures administratives et les attentes vis-à-vis du port d’Abidjan. À cela s’ajoute une observation du terrain qui a permis de voir l’état des infrastructures et des équipements du port et d’assister aux opérations de programmation des navires à quai.
2. Résultats
Les résultats de cette étude mettent en évidence que l’absence d’anticipation, de réactivité et les crises politiques sont les principaux facteurs du recul du port d’Abidjan dans le classement des ports à conteneurs sur la côte ouest africaine.
2.1- L’absence d’anticipation
L’arrivée du conteneur dans le transport maritime a entrainé de nombreuses mutations qui touchent aussi bien les navires, les ports que les stratégies des armateurs. Les mutations permanentes dans ce milieu obligent les autorités portuaires à être réactives, mais surtout à mener une politique d’avant-garde. La perte du rôle de principal port à conteneurs sur la côte ouest africaine est due à l’absence d’anticipation des autorités portuaires d’Abidjan.
2.1.1- …Face à la croissance programmée de la taille des navires sur la COA
L’une des raisons du recul du port d’Abidjan dans le rôle de pilier et principal port à conteneurs sur la côte ouest africaine est l’abandon de la politique d’anticipation par les autorités portuaires.
L’arrivée des premiers conteneurs au port d’Abidjan a amené les autorités portuaires à modifier le plan directeur du port pour créer un terminal à conteneurs contre l’avis des experts des institutions financières. Selon ces derniers, l’arrivée du conteneur sur la COA ne devait pas susciter d’investissement pour sa manutention. Ils le présentaient comme un mode de conditionnement destiné aux échanges entre pays développés. La prédominance des produits agricoles et miniers, incompatibles au conteneur, dans les échanges avec l’extérieur n’allait pas rentabiliser un tel investissement. De ce fait, ils n’ont pas pu obtenir le financement. Or, pour les autorités portuaires, ce mode de transport qui se développait sur les continents américain, européen et asiatique allait tôt ou tard s’imposer à elles et qu’elles devaient maintenant prendre les dispositions pour ne pas être surprises. Pour cela, elles ont annulé la construction des magasins cales dans l’arrière-plan du quai 21 qui venait d’être achevé et des quais 22 à 24 dont la construction était prévue afin d’être utilisés comme espace de stockage de conteneurs. Ainsi, le quai 21 et son arrière-plan d’une superficie totale de 3 ha ont servi de terminal à conteneurs provisoire. Les autorités venaient ainsi de construire à moindre coût un terminal à conteneurs faisant du port d’Abidjan le premier sur la côte à en disposer. Cette politique a permis au port d’Abidjan d’être le premier port à conteneurs sur la côte ouest africaine.
Cependant, après la création du terminal, cette politique d’avant-garde a été abandonnée par les autorités portuaires d’Abidjan. Or, le transport maritime avec l’introduction du conteneur est devenu un secteur en perpétuelle mutation. Les armateurs, à la recherche d’une maximisation de profit, adoptent de nouvelles stratégies qui ont des exigences vis-à-vis des ports. Il s’agit du gigantisme naval, de la réorganisation de la desserte des façades maritimes et de l’intégration des segments portuaires et terrestres à leur activité première qui est le transport maritime.
La taille des navires utilisés pour la desserte de la côte ouest africaine devenait de plus en plus grande. De 500 à 1000 Equivalent Vingt Pieds (EVP) dans les années 80, ils ont atteint 2000 à 3000 Evp en 2010. Cette croissance avait déjà commencé à mettre à mal les infrastructures du port d’Abidjan. On passe des navires dont le tirant d’eau était inférieur à 10 m pour une longueur maximum de 150 m à des navires de plus de 12 m de tirant d’eau avec une longueur allant
jusqu’à 230 m. Or, le tirant d’eau maximum que peut accueillir le port d’Abidjan était de 11,5 m.
Les prévisions de navires destinés à la desserte de la côte ouest africaine jusqu’en 2020 étaient déjà connues des autorités portuaires grâce aux publications de l’Institut Supérieur d’Economie
Maritime (ISEMAR), l’antenne, Jeune Afrique, etc. et aux rapports de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) sur les transports maritimes (Figure 1).
Figure 1 : Prévision de navires porte-conteneurs sur la côte ouest africaine depuis 2010
Source : Jeune Afrique, 2012, 2013, 2015 ; PAA, 2020
Déjà en 2011, les premiers Waf-Max de type panamax d’une capacité de 4500 Evp avec un tirant d’eau de 12 m avaient fait leur apparition et 22 navires étaient prévus pour 2013. À ceuxlà s’ajoutent les over-panamax d’une capacité de 4500 à 6000 Evp. Des armateurs comme MSC et la Compagnie Maritime d’Affrètement-Compagnie Générale Maritime (CMA CGM) comptaient utiliser à partir de 2016 des navires d’une capacité allant de 9 000 à 14 000 Evp dont le tirant d’eau pouvait atteindre 16 m.
La faiblesse du tirant d’eau et de la capacité d’accueil des quais du port d’Abidjan ne permettaient plus son utilisation comme hub par les armateurs en raison des caractéristiques des navires qu’ils utilisaient désormais pour la desserte de la côte ouest africaine. À cela s’ajoute la faiblesse des équipements de manutention des navires. En effet, les navires Waf-Max et AfricaMax utilisés sur la côte ouest africaine ont 17 rangées de conteneurs alors que les portiques du port d’Abidjan ne peuvent traiter que les navires de 15 rangées. Le linéaire de quai avait été construit en fonction de la taille des navires qui était inférieure à 200 m. Ce qui permettait d’accueillir entre 4 et 5 porte-conteneurs en opérations simultanées. Les Waf-Max et AfricaMax réduisent cette capacité à 2 ou 3 navires en opérations simultanées en raison de leur longueur qui varie entre 240 m et 250 m. Ce qui accroît le délai d’attente des porte-conteneurs au port d’Abidjan.
2.1.2-Face à la politique de sélection de hub déclenchée par le gigantisme naval sur les façades maritimes
Pour maximiser leur profit, les armateurs ont eu recours à des navires de plus en plus grands.
Le gigantisme naval permet de réduire les charges liées à l’expédition de volume important de marchandises sur les façades maritimes à travers la réduction du nombre de navires utilisés et par ricochet le personnel navigant. En effet, les navires utilisés depuis 2010, ont la capacité de cinq à dix des navires desservant la COA il y’a de cela une décennie. Cependant, ces navires ne peuvent accoster dans tous les ports en raison de leurs caractéristiques nautiques. De ce fait, une sélection des ports s’impose aux armateurs dans la desserte des façades maritimes ouest africaine.
Cette disposition était déjà mise en place dans la desserte des principales façades maritimes de l’Asie, de l’Amérique du nord et de l’Europe et même de la côte ouest de l’Afrique en s’appuyant d’abord sur le hub d’Algesiras et par la suite celui de Tanger Med.
Une politique d’avant-garde aurait permis d’adapter le port d’Abidjan aux caractéristiques de ces navires mères afin de maintenir son principal rôle de pivot dans la redistribution des conteneurs sur la côte ouest africaine. Malgré les alertes de revues spécialisées sur les projets de commande des navires, la réorganisation des lignes maritimes et l’évolution du commerce mondial, les autorités portuaires ont été dans l’incapacité d’agrandir la passe d’entrée du canal de Vridi, d’approfondir son tirant d’eau et d’accroître la capacité d’accueil à quai du terminal à conteneurs par anticipation.
Le port concurrent de Lomé avait déjà un avantage comparatif sur le port d’Abidjan relativement aux caractéristiques nautiques. En 2012, son tirant d’eau de 14 m lui permettait d’accueillir les navires de 6 000 à 10 000 Evp. Il attendait, pour l’année 2013, la livraison d’un quai long de 450 m pour un tirant de 15 m dont la livraison était prévue pour 2013. À cela s’ajoute le démarrage de la construction d’une darse de 1 050 m de longueur de quai avec 16,70 m de profondeur pour accueillir un terminal à conteneurs. Ces investissements avaient pour objectif de répondre aux besoins de massification des armateurs sur la côte ouest africaine. C’est plus d’une décennie après le déclenchement du processus de massification des flux conteneurisés sur la côte ouest africaine que le port d’Abidjan offre les conditions pour recevoir les navires de dernières générations. Ce n’est qu’en février 2019 que le canal de Vridi est accessible aux navires de plus de 260 m avec 15 m de tirant d’eau. Le deuxième terminal à conteneurs dont les quais sont adaptés aux grands porte-conteneurs a quant à lui été livré en août 2022. Ce retard, dans la création des conditions de réception des navires de dernière génération, explique en partie le recul du port dans le classement des ports à conteneurs en Afrique.
2.2- Le manque de réactivité de la part des autorités portuaires
Le transport maritime est constamment en mutation en raison des innovations qui y sont fréquemment introduites. De ce fait, les armateurs réadaptent leurs stratégies afin de répondre aux défis que sont la réduction du délai de livraison de la marchandise aux clients et la réduction du coût du transport. Ces derniers attendent des ports, une célérité des opérations de manutention, un raccourcissement des délais d’attente des navires, une évacuation des marchandises vers l’hinterland dans de brefs délais et une accélération des procédures administratives. Pour rester compétitives, les autorités portuaires doivent être réactives face aux
difficultés que rencontrent les différents acteurs qui utilisent le port pour leurs échanges commerciaux. Cette disposition a été l’une des faiblesses du port d’Abidjan qui a favorisé son recul dans le classement des ports à conteneurs. La croissance rapide du trafic portuaire d’Abidjan a entrainé une saturation des installations et une inadéquation des équipements.
2.2.1- La saturation des infrastructures
Le trafic conteneurisé du port d’Abidjan s’est rapidement accru après l’apparition des premiers conteneurs. Cela s’explique par le fait qu’il était le seul à disposer d’infrastructures et d’équipements adaptés pour traiter les navires porte-conteneurs. Avec environ 72 000 Evp dans les années 70, le trafic conteneurisé du port d’Abidjan est à plus de 760 149 Evp en 2020 (Figure 2).
Figure 2 : Evolution du trafic conteneurisé du port d’Abidjan de 1975 à 2020
Source : Yro K. H., 2016 ; PAA, 2012 ; 2020
La capacité des infrastructures d’accueil n’a pas suivi le rythme de l’évolution du trafic. Depuis 2000, le chenal d’accès avait déjà montré ses limites quant à la massification des flux conteneurisés. Le faible tirant d’eau du chenal d’accès du port d’Abidjan ne permet pas aux armateurs d’utiliser la pleine capacité de leurs porte-conteneurs en direction de ce port. Le tirant d’eau admis était de 11,5 m alors que les armateurs arrivaient désormais sur la côte ouest africaine avec des navires de 13 à 16 m de tirant d’eau. Ce qui ne permettait pas à ces derniers de continuer à utiliser le port d’Abidjan comme hub.
L’offre de poste à quai du port d’Abidjan s’est considérablement réduite à cause de la longueur des navires qui s’est accrue. Le linéaire de quai du premier terminal à conteneurs est de 990 m avec une capacité de cinq porte-conteneurs en opérations simultanées. Or, les navires qui arrivent au port d’Abidjan ont, aujourd’hui en majorité, des longueurs de plus de 200 m. De ce fait, le nombre de postes à quai oscille entre trois et quatre, entrainant par conséquent une augmentation du nombre de navires en attente.
Bâti sur une superficie de 30 ha, l’espace de stockage du terminal à conteneurs d’Abidjan s’est retrouvé saturé avec la croissance rapide du trafic. Pour gérer les conteneurs, l’opérateur est obligé d’augmenter le niveau de gerbage pour stocker plus de conteneurs. Cette solution accroît le délai de récupération de conteneurs au cours des opérations de manutention avec pour conséquence le prolongement à quai des navires.
L’insuffisance des infrastructures s’est présentée depuis 2000, mais les autorités portuaires n’ont pas été réactives. La réponse à la préoccupation des armateurs est subvenue en 2019, soit
19 ans après l’expression de leur besoin. C’est en février 2019 que le canal de Vridi dragué à 16 m et élargi à 350 m est inauguré. Le deuxième terminal à conteneurs qui devait accroitre le nombre de postes à quai et la capacité de stockage du port d’Abidjan est entré en service en novembre 2022.
Le retard dans la mise à niveau des installations portuaires d’Abidjan a permis aux ports concurrents de la côte ouest africaine de prendre une avance sur lui.
2.2.2- L’inadéquation des installations
L’inadéquation des caractéristiques nautiques, des équipements de manutention portuaire et le processus d’accueil des navires sont des facteurs du recul du port d’Abidjan dans le classement des ports à conteneurs en Afrique.
Le tirant d’eau de la passe d’entrée du canal de Vridi a été jusqu’en 2022 un frein à la massification des flux de conteneurs en direction du port d’Abidjan. Ce dernier ne pouvait qu’accueillir les navires ayant un tirant d’eau inférieur ou égale à 11,5 m. De ce fait, les navires mères utilisés par les armateurs pour massifier les flux en direction de l’Afrique de l’ouest étaient dirigés vers les ports concurrents.
La durée du navire dans un port est l’un des critères de choix pour les armateurs. La qualité des équipements de manutention et d’aide à la navigation s’est dégradée au port d’Abidjan au cours des deux dernières décennies. Les équipements de manutention du premier terminal à conteneurs sont vieux. L’âge des portiques utilisés au port pour le traitement des navires à quai est compris entre 9 et 40 ans. Alors qu’ils ont une durée de vie de 20 ans (Tableau 1).
Tableau 1 : l’âge des portiques du port d’Abidjan avant 2022
Portiques | Age (an) |
1 | 40 |
2 | 40 |
3 | 23 |
4 | 14 |
5 (Over Panamax) | 9 |
6 (Over Panamax) | 9 |
Source : Yro K. H., 2016
Ces équipements, en plus d’être âgés, sont constamment sollicités. Ce qui ne permet pas leurs maintenances. La pression exercée sur ces équipements, combinée à leurs vétustés, occasionnaient de nombreuses pannes au cours des opérations de manutention. Les opérateurs de manutention se retrouvaient avec moins d’équipements pour traiter les navires à quai. Ce qui ne permettait pas d’atteindre des cadences de manutentions performantes d’une part et de respecter les cadences référentielles imposées par le port.
En dehors du quai 24 qui réalisait entre 75 et 100 % des cadences imposées, les quais 21 et 22 étaient à moins de 50 % du taux de réalisation (Figure 3). Ces deux quais étaient également à la base de 80 % du prolongement du séjour des navires au port d’Abidjan.
Figure 3 : La répartition du taux de réalisation des cadences par quai au terminal à conteneurs d’Abidjan en 2016
Source : Yro K. H., 2016
De plus, sur les six portiques dont dispose le premier terminal à conteneurs, seulement deux sont adaptés aux navires de dernière génération qui desservent la côte ouest africaine. Il s’agit des portiques 5 et 6 qui sont de type Over Panamax, capables de traiter les porte-conteneurs ayant 18 conteneurs dans le sens de la largeur (65 m) contre 12 pour les autres.
Par ailleurs, l’insuffisance des remorqueurs est également l’une des causes des attentes des navires au port d’Abidjan. En effet, les remorqueurs sont obligatoires pour les manœuvres des navires à proximité des quais. Sur les cinq remorqueurs requis pour les opérations, il arrive que seulement deux soient disponibles au port d’Abidjan. Ce qui a entrainé le prolongement des navires à quai, surtout au quai 24 où les overpanamax ont besoin de deux remorqueurs pour leurs manœuvres.
Le manque de réactivité des autorités portuaires face à l’inadéquation des équipements de manutention et d’aide à la navigation, a mis à mal la compétitivité du port d’Abidjan face aux ports de la sous-région qui ont actualisé leurs équipements au vu de l’évolution des caractéristiques des navires qui desservent désormais la côte ouest africaine.
2.3- Les crises militaro-politiques
Les crises politiques en Côte d’Ivoire constituent l’un des facteurs ayant favorisé le recul du port d’Abidjan dans le classement des ports à conteneurs en Afrique. En effet, à partir de 1999, la Côte d’Ivoire a connu une série de crises politico-militaires qui a perturbé le fonctionnement du port d’Abidjan. Les plus importantes sont le coup d’état de 1999, la rébellion de 2002 et la crise post-électorale de 2010.
Le trafic conteneurisé du port d’Abidjan connait une tendance à la hausse de manière générale. Il est passé de 82 000 tonnes en 1971 à 8 102 939 tonnes en 2020. Cependant, le trafic conteneurisé se caractérise par de fortes régressions qui coïncident avec les périodes de crises politiques (Figure 4).
Figure 4 : Perturbation de la croissance du trafic conteneurisé par les différentes crises
Source : PAA, 1988-2008, 2012, 2016
La première régression du trafic se situe entre 1999 à 2000 où il a chuté de 52 % en deux ans. Elle a été occasionnée par le coup d’état militaire de 1999. Au cours de cette période, le régime militaire avait fermé les frontières maritimes et terrestres. Ce qui a fortement perturbé le trafic du port d’Abidjan. La reprise du trafic après 2000 a été mis à mal par la rébellion armée de 2002. Le taux de croissance du trafic conteneurisé qui était de 12 % entre 2001 et 2002 est passé à 1 % entre 2002 et 2003. Les évènements de 2004 sont ceux qui ont eu le plus d’impact sur les échanges conteneurisés. En effet, la destruction des aéronefs de l’armée ivoirienne par l’aviation française a entrainé une vague de manifestations au niveau de la ville d’Abidjan qui s’est étendue sur plus de quatre mois. Cet état de fait a placé la ville d’Abidjan et son port dans une zone d’indice de sécurité rouge avec pour conséquence l’orientation de son trafic vers les ports voisins.
La crise post-électorale de 2011 a également contribué à la régression du trafic conteneurisé du port d’Abidjan. Au cours de cette période, la Côte d’Ivoire a été mise sous embargo des nations unies. Le port d’Abidjan n’était plus desservi par les navires. Ceux-ci orientaient leurs trafics vers les ports de la sous-région, notamment Lomé, Accra, Cotonou et Lagos.
Les différentes crises politiques qu’a connues la Côte d’Ivoire ont permis aux ports concurrents du port d’Abidjan de capter progressivement une partie de son trafic conteneurisé. Ce qui a contribué à son recul dans le classement des ports à conteneurs en Afrique.
3. Discussion
Le port d’Abidjan a perdu sa place de leader dans la redistribution du trafic conteneurisé sur la côte ouest africaine au cours de ces deux dernières décennies. Parmi les causes de ce recul, il y’a la gouvernance portuaire caractérisée par une absence d’anticipation et un manque de réactivité des autorités portuaires et les crises politiques. Les autorités portuaires d’Abidjan n’ont pas été capables de s’adapter au rythme des mutations du transport conteneurisé sur la côte ouest africaine. En effet, le transport conteneurisé est exigeant et est à la base de mutations constantes dans le transport maritime (J. Guillaume, 2008, p. 10). Les autorités portuaires ont un rôle important dans la compétitivité des ports maritimes (M. M. Damien, 2008, p. 112). Elles doivent être réactives et mener une politique d’anticipation (A. Fremont, 2005, p. 9).
Cette étude révèle que les autorités du port d’Abidjan n’ont pas anticipé la mise en place d’équipements et d’infrastructures en rapport avec les prévisions de croissance de la taille des navires sur la côte ouest africaine. De plus, elles n’ont pas été capables d’apporter une réponse rapide aux difficultés des usagers du port dans un bref délais. Elles révèlent qu’en 2011, le port était confronté à des dysfonctionnements (PAA, 2023, p. 16). Cette mauvaise gouvernance a fragilisé la performance et la compétitivité du port d’Abidjan vis-à-vis des ports concurrents. Cette situation explique les longues attentes et séjours prolongés des navires à quai au port d’Abidjan entre 2010 et 2016 (H. K. Yro, 2016, p. 172). Or, la non performance des opérations portuaires affecte le positionnement du port sur le marché de la rangée portuaire à laquelle il appartient (D. Talkhokhet et al., 2021, p. 398). Le port d’Abidjan a donc perdu sa place de leader au profit du port de Lomé en 2014 (B. Daudet et al., 2022, p. 2). Il était touché par les navires mères après avoir réduit le tirant d’eau dans les ports voisins ou desservit par des navires feeders qui correspondaient à ses caractéristiques nautiques (L. F. Dago 2017, p. 136).
Les crises politico-militaires ont également entrainé le recul du port d’Abidjan de son rôle de pivot sur la côte ouest africaine. À partir de 1999, la Côte d’Ivoire a connu une succession de crises qui ont perturbé sa chaîne maritime. La rébellion armée de 2002 a poussé les chargeurs des pays de l’hinterland à réorienter leur trafic de marchandises vers les ports voisins car la présence de groupes armées dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire représentait un danger pour eux. Les évènements de 2004 et la crise post-électorale de 2011 ont accentué cette fuite du trafic avec la délocalisation de certaines entreprises et la réorganisation des lignes maritimes au profit des pays voisins. L. F. Dago (2018, p. 1) a révélé les mêmes impacts des crises ivoiriennes sur le port d’Abidjan. Cette même remarque a été faite par J. Marcadon (1984, p. 283) dans son étude sur l’influence des crises économiques et des conflits armés sur les transports maritimes. Cet auteur affirme que pendant les crises, les trafics perdus par certains ports sont récupérés par d’autres ports. Il explique ce fait par la pression des assureurs maritimes qui suspendent la couverture normale des risques dans les zones de conflits.
Aujourd’hui avec la normalisation de la situation politique en Côte d’Ivoire, les autorités portuaires d’Abidjan ont investi dans le renforcement des infrastructures et des équipements. Un deuxième terminal répondant aux attentes des armateurs en termes de caractéristiques nautiques et doté d’équipements de dernière génération a été mis en service. Cependant, les gouvernants doivent étendre ces actions aux procédures administratives et surtout à l’amélioration du transport ferroviaire car la concurrence s’est désormais délocalisée dans l’arrière-pays des ports ouest africains.
Conclusion
Le port d’Abidjan qui était le pionnier du transport conteneurisé et jouait le rôle de pivot dans la redistribution des flux de conteneurs sur la côte ouest africaine a perdu progressivement sa place de leader au cours de ces deux dernières décennies. Il est devenu moins compétitif par rapport aux ports concurrents de l’Afrique de l’ouest. Cela s’explique par trois principaux facteurs. Le premier est l’absence d’anticipation des autorités portuaires face aux alertes annonçant la commande de navires de grandes tailles pour la desserte de la côte ouest africaine. Ce qui a amené les armateurs à choisir les autres ports qui ont les caractéristiques adaptées comme hubs. Le deuxième facteur est le manque de réactivité face aux difficultés que rencontrent les armateurs du fait de la saturation des infrastructures portuaires et l’inadéquation des installations. Le troisième est la succession des crises militaro-politiques en Côte d’Ivoire depuis le coup d’état militaire de 1999 qui a perturbé les activités portuaires et par ricochet occasionné la fuite de son trafic vers les ports concurrents.
Le repositionnement du port d’Abidjan dans son rôle de pivot du transport conteneurisé en Afrique de l’ouest passera nécessairement par la transformation de ses matières premières avant leur exportation et le développement du transport ferroviaire dans la desserte des pays de l’hinterland.
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