L’impact du barrage hydroélectrique de Soubré dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire

Ya Gniminhny Pulchérie SORO

Mamoutou TOURE

Assalé Félix AKA

Université Félix Houphouët Boigny

Résumé :

Les constructions des barrages hydroélectriques à travers le pays est une option de développement volontariste du gouvernement ivoirien pour assurer la sécurité énergétique du pays tout en luttant contre les disparités régionales. L’implantation du barrage hydroélectrique dans la région de la Nawa s’inscrit dans cette droite ligne dont l’étude analyse les mutations socio-économiques et spatiales. Elle s’appuie sur des articles scientifiques, rapports d’experts et récits de quotidiens. La revue est complétée par l’inventaire du patrimoine physique et des enquêtes auprès des ménages et des responsables de CI-Energies et de la municipalité de Soubré. L’étude établit qu’un lustre après sa mise en exploitation, le barrage fait œuvre utile de développement national et régional. Il a amélioré la production énergétique du pays avec des externalités positives au plan local : forte demande de terrains urbains dans la ville de Soubré, villages recasés modernisés, équipements d’intérêt collectif, économie locale vivifiée, sur fond de préservation de l’environnement. Pour autant, des signes d’inquiétudes inhérents à la réalisation d’un barrage, sont déjà perceptibles et se combinent avec des effets sociaux pervers qui constituent à moyen et long terme des motifs sérieux de crises sociales.

Mot-clés : Côte d’Ivoire, Région de la Nawa, Politiques publiques, Barrage hydroélectrique, développement

Abstract

The construction of hydroelectric dams across the country is a proactive development option of the Ivorian government to ensure the country’s energy security while fighting regional disparities. The establishment of the hydroelectric dam in the Nawa region in the central west of the country is in line with this, whose study analyses socio-economic and spatial mutations. It is based on scientific articles, expert reports and daily stories. The review is complemented by the inventory of physical heritage and surveys of households and managers of CI-Energies and the municipality of Soubré. The study found that about 20 years after it was put into operation, the dam was a useful tool for national and regional development. It has improved the country’s energy production with positive local externalities: strong demand for urban land in the city of Soubré, modernized secluded villages, facilities of collective interest, revitalized local economy, against a background of environmental preservation. However, signs of concern inherent in the realization of a dam are already perceptible and are combined with perverse social effects that constitute in the medium and long term serious motives of social crises.

Keywords: Côte d’Ivoire, Nawa region, Public policy, Dams, development,

Introduction

La création de barrages remonte en Côte d’Ivoire au milieu des années soixante. Elle répond d’une part à la recherche de l’indépendance énergétique du pays (formulée dans le Plan quadriennal 1958-1962), avec option (vers 1966-1967) en faveur de l’hydroélectricité (plutôt que l’électricité thermique). D’autre part, elle s’inscrit dans le cadre d’une volonté politique de réduction des disparités interrégionales, nettement exprimée à partir du premier Plan (1967-1970). Au total, sept barrages ont été construits de 1964 à 2017, dont le barrage hydroélectrique de Soubré.

La réalisation de grands ouvrages hydroélectriques dans une localité constitue un atout dans la mesure où elle contribue au développement en général et à la promotion humaine de celle-ci (Skinner et al., 2009 ; Commission Mondiale des Barrages, 2000). Cependant, la réalisation de grands ouvrages hydroélectriques engendre de nombreux problèmes spatiaux, socio- économiques qui contribuent à l’émergence de crises sociales (Schleiss A. J. et Pougatsch H., 2011 ; Skinner et al., 2009 ; Commission Mondiale des Barrages, 2000.

Plusieurs études ont déjà évalué les effets immédiats, socio-économiques et spatiaux des barrages ivoiriens avec des résultats qui montrent clairement le caractère ambivalent des barrages, à la fois porteurs de croissance et d’économies (Ancey G. et Pescay M. 1983 ; Dubresson A., 1989 ; Yapo A., 1993 ; Hauhouot A., 2002 ; Touré M., 2004, 2010). Cinq ans après la mise en exploitation du nouveau barrage de Soubré, le temps de réponse est suffisant pour faire un premier état des lieux des modifications socio-économiques et spatiales suscitées par ce type d’aménagement dont on connait les bienfaits et les méfaits. L’objectif du présent article est d’analyser les mutations spatiales et socio-économiques du barrage dans la région de la Nawa au Sud-ouest de la Côte d’Ivoire.

1.  Collecte et traitement de données

Deux méthodes de collecte de données ont servi dans cette étude. Il a été question de consulter la documentation et d’effectuer des enquêtes de terrain. Pour ce qui est de la recherche documentaire, les visites des bibliothèques (IGT, de l’IES, de l’IRD) et des centres de documentation des institutions (INS, BNETD, CI-ENERGIES et MINAGRA), ont permis de consulter des ouvrages généraux, des revues scientifiques, et des travaux de recherche en rapport avec notre sujet. Aussi des publications en ligne ont été consultées sur les sites de recherche.

Sur une durée de trois mois (septembre à novembre 2020), une enquête de terrain nous a permis de faire des observations, d’avoir des entretiens avec des leaders d’opinions tel que les chefs de villages et les maitres d’ouvrages (CI-ENERGIES). Nos questionnaires ont été adressés aux chefs de ménages. Nous avons interrogé aussi bien les autochtones que les migrants.

Pour construire notre échantillon représentatif, nous avons utilisé la méthode empirique ou choix raisonné. L’étude s’appuie sur le modèle gravitaire de Reilly William J. (1931) inspiré de la gravitation universelle de Newton ou de l’électromagnétisme. Le modèle postule que les barrages hydroélectriques constituent des aimants qui attirent et retiennent les activités économiques, les services et les infrastructures qui constituent autant d’emplois pour le territoire d’accueil. C’est la raison pour laquelle, la construction des barrages est encouragée non seulement pour satisfaire les besoins hydrauliques et énergétiques mais aussi en tant qu’investissement stratégique à long terme, susceptible d’offrir de nombreux avantages.

Pour une meilleure compréhension des mutations spatiales et socio-économiques du barrage dans la région de la Nawa, le modèle est testé autour du barrage et dans trois villages impactés directement par la construction du barrage dans le département de Soubré.

Il s’agit des villages de Kpéhiri, Kouamékro et Kopéragui. Ainsi, le questionnaire a été adressé aux différents chefs de ménages résidents dans ces localités. L’étude concerne trois localités impactées directement par le projet de construction du barrage, notamment Kpéhiri, Kouamékro et Kopéragui, des départements de Soubré et Méagui. Cela se justifie par le fait que le projet de l’aménagement hydroélectrique de Soubré a concerné pour la grande part les villages que les villes. Les études ont démontré que les impacts sociaux, spatiaux et environnementaux se sont ressentis beaucoup au niveau des 3 villages. En réalité, ces villages ont été affectés négativement par la destruction des plantations, du couvert végétal et des biens socio-culturels et positivement par des recasements dans des habitations modernes.

Les notions de villages d’impacts direct sont des dénominations employées par CI-ENERGIES (maître d’œuvre du projet) lors de l’étude d’impact environnemental et social qu’elle a mené avant la réalisation du projet de l’aménagement hydroélectrique de Soubré.

En effet, ces localités ont subi une délocalisation lors du projet de l’aménagement hydroélectrique. Les observations portent principalement sur les types d’habitats, les activités, le mode de vie des populations, les équipements, les infrastructures, afin de mieux apprécier les mutations opérées par le barrage hydroélectrique de Soubré.

La technique d’échantillonnage menée pour les villages d’impacts directs est une enquête exhaustive. Celle-ci consiste à enquêter l’ensemble des ménages de ces villages.

Cette base de sondage a consisté à établir une liste exhaustive de tous les ménages dans les villages d’impact direct. Nous avons obtenu la liste des ménages à CI-ENERGIES que nous avons eu la bienveillance d’actualiser sur terrain.

Sur les 427 ménages que compte l’ensemble des 3 villages impactés directement, 406 ont été interrogés, soit un taux de couverture de 95%. Les 5% restants sont ceux absents lors de notre passage.

1.1 Le traitement des données

Les informations recueillies par la méthode ci-dessus indiquées ont subi des traitements en fonction de la nature de l’information. De ce fait, différentes méthodes ont été utilisées. Il s’agit notamment du traitement de l’information cartographique, du traitement statistique et du traitement qualitatif. Au niveau de la cartographie, les coordonnées des unités différentes cités et différents équipement et infrastructures engendrés ont été repérés par GPS et portés sur un fond de carte à partir du logiciel Qgis version 3.0.2. Le rendu de cette carte a été effectué sous Adobe Illustrator CS6. Les autres informations, quant à elles, ont été dépouillées sous Excel. Le traitement de ces données a conduit à leur interprétation puis à l’organisation du travail.

2.  Résultats

L’analyse des mutations socio-économiques et spatiales de la région de la Nawa, implique au préalable une description de la restructuration de l’espace de Soubré.

2-1. La commune de Soubré, un gain en espaces bâtis

Le premier impact du barrage à Soubré est sans doute la modification des limites administratives des départements de Soubré et de Méagui (Carte n°1).

Figure 1 : La nouvelle limite départementale de Soubré

Carte 1 : La nouvelle limite départementale de Soubré

Le fleuve constituait la limite naturelle qui séparait les départements de Méagui et de Soubré. Le département de Soubré, habité par les bétés, s’étendait jusqu’au pont du fleuve du côté de la rive gauche. Quant au département de Méagui, situé du côté de la rive droite du fleuve, il appartenait uniquement au Bakwé. L’avènement de l’aménagement hydroélectrique de Soubré a donc suscité une extension de l’espace départemental de Soubré. Désormais, le département de Soubré a franchi la limite naturelle (fleuve Sassandra) et prend en compte les villages Bakwé, Galéa, Kopéragui et Kpéhiri.

Le deuxième effet du barrage renvoie aux lotissements réalisés pour accompagner la construction du barrage.

Le premier pour les villages recasés, nés de la volonté des autorités coutumières des villages sinistrés, sont réalisés à Galéa pour la création des cités Kopéragui (Carte n°2) et Kouamékro (Carte n° 3).

Carte 2 : Plan de lotissement de Kopéragui                                 Carte 3 : Plan de lotissement de Kouamékro

Les nouveaux villages de Kopéragui et Kouamékro ont été réinstallés sur le terroir villageois de Galéa 1 sur une superficie totale de 27 ha. Les villages de Kopéragui et Kouamékro sont réinstallés successivement sur une superficie de 17 ha et de 10 ha. Le nouveau village de Kopéragui compte 155 logements, dont 58 logements pour les autochtones au nord et 97 logements pour les allogènes (burkinabés) et les allochtones (Lobi, Abron, Baoulé, Yacouba, Koulango etc…) au sud. Des équipements de proximité sur une superficie de 27 052 m2, un cimetière de 16 139 m2 et un espace vert et polyvalent de 4841 m2.

Le village de Kouamékro compte 59 logements pour les allochtones baoulé de Sakassou/Bouaké (Tableau n°1).

Tableau n°1 : répartition foncière des cités Kouamékro et Kopéragui

CitésSuperficie lotie en hectaresNombre de lots
Kouamékro1059
Kopéragui17155
Total27214

Source : Soro Pulchérie, 2020

Un autre projet de lotissements dans le cadre de l’aménagement du barrage hydroélectrique est celui du village de Kpéhiri. Le village de Kpéhiri accueil une partie de sa population réinstallée sur un terrain du village et la cité d’exploitation (Carte 4 et 5).

Les villages réinstallés occupent une superficie totale de 20 ha sur le terroir villageois de Kpéhiri. La partie nord du village de Kpéhiri réinstallés occupe une superficie de 10 ha sur le nouveau cite, avec 175 logements. Quant à la cité d’exploitation, pour le logement des chefs d’ouvrage a été construite sur une superficie de 10 ha, avec 46 villas, 52 chambres de passages et des équipements de proximités (Tableau n°2).

Tableau n°2 : répartition foncière des cités Kpéhiri et de la cité d’exploitation

CitésSuperficie lotie en haNombre de lots
Cité Kpéhiri10175
Cité d’exploitation1046
Total27227

Source : Soro Pulchérie, 2020

Le dernier projet de lotissement de l’aménagement du barrage hydroélectrique de Soubré est celui de Mayo 1. Le terroir villageois de Mayo 1 a accueilli la cité ouvrière. Cette cité abrite les ouvriers travaillant sur le site du barrage et leurs familles respectives (Carte 6).

Carte 6 : Plan de lotissement de la cité ouvrière

; CI-ENERGIES, 2020

La cité ouvrière a été construite sur une superficie de 27 ha. Elle compte 82 logements pouvant accueillir 1312 ouvriers, 41 villas et des infrastructures de proximité (écoles, marché, espace de jeux…).

Au total, ce sont 5 opérations de lotissement qui sont réalisées par les promoteurs du barrage en faveur des sinistrés dans le cadre du projet d’aménagement du barrage de Soubré (Carte n°7).

Carte 7 : La carte de la répartition des différents lotissements à Soubré

Ces 5 opérations de lotissement sont réalisées sur 74 hectares par CI-ENERGIES pour accueillir les différentes cités (cités des maitres d’ouvrages, des ouvriers du barrage et les villages recasés): cité d’exploitation, cité ouvrière, cité Kpéhiri, cité Kouamékro et cité. La cité d’exploitation est celle où résident les exploitants, les responsables de CI-ENERGIES. La cité ouvrière est la cité où vivent les ouvriers du barrage (techniciens, ingénieurs etc…) avec leurs familles respectives. Les cités Kouamékro, Kopéragui et Kpéhiri sont celles qui ont accueillis les populations recasés (villages engloutis ou menacés par l’eau du réservoir).

2-2. Une modernisation de l’habitat dans les nouvelles cités

Dans les villages impactés par le projet d’aménagement du barrage, il n’existait que deux types de maisons : le dahoméen et le banco (Photos n°1 et 2)

La maison en banco est en bois et recouverte de boue de terre. Sur une charpente sommaire, un toit en paille tressée en nattes y est posé. Pour le dahoméen, le processus de construction consiste à un empilement des unes sur des autres des bandes de banco épaisses de 25 cm et hautes de 50 cm environ d’une durée de séchage de deux semaines. Avant les lotissements, l’habitat dominant dans les villages est le banco représentant 81% des maisons contre 9% de bâtiments recouverts de ciment.

Après les lotissements consécutifs à la mise en eau du barrage, un changement radical est observé sur l’espace des nouveaux villages créés avec la modernisation de l’habitat (Photo n°3 et 4).

Dans le projet de construction de logements des populations sinistrées, le choix est porté sur une typologie architecturale identique moderne réalisée avec des matériaux solides d’un même plan allant de 2 à 5 pièces par les maîtres d’ouvrages (CI-ENERGIES) (tableau n°3)

Tableau n°3 : Différentes formes de logements construits

Source : CI-ENERGIE, 2020

Quatre principales formes de logements ont été construites par des entreprises à la suite d’un appel d’offre. Les logements composés de 3 et 4 pièces représentent 61,4% des actions du projet de construction. Ces concessions sont composées principalement de logements et d’espace servant de cour. Les logements sont dotés de cuisine (40%), de douche (33%) et sanitaire (12%), de dortoir (10%). L’espace servant de cour abrite des bâtiments annexes composés de grenier (3%), d’étable (1%) et de bergerie (1%). Sur les 389 logements réalisés, 348 sont destinés à l’hébergement de 348 ménages sinistrés. 41 logements supplémentaires ont été réalisés pour d’éventuels dommage-intérêt pouvant survenir. En dehors des logements, les nouveaux villages ont bénéficié d’infrastructures socio-collectives.

2-3. Un gain en infrastructure socio-collectif

Les infrastructures d’intérêt social et collectif sont des écoles, un centre de santé, des pompes hydrauliques, des préaux, des foyers polyvalents réalisés dans les villages recasés (Tableau n°4).

Tableau n°4: Répartition des infrastructures socio-collectives par localités impactées

Source : nos enquêtes, 2020

Avec la réalisation de 14 équipements sociocommunautaires au bénéfice des villages recasés, une amélioration substantielle est observée avec surtout un établissement scolaire dans chaque village en dehors de Kouamékro. Même si ce village ne dispose pas encore d’équipements scolaires à titre personnel, un établissement construit à Kopéragui sert les deux villages. Ainsi, les élèves du primaire de Kouamékro s’y rendent quotidiennement pour les cours.

Comme intrants, toutes les infrastructures sociocommunautaires sont construites avec de matériaux modernes et durables avec un plan type élaboré par les services compétents de la division infrastructure, équipements et maintenance du Ministère de l’Education Nationale (Photos n° 5 et 6).

Ces écoles primaires bénéficient de commodités incitatives. Ces commodités sont des latrines modernes (garçons, filles et le personnel enseignant) et une cantine scolaire etc…

Deux villages, Adingrakro et Koffikro, ont bénéficié d’équipements hydrauliques à titre de compensations des dommages collatéraux lors de la phase d’exécution des travaux du chantier de l’aménagement hydroélectrique.

2-4. Un gain en infrastructures d’assainissement

Les nouveaux villages disposent des équipements de gestion de l’environnement qui sont notamment des ouvrages d’évacuation des eaux usées et pluviales (Photos n°7 et 8).

Les infrastructures de collecte des eaux pluviales sont des caniveaux ouverts avec passages busés enfouis sous la chaussée non bitumée pour drainer les eaux de pluies.

2-5. Dégradation spatiale : conséquence de l’absence de système de gestion environnementale

Le cadre de vie des nouveaux villages connait une dégradation par manque d’un système gestion environnementale (Photo n°9 et 10)

Les ordures ménagères sont déversées aux abords des différentes rues principales et secondaires et des canaux d’évacuation des eaux pluviales. Les causes du déversement des ordures dans les équipements sont divers (tableau n°5).

Tableau n°5 : Les causes des déversements anarchiques des ordures ménagères

Facteurs de présence d’ordures sur les équipementsEffectif de ménages%
Manque de dépotoirs30074
Manque de collecteurs d’ordure5012
Négligence4010
Ignorance164
Total406100

Source : Soro Pulchérie, 2020

Selon les résultats des enquêtes menées auprès des 406 ménages, d’abord 300 ménages justifient la présence des ordures ménagères sur les infrastructures et équipements réalisés par l’inexistence d’espaces aménagés pour le dépôt des ordures. Pour 50 ménages, l’absence d’un système de pré-collecte d’ordures est la cause de la dégradation de l’environnement. Ensuite, pour 40 ménages, la négligence est également une cause de cette dégradation de l’environnement. Enfin, pour 16 ménages, l’ignorance des conséquences liées aux ordures par les populations est le facteur de leur présence dans le cadre de vie.

3.  Discussion

Le fil conducteur de l’étude était une interrogation sur la dynamique spatiale suscitée par l’aménagement du barrage hydroélectrique dans la commune de Soubré. L’étude visait à passer en revue les mutations spatiales observées dans la commune de Soubré dans le cadre du projet hydroélectrique ; et ce, d’autant plus que la réalisation d’un barrage est perçu dans la littérature comme un équipement aux effets ambivalents. Si la contribution d’un barrage au développement local ou national est indéniable, sa construction est toutefois perçue comme un facteur d’appauvrissement des populations qui accueillent le projet. Les barrages sont consommateurs de vastes superficies de terres lors de leur réalisation avec pour conséquences communes des déplacements massifs de populations. Ces conséquences visibles se combinent généralement avec d’autres effets sociaux pervers qui constituent des motifs sérieux de crises sociales.

A quelques différences près avec les travaux sur la question, les résultats de la contribution confirment ce point de vue. Les problèmes rencontrés par les populations des localités qui ont été impactées directement par le projet de l’aménagement hydroélectrique de Soubré sont illustratifs de cette situation.

Dans la région de la Nawa, l’érection du barrage hydroélectrique à Soubré a suscité de profondes modifications spatiales, des transformations économiques tant bénéfiques que défavorables à la ville. La lecture de ces modifications et transformations se perçoivent à travers le paysage urbain.

L’érection d’un barrage dans une localité répond tout d’abord à une politique d’aménagement du territoire. Elle contribue à l’essor économique de cette localité à travers la création des activités lucratives et d’apport d’équipements d’intérêt public notamment les écoles, les hôpitaux, l’habitat, l’adduction d’eau potable et l’électricité, etc. (Touati B., 2010, p. 15). Alors de par sa fonction contributive, la construction d’un barrage répond à des fins de lutte contre des disparités régionales eu égard aux externalités positives qui découlent de leur création (Nguyen V. T., 2016, p. 6). En Côte d’Ivoire, l’usage des externalités nées de la construction de barrage comme un outil de réduction des disparités régionales a fait déjà ses preuves. Ainsi pour réduire la pauvreté tant ressentie dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, les barrages d’Ayamé au Sud-Est, de Kossou et de Taabo, au centre ont été réalisés.

Comme disait Bordes J. L., (2010, p. 1), la construction d’un barrage hydroélectrique modifie le cours des choses au sens propre comme au sens figuré, l’effacement d’un paysage et la création d’un autre. Ainsi, l’érection du barrage hydroélectrique a enrayé les villages Kpéhiri, Kouamékro et Kopéragui, des départements de Soubré et Méagui avec la création de nouvelles localités à la périphérie de la ville de Soubré.

La création des nouvelles localités à la périphérie de la ville de Soubré est née de la volonté de l’État ivoirien d’associer au projet d’aménagement hydroélectrique des projets de développement socio-économique et de relogement des populations sinistrées, même si les objectifs premiers de l’autorité étaient la production électrique.

Pour reloger les populations déplacées et le personnel technique et administratif de la société CI-ENERGIES, maitre d’œuvre du projet d’aménagement du barrage, il a fallu de nouveaux lotissements à la périphérie de la ville de Soubré. Ainsi, cinq opérations de lotissement soumises aux exigences des normes de production des espaces urbains, sous la houlette des autorités

municipales sont réalisées. Alors, s’amorce de l’extension spatiale urbaine de Soubré (Koffi A., 1978, p. 186).

Sur ces lotissements sont bâtis des maisons économiques et de moyen standing pour loger les migrés. Les grilles d’équipements des logements intègrent les commodités urbaines salles d’eau, de toilettes internes à l’habitat) avec de voirie d’accès libre au même titre que les autres équipements à usage public (Touati B., 2010, p. 15).

Aujourd’hui, le moindre qu’on puisse dire, le projet d’aménagement de barrage a été un outil de développement local qui a apporté plusieurs équipements de développement à la ville de Soubré, corrigeant ainsi certaines disparités comme démontré dans le cas de l’aménagement d’un barrage dans le Nord du Viêt-Nam (Nguyen V. T., 2016, p. 6).

Malgré les états de service, la construction des barrages n’a pas que des avantages (Tia L. Touré M., 2016, p. 18). Si l’accent a été mis sur les apports bénéfiques aux populations, ce n’est plus l’unique cas désormais. La ville de Soubré connait une extraordinaire extension spatiale nourrie par la production des quartiers précaires. Il en résulte une bidonvilisation de la ville avec la paupérisation des ménages annoncés par les travaux existants (Cernea M. M., 1998, p. 13).

Par ailleurs, une dégradation de certains équipements tels que les rues aménagées sommairement sans les revêtements bétonnés est pour le moins paradoxale d’autant plus que le projet d’aménagement hydroélectrique a pour ambition d’apporter un développement durable à la ville de Soubré, ce qui permettra de lutter contre la paupérisation importante des villes ivoiriennes en dehors de celle d’Abidjan.

Le site du barrage est situé sur l’axe Soubré-San Pedro, fortement peuplé du fait des externalités créées par le trafic routier vers le port littoral de San-Pedro. La ville de Soubré constitue une porte avancée de la zone portuaire avec un afflux probable de population. Sur le long terme, la présence du barrage pourrait amplifier ce phénomène avec une urbanisation démographique non maitrisée et favorable au développement « d’une économie informelle » dans la ville de Soubré.

Conclusion

Les constructions des barrages hydroélectriques à travers le pays est une option de développement volontariste du gouvernement ivoirien pour assurer la sécurité énergétique du pays tout en luttant contre les disparités régionales.

Se pose alors la question de savoir si la construction du barrage hydro-électrique de Soubré a été, comme annoncé, « loin de perturber l’écosystème.  » et s’il « .a permis de mieux maîtriser la nature au bénéfice des populations humaines, animales et végétales ». A cette question, les résultats de nos investigations nous amènent à faire la part des choses entre les effets bénéfiques et les effets néfastes.

Au titre des effets bénéfiques, l’aménagement hydroélectrique de Soubré a joué le rôle de catalyseur dans le développement économique et l’impulsion de la région. La construction des barrages hydroélectriques est une option de développement volontariste du gouvernement ivoirien pour assurer la sécurité énergétique du pays tout en luttant contre les disparités régionales. Il a amélioré la production énergétique du pays et joue le rôle d’un complexe industriel de production et de transport d’énergie pour satisfaire les besoins des ménages et des unités industrielles. Les externalités positives sont tout autant perceptibles sur le terrain. On assiste à une forte urbanisation de la ville de Soubré du fait de son extension par des cités modernes. Ce sont les villages recasés (Kouamékro, Kopéragui et Kpéhiri), la cité

d’exploitation et la cité ouvrière. Les villages recasés se sont modernisés et sont dotés d’équipements d’intérêt collectif. La pêche est désormais une activité en croissance source de revenus importants pour les populations. Un vaste périmètre autour du site du barrage est protégé pour préserver la biodiversité.

En revanche la mise en place de l’ouvrage hydraulique a engendré des conséquences écologique, sociale et économique néfastes. Sur le plan écologique par exemple, la mise en eau du lac a été directement à l’origine de la destruction du couvert végétal. La consommation de vastes superficies de terres lors de sa réalisation avec pour conséquences des déplacements massifs de populations. La fragilisation de la couverture végétale a alors exposé les sols aux phénomènes d’érosion qui se généralisent sur l’ensemble du bassin. En outre, les bruits incessants des engins au moment du chantier, conjugués avec la colonisation humaine des franges du plan d’eau ont aussi été à l’origine de la raréfaction des animaux sauvages sur le bassin versant.

Dans le domaine social, la création du plan d’eau a entraîné la dislocation de certaines cellules familiales du fait du transfert des populations ; des tensions larvées entre populations autochtones, déplacées du barrage et migrants pour l’occupation des terres fertiles.

Dans le domaine économique, elle a aussi réduit les productions alimentaires et économique par la perte de plantation et une raréfaction d’apport de denrées agricoles. C’est ainsi que dans un domaine comme l’agriculture, les paysans ont perdu leur principale source de revenue. L’appauvrissement des populations qui accueillent le projet constituent à moyen et long terme des motifs sérieux de crises sociales.

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