Défis et opportunités de la régularisation des lotissements informels à Abidjan
Résumé :
Dans le district d’Abidjan, malgré une planification urbaine rigoureuse mise en place depuis l’époque coloniale et la mise en œuvre du Schéma Directeur Urbain du Grand Abidjan (SDUGA) jusqu’en 2030, la présence persistante de 231 lotissements informels dans toute la ville constitue un défi majeur. Face à cette réalité, le Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU) s’engage dans une collaboration avec les promoteurs de lotissements, notamment les chefferies villageoises et les groupements d’habitants, pour régulariser ces zones informelles. L’objectif est de cartographier et d’intégrer ces lotissements dans le cadre urbain formel, afin d’améliorer les conditions de vie des habitants et de favoriser un développement urbain durable et inclusif. Ce processus de régularisation représente un défi complexe mais essentiel. Les résultats de cette étude soulignent la nécessité d’une approche concertée pour relever ces défis, en mettant en lumière les opportunités qui résident dans l’intégration de ces zones dans le cadre urbain formel.
Mots clés : Grand Abidjan, lotissements informels, urbanisation, cartographie, régularisation.
Abstract
In the Abidjan district, despite rigorous urban planning established since colonial times and the implementation of the Urban Master Plan for Greater Abidjan (SDUGA) until 2030, the persistent presence of 231 informal settlements throughout the city remains a major challenge. Faced with this reality, the Ministry of Construction, Housing, and Urbanism (MCLU) is collaborating with the developers of these settlements, including village chiefs and community groups, to regularize these informal areas. The objective is to map and integrate these settlements into the formal urban framework, in order to improve living conditions for residents and promote sustainable and inclusive urban development. This regularization process represents a complex yet essential challenge. The findings of this study highlight the need for a concerted approach to address these challenges, while also emphasizing the opportunities that lie in integrating these areas into the formal urban framework.
Keywords : Greater Abidjan, informal settlements, urbanization, mapping, regularization.
Introduction
La politique d’urbanisation en Côte d’Ivoire repose sur un système qui s’est construit depuis la période coloniale. Depuis 1960, la Côte d’Ivoire a pris l’option d’inscrire le développement urbain dans les plans nationaux de développement, faisant de celui-ci l’un des axes stratégiques de croissance économique et de modernisation du pays. Elle s’est appuyée progressivement sur divers leviers institutionnels pour encadrer le développement urbain notamment en ce qui concerne la conception, la réalisation et le financement. Le Ministère du Plan qui avait en charge toutes ces prérogatives, les a partagées au fil du temps avec plusieurs ministères techniques et organismes eu égard à la complexité de la prise en charge des problèmes des villes (Touré Mamoutou, 2012).
Cet édifice a permis en une cinquantaine d’années, d’équiper et de moderniser les villes qui sont ainsi devenues les lieux privilégiés de développement des activités économiques et de création des emplois modernes, attirant de ce fait les populations. Les écosystèmes et les terroirs laissent progressivement place à des plantations de rente de palmiers, de cocotiers, d’hévéas, d’ananas et de bananes, de coton, de cannes à sucre, des agro-industries, des villes et des routes, des équipements de télécommunication gages de croissance, d’accumulation et de modernisation. Les politiques publiques façonnent ainsi des territoires dynamiques et prospères qui tirent principalement fruit de l’économie de marché (Hauhout Asseypo, 2002).
La ville d’Abidjan, cœur de cette stratégie, est devenue le centre urbain majeur du pays s’étendant par l’incorporation à la ville coloniale, les zones rurales périphériques, marquées par des exploitations agricoles villageoises, des plantations industrielles, des forêts et des plans d’eau. Toutefois, l’amenuisement des ressources financières de l’État depuis 1980 conjugué avec l’instabilité politique qu’a connue le pays, ont entraîné une perte de contrôle de la gestion de l’urbanisation, le manque de référentiel commun et de coordination, au moment où s’accélère la mutation urbaine. Ceci a induit une accélération de la migration des zones rurales vers les centres urbains, la ville d’Abidjan en tête, sur fond de non-respect des règles du jeu de l’Etat de droit, l’informalité devenant une tendance lourde de l’urbanisation rapide et différenciée de la ville (Ministère de la Ville, 2019).
Parmi les défis majeurs figurent les lotissements informels qui se développent souvent en l’absence d’infrastructures de base et de services adéquats, ce qui aggrave les conditions de vie de la population et accentue la vulnérabilité propriétaires dans ces quartiers (Aka Assalé Félix, Touré Mamoutou, 2020).
La présente étude s’appuie sur les relevés cartographiques réalisés par la Direction de la Topographie et de la Cartographie (DTC) du Ministère de la construction dans le cadre de la régularisation de ces lotissements informels. La réflexion vise à localiser et à décrire les zones de lotissements informels et comprendre les défis et opportunités qui sous-tendent l’opération de régulation lancée par l’Etat ivoirien.
1. La méthodologie de réalisation de l’étude
1.1. La démarche générale
L’État de Côte d’Ivoire, dans sa dynamique de pallier aux déséconomies dans le foncier urbain et de restaurer l’image de la ville d’Abidjan, a décidé, par l’entremise du ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU), de lancer un projet de régularisation des lotissements informels. Ce projet, couvrant la période de 2014 à nos jours, vise à repositionner Abidjan dans la sous-région et à améliorer la gestion foncière urbaine.
La méthodologie mise en œuvre pour l’étude de régularisation des lotissements informels dans le District d’Abidjan, incluant Assinie, suit un processus bien défini, encadré par l’arrêté gouvernemental n°033/MCLU-CAB/DAJC du 05 juillet 2022.
La première étape de ce processus consiste en l’identification et le dépôt des lotissements informels au Guichet Unique du Foncier (GUF). Cette tâche est réalisée par les autorités administratives compétentes ou par les représentants des collectifs des personnes souhaitant régulariser leur situation foncière. Une fois identifiés, ces lotissements sont décrits et recensés par les acteurs désignés, avec des travaux topographiques détaillés comprenant des plans d’état des lieux, l’indication des occupations du sol, des voiries et des réseaux primaires existants, ainsi que des vérifications des titres fonciers.
Le Guichet Unique du Foncier transmet ensuite les demandes de régularisation à la Direction Générale de l’Urbanisme et du Foncier, qui les distribue aux différentes directions pour avis et vérifications :
- Direction de l’Urbanisme pour les avis de servitude,
- Direction de la Topographie et de la Cartographie pour les travaux topographiques,
- Direction du Domaine Urbain pour la situation domaniale du site,
- Direction de l’Assainissement et du Drainage pour les avis de servitude d’assainissement.
Les lotissements sont ensuite soumis à la commission d’approbation des lotissements appliqués habités non approuvés. Cette commission, dirigée par le Directeur de Cabinet Adjoint du MCLU, inclut des représentants des directions techniques, des mairies et de la Direction du Domaine Public de l’État (DDPE). À la fin de chaque session, un procès-verbal est établi pour chaque lotissement par la Direction de la Topographie et de la Cartographie, qui assure également le secrétariat de la commission. En résumé, ce projet vise à officialiser les lotissements informels pour améliorer l’organisation urbaine et optimiser la gestion foncière, tout en redonnant à Abidjan son statut de ville modèle dans la sous-région.
1.2. Collecte de données et analyse spatiale
La collecte de données est exhaustive et implique la participation active des promoteurs de lotissements, des communautés villageoises et des groupements de résidents. Les plans de lotissements qui étaient au préalable déposés à la Direction de la Topographie et de la
Cartographie du Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU), le sont maintenant au Guichet Unique du Foncier (GUF) en vue de leur régularisation. L’étude s’appuie sur une variété de sources de données, y compris des documents techniques sur l’urbanisation dans le Grand Abidjan, des travaux des ministères techniques, des revues scientifiques, des institutions nationales et internationales, ainsi que des écrits académiques.
2. Résultats
2.1. La localisation des lotissements informels dans le district d’Abidjan
Sur les dix-neuf communes que comptent le Grand Abidjan, onze (11) parmi elles ont enregistré des lotissements informels. Il s’agit entre autres des communes d’Abobo, Adjamé, Anyama, Assinie, Bingerville, Bonoua, Cocody, Grand-Bassam, Port-Bouët, Songon, Yopougon. Ces communes sont celles du District d’Abidjan. On dénombre deux cents trente et un (231) lotissement à régulariser. On en trouve dans toutes les communes du district d’Abidjan (10/13) en ajoutant Assinie exceptées les communes de Marcory, Treichville et Plateau (Tableau 1).
Tableau 1 : Nombre de lotissements informés recensés par commune
ORDRE | LOCALITES | LOTISSEMENTS DEPOSES | LOTISSEMENTS TRAITES |
1 | ABOBO | 34 | 25 |
2 | ADJAME | 2 | 02 |
3 | ANYAMA | 55 | 15 |
4 | ASSINIE | 2 | 01 |
5 | BINGERVILLE | 31 | 10 |
6 | BONOUA | 16 | 02 |
7 | COCODY | 9 | 06 |
8 | GRAND-BASSAM | 3 | 02 |
9 | PORT-BOUET | 3 | 01 |
10 | SONGON | 34 | 15 |
11 | YOPOUGON | 42 | 32 |
TOTAL | 231 | 111 |
Source : Direction de la Topographie et de la Cartographie (DTC), 2022
Les plans de lotissements recensés sont au nombre de deux cent trente et un (231). Ils sont pour la plupart totalement nus ou partiellement bâtis. Ces plans ont été conçus par des promoteurs, des experts géomètres agrées mandatés par les villages ou mairies d’Abidjan.
Anyama se distingue avec le plus grand nombre de lotissements déposés (55), ce qui indique une forte activité de lotissement informel dans cette commune.
Yopougon suit de près Anyama avec 42 lotissements déposés, reflétant également une activité significative de lotissement informel.
Abobo et Songon ont également un nombre substantiel de lotissements déposés (34 chacun), suggérant une tendance à l’urbanisation informelle dans ces régions. En revanche, des communes telles que Grand-Bassam, Assinie, Port-Bouët, et Adjamé ont des chiffres relativement bas, indiquant une activité de lotissement informel moins prononcée dans ces zones. La quantité de lotissements traités est inférieure au nombre déposé dans toutes les communes, ce qui peut indiquer des défis dans le processus de traitement des lotissements informels.
Globalement, ces données mettent en lumière la variabilité de l’activité de lotissement informel à travers les différentes communes d’Abidjan, soulignant la nécessité d’une attention particulière aux localités où cette activité est plus intense. De plus, le faible nombre de lotissements traités souligne l’importance de développer des mécanismes efficaces pour gérer cette réalité urbaine informelle.
Ainsi, chaque commune subit les lotissements informels mais pas dans la même proportion. La commune d’Anyama représente 24% des lotissements informels. S’en suit la commune de Yopougon (18%), d’Abobo (15%), Songon (15%) et Bingerville (13%) des plans déposés. La commune de Bingerville représente 7% des plans tandis que les autres communes telles que Assinie, Bonoua, Cocody et Bassam ont des proportions en dessous de 5% (Figure 1).
Figure 1 : Lotissements informels recensés par la DTC jusqu’en 2022
Source : DTC, 2022
Au-delà des proportions des lotissements informels dans les communes du Grand Abidjan, leur localisation s’avère déterminant. La figure 2 nous présente les lotissements informels recensés dans leur environnement. Ils sont éparpillés dans le Grand Abidjan mais bien visible par la taille au nord avec Anyama, à l’Est avec Bonoua et Ouest avec la commune de Songon. Les lotissements informels sont quasiment présents dans les communes du Grand Abidjan à l’exception des communes du plateau, Marcory et Treichville. On les retrouve majoritairement dans les communes de la périphérie d’Abidjan.
Figure 2 : Polygonaux des projets de régularisation dans le Grand Abidjan
Conception : ABOA Aimé-César Réalisation : KOUAME Ahoutou Cyprien
2.2. La description des lotissements informels dans le Grand Abidjan
Chaque lotissement est identifié par le nom et la localité. Les autres éléments de différenciation sont la superficie et le nombre de lots. Ces désignations sont répertoriées sur l’arrêté d’approbation pour marquer la différence entre les lotissements (Tableau 2).
Tableau 2 : Composition des lotissements informels par commune
ORDRE | COMMUNE | NOMBRE D’ILOTS | NOMBRE DE LOTS | CONTENANCE (m²) |
1 | ABOBO | 1859 | 18032 | 13 706 372 |
2 | COCODY | 143 | 1095 | 2 035 026 |
3 | YOPOUGON | 1106 | 10187 | 6 795 037 |
4 | PORT-BOUET | 116 | 1147 | 783 535 |
5 | SONGON | 1932 | 15834 | 14 305 285 |
6 | ANYAMA | 4340 | 39963 | 35 919 015 |
7 | BINGERVILLE | 1055 | 9269 | 6 921 084 |
8 | BASSAM | 128 | 1209 | 741 710 |
9 | BONOUA | 1372 | 12293 | 11 771 799 |
10 | ASSINIE | 63 | 618 | 557 235 |
TOTAL | 12 114 | 109 647 | 93 536 098 |
Source : DTC, 2022
Les données recueillies font état de neuf mille trois cent cinquante-trois mille hectares soixante ares quatre-vingt-dix-huit centiares (9353 ha 60a 98ca) pour 12114 ilots et 109647 lots. Les données sur les lotissements informels dans le Grand Abidjan révèlent une diversité marquée dans l’urbanisation des différentes communes. Anyama et Abobo se distinguent avec un nombre élevé d’ilots et de lots, indiquant une urbanisation significative. Les contenus totaux dans ces zones soulignent l’ampleur du développement urbain. Cocody, bien que présentant des chiffres plus bas, montre une concentration de la contenance. Les données mettent en évidence la nécessité d’une gestion prudente des ressources foncières, en tenant compte de la variabilité de l’urbanisation dans chaque commune.
2.3. La régularisation des lotissements informels
La procédure de régularisation intervient pour redresser tous les plans recensés par le Ministère de la Construction du Logement et de l’Urbanisme (MCLU) à travers la Direction de la Topographie et de la cartographie, les cabinets des experts géomètres agréés et les communautés villageoises. Pour se faire, une commission avec les différentes directions centrales du MCLU et des collectivités locales dirigée par le Directeur de Cabinet du MCLU, Monsieur GBA TEAN. Ainsi, les plans de morcellement sont examinés en tenant que des servitudes, des zones aedificandi (Figure 3).
Figure 3 : Plan de morcellement du Lotissement ABADJIN KOUTE EXTENSION
Source : Nos enquête, 2022
Le projet ABADJIN KOUTE EXTENSION est un morcellement de 25 ilots comprenant 2 espaces verts, un culte et une réserve administrative. Les 21 ilots restants sont destinés à l’habitation. La régularisation du lotissement consiste à tenir compte de l’existant tout en appliquant le projet de lotissement. C’est-à-dire à procéder à l’ouverture des voies et affecter les réserves à leur fin. Également, le second critère en plus d’être exempte de toutes servitudes d’urbanisme et ne faisant pas partie des sites retenus pour les projets d’Etat, la polygonale du site doit être bâtie à plus de 70%. A cet effet, un traitement cartographique est fait pour convertir le fichier dwg (autocad) en fichier kml (Figure 4).
Figure 4 : Projection de la polygonale du projet de lotissement ABADJIN DOUME 1ère EXTENSION
Source : Nos enquête, 2022
La projection de la polygonale du lotissement à régulariser sur google earth permet de mesurer le pourcentage du bâtie. Etant donné que les images google earth ne sont pas toujours à jour ou datent d’une certaine période, des visites conjointes des directions commises pour la régularisation sont effectuées pour s’enquérir de la situation réelle du terrain.
Après contrôle et avis favorable des directions commises pour la tâche, l’arrêté d’approbation est pris par le Ministre en charge de la Construction du Logement et de l’Urbanisme puis diffusé pour permettre aux acquéreurs de faire leur demande de titre de propriété.
3-Discussion
L’objectif de cette contribution était de faire un point précis des lotissements informels dans le Grand Abidjan sur la base des premiers résultats de cartographie de la Direction de la Topographie et de la Cartographie du ministère de la construction dans le cadre global du processus de régularisation de ces lotissements informels. Les résultats de l’étude révèlent une situation complexe et variée concernant les lotissements informels dans le Grand Abidjan. Plusieurs points clés émergent de cette analyse, mettant en lumière les défis et les opportunités pour la régularisation et la gestion de ces zones.
3.1. L’omniprésence des lotissements informels dans le Grand Abidjan sur fond de disparités
L’étude montre que les lotissements informels sont omniprésents dans la majorité des communes du Grand Abidjan, avec une concentration notable dans des communes périphériques comme Anyama, Yopougon, Abobo, Songon et Bingerville. La forte présence de lotissements informels dans ces zones suggère une urbanisation rapide et non planifiée, souvent en réponse à une forte demande de logements et à la migration des populations rurales vers les zones urbaines. Cette situation reflète un besoin pressant de logements et une incapacité des structures formelles à répondre rapidement à cette demande. Cependant des disparités existent entre les communes en termes de nombre et de taille des lotissements informels. Anyama, par exemple, se distingue par le plus grand nombre de lotissements déposés (55) et une superficie totale de 35 919 015 m², ce qui représente 24% des lotissements informels du Grand Abidjan. À l’inverse, des communes comme Grand-Bassam, Assinie et Port-Bouët ont des chiffres beaucoup plus bas. Ces disparités reflètent non seulement des différences dans la pression démographique et la demande de logements mais aussi la variation dans la capacité des autorités locales à gérer et à réguler l’urbanisation.
Plusieurs travaux avaient du reste décrié ce phénomène qui a pris de l’ampleur avec le retrait de l’Etat ivoirien dans la gestion directe du foncier. Avec la « main levée » de l’Etat sur le foncier en le confiant au promoteur privé, Issa OUATTARA (1999) interpellait l’opinion nationale et abidjanaise des manœuvres des autochtones sur les terres dans la périphérie Abidjanaise (Encadré 1).
Encadré 1 : Urbanisme autochtone et urbanisme étatique : antagonisme ou complémentarité
Les terrains localisés aux périphéries de la ville d’Abidjan, en particulier dans la zone nord (Abobo), constituent un enjeu dans le processus d’urbanisation qui s’est emparé de la ville à un rythme fulgurant. Les propriétaires autochtones des ethnies Ébrié et Akyé violent les règles d’urbanisme en procédant à des lotissements privés. Les lots sont vendus à des acquéreurs recrutés soit par cooptation sociale, soit dans des réseaux de relations privilégiées. Ces terrains périurbains font ainsi l’objet de spéculation. Selon les villageois lotisseurs, ces pratiques visent deux buts : la modernisation et la pérennisation des noms des notables. Mais en réalité, c’est une réaction négative aux maigres et irrégulières indemnités versées par l’État lorsque les terrains leur sont expropriés pour une cause d’utilité publique. L’État qui veut défendre les plans d’urbanisme et faire respecter les grandes orientations des schémas directeurs d’urbanisme adopte d’abord une attitude de négociation puis de fermeté. Cette fermeté aboutit parfois à des conflits avec les autorités coutumières des villages périurbains concernés (Avocatier, Agnissankoi, N’guessankoi…). Ces conflits se traduisent sur le terrain soit par la dégradation du cadre de vie, soit par des expulsions de populations déjà installées. Dans la plupart des cas, les conflits tournent à l’avantage des pouvoirs publics en partie à cause des divisions internes aux communautés ethniques de ces quartiers.
Source : Issa OUATTARA, 1999, Cahiers Nantais, pp. 7-17.
Alors pour faire face à l’avancée urbaine et la disponibilité des terres à Abidjan, Assi Gilbert YASSI et YAPI-DIAHOU Alphonse (2017) nous apprennent que l’Etat a fait appel au retour des lotissements à Equipements Minimum qui s’assimilent aujourd’hui aux Lotissements à Equipements Modérés (LEM) après avoir expérimenté en 1970. Les zones ciblées ont été Yopougon, Bingerville et Abobo. Poursuivant l’idée de la privatisation de l’espace urbain par l’Etat, Jean-Jacques Kanga, (2015) nous interpelle sur la prolifération des promotions immobilières à Abidjan depuis 1980 en insistant sur les dimensions spatiales, qualitatives et quantitatives. En outre, Daouda SYLLA, (2021) soutient que la métropole abidjanaise, capitale économique de la Côte d’Ivoire, est sans cesse en croissance spatiale par le grignotage plus ou moins planifié de vastes zones rurales car « les terroirs agricoles traversés par d’importantes voies de communication constituent des cibles privilégiées dans cette quête d’espace à bâtir ».
Pour faire face à l’avancée urbaine et prévenir d’une éventuelle « pénurie » de terres, les villages
Atchans font preuve de « résilience » dans leur gestion comme s’accordent les chercheurs
DAGNOGO Bakary, COULIBALY Yaya, DIABAGATE Abou (2022) dans leurs écrits
(Encadré 2).
Encadré 2 : Gestion foncière et résilience des Ebriés de la périphérie d’Abidjan : cas d’abobo-baoulé, Akouédo, Anonkoua knoute et Azito
La croissance démographique et spatiale d’Abidjan met les autochtones Ebrié dans une situation de fragilité face à l’urbanisation galopante de la ville. Le choc urbain pousse les Ebriés des villages de la périphérie d’Abidjan comme Abobo-baoulé, Akouédo, Anonkoua-kouté et Azito à adopter des stratégies de résilience. En matière de gestion foncière, ces stratégies reposent sur le lotissement villageois dits d’extension de village et une documentation locale composée d’attestation villageoise et d’un registre appelé guide de lotissement. Pour éviter une expropriation totale des terres par l’Etat, le lotissement villageois devient une stratégie d’anticipation des Ebriés sur le front urbain. Et, la documentation locale qu’ils ont innovée les maintiens dans la procédure administrative légale de délivrance des actes fonciers par l’Etat.
Source: DAGNOGO Bakary, COULIBALY Yaya, DIABAGATE Abou, 2022, pp: 341-349
3.2. Les implications sur les conditions de vie, fiscales et économique lotissements informels
Les lotissements informels se développent souvent en l’absence d’infrastructures de base et de services adéquats, ce qui aggrave les conditions de vie des habitants. Les quartiers informels manquent souvent d’accès à l’eau potable, à l’assainissement, à l’électricité et aux routes, ce qui entraîne des conditions de vie précaires. En outre, ces quartiers sont généralement plus vulnérables aux risques environnementaux, tels que les inondations, en raison de leur localisation souvent inadéquate.
Les lotissements informels représentent également une perte significative pour l’État en termes de fiscalité foncière. L’absence de régularisation empêche les propriétaires d’obtenir des titres de propriété, limitant ainsi la capacité de l’État à collecter des taxes foncières. En outre, l’informalité des lotissements limite les investissements dans les infrastructures et les services publics, ce qui freine le développement économique et social des zones concernées.
3.3. Les efforts et défis de la régularisation
Fort de ces constats, l’Etat a décidé de « colmater les brèches » dans sa politique de privatisation du foncier urbain. Ainsi, le projet de régularisation (redressement) des lotissements appliqués habités non approuvés a été lancé depuis 2014. Ce projet vise à assainir l’ossature urbaine de la ville d’Abidjan et par la suite permettre à l’Etat de récolter les impôts qui y décollent permettant aux habitants d’avoir la pleine propriété. C’est-à-dire de permettre aux habitants d’avoir leur titre de propriété qui est l’arrêté de Concession Définitive (ACD). En somme, la régularisation des lotissements informels est bénéfique dans plusieurs aspects, mais cela dépend également de la manière dont elle est mise en œuvre et relève de contextes spécifiques.
Les efforts de régularisation entrepris par le Ministère de la Construction du Logement et de l’Urbanisme, notamment à travers la Direction de la Topographie et de la Cartographie, montrent une volonté de l’État de remédier à cette situation. La procédure de régularisation, qui inclut l’examen des plans de morcellement et la vérification sur le terrain, vise à intégrer progressivement ces lotissements informels dans le cadre urbain formel. Cependant, le succès de ces efforts dépendra de la capacité à surmonter les obstacles administratifs et à mobiliser les ressources nécessaires.
La régularisation des lotissements informels représente un défi de taille. Sur les 231 lotissements informels identifiés, seulement 111 ont été traités. Ce faible taux de traitement indique des obstacles significatifs dans le processus de régularisation, notamment la complexité administrative, la coordination entre les différents acteurs impliqués et les ressources limitées.
De plus, la nécessité de respecter les servitudes, les zones aedificandi et les projets d’État ajoute une couche de complexité supplémentaire.
A ce sujet, la régularisation peut permettre l’amélioration des infrastructures et des services dans les zones informelles, ce qui contribue à améliorer les conditions de vie des résidents. Les habitants des lotissements informels peuvent obtenir une sécurité foncière accrue, ce qui peut favoriser l’investissement privé et public dans ces zones. Il y’a la clarification foncière pour contribuer à réduire les litiges et les conflits liés à la propriété des terres.
En termes de d’intégration urbaine, la régularisation peut faciliter l’intégration de ces zones dans la planification urbaine globale, favorisant un développement plus cohérent de la ville.
Mais le projet de régularisation comporte des défis majeurs : le coût financier, le respect de l’environnement, l’acceptation sociale et le maintien de la dynamique sociale. Au niveau financier, la régularisation peut être coûteuse en termes de ressources financières et humaines, et cela peut représenter un défi pour les gouvernements locaux. Pour l’environnement, dans certains cas, les lotissements informels peuvent être situés dans des zones écologiquement sensibles, et la régularisation doit être effectuée de manière à minimiser les impacts environnementaux négatifs. Au plan social, certains résidents pourraient ne pas être satisfaits des conditions de régularisation proposées, ce qui soulève des questions d’acceptation sociale.
Pour le maintien de la dynamique sociale, les lotissements informels ont des structures sociales spécifiques. La régularisation doit prendre en compte ces dynamiques pour ne pas perturber les communautés locales.
Conclusion
Les lotissements informels jouent un rôle significatif dans l’urbanisation rapide d’Abidjan. L’étude a révélé que ces lotissements sont omniprésents, notamment dans les communes périphériques telles qu’Anyama, Yopougon, Abobo, Songon et Bingerville. Cette présence massive indique une urbanisation rapide et non planifiée, souvent motivée par une forte demande de logements due à l’exode rural et à la croissance démographique. Cependant, cette urbanisation informelle pose des défis considérables pour la planification urbaine et l’aménagement du territoire. Elle entraîne une occupation anarchique des terres, ce qui complique la mise en place d’infrastructures de base et de services publics essentiels. En conséquence, les conditions de vie dans ces lotissements restent précaires, avec un accès limité à l’eau potable, à l’assainissement, à l’électricité et aux routes.
Les lotissements informels ont des implications économiques et sociales majeures pour la ville d’Abidjan. Sur le plan économique, ils représentent une perte significative pour l’État en termes de fiscalité foncière. L’absence de titres de propriété formels empêche la collecte efficace des taxes foncières, privant ainsi l’État de revenus cruciaux pour le développement urbain. Sur le plan social, les habitants de ces lotissements sont souvent confrontés à des conditions de vie précaires, accentuant la vulnérabilité des populations. De plus, ces quartiers sont plus exposés aux risques environnementaux, tels que les inondations, en raison de leur localisation souvent inadéquate.
Dans ce contexte, la régularisation des lotissements informels, offre une opportunité d’améliorer les conditions de vie des habitants en fournissant des infrastructures de base et en intégrant ces zones dans le tissu urbain formel. Mais le processus est complexe et laborieux. Sur les 231 lotissements informels identifiés, seulement 111 ont été traités, soulignant les obstacles administratifs et opérationnels dans ce processus. Les principales difficultés incluent la coordination entre les différentes autorités publiques, la complexité des procédures administratives et le manque de ressources financières et humaines. En outre, la nécessité de respecter les servitudes et les zones aedificandi, ainsi que d’intégrer les projets de régularisation dans les plans d’urbanisme existants, ajoute une couche de complexité supplémentaire. La faible proportion de lotissements régularisés par rapport au nombre total déposé démontre l’urgence d’améliorer les mécanismes de régularisation et de renforcer les capacités institutionnelles pour mieux gérer cette situation.
En somme, les lotissements informels à Abidjan constituent un défi majeur pour l’urbanisation et le développement durable de la ville. Ils nécessitent une approche concertée et des efforts soutenus de la part des autorités publiques pour être régularisés efficacement. Les impacts économiques, sociaux et environnementaux de ces lotissements mettent en évidence la nécessité d’une intervention urgente et coordonnée pour assurer un développement urbain inclusif et durable.
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