Impacts socioéconomiques de la crise sécuritaire dans la Commune Rurale de Kabléwa au Niger
Résumé :
Dans le district d’Abidjan, malgré une planification urbaine rigoureuse mise en place depuis l’époque coloniale et la mise en œuvre du Schéma Directeur Urbain du Grand Abidjan (SDUGA) jusqu’en 2030, la présence persistante de 231 lotissements informels dans toute la ville constitue un défi majeur. Face à cette réalité, le Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU) s’engage dans une collaboration avec les promoteurs de lotissements, notamment les chefferies villageoises et les groupements d’habitants, pour régulariser ces zones informelles. L’objectif est de cartographier et d’intégrer ces lotissements dans le cadre urbain formel, afin d’améliorer les conditions de vie des habitants et de favoriser un développement urbain durable et inclusif. Ce processus de régularisation représente un défi complexe mais essentiel. Les résultats de cette étude soulignent la nécessité d’une approche concertée pour relever ces défis, en mettant en lumière les opportunités qui résident dans l’intégration de ces zones dans le cadre urbain formel.
Mots clés : Grand Abidjan, lotissements informels, urbanisation, cartographie, régularisation.
Abstract
In the Abidjan district, despite rigorous urban planning established since colonial times and the implementation of the Urban Master Plan for Greater Abidjan (SDUGA) until 2030, the persistent presence of 231 informal settlements throughout the city remains a major challenge. Faced with this reality, the Ministry of Construction, Housing, and Urbanism (MCLU) is collaborating with the developers of these settlements, including village chiefs and community groups, to regularize these informal areas. The objective is to map and integrate these settlements into the formal urban framework, in order to improve living conditions for residents and promote sustainable and inclusive urban development. This regularization process represents a complex yet essential challenge. The findings of this study highlight the need for a concerted approach to address these challenges, while also emphasizing the opportunities that lie in integrating these areas into the formal urban framework.
Keywords : Greater Abidjan, informal settlements, urbanization, mapping, regularization.
Introduction
La problématique sécuritaire est devenue un enjeu majeur dans la sous-région sahélienne particulièrement agitée et en proie à la violence (PNUD, 2014, p.16). Depuis 2014, la crise sécuritaire qui sévit dans la région du lac Tchad a provoqué l’une des urgences humanitaires les plus graves au monde, avec 10,7 millions de personnes qui dépendent de l’aide humanitaire, dont près de 4,5 millions de personnes déplacées, réfugiées et rapatriées (OIM,
2019). Les causes de cette crise sécuritaire ont fait l’objet de plusieurs études/recherches dont celles réalisées par M. Perouse (2015, 2017), G. Magrin et al., (2018), E. Mac, (2018), C. Seignobos, (2018), E. Chauvin et al., (2020). Ces recherches ont montré la complexité de la crise sécuritaire et son caractère multifactoriel. Parmi les conséquences de la crise, on observe une profonde remise en cause des relations entre ressources et populations qui fondaient le système régional (G. Magrin et al., 2018, p.25 ; H. Kiari Fougou, 2021, p.149). L’insécurité sévissant dans de nombreux territoires, l’expulsion par l’armée des zones humides où les groupes armés se sont réfugiés, les interdictions multiples de se déplacer, de s’approvisionner et de commercialiser les produits agricoles imposées pour « assécher » les revenus des groupes insurgés, ont bloqué un système régional dont la résilience face aux aléas climatiques, économiques et politiques reposait sur la très forte productivité des zones humides notamment le lac Tchad et vallées fluviales (RESILAC, 2020, p.13).
A l’image des autres pays du bassin du lac Tchad, le Niger est affecté depuis plus d’une décennie par des crises et chocs récurrents, notamment la sécheresse, les conflits armés, les épidémies, qui ont été accentués depuis 2020 par l’urgence sanitaire liée à la pandémie de la COVID 19 et les inondations qui se sont généralisées sur toute l’étendue du pays. La zone de la crise était circonscrite initialement dans la région du lac Tchad (région de Diffa) à la suite de l’activisme des éléments de Boko Haram (Cluster Protection, 2022, p.2). Dans cette région de 156 906 km2 de superficie outre qu’elle est située dans une zone aride, la situation sécuritaire reste essentiellement marquée par les attaques répétées des groupes armés. Suite aux attaques des 6 au 9 février 2015, la situation sécuritaire déjà précaire s’est amplifiée provoquant des déplacements internes de milliers de personnes des communes de la région de Diffa (OCHA, 2015, p.6), notamment celle de Kabléwa. Cette situation de crise sécuritaire que vit la commune de Kabléwa va provoquer une augmentation significative de la vulnérabilité socioéconomique des populations. Au regard de ce contexte, cette recherche vise à analyser les impacts socioéconomiques de la crise sécuritaire sur les populations de la Commune Rurale de Kabléwa. Cette recherche est construite autour de l’hypothèse selon laquelle la crise sécuritaire a engendré des bouleversements socioéconomiques dans la commune rurale de Kabléwa. Pour vérifier cette hypothèse, il est important de trouver des réponses à ces interrogations : Quelles sont les conséquences sociales de la crise sécuritaire dans la commune rurale de Kabléwa ?
Quelles sont les conséquences économiques engendrées dans cette commune ? Quelles sont les solutions alternatives développées par les populations face aux effets socioéconomiques de cette crise sécuritaire ?
1. Matériels et méthodes
1.1. Présentation de la zone de recherche
Créée par la loi N°2002-014 du 11 juin 2002, la Commune Rurale de Kabléwa est la deuxième commune du département de Nguigmi. Elle est située entre 12°0’00’’ de latitude Nord et 13°30’00’’ de longitude Est (Figure 1).
Figure 1 : Situation géographique et administrative de la Commune Rurale de Kabléwa
Le climat de cette zone est de type Sahélo Saharien avec une pluviosité annuelle comprise entre 150 et 300 mm. La variation intra saisonnière des températures répond aux caractéristiques climatiques générales du pays (DMN, 2021). L’élevage constitue la première activité socio-économique de la Commune. Le cheptel est composé des bovins, des ovins, des caprins, des camelins, des asins, des équins et des volailles. Mais, malgré l’aridité du climat et la perte de fertilité des sols, l’agriculture occupe une place non négligeable. Le système cultural repose à la fois sur la monoculture et l’utilisation de matériel aratoire traditionnel. La pratique de la jachère est absente du système. L’agriculture est pratiquée sous deux (02) formes à savoir les cultures dunaires (pluviales) et irriguées (PDC Kabléwa, 2022, p.23). L’exploitation du bois occupe également une place non négligeable dans le tissu économique de la Commune. En outre, le commerce est de type informel. Il est exercé par une multitude de détaillants dans la commune rurale de Kabléwa. Cette commune est traversée par la route nationale N°1 qui relie N’guigmi au chef-lieu de la Région (Diffa). Les liaisons intérieures sont assurées par une série de pistes sableuses, de praticabilité difficile en saison de pluie. En effet, le coût élevé du transport en raison du mauvais état des routes et des pistes et des difficultés d’approvisionnement en produits constituent autant de facteurs réducteurs de croissance et de développement.
1.2. Méthodologie
Au regard du contexte dans lequel la recherche a été menée, notamment la difficulté d’accès dans certaines zones en raison du conflit armé lié à l’insurrection du groupe Boko Haram, les méthodes qualitative (recherche documentaire, entretiens et observation) et quantitative (enquête par questionnaire) ont été utilisées dans la collecte de données. Ce choix a permis de limiter le nombre d’observations tout en assurant une représentation de la diversité du territoire et des groupes cibles pour l’analyse postérieure. Pour les enquêtes, les villages de N’guel Koyari, Laguem, N’guel Adouaje, Kablewa, N’guel Tague, Baram Moussa, Kolo Manga et Koril-lam ont été concernés compte tenu de leur accessibilité et de leur poids démographique. En effet, un échantillon de 127 ménages a été déterminé suivant la théorie probabiliste de Schwartz (1995) :
x= taille de l’échantillon ; Zα = 1,96 écart réduit correspondant à un risque α de 5 % ; p = n/N avec p = proportion des ménages dans la commune de Kabléwa ; n = nombre de ménages par village ; N = nombre total de ménages de la commune de Kabléwa ; et q = 1- p et i = précision désirée égale à 5 %.
Le traitement a consisté à vérifier une dernière fois, la qualité des données collectées. Cette vérification est suivie par l’importation des données dans la plateforme de Kobotoolbox pour analyser les résultats quantitatifs. Ensuite ces données ont été transférées dans le tableur Excel pour la réalisation des tableaux et graphiques. Quant aux données qualitatives enregistrées après l’avis favorable des interviewés ont été transcrites à l’aide du logiciel F4. Enfin pour l’analyse des résultats, le modèle PEIR (Pression-Etat-Impact et Réponse) a été utilisé.
2. Résultats
2.1. Impacts de la crise sécuritaire dans les communes d’études
Dans la commune de Kabléwa, les impacts de la crise sécuritaire ont été relevés à deux niveaux : le niveau social et le niveau économique.
2.1.1. Impact de la crise sécuritaire sur les conditions de vie sociales des ménages
2.1.2. Dégradation des conditions de vie des populations
La crise sécuritaire a drastiquement impacté les conditions de vie des populations de la Commune de Kabléwa à travers plusieurs problèmes présentés dans la figure ci-après.
Figure 2 : Impact de la crise sécuritaire sur la cadre de vie des ménages
Source de données : Enquête terrain, 2023
Il ressort de l’analyse de la figure 2 que 84,03% et 69,74% des ménages enquêtés ont respectivement connu un déplacement forcé de par représailles de la part des éléments de Boko Haram et la perte de leur logement. Ces ménages ont quitté involontairement leurs villages d’origine pour aller s’installer dans les villages environnants, les chefs-lieux de commune, la ville de Diffa et majoritairement dans les camps des réfugiés créés par l’État et ses partenaires. Lors de leur déplacement les populations ont abandonné tous leurs biens. Arrivés dans les camps de réfugiés les populations ont été assistées avec des tentes par les ONGs. Ils vivent dans des cases exiguës en paillote (Photo 1).
Photo 1 : Types d’habitat de beaucoup des ménages dans les villages d’études
Source de données : Enquête terrain, 2023
Il faut aussi préciser que les conditions de déplacement des populations sont très catastrophiques. Lors des déplacements des populations, plusieurs d’entre elles sont mortes de soif et de faim. Les enfants, les femmes et les personnes âgées sont les plus touchés.
Pratiquement tous les ménages enquêtés ont été victimes de la barbarie des terroristes du mouvement Boko Haram. Ces terroristes ont tué collectivement et/ou individuellement les personnes avec des explosifs, des armes à feu et armes blanches. La plupart des victimes, à l’arme blanche, ont été égorgé ont même égorgé des personnes souvent devant les membres de leurs familles. Aussi, les enlèvements concernent plus les femmes pour satisfaire leurs besoins sexuels. Les terroristes violent les femmes et les filles devant leurs conjoints. Ces victimes meurent dans la plupart des cas ou tombent enceintes.
D’une manière générale, la dislocation des ménages, le non accompagnement des enfants, l’enrôlement des jeunes dans les GANEs et les troubles psychologiques constituent également des maux dont souffrent les populations de Kabléwa suite à l’insécurité engendrée par Boko Haram. Dans cette zone, la majorité des jeunes sont des chômeurs et manquent de soutiens et d’encadrement. Ce qui les incite à rejoindre facilement les GANEs. Mais, souvent ces jeunes sont aussi capturés et enrôlés de force dans les différentes structures de Boko Haram..
2.1.1.2.Destruction et détérioration des services sociaux de base
Dans la Commune Rurale de Kabléwa, le conflit de Boko Haram a impacté plusieurs services sociaux de bases sous trois formes comme présenté dans la figure 3 ci-dessous.
Figure 3 : Formes d’impacts du conflit sur les services sociaux de base
Source de données : Enquête terrain, 2023
De par la figure 3 le conflit a gravement impacté la vie des populations de la Commune Rurale de Kabléwa à travers principalement la destruction des infrastructures (94.62%). Ensuite la rupture et/ou limitation des services sociaux de base et l’accès humanitaire limité se perçoivent à 56,95% et à 4,17%. 56.95% et 44.17% de l’échantillon enquêté.
Relativement à la destruction des infrastructures, la figure 4 présente les infrastructures détruites dans la zone d’étude.
Figure 4 : Infrastructures détruites dans la zone de recherche
Source de données : Enquête terrain, 2023
La figure 4 montre que les infrastructures de six services sociaux de base ont été détruites par
Boko Haram. Il s’agit principalement des ouvrages hydrauliques notamment les points d’eau
(85.2%). Ces points d’eau sont constitués des forages, des puits cimentés villageois, des puits pastoraux et des mini AEP. Ensuite, selon 73% des enquêtés les infrastructures scolaires constituées en grande partie par des classes, des tables bancs, des tables de bureau pour les enseignants et d’autres fournitures scolaires ont été saccagées. Les infrastructures sanitaires notamment les bâtiments et les matériels de soins ont été brûlés par les djihadistes de Boko Haram, soulignent 62.33% enquêtés.
Les terroristes ont également détruit la plupart des réseaux de communication pour empêcher la communication directe entre les populations et les autorités surtout lors des attaques. Les infrastructures électriques notamment les panneaux solaires, les groupes électrogènes et les réseaux électriques ont été détruits et volés. Selon 29,20% des enquêtés, la destruction des routes est causée par l’explosion d’innombrables engins explosifs posés par Boko Haram sur les routes. Ces dernières sont soit coupées, soit jonchées des trous profonds les rendant impraticables. L’état d’insécurité ne permet pas à l’État de procéder aux travaux de réhabilitation des routes depuis 2015.
D’autres infrastructures ont été également détruites. Il s’agit principalement des habitats, des magasins de stockage de vivres, des banques d’intrants agricoles, des banques aliments bétails, des boutiques, des marchés et des lieux de culte notamment les mosquées.
Quant à la rupture ou limitation des services sociaux de base, la figure 5 présente les services concernés dans la commune de Kabléwa.
Figure 5 : Services limités par la crise sécuritaire dans la zone de recherche
Source de données : Enquête terrain, 2023
Selon les résultats présentés dans la figure 5 les principaux services sociaux de base dont leur accès est limité du fait de la crise sécuritaire dans la zone de recherche sont principalement l’éducation, accès à l’eau, aux services sanitaires et à la communication affirment par respectivement selon les populations de la commune, environ 50% des services de l’éducation sont inaccessibles, 49,55% pour l’eau et 6,77% pour les services de santé. La majeure partie des populations vit-elle jusqu’à présent en groupes de plusieurs villages dans des sites de déplacés. En effet, ces sites ne sont pas suffisamment équipés par des infrastructures scolaires, d’eau potable et pour l’abreuvement des animaux ainsi que les services sanitaires. Aussi, dans les villages retournés et des non déplacés, en plus de la destruction des infrastructures, certaines écoles et centres de santé restent toujours fermés par manque des matériels de soins, des fournitures scolaires et du personnel notamment les enseignants et les agents de santé. Les ressources en eau de surface sont inaccessibles. Ce sont les puits villageois et les forages qui servent en même temps de l’eau aux populations et à l’abreuvement des animaux d’où l’insuffisance des ressources en eau dans la zone. La corvée d’eau prend énormément des temps aux populations de cette commune. Dans ce contexte un chef coutumier de la commune affirme « Avant l’arrivée de ce conflit nos enfants partaient en grande masse à l’école, nos femmes recevaient des soins de qualité, nous avions de l’électricité et nous n’avons aucun problème d’eau. Nous pratiquons nos activités de pêche en toute sécurité mais tous ces services sont devenus rares aujourd’hui ».
En fin quant à la limitation des services humanitaires, la figure 6 présente les aides humanitaires qui sont limitées par la crise sécuritaire à Kabléwa.
Figure 6 : Aides humanitaires limitées par la crise sécuritaire dans la zone d’étude
Source de données : Enquête terrain, 2023
Dans la commune de Kabléwa, le conflit lié à la secte Boko Haram a limité principalement le don des vivres par les ONG, la vente à prix modéré des vivres et d’alimentation bétails par l’État. Aussi, les actions sanitaires notamment la distribution des moustiquaires, la prévention des maladies tels que la polio, la rougeole, la gratuité des soins de enfants de moins de 5 ans, la distribution des produits nutritionnels aux enfants, aux mères allaitantes et enceintes, les consultations permanentes des femmes enceintes et l’effectif des agents de santé surtout les sage-femmes ont connu une forte régression dans ce contexte de crise. Les programmes de Cash for work, l’appui aux AGRs, le transfert Cash, l’alphabétisation des adultes et le Cash for food se sont estompés.
2.1.2. Insuffisance et manque des moyens de subsistance
Les résultats d’enquêtes ont montré que le conflit n’est pas sans conséquence sur les moyens d’existences des populations dans la Commune de Kabléwa. La figure 7 présente les impacts de Boko Haram sur ces moyens de subsistance des populations.
Figure 7 : Impacts du conflit sur les moyens d’existence dans la commune rurale de Kabléwa
Source de données : Enquête terrain, 2023
La figure 7 montre sept (07) principaux impacts du conflit sur les moyens d’existences des populations de la commune de Kabléwa. Il s’agit d’abord des difficultés d’accès aux zones de production et de collectes de bois selon 21,47% des ménages enquêtés. Ces zones sont constituées des champs de cultures, des espaces pastoraux pour le pâturage, des zones humides pour l’abreuvement des animaux et des espaces forestiers au niveau desquels le bois de chauffe et de service est collecté. Depuis l’arrivée de Boko Haram, la pratique de ces activités est de plus en plus abandonnée involontairement par les populations suite aux attaques meurtrières, aux viols des femmes et des filles dans les zones de production. A cela s’ajoutent la destruction des matériels de productions, les lourdes taxes et la confiscation des biens notamment la récolte, les poissons pêchés et les bétails par les terroristes. La mise en valeur des ressources naturelles a connu une profonde modification. Les activités agricoles sont désormais pratiquées sur de petites superficies aux alentours des villages. Dans cette commune 57,23% des enquêtés ont moins d’un hectare, 32,67% ont 1 à 2 hectares et 12,17% des ménages enquêtés sont des paysans sans terres.
Depuis 2015 l’activité pastorale est bouleversée par la crise sécuritaire. La transhumance nord-sud est réorientée en direction est-ouest. L’accès au pâturage vert de la Komadougou est conditionné par le payement d’une taxe initié par les combattants de Boko Haram. Pour y accéder l’éleveur doit donner au minimum un bovin pour un cheptel de trente bovins. Cet acquittement donne lieu à un papier d’autorisation de pâturage d’un an au maximum. Mais, en cas de non-respect de ces clauses le cheptel est automatiquement confisqué et les pasteurs assassinés par les combattants de Boko Haram. Cette situation réduit la fréquentation des lieux de pâturage et expose le bétail à une mort certaine. Ce qui entraîne la flambée des prix des aliments bétails.
Le deuxième impact porte sur la perturbation du commerce selon 18,55%. Dans cette commune d’étude après les activités évoquées précédemment, le commerce constitue une importante activité. Il s’effectue principalement à travers les activités génératrices des revenus pratiquées par les femmes. Pratiquement tous les commerçants sont victimes de la crise sécuritaire. Il s’agit de l’incendie des boutiques, des marchés, la perte du capital, l’indisponibilité de matières premières, les difficultés d’accès aux marchés pour l’écoulement de la production, le manque de rentabilité, l’indisponibilité de matériel et équipement. A cela s’ajoutent les difficultés de transport des marchandises suite au manque des moyens logistiques, l’impraticabilité des routes et l’insécurité grandissante. Ces difficultés ont contraint certaines populations à abandonner la pratique du commerce.
Ensuite, les dégâts sur les cultures (18,55%) et la cherté des vivres (17,12%) viennent s’aligner aux impacts précédents. En effet, les dégâts sur les cultures sont générés dans la plupart des cas par des peulhs éleveurs qui rentrent généralement dans les champs de cultures tard dans la nuit pour paître leurs bétails. En plus ces éleveurs sont majoritairement armés ce qui les incitent à placer les animaux dans les champs même dans la journée souvent. Malgré ces armes, les agriculteurs essaient de riposter contre ces derniers. Ce qui conduit à des situations de conflits meurtriers. En outre, les terroristes de Boko Haram font des dégâts sur les cultures à travers le piétinement des cultures par les moyens de déplacement surtout en cas de non-paiement des taxes pour les champs situés dans leur zone. En dépit de dégât sur les cultures, Boko Haram contraint l’importation des vivres dans cette commune à travers le braquage des routes et la confiscation des vivres. A cela s’ajoute la destruction des boutiques et les lourdes taxes imposées par ces terroristes. Ainsi, la conjugaison de ces problèmes accentue la cherté des vivres dans ces communes malgré la vulnérabilité des populations. Aussi, 13,91% des enquêtés soulignent que la crise sécuritaire leur empêche d’accéder aux intrants agricoles notamment les semences améliorées, les fertilisants et les produits phytosanitaires. Au-delà de ces aspects, dans la commune de Kabléwa la plupart des banques d’intrants agricoles ont été brulés par les terroristes. En plus de cela, l’importation des matériels comme les motopompes, les arrosoirs sont difficiles et le carburant est interdit dans la commune à la suite de l’état d’urgence décrété par le gouvernement.
Enfin, selon 7,31% des enquêtés, le vol des bétails constitue un autre impact sur les moyens d’existence dans cette commune qui présente un caractère beaucoup plus pastoral. Ce vol est expliqué de deux manières. Il s’agit du vol des animaux perpétré par les bandits armés notamment les Toubous et la confiscation des animaux pratiquée par les terroristes de Boko Haram.
3-Discussion
A l’instar des communes de la région de Diffa, celle de Kabléwa fait face à la crise sécuritaire depuis les années 2014. En effet, plusieurs causes sont à la base de ce conflit. Il s’agit principalement de la pauvreté des communautés, le désœuvrement des jeunes, l’analphabétisme des populations, l’influence étrangère, les pratiques culturelles, l’accès aux ressources naturelles, la mal gouvernance et l’intérêt politique des élites. Ces résultats complètent les travaux de P. Sougnabé et al., (2017, p.7) qui ont déterminé que la secte islamiste Boko Haram est un mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigeria et ayant pour objectif d’instaurer un califat et d’appliquer la charia.
Dans la Commune de Kabléwa, le conflit lié au Boko Haram à drastiquement impacté les conditions de vie sociales des ménages à travers le déplacement forcé des populations, la destruction de l’habitat, la perte en vie humaine, les tortures, les enlèvements, la séparation des membres des familles, la déscolarisation des enfants, l’enrôlement des jeunes, etc. Ces résultats corroborent les études de P. Sougnabé et al., (2017, p.33) et UNHCR Niger (2019, p.1) qui ont trouvé que Boko Haram s’est mis à attaquer les villages brûlant des maisons, et mettant en danger les communautés à travers les coups et blessures, agressions physiques, homicides, assassinats, enlèvements, arrestations, extorsion de fonds, cas de VBG, vols/pillages et enrôlement de jeunes.
Sur les moyens d’existence, les résultats de recherche ont déterminé que le conflit lié au Boko Haram a engendré des difficultés d’accès aux zones de production et de collectes de bois, la perturbation du commerce, les dégâts sur les cultures, le vol de bétail, la cherté des vivres et l’inaccessibilité aux intrants agricoles. Ces résultats fortifient ceux de WFP (2016, p.4) qui ont monté que la crise sécuritaire a eu pour conséquences les déplacements massifs des populations, l’inaccessibilité aux zones de production agro-sylvo-pastorales et halieutiques, l’appauvrissement des ménages, la désorganisation des systèmes de production et de commercialisation des denrées alimentaires et du circuit d’approvisionnement des marchés.
En plus de la perturbation des aides humanitaires, le conflit lié à Boko Haram a engendré la destruction des services sociaux de base dont les plus touchées sont des domaines de l’hydraulique, scolaire et sanitaire. Ces résultats complètent les travaux de UNHCR Niger (2019, p.2) selon lesquels de nombreuses menaces sont proférées à l’encontre des acteurs humanitaires opérant dans les communes de Nguigmi et Kabléwa. Conclusion
La problématique sécuritaire est devenue un enjeu majeur pour le développement socioéconomique des communes de la région de Diffa en général et celle de Kabléwa en particulier. Ainsi, ce travail de recherche a permis d’analyser les impacts de la crise sécuritaire sur les conditions socioéconomiques des ménages. Les résultats de recherche ont montré que les principales causes de ce conflit se résument à la pauvreté des hommes intégrés dans les GANEs, le désœuvrement des jeunes, l’analphabétisme des populations et la mal gouvernance. Cependant ce conflit n’est pas sans conséquence sur les conditions socioéconomiques. Il a engendré d’une part le déplacement forcé des manages, la perte de l’habitat, la perte en vie humaine, l’enlèvement, les tortures et la séparation des membres des ménages. En termes de moyens de subsistance, les zones de productions sont inaccessibles et le commerce et perturbé. On note aussi, la cherté des vivres, le vol de bétail et les dégâts sur les cultures. Également, l’insurrection de Boko Haram a entravé les aides humanitaires et a détruit les infrastructures des services sociaux de base. Face à ces difficultés, plusieurs actions pour la résilience socioéconomique des populations de la commune de Kabléwa doivent être proposées. Elle doivent s’orienter plus dans la reconstruction de l’habitat, des écoles, des centres de formations sanitaires, la promotion des AGRs et le renforcement de sécurité dans les zones de productions.
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