Impact économique du corridor San-Pedro Bamako dans la région de la Bagoué

Foussata DAGNOGO

Email : fouss105@yahoo.fr

Djibril KONATE

Email : konatedjibson@yahoo.fr

Bétché Denis-Israël BETCHE

Email : betchedenis@gmail.com

Université Peleforo GON COULIBALY de Korhogo (UPGC)

Résumé :

Malgré le débat sur les effets structurants des infrastructures de transports, il est difficile de nier le rôle joué par celles- ci dans le développement des localités. C’est en cela que se pose aujourd’hui la question de l’apport du corridor San- Pedro-Bamako dans la dynamique des activités économiques de la région de la Bagoué. L’objectif de cette étude est d’analyser l’impact économique du corridor San-Pedro-Bamako dans la région de la Bagoué. Pour atteindre cet objectif, une recherche documentaire et des enquêtes de terrain ont été réalisées en 2020 et 2021. Pour la technique d’échantillonnage, nous avons eu recours au choix raisonné. Nous avons effectué des choix sur la base de critères relativement objectifs afin de les rendre représentatifs de l’ensemble étudié. Ainsi, nous avons enquêté dans douze localités dans les trois départements de la région. Les critères de sélections ont été fondés sur la situation de la localité par rapport au corridor et le mode d’accès au corridor. Dans ces localités, nous avons adressé des questionnaires aux populations, aux usagers de la route et des guides d’entretiens, aux autorités coutumières et administratives. Ces questionnaires ont été administrés à 200 personnes dans les trois départements. Il ressort de cette étude qu’au plan économique, le corridor San-Pedro-Bamako constitue un lieu central dans les localités et favorise la mise en place d’une multitude d’activités économiques notamment le petit commerce, l’activité de transport et quelques services tertiaires comme les stations-services, les ponts de transactions financières, etc. Cependant, la construction du corridor San-Pedro-Bamako n’a pas entrainé un réel décollage économique de la région de la Bagoué.

Mots clés : corridor San-Pedro – Bamako, activités économiques, Bagoué, Côte d’Ivoire

Abstract

Despite the debate on the structuring effects of transport infrastructures, it is difficult to deny the role played by them in the development of localities. This is where the question of the contribution of the corridor San-Pedro-Bamako in the dynamics of economic activities in the region of Bagoué arises. The objective of this study is to analyze the economic impact of the corridor San-Pedro-Bamako in the region of Bagoué. To achieve this objective, documentary research and field surveys were carried out in 2020 and 2021. For the sampling technique, we made choices on the basis of objective criteria in order to make them representative of the whole study. Thus, we investigated in twelve localities in the three departments of the region. The selection criteria were based on the situation of the locality in relation to the corridor and the mode of access to the corridor. In these localities, we submitted questionnaires to the populations, road users and interview guides, to customary and administrative authorities. These questionnaires were administered to 200 people in the three departments. It emerges from this study that at the economic level, the corridor San-Pedro-Bamako constitutes a central place in the localities and promotes the establishment of a multitude of economic activities, in particular small trade, transport and tertiary services such as gas stations, financial transaction bridges, etc. However, the construction of the corridor San-Pedro-Bamako did not lead to a real economic take-off of the region of Bagoué.

Keywords : corridor San-Pedro – Bamako, economic activities, region of Bagoué, Côte d’Ivoire

Introduction

Le corridor est un produit des évolutions successives du domaine des transports et des communications (J. Débrie et C. Comtois, 2010, p.127). Un corridor est avant tout un lieu de vie, un outil de l’intégration des peuples, de développement des économies locales et des territoires traversés. Il est un instrument de rayonnement social et de lutte contre la pauvreté à la base. Le corridor est donc par sa nature même dynamique. Ce dynamisme est fonction des conditions de transport et des conditions de marché, de leur évolution respective et de leur impact mutuel (T. R. Lakshmanan et W. Anderson, 1999)1. Un corridor est ainsi une séquence d’activités de distribution supportant un large éventail de fonctions au sein d’une région urbaine ou autrement dit un axe logistique intégré (J. Rodrigue, 2004).2 Il est plus globalement un ensemble de services, de procédures voire de politiques sur un axe reliant deux points entre eux (J. Arnold, 2006)3.

Pour son développement économique et social, l’Etat Ivoirien a entrepris depuis son indépendance de vastes programmes d’aménagement et d’équipement du territoire national. Cette stratégie de développement a permis aux dirigeants du pays d’équiper plusieurs régions en infrastructures. Parmi ces infrastructures figurent les grands axes de transport appelé corridors qui relient la Côte d’Ivoire à son arrière-pays notamment le Burkina Faso et le Mali.

Le corridor San-Pedro-Bamako est un projet qui s’inscrit dans le contexte de promotion d’intégration sous régionale au sein de l’UEMOA. Il participe à l’accroissement des échanges entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Aujourd’hui, ce corridor est une figure marquante de l’espace économique de la partie Ouest Ivoirienne. Il contribue à l’amélioration de l’image du port de San- Pedro et garantit à ce port le trafic malien qui transitait principalement par le Port d’Abidjan. Il constitue ainsi le trait d’union entre le Sud-Ouest forestier et le Nord-Ouest savanicole de la Côte d’Ivoire. La construction du corridor San-Pedro – Bamako se également le développement du Grand Ouest de la Côte d’Ivoire.

Plus de cinq ans après le lancement des travaux de ce corridor, il serait intéressant d’analyser l’impact de cette infrastructure sur le développement des activités économiques des localités traversées. C’est l’objet de cet article qui se propose d’analyser l’impact économique du corridor San-Pedro–Bamako dans la région de la Bagoué. Autrement dit, il s’agit de voir ce que le corridor San-Pedro-Bamako a apporté en termes de développement des activités économique dans la région de la Bagoué.

1-Méthodologie

Les recherches documentaires fondées sur les sources secondaires ont permis de collecter des cartes, des revues et des rapports qui nous ont aidés dans la compréhension de notre sujet. Les écrits sur les transports terrestres en géographie, comme les travaux d’Aloko (1989) portent plus sur l’organisation du réseau routier. D’autres ouvrages géographiques traitent indirectement des transports, c’est l’exemple du livre de Dubresson, Villes et industries en Côte d’Ivoire (1989) qui aborde de front la question de l’échec de la redynamisation des villes ferroviaires par l’industrie du coton. Certains documents plus techniques ont été également consultés, notamment les rapports des Équipements et Transports de 1960 à 1980 et le plan national de transport (1988-1989) réalisé par la Direction et Contrôle Des Grands Travaux (DCGTx). Ces derniers sont riches en informations et traitent de tous les secteurs du transport (aérien, maritime, routier et ferroviaire. Les données recueillies de la recherche documentaire nous ont permis de nous imprégner des nouveaux concepts sur les transports, notamment sur les grands axes, d’orienter notre réflexion et de préciser la problématique de notre sujet de recherche. La recherche documentaire est assortie de plusieurs visites de terrain, réalisées de septembre à décembre 2020 et de janvier à mars 2021, en vue d’observer de près les effets du corridor San-Pedro-Bamako sur le développement des activités économiques dans la région de la Bagoué. Pour la technique d’échantillonnage, nous avons eu recours au choix raisonné. Nous avons effectué des choix sur la base de critères relativement objectifs afin de les rendre représentatifs de l’ensemble étudié. Ainsi, nous avons pris seulement les départements de la région de la Bagoué à savoir Boundiali, Kouto et Tengréla. Ces trois départements sont traversées par le corridor routier San-Pedro-Bamako. Nous avons également procédé au choix des sites à enquêter à l’intérieur de ces trois départements (Boundiali, Kouto et Tengréla). Les critères de sélection ont été fondés sur :

  • La situation de la localité par rapport au corridor (Il s’agit de localités traversées par le corridor).
  • Le moyen de transport utilisé pour accéder au corridor

Sur la base des critères précédents, nous avons enquêté douze (12) localités dans les trois départements. De façon détaillée, il s’agit de quatre (4) localités dans le département de Boundiali : Kébi, Gbémou, Boundiali, Somorosso ; cinq (5) localités dans le département de Kouto : Kpafonon, Kouto, Gbon Zaguinasso, Blességué et trois (3) localités dans le département de Tengréla : Bolona, Tengréla, Nigouni. (Voir la carte 1).

Carte 1 : Présentation d’une portion du corridor routier San-Pedro – Bamako traversant la région de la Bagoué

Dans ces localités nous avons adressé des questionnaires aux populations, aux usagers de la route et des guides d’entretiens aux autorités coutumières et administratives. L’enquête de terrain a concerné 200 personnes dans l’ensemble des trois départements.

2-Résultats et discussions

Partout dans le monde, il existe un lien fort entre le commerce et les routes (B. Steck, 2003, p.7). Il en est de même pour la Côte d’Ivoire et particulièrement pour la région de la Bagoué. En effet, l’installation des petits commerces de part et d’autre du corridor de San-Pedro – Bamako démontre avec visibilité son attractivité. L’importance de ce corridor dans l’implantation des activités de commerces est due à la présence permanente des voyageurs. Les commerçants profitent de cette opportunité pour rendre plus visible leurs marchandises. Cette situation explique la forte implantation des petits commerces tout au long du corridor. De nos enquêtes terrain, certains commerçants affirment privilégier le corridor au détriment du marché public.

2.1-Les acteurs des activités économique liés au corridor San-Pedro – Bamako

Les acteurs exerçant dans le domaine des petits commerces autour du corridor sont de différentes couches sociales. Mais nous avons décidé de les regrouper en deux groupes : nationaux et non- nationaux.

2.1-1-Les acteurs nationaux

Les différents types de petits commerces exercés à proximité du corridor sont majoritairement pratiqués par les nationaux. L’âge de ces commerçants varie de 20 à 47 ans. Les résultats de nos enquêtes dénombrent une forte proportion de femmes et de jeunes parmi ces commerçants. Sur les 60 commerçants nationaux enregistrés lors de l’enquête, le nombre de femme était de 49 personnes soit environ 82% contre 11 pour les hommes soit un taux de 18%. L’âge des jeunes oscille entre 20 et 36 ans tout sexe confondu. Cette forte présence de la jeunesse se justifie par le fait que leurs parents ne disposent pas suffisamment de moyens financiers pour leurs offrir une situation de vie meilleure ou scolaire (enquêtes de terrain, 2021). Ces derniers sont donc obligés de s’insérer dans ces secteurs d’activités aux risques d’aller au champ où de devenir des bandits. En outre, les jeunes quittent souvent les villages environnants pour les villes dans l’optique d’avoir une condition de vie meilleure. Ceux-ci viennent augmenter le nombre des acteurs du petit commerce.

Les plus âgés, surtout les femmes sont plus présentes dans le domaine de la restauration, la vente des produits cosmétiques, des ustensiles de cuisine, des légumes et des féculents. Par contre, les hommes se penchent plus vers la vente dans les boutiques et quincailleries. Ils vendent le plus souvent des matériaux de construction et des pièces détachées.

2.1-2-Les acteurs étrangers

Les non-nationaux constituent les seconds acteurs impliqués dans l’occupation de la route internationale par les petits commerces. Ces commerçants viennent en majorité des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire à savoir le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou le Niger. Sur les 21 personnes qui ont répondu à nos questions, 6 personnes venaient du Burkina Faso ce qui fait un pourcentage de 28,57% contre 9 personnes pour le Mali soit 42,85% ; 4 personnes pour le Niger soit 19,06% et 2 personnes pour la Guinée soit 9,52%. Selon le sexe, les hommes sont plus

nombreux que les femmes. 15 sont des hommes soit 71 % contre 6 femmes soit environ 29%. Les hommes vendent les téléphones portables, les sacs, la viande braisée, gèrent les kiosques et les boutiques. Quant aux femmes, on les rencontre plus dans le domaine de la cosmétique, la vente des pagnes et la restauration. Le tableau 1 illustre la répartition des acteurs étrangers en fonction des pays de provenance.

Tableau 1 : Répartition des acteurs étrangers selon le pays de provenance

Pays d’origineEffectifsPourcentages (%)
Burkina Faso628,57
Mali942,85
Niger419,06
Guinée29,52

Source : Nos enquêtes, 2020

Le corridor routier San-Pedro – Bamako est donc occupé par une multitude de petits commerçants ivoiriens ou étrangers au profil sociodémographiques divers. Ces acteurs sont majoritairement sans niveau instruction et généralement jeune. Les activités commerciales qu’ils exercent autour du corridor démontre de sa capacité d’attraction. Le corridor est devenu un axe incontournable pour diverses activités surtout les petits commerces. La forte installation de ces petits commerces fait ressortir une pluralité des formes d’occupation du corridor routier.

2.2-Le corridor San-Pedro – Bamako : un lieu d’échanges économiques

Selon D. Mignot (1999, p.108), en dehors des zones les plus centrales, l’activité se crée surtout le long des grands axes de transport qui relient les autres pôles les plus peuplés. C’est aussi autour de ces grands axes que se situent de nombreuses gares.

2.2-1 Le commerce alimentaire et non alimentaire autour du corridor

Les activités autour du corridor concernent les commerces alimentaires et non alimentaires. Le commerce alimentaire comprend la restauration, le commerce des fruits et des friandises, la vente des vivriers. L’activité de la restauration est exercée sur une table ou sous un parasol. A côté de la table de la vendeuse se dresse un hangar fait de paille ou parfois de tôle dans lesquels l’on retrouve une table entourée d’un ou deux bancs. Ces hangars accueillent les clients qui désirent se restaurer sur place. Les menus observés varient de l’Attiéké aux poissons frits au riz avec diverses sauces ainsi que le foutou. A ces principaux menus s’ajoute la vente de la boisson, de l’eau en sachets, des jus et de la viande braisée. La vente de boisson, est pratiquée à proximité des vendeuses de nourriture et principalement dans les abords du corridor routier. La majorité des boissons sont les sucreries (coca-cola, fanta, tonic, malta), les bières alcoolisé (Bock, Ivoire, Dopel) et les jus (de bissap, d’orange, et le jus de gingembre communément appelé « gnamacoudji »). A cela s’ajoute les magasins.

Le commerce des fruits concerne la vente des oranges, de la banane douce, de la mangue selon les saisons. Ces fruits sont étalés sur des tables ou à même le sol par les vendeurs ambulants. Ces commerçants ambulants prennent d’assaut les gares routières et les corridors (postes de contrôle) pour présenter leurs marchandises aux clients et surtout aux passagers ou usagers de la route internationale.

Quant au commerce de friandises, il se compose de la banane braisée, des arachides grillées, des ignames braisées et la vente des biscuits.

On y dénombre aussi les commerces des tubercules. Notamment l’igname dont la consommation est très répandue et des légumes : les aubergines, les tomates et les piments (photo 2).

Photo 2 : Exposition de vivriers au bord du corridor à Bolona

Cliché : BETCHE, 2020

Dans les villages et villes de la région de la Bagoué, les paysans placent généralement leurs productions le long du corridor pour la vente après la récolte. D’après les paysans, cela rendrait la production plus accessible et visible à leurs principaux clients que sont les usagers de l’axe principal. Cette pratique réduit les pertes et augmente leurs bénéfices. Certains chauffeurs s’arrêtent aussi pour passer la nuit au bord de la route. Ils profitent parfois pour acheter ou vendre des marchandises aux vendeuses au bord de la route. Dans une étude effectuée au Bénin, M. Lihoussou (2014, pp 321-326) abonde dans le même sens. Pour cet auteur, les chauffeurs sont des partenaires très importants pour les populations et commerces installés le long des corridors de transport, et leurs échanges peuvent s’étendre sur tous les domaines de la vie. Ainsi, grâce à ses lieux de transport, le corridor San-Pedro – Bamako reste une centralité pour les activités économiques au niveau infra-urbain et une opportunité pour les populations urbaines et rurales. Toutefois, selon F. Dagnogo (2014, p. 315), la centralité économique du corridor n’est pas seulement liée aux gares.

Les espaces de contrôle des forces de l’ordre, appelés communément « corridors de contrôle » ou

« corridor de sécurité » sont aussi devenus des lieux attrayants en termes d’activités commerciales. Le petit commerce non alimentaire se compose essentiellement de petits commerces de l’habillement, de la vente des matériaux de construction, des ustensiles de cuisine et de points de recharge téléphonique, etc. Le commerce de l’habillement est bien présent le long du corridor routier San-Pedro – Bamako. Il occupe les deux rives du corridor routier. Les types d’habillement sont la friperie ou « yougou-yougou » et les habits traditionnels fabriqués localement. Cette activité qui permet de relever le niveau de vie des populations s’observe plus à Boundiali et à Tengréla. Selon les commerçants interrogés, le bal de pantalon « Jeans » s’élève à 260 000FCFA tandis que celui des tricots polo est de 200 000F CFA. En ce qui concerne les habits traditionnels, les prix par article oscillent entre 1500 et 3000 F CFA selon la taille et le modèle. On a aussi le commerce des sacs de voyage, scolaires et ordinateurs ; la vente des nattes et des tapis de prière ou de décoration et les draps pour toutes sortes d’utilisation. Au niveau des ustensiles de cuisine, ce sont les marmites, les cuillères, les gobelets en plastique, les assiettes et les seaux. Ces ustensiles de cuisine sont plus achetés les jours de marché. La vente de matériaux de construction concerne les paquets de ciment, les fers, les tôles, les pointes et les tuyaux pour la plomberie. Des cabines téléphoniques sont également présentes le long de la route et plus précisément dans les gares, et les grands carrefours de la place. Ce type de commerces permet de satisfaire les clients en unité de communication. Les produits vendus sont les téléphones portables, les bactéries, les chargeurs, les puces des réseaux de communication (MTN, ORANGE et MOOV). Le prix de ces produits varie de 500 F CFA pour les puces à plus de 50 000 F CFA pour les téléphones portables.

Photo 2 : Exposition des ustensiles de cuisine et une boutique de vente de téléphone et divers à Gbon

Cliché : BETCHE, 2020

Deux formes d’occupations anarchiques sont observées : L’occupation des caniveaux et celui des trottoirs. Dans les différentes villes de la Bagoué, Des commerçants ont opté pour les abords des

caniveaux ou sur les caniveaux pour asseoir leurs activités. Alors que ces caniveaux sont réservés pour le drainage des eaux de pluviales ou usées. D’autres commerçants utilisent les trottoirs pour étaler leurs marchandises à même le sol ou sur des tables. Souvent le corridor est aussi utilisé pour faire sécher le maïs, le riz etc…. Ces formes d’occupation qui ne respectent pas les règles et normes d’urbanismes (photo 3) sont plus pratiquées les jours de marché communément appelé lôgôdougou.

Photo 3 : Occupations des trottoirs et des caniveaux à Tengréla

Cliché : BETCHE, 2020

2-2- Les activités économiques pratiquées dans les gares routières

Dans la région de la Bagoué, les gares sont situées en majorités à proximité de la route principale. Ces gares routières abritent des activités connexes : entretien et réparation des véhicules, agence de banque, commerces pour la vente d’hydrocarbures, de pièces détachées, de nourriture, de vêtements…

Les commerces et services localisées dans les gares ou à leur proximité peuvent être regrouper en trois catégories :

  • La première concerne les commerces situés à l’intérieur même de la gare ; ils sont en général un kiosque ou local en location moyennant une somme comprise entre 1500 et 10000 F CFA par mois hors taxes et impôts qu’ils versent à l’administration de la gare. Ce sont généralement, les vendeurs des pièces détachées, des vêtements mais aussi de la nourriture. Ils ont un chiffre d’affaires qui varie en fonction de l’activité. Les acteurs de ces commerces pensent que leur emplacement est stratégique vu la marge bénéficiaire qu’ils arrivent à dégager. En fait, les acheteurs généralement pressés n’ont pas le temps de négocier le prix. A côté d’eux, il y a les gérants de stations d’essence qui affirment par contre que les transporteurs ne sont pas leurs clients puisque ces derniers se ravitaillent auprès des revendeurs hors station (les stations clandestines). Ils reconnaissent tout de même l’intérêt d’être situés dans la gare où les véhicules (taxis, voitures particulières) ou les motos viennent déposer ou prendre les voyageurs. Ces stations font en moyenne 200 000F CFA de chiffre d’affaires par jour.et payent aussi les impôts.
  • La seconde concerne les activités situées à l’entrée de la gare, les acteurs de ces activités ne versent aucune redevance à l’administration de la gare alors qu’ils réalisent en moyenne le même chiffre d’affaires que leurs homologues à l’intérieur de la gare. A côté d’eux, il y a les points de transactions financière dont les gérants affirment que leurs clients potentiels sont les usagers de la gare, surtout les commerçants.
  • Enfin on trouve les vendeurs ambulants, revendeurs sans places fixes. Ils se déplacent de gare en gare avec leurs marchandises chargées sur leurs têtes, dans des brouettes ou dans leurs mains. Ils payent seulement quelque fois la taxe de marché qui varie entre 25 et 200 F. Ils estiment avoir un chiffre d’affaires moyen de 1000 à 2500 F CFA par journée. Ils sont très souvent refoulés par les responsables des gares. Ces propos confirment ceux de J. Lombard et de B. Steck (2004, p.12) pour qui ces lieux de transport sont aussi des espaces de ségrégation, de désordre, faisant d’eux des territoires privilégiés de l’action publique, mais aussi un révélateur de ses dysfonctionnements et dérives. Du fait des enjeux économiques pouvant représenter des recettes importantes, il y a une certaine ambigüité dans la position des autorités municipales. Ces dernières, en même temps qu’elles dénoncent l’occupation désordonnée dans ces lieux, y vont régulièrement prélever des taxes. Mais bien que souvent confrontés à une grande précarité et au conflit d’usage, l’intensité des activités dans ces gares routières contribue cependant à faire fonctionner la ville et à définir certains de ces lieux centraux.

Il est difficile de dire combien les commerçants gagnent par jour ou par mois. Mais les revenus issus du petit commerce sont utilisés de diverses façons. Le premier secteur dans lequel ils investissent est l’immobilier. Après, c’est dans l’ouverture d’autres magasins et l’achat de motos ou de véhicules pour faciliter les déplacements. Ils investissent aussi dans la scolarisation des enfants, les charges de la famille (nourriture, courants, eau etc.), les mariages et funérailles. Les revenus de ces petits commerces sont aussi utilisés pour l’habillement etc… S. Koffi (2017, pp 8- 9), dans une étude effectuée dans la région de la Bagoué en général et en particulier dans le département de Tengréla, aboutit aux mêmes résultats. Les résultats de son étude montrent que les revenus des populations de ce département sont utilisés pour l’achat de terrains, de motos, de vêtements, etc…Avec le petit commerce aux abords du corridor, Le quotidien des commerçants s’est amélioré. Une commerçante affirme être le chef de ménage grâce au petit commerce au bord du corridor. Elle l’exprime en ces terme : « Depuis la mort de mon mari, j’ai commencé à vendre au bord du goudron qui va à Tengréla. Je gère un petit restaurant. Je ne vais pas te dire combien je gagne, mais en tout cas grâce à mon petit commerce, j’arrive à assurer la scolarité de mes trois enfants. Aujourd’hui, j’ai acheté mon terrain il reste à construire, j’ai aussi acheté une moto pour me déplacer facilement. C’est moi qui gère tout à la maison. ».

Tout ceci montre l’intérêt économique des gares routières et partant du corridor. Mais les informations collectées ne permettent pas d’avoir une estimation chiffrée de ce qu’elles rapportent réellement en terme financier.

2-3-Les autres activités économiques liées au corridor

2.3.1 Les petits métiers liés aux transports

A l’instar des deux types de commerces cités plus haut, la route internationale A5 enregistre d’autres types d’activités. Ce sont les mécaniciens de moto, de vélo et auto ; la menuiserie ; les réparateurs de portable. Les mécaniciens se chargent de la réparation rapide des engins en cas de panne ou de leur entretien. Les métiers de « vulcanisateur » et de « mécanicien » sont installés au bord de la route pour répondre au besoin rapide de maintenance et d’entretien des camions. Ces activités se développent très rapidement au point que leurs promoteurs recrutent beaucoup d’apprentis. Ces derniers constituent une main-d’œuvre et un vaste marché de consommation non négligeable dans les différents départements de la Bagoué.

L’autre activité moins valorisée est le commerce sexuel qui se développe de façon spontanée au niveau des parkings, au bord de la route, et dans les sites d’exploitation clandestins de minerais par exemple à Kanakono. Ce sont généralement les professionnelles du sexe venues du Libéria, Nigéria, Ghana etc…

Des recettes pour la commune

Les ressources communales tirées de l’activité de transport proviennent essentiellement des taxes collectées au niveau des syndicats de transporteurs, des amendes ou pénalités infligées aux transporteurs, des droits de stationnement liés à l’exploitation de parkings pour camions gros porteurs, etc. La photo 4 présente un parking de stationnement.

Photo 4 : présentation d’un parking de stationnement dans la ville de Boundiali

Cliché : BETCHE, 2020

Dans la région de la Bagoué, seule la ville de Boundiali possède un parking de type moderne. Les autres villes de la région y compris Boundiali possèdent des parkings traditionnels, non pavé. Les taxes (2000 F CFA /jour pour les gros camions et 1000 F CFA /jour pour les pick-up) constituent source de revenu pour les localités les abritant. Aussi, les parkings (modernes ou traditionnels) abritent diverses activités complémentaires comme la vente de nourriture, les boutiques de vente de pièces de rechange et même des garages pour camions gros porteurs. Pendant le stationnement les chauffeurs profitent pour se restaurer et acheter des vivres, des cigarettes, du carburant etc….

Le corridor routier : source d’emploi grâce l’activité de transport

Le bitumage du corridor routier a été à la base de l’éclosion des gares routières dans la région de la Bagoué. Selon les informations recueillies auprès des acteurs du transport de la région, le nombre de gare routière a considérablement augmenté depuis la pose du goudron sur la voie. Aussi, presque toutes les compagnies de transport se modernisent et desservent de nombreuses autres localités au niveau national et international. Le corridor offre ainsi de l’emploi à travers le métier de transport de biens et de personnes. Le secteur des transports en général et en particulier le métier de transport recrute des diplômés, des licenciés, des exclus du système scolaire et ceux qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés. Ce qui permet de réduire le nombre de chômeurs dans la région.

Cependant, les conditions dans lesquelles travaillent certains acteurs sont pénibles. Ils fournissent d’énormes efforts et dépensent assez d’énergie pour un salaire dérisoire. La tranche d’âge des chauffeurs est comprise entre 23 ans à 62 ans selon nos enquêtes. Ils sont majoritairement des pères de familles. Il y a certains chauffeurs qui touchent 60 000 F CFA comme salaire par mois et d’autres reçoivent 80 000 à 100 000 F CFA par mois. Selon eux, ces fonds qu’ils reçoivent n’arrivent pas à couvrir toutes les dépenses familiales. Ils vivent toujours dans la pauvreté. Ce qui les poussent à exercer parallèlement d’autres métier.

Conclusion

Les liens entre transport et territoire ont été communément abordés en termes d’effets mécaniques positifs des transports sur les activités économiques et territoriales. Selon cette approche, la mise en place d’une infrastructure de transport entraîne automatiquement des évolutions positives en termes de flux, de polarisation et de localisation des activités économiques. Cette théorie fixe une sorte de champ causal entre l’infrastructure de transport et les transformations économiques et spatiales. Mais depuis les années 1970, les scientifiques s’interrogent sur les effets des grandes infrastructures de transport, sur les espaces qu’elles traversent sans jamais parvenir à une unité de réflexion. Pour P. Merlin (2000), malgré ce débat sur les effets structurants des infrastructures de transports, il est difficile de nier le rôle joué par celles-ci dans le développement des villes.

Dans la région de la Bagoué, au plan économique, l’utilisation du corridor San-Pedro – Bamako réside dans la multiplication des activités économiques et de transport le long de l’axe. Ces activités sont déterminantes pour l’économie locale et la fluidité du corridor routier. Sur cette base, on peut affirmer que la mise en place du corridor a contribué à la multiplication des activités économiques et partant à l’amélioration des conditions de vie des populations dans la région de la Bagoué confirmant ainsi la thèse de certains auteurs sur les effets positifs des infrastructures de transport. Cependant, la construction du corridor San-Pedro – Bamako n’a pas encore entrainé un réel décollage économique de la région.

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