Conflits fonciers dans l’exploitation des plans d’eau lagunaire de la commune de Grand-Bassam

Assétou Marina OUATTARA-KABLAN Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY marinakablan4@gmail.com

Introduction

Le développement économique de la Côte d’Ivoire est parti des régions littorales, telles qu’initiées par le colonisateur avec la construction en amont du port d’Abidjan en 1951, autour duquel s’est développé un important réseau routier, accompagné d’une implantation continue des activités industrielles, conséquence d’une urbanisation fulgurante (N. K. F. Kouadio, 2012, p. 89). Partant, les facteurs naturels, humains et socioéconomiques contribuent à élever le niveau de concurrence du littoral ivoirien. C’est donc le lieu de nombreux enjeux. En effet, la partie Sud de la Côte d’Ivoire avec son système lagunaire, abrite le quart de la population urbaine (Diagnostic environnemental du littoral ivoirien, 2003, p. 17). Aujourd’hui, avec l’augmentation de la population et la littoralisation qui s’intensifie, les milieux lagunaires de Grand-Lahou, d’Aby et Ebrié représentent des enjeux économiques beaucoup plus importants. Ainsi, la ville de Grand-Bassam parcourue par la lagune Ebrié, n’échappe pas à cette situation de croissance. Sa population qui était de 58 307 habitants en 1998 (INS 1998, p. 100) est passée à 179 063 habitants (INS, 2014, p. 2), soit un triplement sur une période de 15 ans. Par vagues successives, les activités des populations allogènes se superposent sur un même espace de plus en plus étroit où elles interagissent avec celles des autochtones de manière à générer des rapports conflictuels. Au niveau de Grand-Bassam, la lagune Ebrié et ses bordures sont soumises à une forte intensification des activités tandis qu’une pression s’exerce sur ses ressources aquatiques.

Si l’État de Côte d’Ivoire, considéré comme le seul responsable des espaces terrestres et lagunaires, encadre l’exploitation des plans d’eau à travers des textes selon l’article 34 du code de l’environnement (NCE, 2014, p. 18), ceux de Grand-Bassam n’échappent pas à la gouvernance traditionnelle ; d’où la persistance des conflits d’usage.

De ce problème émane la question suivante : pourquoi les conflits fonciers liés à l’exploitation des plans d’eau lagunaires à Grand-Bassam persistent-ils malgré l’existence des dispositions réglementaires et coutumières ? Cette préoccupation interroge sur les raisons à l’origine de cette persistance des conflits. Pour ce faire, les questions subsidiaires suivantes découlent de cette question centrale :

  • quelles sont les raisons des conflits d’exploitation liées aux modes de gestion des eaux lagunaires à Grand-Bassam ?
  • quelles sont les raisons liées aux zones d’exploitation des plans d’eau lagunaires ?
  • Quelles sont les mesures à prendre en vue d’une réduction des conflits d’usage en zones lagunaires de Grand-Bassam ?

Comme objectif général, l’étude vise analyser les raisons de la persistance des conflits liés à l’exploitation des plans d’eau de Grand-Bassam. De façon spécifique, il s’agit de :

  • déterminer les raisons des conflits d’exploitation liées aux modes de gestion des eaux lagunaires à Grand-Bassam ;
  • ressortir les raisons des conflits spécifiques aux zones d’exploitation des plans d’eau lagunaires à Grand-Bassam ;
  • proposer des mesures en vue de réduire ces conflits d’usage.

Dans le souci de répondre aux questions posées dans l’énoncé du problème et d’atteindre les objectifs fixés par l’étude, des hypothèses ont été émises. Les modes de gestion et le type d’usage des zones d’exploitation sont à l’origine des conflits. Explicitement, la diversité de modes de gestion, d’une part et, d’autre part, la concentration des activités d’exploitation sur des sites expliquent la récurrence des conflits sur ces plans d’eau lagunaires. Pour tester ces hypothèses, cette étude s’est appuyée sur des données et méthodes.

1.    Méthodes et traitement des données

Cette étude a mobilisé un certain nombre de données et méthodes pour aboutir aux différents résultats.

1.1.  Les méthodes de collecte des données

L’acquisition des données a nécessité une recherche documentaire et des enquêtes de terrain.

La recherche documentaire a permis d’avoir des données secondaires à partir de sources variées (mémoires, thèses, revues, rapports d’activités, annuaires statistiques, cartes…). À cet effet, des recherches sur internet et dans des bibliothèques de certaines institutions et structures spécialisées ont été faites. Ces centres spécialisés sont l’Institut de Géographie Tropicale (IGT), le Centre de Recherches Océanologiques (CRO), la Direction de l’aquaculture et des pêches (DAP).

Notons, par ailleurs, que la recherche documentaire a permis d’avoir des informations diverses et variées. Il s’agit des informations théoriques portant sur les systèmes de gestion intégrée des plans d’eau, les activités socio-économiques sur les plans d’eau et les conflits d’usage qui en découlent. Ces ouvrages spécialisés portent, soit sur le cadre général, soit sur le cadre spécifique de la commune de Grand-Bassam. Ces informations documentaires ont été complétées par d’autres reçues sur le terrain d’étude.

La recherche sur le terrain a été faite dans la commune de Grand-Bassam qui est une localité composite tant au niveau de son espace naturel composé de plusieurs plans d’eau, qu’au niveau de son environnement socio-politique composé de plusieurs acteurs sociaux et politiques. Elle a permis de vérifier la conformité entre les informations recueillies des documents et la réalité et de prendre contact avec les acteurs et parties prenantes dans la gestion des eaux lagunaires de la commune de Grand-Bassam.

Ces enquêtes par entretien sont menées auprès des autorités administratives et coutumières en charge de la gestion des plans d’eau de Grand-Bassam respectivement avec des représentants de la sous-préfecture et de la Direction des ressources animales et halieutiques de Grand- Bassam, d’une part et de l’autre avec ceux des différentes royautés et chefferies de la commune. Les acteurs d’exploitation fonctionnent également en communautés. Pour ce faire, les entretiens avec les représentants de celles-ci ont eu lieu.

Au total, 25 acteurs ont été interrogés de façon raisonnée et conformément aux différentes préoccupations (Tableau 1).

Tableau 1 : Nombre d’acteurs interrogés par structures

STRUCTURESNombre de représentantsType d’informations recherchéesUtilité
Sous- préfecture  2La gestion administrative des plans d’eau ; le règlement des conflitsLe mode de gestion administrative, la position de l’État.
  Direction des ressources animales et halieutiques    3 La gestion technique et économique des plans d’eau ; le règlement des conflits d’usage.Le mode de gestion technique et économique ; la position des acteurs technique et économiques.
Royautés et chefferies  9La gestion coutumière des plans d’eau ; le règlement des conflitsLe mode de gestion coutumière; la position des acteurs coutumiers.
Acteurs d’exploitation  11Types d’exploitions ; les différentes relations avec les autres acteurs ; les différents conflits rencontrés.Organisation ; fonctionnement ; évolution ; difficultés et stratégies

Source : Ouattara Kablan A. M., 2022

Les autorisations de recherche ont été remises aux chefs des communautés (N’Zima, Fanti, Alladian et Ebrié) d’Azuretti, de Gbamélé et à la cour royale de Moossou. Ce choix de ces villages se justifie par le fait qu’ils aient une façade lagunaire et soient confrontés à des conflits d’exploitation des milieux lagunaires.

Les interviews ont été faites individuellement ou collectivement par groupe de 4 à 5 personnes +pour comparer et vérifier la véracité des informations reçues.

Les enquêtes se sont déroulées avec deux jours d’intervalles dans la semaine du matin au soir sauf les dimanches considérés généralement comme un jour de repos pour les lagunes et un jour de culte pour les populations..

1.2.  Méthodes de traitement des données

Les données collectées au cours de ces enquêtes ont été dépouillées, analysées et traitées, soit manuellement, soit à l’informatique.

Le traitement manuel a consisté à dépouiller à la main les différents supports utilisés pendant l’enquête de terrain. Les données ont été organisées par thèmes afin d’en dégager les principaux axes d’analyse. Cette organisation a facilité le traitement cartographique. Celle-ci a consisté à la spatialisation des données des activités et des conflits d’exploitation sur les cartes géoréférencées grâce au logiciel QGis. Les résultats obtenus sont structurés conformément aux objectifs et hypothèses de cette étude.

2.    Résultats

L’analyse des conflits dans l’exploitation des plans d’eau lagunaire de la commune de Grand- Bassam s’est faite aux niveaux de leur gestion et de leur exploitation. Elle présente, ensuite, un modèle de gestion intégrée, globale et durable en vue du règlement et la réduction de ces conflits.

2.1.  Le dualisme dans la gestion des plans d’eau lagunaires, raison de la persistance des conflits

Les eaux lagunaires de Grand-Bassam sont sous le joug de la gestion administrative et coutumière, deux modes de gestion antagonistes et difficilement conciliables. .

2.1.1 Une gestion administrative peu reconnue

Une administration moderne de gestion des eaux est mise en place conformément à l’article 37 de la loi sur le foncier rural n° 98-750 du 23 décembre 1998 modifiée par celle du 28 juillet 2004. Il s’agit de textes législatifs et réglementaires relatifs au domaine de l’État dont les points essentiels sont le domaine public, le domaine privé, l’expropriation, le cadastre et le régime foncier. Ceux-ci définissent les conditions juridiques d’accès au foncier. Toutefois, la gestion des eaux se fait par les services de pêche et d’aquaculture sur toute l’étendue du territoire, surtout dans les localités qui ont des façades maritimes et/ou lagunaires comme Grand-Bassam. Dans cette commune, le service de la pêche coordonne les activités halieutiques et aquacoles sur les eaux lagunaires. Il prélève des taxes dues à l’État sur tous les pêcheurs identifiés (Tableau 2).

Tableau 2: Taxes administratives sur la pêche selon l’origine des acteurs

Source : Ouattara M., 2022

Les taxes que présente ce tableau 2 reviennent à l’État ivoirien à priori propriétaire des plans d’eau. Cependant, très peu de pêcheurs autochtones se soumettent à ces mesures car, selon eux, la lagune est un don des ancêtres. Ils estiment qu’aucun compte n’est à rendre à l’administration moderne avant son exploitation. Cette résistance à l’autorité étatique génère des conflits lors du contrôle des documents administratifs délivrés aux pêcheurs après acquittement des taxes afférentes.

2.1.2.- Une gestion coutumière spécifique à chaque village contradictoire à la gestion administrative

À Moossou, le roi assure la gestion de l’espace lagunaire qui relève du terroir villageois. La lagune est perçue comme une source d’alimentation mais surtout de revenus financiers perçus directement ou indirectement d’un exploitant non autochtone. Lorsqu’un allogène veut l’exploiter, il doit s’acquitter d’une redevance. Si au commencement, cette contribution était généralement limitée à des dons de bouteilles d’alcool, aujourd’hui, elle a été convertie en somme d’argent. Ainsi, les pêcheurs notamment les Bozo d’origine malienne, paient 100 000 FCFA/an à la cour royale qui leur délivre une carte (photo 1).

Photo 1 : Carte professionnelle de pêcheur délivrée par la Cour royale de Moossou

Source : Prise d’image Ouattara, 2015

Cette carte (photo 1) témoigne de la mainmise de l’autorité coutumière dans la gestion des plans d’eau à Moossou car l’autorité administrative n’intervient pas dans cette zone.

En plus de la dualité des modes de gestion des plans d’eau lagunaires, la cohabitation de diverses formes d’exploitation qui constitue également une source de conflit.

2.2.  Une difficile cohabitation des différents types d’activités d’exploitation des plans d’eau lagunaires

Les plans d’eau lagunaires de la commune de Grand-Bassam abritent une multitude d’activités économiques dont la pêche, le tourisme de proximité1, le transport lagunaire et l’extraction de sable. La forte concentration de ces activités économiques crée une divergence d’intérêt avec pour conséquent la récurrence des conflits d’usage (carte 1).

Carte 1 : Une corrélation positive entre les zones de concentration des activités d’exploitation et de la récurrence des conflits

Comme le montre la figure 1, il existe une récurrence différentiée des conflits d’usage en fonction de la concentration des différents types d’activités ou de la même activité avec des techniques différentes. À Moossou par exemple, l’activité de pêche est exercée soit individuellement, soit collectivement. Elle est pratiquée par les jeunes pêcheurs Abouré à l’aide des nasses, des crevettières ou encore des filets. Les embarcations sont des pirogues monoxyles, non motorisées et des grandes pirogues motorisées. Les prises sont diversifiées et faites de carpes, de mâchoirons, de brochets, de crabes et de crevettes.

À côté de cette communauté, on distingue les pêcheurs maliens communément appelés Bozo qui pêchent dans l’embouchure du fleuve Comoé. Leurs lieux de pêche sont généralement éloignés de leurs zones d’habitations. Ils utilisent des pirogues motorisées et pêchent à la palangre les carpes, les mâchoirons, les silures et les capitaines.

À Azuretti, plusieurs communautés pêchent non loin de leurs lieux de résidence avec des techniques variées. Les pêcheurs béninois utilisent une technique inhabituelle qualifiée de « technique du roseau » née surtout du fait de la fermeture de l’embouchure du fleuve Comoé. Le roseau est une plante aquatique qui pousse sur la lagune suite au mélange de l’eau lagunaire à celle du fleuve Comoé. Les pêcheurs découpent une portion de ces plantes qu’ils maintiennent à l’aide de bambous et les entourent de filets de sorte à constituer des enclos pour les poissons (Photo 2).

1 Le tourisme de proximité désigne ici un ensemble d’activités touristiques composé de maquis, de restaurants, des espaces plein air etc en bordure des plans d’eau lagunaires.

Photo 2 : La pêche du « roseau » à Azuretti : une technique confligène

Source : prise d’image Ouattara, 2022

Ainsi, ces zones sont laissées durant quelques semaines avant l’exploitation des ressources piégées. Les autres communautés notamment les Fanti, Ebrié, N’zima et Alladian utilisent des filets « aoubé », des filets éperviers, des nasses et des pirogues non motorisées. À Gbamélé, l’activité de pêche se pratique non loin de leurs lieux de résidence par la seule communauté Alladian. Ils utilisent les filets « quatre doigts » et les filets éperviers avec des pirogues (grandes et petites) non motorisées.

La pêche lagunaire à Moossou, Gbamélé et Azuretti, est interdite du samedi soir au dimanche (Figure 2).

Figure 2 : Les différentes lagunes de la commune de Grand-Bassam

Elle ne se pratique pas non plus durant les périodes allant d’août à octobre. Les interdictions fournières sont le fait de l’importance de l’activité touristique les jours de week-end. Quant à l’interdiction entre les mois d’août et d’octobre, elle est due à la rareté de la ressource.

Cette diversité de techniques de pêche constitue une source de conflit d’exploitation en ce sens que l’usage de l’une constitue une entrave pour les autres pêcheurs. C’est le cas, par exemple, de la technique du roseau qui est décriée par les autres communautés de pêcheurs.

En plus des oppositions entre les acteurs de pêche, il en existe d’autres entre eux et les autres acteurs à savoir ceux carrières de sable, du tourisme de proximité et, dans une moindre mesure, du transport lagunaire.

Les conflits d’exploitation entre les extracteurs de sable et les pêcheurs résident dans le fait que ces deux activités ne sont pas praticables sur un même site. L’extraction de sable trouble l’eau de la lagune et l’appauvrit en produits halieutiques. Or, ces derniers constituent la condition d’existence de la pêche. Dès lors, les pêcheurs trouvent en ces carrières une menace pour la pêche.

Concernant le tourisme de proximité, ces acteurs trouvent en la pêche, une activité salissante qui occulte les questions liées à l’environnement. L’attractivité des lieux touristiques réside en partie en l’assainissement de leur environnement. Ainsi, ces acteurs touristiques confisquent- ils les berges lagunaires en réduisant les sites de débarquement des pêcheurs. Ces types de conflits s’observent plus dans les localités villageoises au sein de la ville de Grand-Bassam à savoir Azuretti, Petit Paris, Quartier France et Moossou.

Quant au transport lagunaire, il relie les localités d’Ebrah et Moossou à raison de deux voyages journaliers. Il est assuré par quatre pinasses dont chacune dispose d’un jour d’activité par semaine. Les départs journaliers se font à Ebrah à partir de 7h et le trajet a une durée de 30 à 45 minutes. Le dernier départ d’Ebrah est pour 14 h 30 mn. Les voyages de nuits ont lieu uniquement lors des jours de grande affluence pour des funérailles ou les fêtes. Les pinasses partent de Moossou à 10h et 16 h 30 mn. Elles transportent aussi et surtout des passagers originaires d’Ebrah, Elokaté, Elokato et des visiteurs désireux de se rendre à Ebrah. Le tarif s’élève à 500 FCFA et le transport se fait tous les jours. Sur ce trajet, la pratique de certaines techniques de pêche telles que les filets maillants, les akadja etc. est interdite. Ce qui constitue un manque à gagner de ces spécialistes.

Eu égard à ces conflits d’usage qu’engendrent la gestion et l’exploitation des plans d’eau de la commune de Grand-Bassam, quelles recommandations pour une gestion et exploitation durables ?

2.3.  Stratégies de réduction et de résolution des conflits liés à l’exploitation lagunaire de la commune de Grand-Bassam

Les conflits relatifs à la gestion et à l’utilisation des eaux lagunaires à Grand-Bassam sont multiples et se manifestent différemment selon les zones. Tous ces différends trouvent plus ou moins efficacement leur résolution auprès des autorités coutumières, de l’administration du service des pêches voire auprès des autres autorités administratives locales (préfectorales, sous- préfectorales, etc.). Dès lors, pour une gestion et exploitation plus durable, cette étude propose une stratégie de prévention et de réduction de ces conflits fonciers. Elle repose sur quatre piliers à savoir des procédures (lois et décrets), l’environnement, l’usage et l’aménagement des sites (Figure 3).

Figure 1 : Système de gestion efficiente des plans d’eau lagunaire de Grand-Bassam

Cette figure 1 présente les quatre piliers de la gestion efficiente des eaux lagunaires. L’optimisation de ces piliers requiert quatre actions à savoir la mutualisation des actions des acteurs décisionnaires, la sécurisation des plans d’eau, la modification durable de la manière d’utiliser les espaces et la cohabitation spatiale ainsi que la gestion de la rente foncière.

Les résultats recherchés se définissent en termes de politiques de gestion et d’exploitation durables. Ils consacrent donc la mobilisation des acteurs autour de ces politiques, l’effectivité des aménagements intégrés et durables, l’usage intégré et durable ainsi que le suivi et la sécurisation des plans d’eau lagunaires de Grand-Bassam.

Ces résultats présenteront un système lagunaire restructuré avec un aménagement spécialisé des sites (Figure 3).

Figure 3 : Structure spatiale d’aménagement intégré, global et durable des plans d’eau lagunaire de Grand-Bassam

L’aménagement spécialisé consiste à affecter une spécialité à chaque zone aménagée pour un usage unique ou programmé. Il tient compte du niveau de sensibilité de chaque activité vis-à-vis des autres activités. L’objectif est d’éviter des activités sensiblement incompatibles telles que la pêche et le tourisme, la pêche et l’extraction de sable. Dans l’ensemble, l’activité halieutique reste dominante sur les différents plans d’eau lagunaires.

3.   Discussion des résultats

L’analyse des raisons des conflits fonciers dans l’exploitation des plans d’eau lagunaires de la commune de Grand-Bassam met en évidence le dualisme dans leur gestion et une difficile cohabitation des différents types d’activités d’exploitation. Elle propose des stratégies de prévention et de réduction de ces conflits.

K. P. Anoh (2010, p.356) affirme que le dualisme dans la gestion des plans d’eau lagunaires de Grand-Bassam est caractérisé par un difficile accès à l’espace lagunaire par l’administration des pêches. Selon lui, ces plans d’eau échappent au contrôle de l’Administration contrairement aux eaux marines et continentales en Côte d’Ivoire confirmant ainsi la domination de l’autorité coutumière dans ce dualisme mise en évidence dans la présente étude. Cette situation a suscité, selon lui, l’instauration d’une licence de pêche payable à partir de 1982 (Arrêté n° 07/MPA/DPML du 24 avril 1982 portant réglementation et instituant une licence de pêche pour les grands filets de pêche lagunaire) qui s’est soldée par un échec. Cette gestion plurielle des plans d’eau est qualifiée de gestion sectorielle par M. Moernaut (2020, p.11) dans son étude sur le cas de Mboro-Darou Khoudoss au Sénégal. Ce sectarisme dans la gestion, selon elle, est à l’origine des discordes et donc source d’inefficacité.

Concernant les difficultés de coexistence des activités d’exploitation des plans d’eau qui occasionnent des conflits, plusieurs auteurs abondent dans le même sens avec quelques nuances portant sur les types d’acteurs et d’activités en opposition en fonction des espaces considérés. Ainsi, dans son étude portant sur l’aquaculture dans la lagune Ebrié, N. Aboya (2011, p. 152) soutient que les activités liées à la pêche sont les seules responsables des conflits dans ces espaces. Il s’agit, pour lui, de conflits entre pêcheurs, entre fermiers (aquaculteurs) et pêcheurs, occultant ainsi les autres types d’activités à savoir le tourisme, le transport lagunaire et l’extraction de sable qui s’y déroulent. Pour A. M. Koffi-Didia (2012, p. 361), ces conflits ne concernent pas que des plans d’eau, mais également la terre ferme. Il s’agit donc, pour elle, de conflits d’usage de la terre et de l’eau qui opposent particulièrement les autochtones et les allochtones (A. M. Koffi-Didia, 2012, p. 366).

Face à ces raisons multiformes à la base de ces conflits fonciers, une stratégie de prévention et de réduction en vue d’une gestion intégrée de ces plans d’eau lagunaire est préconisée par cette étude. Cette approche est l’apanage des études dans le domaine de la gestion des espaces et ressources en eau. Elle est préconisée par celles du Global Water Partnership (2000, p. 32), J. Burton (2001, p. 17), M. Moernaut (2020, p. 3). Ces études, bien que portant sur des processus de développement socio-économique et des zones géographiques différents, s’inscrivent toutes dans une approche de prise en compte de toutes les parties prenantes et des objectifs globalisants tels que suscités par la présente étude.

Conclusion

Les conflits fonciers dans l’exploitation des plans d’eau lagunaire sont le fait d’une gouvernance inadaptée basée sur le dualisme des acteurs en charge de leur gestion mettant au second plan la position de l’État face aux acteurs coutumiers qui ont une présence effective sur le terrain. Ils sont également le fait de la coexistence d’une multitude d’acteurs et d’activités à savoir la pêche, le tourisme, l’extraction de sable et le transport lagunaire. Ainsi, cette étude préconise une stratégie de gestion intégrée, globale et durable reposant sur la définition d’une politique globale, l’appropriation des acteurs, l’aménagement et l’usage intégrés des sites et leur suivi et la sécurisation. La démarche adoptée a consisté à une analyse de l’état des lieux et d’aboutir à la proposition d’un modèle de gestion comme solution à la prévention et la réduction de ces conflits. Cette approche intègre bien cette situation en ce sens qu’elle s’inscrit dans une démarche de recherche et développement en proposant des pistes de solutions. Aussi, dans cette perspective d’approche globale dans la gestion des plans d’eau et au regard du caractère composite de la commune de Grand-Bassam, la prise en compte de tous les autres plans d’eau maritime et fluvial s’avère une nécessité.

Références bibliographiques

  • ABOYA Narcisse, 2011. Étude géographique de l’aquaculture dans les lagunes de la Côte d’Ivoire : Exemple de la lagune Ébrié, Thèse de doctorat Unique de l’Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 278 p.
  • Burton Jean, 2001. La gestion intégrée des ressources en eau par bassin, Edition IEEF, Paris, 238 p.
  • Côte d’Ivoire, 2014. Nouveau Code de l’Environnement, Ministère de l’Environnement, de la Salubrité Urbaine et du Développement Durable (MESUDD), Abidjan, 149 p.
  • Global Water Partnership, 2000. La gestion intégrée des ressources en eau. Éditions GWP, Stockholm, 76 p.
  • KOFFI-DIDIA Adjoba Marthe, 2012. Gestion de l’espace rural en pays Ebrié (Sud-Est Côte d’Ivoire) : Quelles alternatives dans un contexte de mutations ? Éditions Universitaires Européennes, Paris, 438 p.
  • KOUADIO NANAN Kouamé Félix., 2012. Enjeux fonciers et expansion aquacole sur le littoral ivoirien : cas des espaces lagunaires et péri-lagunaires ; Thèse de Doctorat de l’Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 364 p.
  • ANOH Kouassi Paul, 2010. « Stratégies comparées de l’exploitation des plans d’eau lagunaire de Côte d’Ivoire », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], Juillet-Septembre 2010, document 4, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 04 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/com/6038
  • MOERNAUT Mira, 2020. La gestion intégrée des ressources en eau : un guide de recherche participatif à l’encontre des pressions et des vulnérabilités exercées sur les usagers de l’eau : cas à Mbo-Darou Khoudoss au Sénégal. Mémoire de Master de l’Université de Liège, Liège, 106 p.
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