Maraichage urbain et sécurité sanitaire des aliments à Korhogo

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1KOFFIE-BIKPO Céline Yolande, 2YEO Lanzéni

Résumé :

FrançaisEnglish


L’extension spatiale de la ville de Korhogo a entrainé une déprise agricole. La perte des espaces agricoles a contraint un grand nombre de personnes à exploiter les bas-fonds urbains. Ces bas-fonds sont impropres à la production maraîchère car ils constituent les points de rejet des eaux résiduaires des ménages de Korhogo. Une analyse de ces eaux y a révélé une présence massive des bactéries E.colis. Les E.colis constituent un risque sanitaire pour les aliments produits à partir de ces eaux. La consommation d’aliments infectés par ces bactéries provoque des maladies diarrhéiques comme le Choléra, la fièvre typhoïde…. De plus, la production maraîchère est caractérisée par une utilisation abusive des produits phytosanitaires. Aucune norme d’application des produits phytosanitaires aux plantes n’est respectée. Par ailleurs, de nombreux produits destinés à la production du coton sont utilisés pour la production des maraîchers. Ils sont utilisés sans aucune précaution. Ce qui représente un grand risque pour la consommation dans la mesure où de faibles quantités de ces substances que l’on désigne sous le nom de « résidus de pesticides », peuvent se retrouver sur et dans les récoltes.

Entrées d’index


Mots-clés : Korhogo, aliments, maraîchage, sécurité sanitaire, urbain.

Keywords: >Korhogo, food, gardening, health security, urban.

Abstract :

FrançaisEnglish


The expansion of Korhogo city has triggered the lack of farming lands. This phenomenon obliged a number of persons to exploit the city’s low grounds. These areas are not suitable for gardening for they constituate the point of the rejection of households residuary waters. The analysis of these waters revealed the massive consumption of infected food (by E. coli’s bacteria) caused diarrheas illnesses such as cholera typhoid fever and so on. Besides that, there is an excessive use of phytosanitary products. The users do not respect any measurement. Moreover, pesticide for cotton plants are used by gardeners without care. This misuse presents a serious risk for consumers insofar as a small quantity of these substance’s called “residual pesticides” can be found in and on the crops.

Entrées d’index


Mots-clés : Korhogo, aliments, maraîchage, sécurité sanitaire, urbain.

Keywords: >Korhogo, food, gardening, health security, urban.

INTRODUCTION


La sécurité alimentaire et son revers l’insécurité alimentaire font partie des questions majeures du développement auxquelles le gouvernement ivoirien est confronté et qui font objet d’amples débats. De 1960 à 2016, la problématique de la sécurité alimentaire a été largement débattue en Côte d’Ivoire. De nombreuses prescriptions assorties de programmes de développement précis dont la création de structures et projets de développement vivriers tels que la SODEFEL (Société pour le Développement des fruits et légumes), la SODERIZ (Société pour le Développement du Riz), l’ANADER (Agence Nationale d’Appui au développement Rural), l’OCPV (Office d’aide à la Commercialisation des Produits vivriers),ont été faits. Mais, le constat en 2016 est que malgré la création de ces nombreuses structures et ces programmes de développement de la production vivrière, l’insécurité alimentaire n’a pu être combattue efficacement en Côte d’Ivoire. Bien au contraire, dans certaines régions, elle s’est accrue devenant même leur apanage. La région du Poro est classée en situation d’insécurité alimentaire (MINAGRI, 2014).Dans ce contexte, l’agriculture se fait principalement dans l’objectif de produire en quantité suffisante pour l’alimentation. La qualité des aliments ne fait pas l’objet de la même attention. La production maraichère à Korhogo en est l’illustration parfaite.
A Korhogo, la production maraichère, destinée à la consommation urbaine s’est développée dans les bas-fonds de la ville (Boko, 2013).Les agents de l’ANADER et 74% des 50 consommateurs interrogés (nos sondages en 2014) se plaignent du non-respect des modes de production des maraîchers. Ainsi on se pose la question de savoir : quel est l’impact du mode de la production maraîchère à Korhogo sur la sécurité sanitaire des aliments ? L’objectif de cette étude est de montrer l’impact du mode de la production maraîchère à Korhogo sur la sécurité sanitaire des aliments. Mais d’emblée, nous soutenons que le mode de production du maraîcher à Korhogo compromet la sécurité sanitaire de ces aliments.
Korhogo est la plus grande ville du Nord de la Côte d’Ivoire. C’est le chef-lieu de la région du Poro .Elle occupe une position centrale au sein de la savane ivoirienne, c’est la capitale du pays sénoufo (Ministère de l’intérieur et de l’intégration, 1999).La ville est dominée par un inselberg, le Mont Korhogo, qui culmine à 558m. Cependant, cet accident orographique n’a pas d’influence sur l’extension de la ville car il ne représente que 3% environ de la surface totale. Tout le reste de la surface ne comprend que de molles ondulations avec des pentes latérales et longitudinales faibles de l’ordre de 2 à 4 %. Dans l’ensemble, la ville est bâtie sur un site qui ne comporte pas de contraintes majeures à son extension. Le relief et son pourtour immédiat sont peu accidentés, seuls les grands bas-fonds du Tiologo et du Sissibi au sein de la ville de Natio-Kobadara et de Latonon à quelques Kilomètres au Nord et au Sud, constituent des obstacles naturels à son expansion.

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Méthodologie de collecte des données

La question de la sécurité sanitaire des aliments a déjà été largement débattue par de nombreux chercheurs. L’analyse des ouvrages et articles scientifiques a permis de voir la méthodologie adoptée pour l’évaluation de la sécurité sanitaire des aliments. En ce qui concerne les informations statistiques, les données du recensement général de la population 2014 trouvé à l’institut National de Statistique (INS) ont été utiles. Ainsi, la réflexion tourne autour de deux axes :
– L’hygiène environnementale de la production ;
– Les techniques de la production maraîchère dans la ville de Korhogo.
L’enquête a été faite dans les bas-fonds de Logokaha, Kassirimé, aux abords du barrage de Koko et dans les barrages de Natio-kobadara situés dans la ville de Korhogo. Dans chaque bas-fond, 3 jardins maraichers ont été choisis comme échantillon soit 12 jardins pour les 4 bas-fonds (Cf. figure 2).L’enquête s’est déroulée sur 6 mois (de novembre à avril).Un suivi itinéraire de la production maraîchère dans ces espaces a été fait. Les produits ont été suivis depuis les semis jusqu’aux récoltes. Les produits étudiés sont : l’aubergine, le piment, le gombo, la tomate, le concombre, la courgette, la carotte, l’oignon, la salade et le chou. Le choix de ces produits se justifie par le fait qu’ils soient prisés par les populations de Korhogo dont l’alimentation tend de plus en plus vers une européanisation
Le suivi itinéraire a aidé à :
– faire l’inventaire des pesticides et le nombre d’applications sur les produits maraîchers afin de les comparer à la norme autorisée;
– voir la provenance de l’eau utilisée pour la production ainsi que le matériel de la production. Des prélèvements d’échantillon d’eau ont été faits et analysées. Cette analyse a consisté à rechercher des E. colis qui sont, généralement, présents dans les eaux résiduaires des ménages.
A ce suivi, une enquête transversale a été jointe. 50 producteurs ont été interrogés. L’enquête auprès des producteurs a porté sur les sources d’approvisionnement en intrants ainsi que sur les raisons de l’utilisation des produits phytosanitaires tout azimut.
Les résultats obtenus ont permis d’organiser le travail comme suit.

RESULTATS

I- Des espaces de production maraichère insalubres

La ville a connu une croissance démographique modérée jusqu’à l’indépendance. Mais à partir de 1965, elle a enregistré l’une des croissances urbaines les plus fortes du pays. De 20 000 habitants en 1965 à 45 500 en 1975, la population urbaine est passée à près de 110100 en 1988 et à 142 039 en 1998 selon Ministère de l’intérieur et de l’intégration (Op.cit.).Korhogo comptait 243 239 habitants en 2014 (RGPH, 2014). La rapide urbanisation de la ville de Korhogo est alimentée par les jeunes ruraux, qui pour la plupart, viennent de la zone dense. La fonction commerciale et administrative de la ville, liée à son histoire, en fait un carrefour et un lieu d’attraction (Conseil général de Korhogo, 2007). Cette croissance de la population a entrainé une forte extension urbaine. A Korhogo est rattaché à 31 villages. L’extension urbaine a eu pour conséquence une déprise agricole. Les anciens espaces de production vivrière ont été lotis, poussant ainsi les cultures vivrières jusque dans les bas-fonds les plus insalubres. Les populations des villages rattachés à Korhogo qui avaient pour activités principales la culture vivrière l’ont continué en milieu urbain. Ainsi se contentent-elles de 

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l’exploitation des bas-fonds de la ville qui longent les habitations humaines. On assiste donc à une exploitation intensive des bas-fonds urbains à des fins agricoles, selon qu’on se trouve en saison sèche ou en saison pluvieuse. L’extension urbaine et la croissance démographique ont induit une évolution des habitudes alimentaires. Il y’a eu une adoption des cultures maraîchères de type européen (carotte, oignon, choux, salade, laitues…). Celle-ci est favorisée par l’européanisation des habitudes alimentaires. En saison sèche, la ville est traversée de part et d’autres de bandes vertes constituées de champs de maraîchers de type européen. Tandis qu’en saison pluvieuses, la pratique du maraîcher est accompagnée de celle du riz du maïs dans les bas-fonds. Le maraichage urbain se fait donc intensivement toute l’année. Cependant, si la production des maraîchers en saison pluvieuse s’explique aisément par la présence des pluies, celle en saison sèche soulève des interrogations. D’autant plus que les espaces sur lesquels ils sont produits ne bénéficient pas tous d’un aménagement hydraulique devant favoriser une telle activité en saison sèche. La source d’eau pérenne dont bénéficient les producteurs est à chercher dans le système de gestion des eaux usées urbaines. Korhogo est une ville qui ne bénéficie d’aucun système de traitement des eaux usées. Toutes les eaux usées sont drainées vers les canaux à ciel ouvert qui communiquent avec les bas-fonds de l’intérieur de la ville. Toute la canalisation des eaux usées des ménages et vannes est raccordée aux bas-fonds qui constituent leurs uniques points d’évacuation. Cette eau sert à la production maraîchère à Korhogo. Certes des puits peu profonds sont souvent creusés dans les bas-fonds de la ville pour avoir de l’eau pour la production mais ils sont fait non loin des canalisations des eaux usées pour permettre à cette eau de s’y’infiltrer. Ils ne bénéficient d’aucun aménagement spécifique. Ils s’éboulent rapidement. Par ailleurs, la canalisation des eaux usées sert de lieux de dépotoir des ordures ménagères. Les monticules d’ordures ménagères gisant dans les canaux à ciel ouvert et caniveaux sont régulièrement charriés dans les bas-fonds en saison des pluies. Certaines de ces eaux se retrouvent dans les puits des bas-fonds (Cf. figure ci-dessous).

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Figure 2: répartition spatiale du niveau de contamination en E. colis des eaux utilisées pour la production maraîchère.

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Sur cette figure on remarque que tous les caniveaux sont raccordés aux bas-fonds de la ville. Ils provoquent une stagnation d’eau pérenne dans les bas-fonds durant toute l’année. Les eaux résiduaires produits par les concentrations de populations contiennent des agents pathogènes pouvant survivre longtemps dans l’eau, les sols et sur les plantes (Cissé, 1997).Leur utilisation pour la production vivrière fait courir des risques sanitaires aux exploitants comme aux consommateurs. Les eaux issues des excrétas humains sont utilisées pour l’arrosage des plantes dans les bas-fonds.

Photo 1 : une productrice de maraîchers dans son champ dans le bas-fond Tchologo


Sur cette image, on aperçoit un champ de maraichers en bordures des habitats humains. L’eau utilisée ici pour la production maraichère est prélevée dans le bas-fond. Cette eau contient les eaux usées des populations. Pour l’arrosage des légumes destinés à être consommés crus, il est recommandé que l’eau utilisée soit saine. Or, il est impossible que les eaux issues des excrétas humains et utilisées pour arroser les plantes soient saines. Cette pratique soulève la question de la sécurité microbiologique des aliments.

I-1L’eau de production maraîchère urbaine : une eau contaminée par les E. colis

Escherichia coli (E. coli) est une bactérie fréquente dans le tube digestif de l’homme. Ce virus est contenu dans les eaux résiduaires. La principale voie de transmission est la consommation d’aliment végétal et d’eau de boisson contaminés le plus souvent par les matières fécales. Elle peut également se faire par contact avec l’environnement souillé par des animaux vivants (via le fumier, le lisier) ou morts (via les effluents d’abattoirs) (Kern-Benaibout, 2006).La transmission de ce virus chez l’homme se fait par la consommation d’aliments crus contaminés ou mal cuits. Les maraîchers produits à partir des eaux résiduaires sont des vecteurs de transmission des E. colis à l’homme. Les symptômes provoqués par cette bactérie sont les crampes abdominales, des diarrhées susceptibles d’évoluer vers des colites hémorragiques (diarrhées sanglantes) et les maladies dites de la peau (la dermatose) (Diallo, 2013). 
Afin de connaître la qualité de l’eau utilisée pour la production maraichère, des échantillons de cette eau ont été prélevés et analysés. Chaque échantillon d’eau à un volume de 300 ml.

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Photo 2 : analyse des échantillons d’eau de la production maraîchère de Korhogo


Les échantillons d’eau sont renversés dans une plaquette conçue spécialement pour de telles analyses. La plaquette est ensuite mise dans une ceinture d’incubation. La ceinture est portée autour des reins. L’incubation se fait à l’aide de la chaleur humaine. Au bout de 24 h, l’on obtient les résultats de l’analyse (Cf. photo ci-dessous).Des traces d’E. colis ont été trouvés dans tous les échantillons d’eau prélevés.

Photo 3 : plaquette contenant les résultats de l’analyse des échantillons d’eau


Sur cette palette, les E. colis sont les taches bleues. Les tâches violettes sont d’autres formes de coliformes. Les coliformes sont des bactéries de Gram négatifs, présents dans le côlon et dont l’importante présence dans l’eau est un indice de sa contamination fécale. 
Les E. colis, ici présents, viennent de 100 ml d’eau. Par 100 ml d’eau analysés, plusieurs dizaines de ces bactéries ont été identifiés (Cf. tableau ci-dessous).

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Tableau1 : répartition du nombre d’E. Colis retrouvés dans les échantillons analysés

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Figure 3 : répartition spatiale du niveau de contamination en E. colis des bas-fonds de la production maraîchère à Korhogo

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De cette figure, il ressort que le bas-fond situé au centre de Korhogo est le plus contaminé. Dans 300 ml d’eau analysés, plus de 230 E. colis ont été identifiés. Ceux de la périphérie sont aussi contaminés par les Ecolis, mais à divers degrés. Après le bas-fond du centre-ville, vient le Bas-fond où les échantillons C1, C2 et C4 ont été prélevés. Pour celui-ci, dans 300 ml d’eau 115 E. colis ont été dénombrés. Les bas-fonds où les échantillons (B1, B2, B3) et (D1, D2, D3) ont été prélevés suivent avec respectivement 94 et 38 E. colis dans 300 ml d’eau chacun. L’utilisation de cette eau pour la production maraîchère constitue une grave menace pour les consommateurs et aussi pour les producteurs même s’ils ont tendance à l’ignorer. Selon Panisset et al (2003), la présence de micro-organismes dans les aliments n’est pas perçue par les consommateurs comme un risque majeur. 
Pourtant, de tous les problèmes de santé publique, les intoxications d’origine alimentaire (bactéries pathogènes) font partie des maladies qui affectent le plus grand nombre d’individus et causent le plus de décès. Par exemple, le E. Coli 0157 : H7, sérotype découvert en 1982, a été à l’origine de nombreux épisodes de contamination entrainant souvent des séquelles graves et nombreux décès.
En plus de l’eau, le mode d’utilisation des produits phytosanitaires et pesticides qui a tendance à compromettre la qualité physico-chimique de la production maraichère laisse à désirer.

II- Une mauvaise utilisation des produits phytosanitaires et pesticides

Les produits phytosanitaires et pesticides sont des substances destinées à être utilisées comme des régulateurs de croissance des plantes, de protection contre la chute prématurée des fruits et la détérioration durant l’entreposage et le transport. L’usage des pesticides a permis certes des progrès en agriculture, mais, ces produits suscitent de nombreuses inquiétudes liées notamment à leurs toxicités et à leurs impacts négatifs sur la santé des producteurs et des consommateurs de denrées agricoles. La majorité des producteurs (90%) rencontrés à Korhogo pratiquent leurs activités sans équipements de protection (combinaisons imperméables, lunettes, bottes, gants, cache-nez). Le traitement phytosanitaire des plantes se fait à l’aide de petits balais de paille trempés dans les produits traitants et secoués au-dessus des cultures en lieu et place de pulvérisateurs. Ce procédé ne permet pas une répartition homogène du produit. Bien au contraire, il est à la base des brulures aux niveaux des feuilles qui sont provoquées par les grosses gouttes du produit phytosanitaire mal reparti. L’épandage de l’engrais sur les planches des produits se fait sans aucune protection. Alors que les producteurs sont conscients de la toxicité des pesticides (Cf. photo 4).De plus, aucun producteur rencontré n’utilise le dosage prescrit sur l’emballage du pesticide. Le taux d’analphabétisme étant très élevé (80%) dans ce milieu, les producteurs ont du mal à maîtriser les différents modes d’emploi des produits. Ainsi, les produits phytosanitaires destinés à être utilisés dans le cadre de la culture du coton sont détournés pour la production maraîchère.

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Photo 4 : une femme épandant de l’engrais sans protections et sans prise de mesure sur des planches de produits maraîchers dans le bas-fond de Logokaha (Korhogo)

Un produit phytosanitaire ne peut être autorisé que si l’on a scientifiquement établi au préalable:
– l’absence d’effets néfastes sur les consommateurs, les exploitants ou toute personne susceptible d’y être exposée ; 
– l’absence d’incidences graves sur l’environnement ;
– son efficacité suffisante.
Chez les producteurs de maraîchers rencontrés, l’un des points d’appréciation de l’efficacité des pesticides est la forte odeur malodorante d’où leur préférence pour les pesticides du cotonnier. Certains producteurs trouvent que les pesticides destinés aux cultures maraîchères ne sont pas très efficaces à cause de la faible odeur que ces produits dégagent après leur application. Alors que ceux appliqués sur le coton dégagent une forte odeur, ce qui constitue un répulsif pour les prédateurs des plantes. C’est pourquoi, ils optent pour une utilisation des produits phytosanitaires tout azimut dégageant de fortes odeurs. A côté de ce facteur, il y’a des difficultés liées à l’accessibilité de ces produits phytosanitaires homologués en Côte d’Ivoire et destinés à la production vivrière sur le marché dans la région du Poro. Plusieurs produits homologués en Côte d’Ivoire et destinés à la production vivrière existent, mais pour les avoir, il faut faire la commande depuis Abidjan, ce qui est relativement couteux. C’est l’une des raisons de l’utilisation anarchique des produits phytosanitaires. Sur les 12 parcelles enquêtées 70 % de ces produits utilisés dans la production maraîchère sont inappropriés. L’utilisation anarchique des produits phytosanitaires s’explique aussi par le pillage et la destruction des magasins de stockage de ces produits pendant la crise militaro-politique de 2002 à 2010 (voir photo).

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Photo 6 : magasin de stockage de produits phytosanitaires pillé et détruit à Korhogo pendant la guerre de 2002-2011


Sur cette image on aperçoit un magasin de stockage de produits phytosanitaires détruit. La destruction de ces entrepôts a entrainé une indisponibilité des produits phytosanitaires et a induit une utilisation des produits phytosanitaires tout azimut durant la période conflictuelle. L’habitude dans l’utilisation des produits tout azimut s’est installée chez les producteurs. Malgré le retour à la normalité dans les zones anciennement sous le contrôle de la rébellion et les nombreuses sensibilisations des organisations agricoles pour une production vivrière respectueuse de la santé du consommateur, du producteur et de l’environnement, les producteurs font continuent les pratiques décrites plus haut.
Ainsi, certains producteurs s’adonnent à des mélanges de bouillies de pesticides sans tenir compte de leur compatibilité. Dans certains cas, ces produits agissent en trompant les insectes ou en rendant les cultures moins attirantes par les prédateurs. Mais, ils peuvent avoir des effets indésirables parce qu’ils ne sont pas utilisés selon les normes. La menace de ces produits est plus grave lorsque leur application ne respecte aucun délai.

II-1 Des délais d’application des produits phytosanitaires compromettant la qualité des produits vivriers

En général, il est recommandé d’observer un délai minimum de quinze jours entre deux applications consécutives de pesticides. Mais à Korhogo aucune norme d’application des produits phytosanitaires que ce soit pour les légumes-fruits, légumes-racines et bulbes n’atteint 10 jours. L’application des produits phytosanitaires sur les plantes se fait selon une périodicité qui est loin de la norme (voir tableaux ci-dessous).

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Tableau 2: Délai d’application de pesticide en culture de légumes-fruits

Tableau 3: Délai entre deux applications de pesticide en culture de légumes-racines-bulbes

Allant sur cette base, le nombre total de traitements par cycle cultural d’un légume devrait être de 6 traitements maximums. Pourtant, les producteurs maraîchers rencontrés font en moyenne 11 traitements de pesticides par cycle cultural.Le nombre moyen est donc de 10,82, soit environ 11 applications de pesticides depuis la préparation du sol jusqu’à la récolte (Cf. tableau ci-dessous).

Tableau 4: nombre de traitements moyens par cycle cultural pour les légumes-fruits

Pour vendre sur le marché de beaux légumes, les producteurs se croient obligés de faire des traitements multiples et rapprochés aux pesticides. 
Comme constaté, il y’a une utilisation abusive des produits phytosanitaires dans le cadre de la production maraîchère à Korhogo. Celle-ci présente un risque sanitaire liée à la consommation de ces aliments. Pour Baldi et al (1998), la consommation de tels aliments induisent des effets 

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aigus et chroniques sur la santé humaine notamment des troubles neurologiques, neurocomportementaux, de la reproduction, du développement et des cancers. Les études de Mbaye et al (2010) ont montré que l’utilisation abusive des produits phytosanitaires provoquent toujours des intoxications humaines (nausée, vomissement, vertige, décès) et animales, polluent l’eau et l’air, détruisent la faune et modifient dangereusement le fonctionnement de l’écosystème. C’est ce que confirme Congo (2013) qui dit que des traitements de type résiduel à 100 g/ha d’endosulfan ont entrainé sur des rivières au Burkina Faso, après 24 heures, des mortalités considérables de poissons.

CONCLUSION

A Korhogo, la production maraîchère se fait de façon intensive dans les bas-fonds. Elle est caractérisée par une utilisation des eaux résiduaires des ménages de la ville. Ces eaux sont infectées de bactéries dont les E. colis. Les E. colis sont à la base de nombreuses maladies diarrhéiques telles que le Choléra, la fièvre typhoïde…. L’utilisation des eaux contaminée constitue une menace pour les consommateurs des maraichers (surtout les produits à consommer crus) produits à partir de ces eaux. La production maraîchère est aussi caractérisée par une utilisation anarchique des produits phytosanitaires. L’application de ces produits ne respecte aucune norme établie. Ils représentent ainsi un risque sanitaire pour les consommateurs. Les consommateurs sont exposés aux pesticides dans la mesure où de faibles quantités de ces substances que l’on désigne sous le nom de « résidus de pesticides », peuvent se retrouver sur les récoltes.

Bibliographie

Baldi I, Brahim B, Brochard P, Dartigues J.F, et Salomon R (1998). Effet retardés des pesticides sur la santé?: état des connaissances épidémiologiques. Non paginé

Mbaye M.F, Sene A, Sow H, Balkhoum M, et Ndene S (2010). Plan de gestion des pestes et des pesticides (PGPP). 

Pannisset J-C, Dewailly E, Doucet-Leduc H, 2003 « contamination alimentaire ». In : Environnement et santé publique-Fondements et pratiques, pp. 369-395. Gérin M, Gosselin P, Cordier S, Viau C, Quénel P, Dewailly E, rédacteurs. Edisem/tec 8 Doc, Acton Vale/Paris

Notes


Table d’illustrations


Conseil général de Korhogo, 2007, Plan stratégique de développement du département de Korhogo. Tome 1. Diagnostic stratégique. Appui technique du Bureau national d’étude technique. 209p Ministère de l’intérieur et de l’intégration, 1999, L’économie locale de Korhogo et de son arrière-pays. Volume 1 : Rapport général 293 p. MINAGRI, 2014 « Rapport du 2ème Cycle de l’analyse du cadre harmonisé de classification de la sécurité alimentaire du 03 au 07 mars à Abidjan (Côte d’Ivoire), situation courante janvier à mars 2014, situation projetée avril 2014 »,Avec le soutien Technique et Financier du CILSS et du Ministère de l’Agriculture de Côte d’Ivoire. 9 p RGPH, 2014, principaux résultats préliminaires. Secrétariat Technique Permanentdu Comité Technique du RGPH. 26 p Mémoires

A.K. Congo, 2003 « risques sanitaires associes à l’utilisation de pesticides autour de petites retenues : cas du barrage de Loumbila »mémoire pour l’obtention du master en ingénierie de l’eau et de l’environnement. 2iE. 68p 
Thèses Boko A.N.N, 2014 « Variabilité climatique, changement dans l’environnement et conscience écologique à Korhogo ». Thèse unique de doctorat, option : sociologie de l’environnement de l’université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan. 341 p
Cissé G, 1997 « impact sanitaire de l’utilisation des eaux polluées en agriculture urbaine : cas du maraîchage à Ouagadougou (Burkina Faso) ». Thèse pour l’obtention du grade de docteur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. 446p
Diallo A.A., 2013, « Escherichia coli pathogènes et résistantes aux antibiotiques dans les effluents d’origine humaine et animale : Prévalence et caractérisation avant et après traitement épuratoire ». Thèse unique de doctorat, option :Microbiologie de l’université de Toulouse. 204p
Kern-Benaibout E.M (2006), «Escherichia coli potentiellement pathogènes pour l’homme : synthèse bibliographique sur le portage par les animaux domestiques et la transmission à l’homme par la contamination de l’environnement». Thèse pour obtenir le grade de Docteur vétérinaire de l’école nationale de vétérinaire de Toulouse. 153 p

Auteur(s)


1KOFFIE-BIKPO Céline Yolande, 2YEO Lanzéni
1Professeur titulaire de Géographie à l’Université FHB de Cocody-Abidjan – bikpoceline@yahoo.fr
2Doctorant à l’Université FHB de Cocody-Abidjan, Institut de Géographie tropicale – yeolanzen@gmail.com

Droits d’auteur


Université Felix Houphouët Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire

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