Akéikoi, village d’Anyama, quartier d’Abobo : reflet d’une localité de l’entre-deux

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Romuald Junior DOGBA,  Dabié Désiré Axel NASSA

Résumé

Les communes périphériques du district d’Abidjan connaissent un développement spatial sans cesse croissant de leur territoire. Une situation qui aboutit à la conurbation posant la problématique des limites entre les localités composant le district d’Abidjan. Tel est le cas des communes d’Abobo et d’Anyama, initialement distantes d’une dizaine de kilomètres qui ont-fini par s’imbriquer l’une à l’autre. Cette coalescence des fronts d’urbanisation de ces deux communes, reste au centre d’enjeux multiformes. Dans une telle dynamique, Akéikoi, un village Akyé1 situé aux périphéries contigües d’Abobo et d’Anyama affiche une dualité d’appartenance. Ce présent article se propose de contribuer à l’explication de ce « bicéphalisme » identitaire de la localité d’Akéikoi qui se présente à la fois comme un village d’Anyama et un quartier d’Abobo. En abordant le cas spécifique d’Akéikoi, nous proposons l’hypothèse que la problématique de frontières urbaines est une réalité au sein du district d’Abidjan. La méthodologie mise en oeuvre pour la vérification de cette hypothèse a été faite autour de l’usage de la télédétection, qui a permis de montrer l’évolution de l’occupation du sol. Nous avons également eu recours aux cartographies relatives àla dynamique urbaine des communes d’Abobo et d’Anyama. Mais notre action s’est focalisée sur les zones mitoyennes aux deux communes. Les enquêtes de terrain ont été ponctuées par des
entretiens, des focus groupes et des enquêtes par questionnaires menées dans le village d’Akeikoi, et dans les deux communes auprès des autorités coutumières et administratives. Ceci afin de nous imprégner des réalités liées à la dualité d’appartenance qui affecte le village.

Mots-clés : Akéikoi, Abobo, Anyama, conurbation, frontière,

Abstract :

Key words:

INTRODUCTION

Pourquoi frontières urbaines ? Et non limites urbaines ? La frontière, élément indispensable de création de territoire, a longtemps été la matérialité de l’existence même des Etats-Nations. Une réalité héritée dès son origine qui fait références à la force, au combat et à la puissance. C’est pourquoi elle se définie en rapport avec la géopolitique. Elle prend appui sur « une construction juridique volontariste, qui traduit un « instantané » des relations comme des positions relatives dans l’espace des deux pays concernés par le tracé » (Piermay J-L, 2005, pp230-238.). Mais elle est aussi, le contenant spatial, la peau pour l’individu, des éléments ou des objets physiques ou symboliques pour les sociétés. Les frontières protègent soit « l’identité du groupe, soit l’intégrité de l’individu vis-à-vis de l’extérieur » (Nassa D, 2005, p 15). Tenant compte de ces réalités, la frontière est perçue aujourd’hui comme une ligne de démarcation, de barrière, de lieu où se termine un territoire connu et maîtrisé, de lieu de passage vers un monde mal connu et incertain, de discontinuité spatiale, de lieu de brusque passage à un monde sensiblement différent, de ligne ou de zone. Pourtant elles s’invitent dans les villes, les structurent et les traversent. Par ailleurs, la frontière dans la ville, « frontière intérieure, relève de la reconnaissance d’espaces urbains partagés, de portions de ville soumises à des règles et à une vie sociale qui échappent à la vision classique et utopique, de la cité vécue comme espace global et solidaire ». (Escallier, R, 2006)
La ville d’Abidjan en est le reflet. Il s’y pose de véritables problèmes de frontières entre certains territoires communaux qui la composent relatifs aux multiples enjeux observés. En Côte d’Ivoire, l’urbanisation amorcée pendant la période coloniale a jeté les bases de la structuration urbaine. De 13,7% au lendemain de son indépendance en 1960, le taux d’urbanisation est passé à 43% en 1998 pour être estimé à 60% en 2010 (INS, 1998, 2010). Cette urbanisation reste dominée par la capitale économique qu’est la ville d’Abidjan. De cette position métropolitaine, Abidjan est la tête du phénomène de macrocéphalie que forme la morphologie urbaine.
Elle connait un développement spatial et démographique influencé par la concentration du marché de l’emploi, des biens et services. Avec une consommation moyenne annuelle de l’espace comprise entre 300 et 800 ha par an, la ville occupe aujourd’hui plus de 45 000 ha (INS, 2001). Dans le même temps, elle accueille près de 21% de la population ivoirienne qui s’élève à 22 millions d’habitants en 2013 (INS, 2014). Cependant pour sa gestion, la ville d’Abidjan, en 2001, a été érigée en un district autonome. Cette donne entraine une recomposition territoriale marquée par le passage de 10 à 13 communes avec le rajout des communes de Songon, d’Anyama et de Bingerville à celles qui ont, hier constitué les noyaux primaires de la ville d’Abidjan. Cette situation pose le problème de la délimitation entre les communes de ce nouveau territoire, surtout lorsque leurs marges sont sujettes à activités foncières et commerciales. Telest le cas des communes d’Abobo et d’Anyama offrant en l’occurrence un cadre idéal d’analyse. En effet, ces deux localités dont la croissance a été ébauchée par la création du chemin de fer en 1904 et celle du port autonome d’Abidjan dans les années 1950, ont fini par s’intégrer sous l’effet de leur dynamique spatiale. Les directions d’étalement Nord et Sud respectivement empruntées par Abobo et Anyama ont eu pour corollaire l’interpénétration de leurs périphéries mitoyennes respectives. Il en résulte alors une confusion au niveau de la délimitation de leur territoire. Akéikoi, localité située aux périphéries contigües de ces deux entités territoriales est sujette à enjeux multiples. Elle est perçue à la fois comme un village d’Anyama et un quartier d’Abobo. Comment le site d’Akéikoi peut-il être à la fois un village d’Anyama et un quartier d’Abobo ? Quels en sont les enjeux ? Telles sont les questions fondamentales que soulèven cette analyse. Pour répondre à ces interrogations, la méthode suivante a été adoptée.

1. Méthode de collecte des données

Cette contribution vise à montrer les enjeux de la dualité d’appartenance territoriale du village d’Akeikoi mitoyenne des communes respectives d’Abobo et d’Anyama. Pour ce faire, notre démarche a débuté par une recherche documentaire d’où a été tiré l’essentiel des concepts théoriques ayant permis de cerner et de circonscrire le champ d’étude. Ces concepts sont, entre autres, les théories de l’attractivité territoriale, les théories de localisation des services. La littérature a également permis de percevoir les caractéristiques spatiales et socio-économiques de la zone d’étude. Par la suite, l’on est passé aux enquêtes de terrain où des indicateurs ont aidé à collecter les informations indispensables à l’élaboration de l’article. Ces indicateurs sont, entre autres :

– La situation du territoire de l’entre-deux,
– Le profil des acteurs économiques de la zone ;
– Les rapports socio-économiques entre les habitants de cette localité d’Akeikoi et les gouvernants des deux communes qui lui sont mitoyennes ;
– Les retombées socioéconomiques, de la conquête de ce territoire disputé.

Ces indicateurs sont disponibles auprès de sources documentaires du Bureau National d’Étude Technique et de Développement (BNETD), de l’Institut National de la Statistique (INS), de l’Institut de Géographie Tropicale (IGT) et de la Direction Générale de l’Administration du Territoire (DGAT). L’enquête de terrain par focus groupe et par questionnaires ont par la suite été indispensables pour collecter les informations charriées par les indicateurs. Les observations ont typiquement porté sur les communes d’Abobo et d’Anyama. Toute la documentation administrative relative non seulement à la création des communes, mais surtout à l’instauration de leurs limites territoriales a fait l’objet d’examen. Ce sont en particulier les décrets, bien de documents statistiques, topographiques et cartographiques qui ont été consultés. Les enquêtes se sont, pour la plupart, déroulées dans les services techniques et d’urbanismes de ces deux communes et dans le village d’Akeikoi contigu à ces deux communes. Dans ce village, l’histoire du peuplement, les limites du terroir ainsi que les modes de spéculations foncières ont meublé les échanges avec la chefferie. Dans toute cette localité, des responsables de syndic, des chefs de ménages ou tout simplement des résidents, commerçants et transporteurs ont été soumis à nos interrogations. L’idée étant de connaitre la nature de leurs rapports respectifs avec les mairies d’Abobo et d’Anyama de même que les problèmes qu’ils rencontrent relativement à la localisation de leurs activités dans la zone. La réponse à cette interrogation nécessite un travail organisé en trois parties :(I) De la dynamique spatiale d’Abobo et d’Anyama à la double identité d’Akéikoi ; (II) Akéikoi, un village d’Anyama par la législation(II) et Akéikoi, un quartier d’Abobo par la confusion des jeux des frontières urbaines (III).

1.1 De la dynamique spatiale des communes d’Abobo et d’Anyama, à la double identité d’Akéikoi

Le « bicéphalisme identitaire » de la localité d’Akéikoi est un fait qui s’explique en partie par la dynamique spatiale des communes d’Abobo et d’Anyama. En effet, localisées dans la partie septentrionale du district d’Abidjan, ces deux entités territoriales sont portées par une dynamique urbaine. Initialement distantes d’une dizaine de kilomètre, il n’existe plus à ce jour de « No man’s lands » entre elles. L’accroissement naturel de la population, l’apport migratoire venant de l’extérieur ainsi que la forte mobilité interne regroupée sous le vocable d’exode rural en sont les principaux facteurs explicatifs. (Voir figure1p 3).

Dynamique démographique et croissance spatiale allant de pair, leur conjugaison a contribué à la phagocytose des périphéries contiguës aux deux communes. Cette réalité a pour effets induits une imbrication des quartiers naissants d’Akekoi les uns aux autres. A la faveur, du développement ferroviaire Abidjan-Niger, le noyau marqueur de la dynamique urbaine d’abobo s’est étalé de façon spontanée. Alors qu’au départ, cette localité était constituée d’un noyau de trois petits villages Ebrié2. Il s’agit d’Abobo-Té, d’Abobo Baoulé et d’Anonkoi Kouté. Restée rattachée pendant plusieurs années à la sous-préfecture de Bingerville, elle devient une commune de plein exercice en 1980. Cette commune du fait de sa position au sein de la ville d’Abidjan, a profité des projets de logements sociaux initiés par l’Etat dans les années 70. Cette situation a été bénéfique à son étalement spatial. Les projets d’extension en question sont entre autres, celui d’Abobo Sud, des quartiers Akéikoi (extension Est et Ouest), Agbékoi, Ahoukoi, Anonkoua Kouté (extension Est et Ouest), Abobo Baoulé (extension Nord et Sud-ouest), Abobo-té (extension Est et Ouest), 112 hectares, SETU3, SOGEFIHA4, Banco, et Sagbé (extension Nord et Sud). Cette dynamique spatiale, toujours en cours, a connu trois
principales phases dévolution (Diby, 2008 p 6) :

– La première phase est celle qui touche au noyau des villages autochtones. Au cours de cette première évolution, des opérations de remodelages permanents sont arrivées à transformer de façon progressive ces villages qui revêtaient un aspect rural, en des
quartiers intégrés à la ville. De cette transformation, s’en est suivie nouvelle physionomie urbaine.

– La deuxième phase correspond à l’étape de la rénovation urbaine sectorielle qui débute à partir du centre-ville. Cette deuxième phase d’aménagement consacrée à la rénovation a considérablement intensifié l’occupation du sol avec la mise en place des
centres commerciaux, des bureaux, l’installation des bâtiments administratifs, les équipements sanitaires sans oublier les actions d’assainissement.

– La troisième et dernière étape concerne la rénovation des quartiers préexistants des zones périphériques à la commune. Il s’agit notamment des secteurs de PK 18 campements, Agbékoi et Akéikoi (Voir fig. 2 p 5).

En dehors de ces projets d’extension, d’autres facteurs ont aussi contribué à la dynamique spatiale de la commune d’Abobo. Il s’agit de la contribution des investissements privés dans le secteur emploi porté par MOTORAGRI, FILTISAC et MACACI dans les zones ouest, mitoyennes à la commune d’Adjamé. A ce titre, ces zones d’implantations industrielles ont été le théâtre de spéculations foncières pour faire face à la demande de logements pour les employés du secteur de l’industrie. Malgré l’avènement de cette trame industrielle, Abobo revêt le statut de commune à vocation essentiellement résidentielle. A ce jour, la commune est
bâtie sur une superficie de 11 000 hectares pour une population estimée à 1 030658 habitants soit une densité de 94 hbts/ha (INS, 2014). Vingt-deux (22) principaux quartiers au total dont cinq (5) villages à savoir Abobo Baoulé, Abobo Té, Djibi, Anonkoua Kouté et Agnissankoi en constituent la trame urbaine. Son extension se poursuit ces dernières années vers Anyama dans la direction Nord et vers Djibi (Cocody) dans la direction Est. Abobo reste une commune en perpétuelle croissance aussi bien sur le plan spatial que démographique. Qu’en est-il d’Anyama ? Anyama de son côté fait partie des villes à croissante forte, Duchemin (1969). Partie de petite ville coloniale, elle est aujourd’hui l’une des communes périphériques les plus peuplées d’Abidjan, soit une population de 148 962 habitants (INS, 2014). Cette localité, vu son caractère de ville commerciale qu’elle hérite du commerce de la kola est en prédominance peuplée par les soudanais venus pour la plupart du Nord de la Côte d’Ivoire. Dans les années 1954, elle n’était que la juxtaposition d’un gros village de planteurs autochtones de (café, de cacao et de kola) et d’un important quartier Dioula vivant de l’artisanat et de petits commerces. Cependant, la construction du chemin de fer en 1904 ainsi que celle de la route nationale de l’Est en 1954, ont contribué à sortir cette localité de la léthargie, lui permettant ainsi d’amorcer une croissance réelle. En effet, ces
moyens de communication qui ont vu le jour ont multiplié l’effet de polarisation d’Anyama, car désormais les échanges avec les autres localités étaient facilités. Dans le processus de son extension, deux grandes phases ou périodes sont à considérer (Coulibaly K, 2008, p 115) :

– La première période est celle qui part de 1958 à 1979. Au cours de cette phase, la ville s’étirait le long de deux voies de communications terrestres presque parallèles dans le sens Sud-Nord (chemin de fer et voie routière). A cette époque, existaient les cinq premiers quartiers de la ville : Schneider au Nord, Gare au centre, Christiankoi 1 et 2 au Sud et Zossonkoi qui s’étend au-delà de la route vers l’Est. Le quartier derrière rail est en construction. A partir de 1979, toujours dans la première phase, Anyama poursuit son extension dans la direction Sud-Nord avec cette fois, l’apparition de nouveaux quartiers notamment Résidentiel à l’Ouest, RAN au Sud et Palmeraie au Sud de Zossonkoi.

– De 1985 à aujourd’hui qui correspond à la deuxième période, les quartiers qui sont nés pendant la première période rentrent en phase de densification significative. Cette densification amorcée se poursuit et ce, dans tous les sens. Dans cette dynamique, un
nouveau quartier est naissant : Celui de CEG5.

– L’année 1993 est celle où, PK186, a connu son lotissement. A partir des années 2002, les quartiers de RAN7 et PK18, sont en parfaite extension. D’autres sous-quartiers à l’image de Blankro et de N’dotré, font tout aussi leur apparition à l’Ouest de PK18 (voir figure 4).

En somme, Abobo et Anyama affichent une physionomie spatiale très dynamique. Ces deux communes sont désormais rendues « siamoises », un fait lié à la conurbation. Ce phénomène qui s’érige à la suite de la phagocytose des quartiers périphériques des deux communes en question, a engendré l’apparition d’une zone problématique. Cette zone sujette à maints conflits, regorges-en son sein des villages dont celui d’Akéikoi. Cette localité qui jouxte à la fois Abobo et Anyama, est la matérialité d’une identité territoriale double reflet des conflits de limites entre Anyama et Abobo. De cette situation nait une zone frontalière urbaine atypique. (Voir figure 5).

Les conflits qui naissent de cette situation donnent lieu à des disputes sporadiques qui se traduisent par les revendications territoriales de part et d’autre des deux communes. Cela est perceptible entre les agents communaux et les populations des zones concernées. Toutefois, relativement au cas spécifique d’Akéikoi, plusieurs préoccupations se dégagent. Akéikoi est-il un village centre des revendications ? Si non, pourquoi la double identité ? La commune d’Anyama est-elle-même incluse dans celle d’Abobo ?

2- Akéikoi, un village d’Anyama par la législation

Le phénomène de conurbation issue de la dynamique spatiale des communes d’Abobo et d’Anyama a favorisé l’inclusion d’une portion territoriale d’Anyama au sein de la commune d’Abobo. Cette situation a favorisé la dispute de certains sites localisés dans la zone contiguë aux deux entités communales dont le quartier « d’Akéikoi-extension ». Cependant, faut-il le préciser, la localité d’Akéikoi ne fait l’objet d’aucune revendication. En clair, Akéikoi ne fait pas partie des zones dites zones frontalières car depuis des décennies, ce village est resté rattaché à la commune d’Anyama. Cette appartenance repose sur un double fondement. Les fondements de cette appartenance se déclinent en un rattachement culturel et en une législation. Entendons par législation, des
décrets portant délimitation territoriale des communes au sein du district d’Abidjan et par rattachement culturel, une annexion administrative sur la base de la culture commune ou de regroupement ethnique. Mais avant, un tour d’horizon fait de la structure territoriale d’Anyama peut aider à rendre plus compréhensible cette appartenance. Située à 22 Km au Nord d’Abidjan, à la limite Sud du pays Akyé, en zone forestière, Anyama regroupe en son sein, un ensemble de quartiers et de villages. Concernant les villages, neuf (9) ont été identifiés. Il s’agit de : « Akéikoi », Anyama-Adjamé, Anyama-Ahouabo, d’Anyama-Débarcadère, Azaguié-Blida, d’Ebimpé, Quatre Croix, Thomasset et de Yapokoi. Cette donne s’accompagne aussi d’une croissance du nombre de quartiers. A ce titre, Dix (10) principaux quartiers composent la localité d’Anyama-ville. Il s’agit des quartiers CEG, Anyama PK18, Anyama Gare, Christiankoi, derrière rail, Palmeraie, Ran, Résidentiel, Schneider et Zossonkoi (voir figure 6).

La composition territoriale d’Anyama montre clairement que la localité « d’Akéikoi » fait partie intégrante du ressort communal d’Anyama. Cela suffit-il pour justifier cette appartenance ? C’est en cela effectivement que les faits justificatifs trouvent leur sens  ?Parlant du rattachement culturel, notons que c’est précisément le 02 janvier 1961, qu’Anyama a été érigée en Sous-préfecture. Restée cloitrée pendant plusieurs années dans son statut de village, cette localité devenait officiellement à cette époque une ville. L’érection d’Anyama en une sous-préfecture n’était pas une entreprise fortuite. Cela émanait d’une volonté nourrie par les populations des villages Akyé. En effet, en 1961, l’objectif principal qui soutenait ce projet était de regrouper d’un côté tous les villages Akyé à la circonscription d’Anyama et d’un autre côté, les villages Ebrié devaient être rattachés à la Sous-préfecture de Bingerville. Cela pourrait être assimilé à une forme de « frontière sociolinguistique » qui favorise le regroupement des peuples sur la base d’une concentration sociologique. Dans ce contexte, les villages d’Abbe broukoi et « d’Akéikoi » respectivement au Sud-ouest et Sud-est d’Anyama ont été rattachés à la nouvelle Sous-préfecture d’Anyama qui venait d’être créée. Par ailleurs, au-delà de cette perception de regroupement ethnique qui confirme le statut d’Akéikoi en tant que village d’Anyama, il fallait encore concrétiser ou matérialiser cette appartenance par un tracé, c’est-à-dire procéder à une délimitation ou à un découpage territorial sur la base des textes. D’où l’intervention de la communalisation, comme moyen législatif pour rationaliser les territoires communaux par le biais des décrets. Ainsi, en vertu de la loi no35-1985 du 16 octobre 1985 portant création de 98 nouvelles communes, Anyama devient-elle une commune de deuxième (2e) génération. Alors qu’en 1993 la commune d’Abobo avait déjà été créée sur la base du décret No 80-1184 du 18 octobre. Ce décret qui porte création de la commune d’Abobo définissant les limites Nord de cette commune, a précisé en son article 9 que le village « d’Akéikoi » situé au nord de la rivière Djibi, reste rattaché à la sous-préfecture d’Anyama.
Le regroupement ethnique réalisé par la création de la Sous-préfecture d’Anyama ainsi que la communalisation qui prévoit les limites des espaces communaux ont contribué à monter effectivement que le site d’Akéikoi reste un village rattaché à la commune d’Anyama. Toutefois, si officiellement Akéikoi est du ressort territorial de cette localité, qu’est-ce qui justifie alors son identité de quartier d’Abobo ? Cette situation ne serait-elle pas le fait d’une confusion ?

3-Akéikoi, un quartier d’Abobo par la confusion des jeux des frontières

La considération d’Akéikoi comme un quartier d’Abobo s’inscrit dans une logique de mutation nominative entre la localité d’Akéikoi, le village originel rattaché à Anyama et celle d’Akéikoi-extension, un quartier intégré à la commune d’Abobo. Mieux, c’est un quiproquo qui s’est installé au niveau de la dénomination de ces sites sus-évoqués. En effet, le quartier d’Akéikoi-extension contrairement à Akéikoi, demeure un secteur au centre des problèmes territoriaux qui existent entre les communes d’Abobo et d’Anyama. Dans la réalité, cette zone s’étale en direction d’Abobo précisément au sud du village originel d’Akéikoi. Il part du collège « DESTIN »’Abobo jusqu’à la limite ouest du quartier B Ce la même commune. Le terme générique « d’extension » attribué à ce quartier constitue un alibi pour Anyama à le revendiquer comme faisant partie de son ressort territorial car pour cette commune, c’est un prolongement du village d’Akéikoi, site qui lui est déjà rattaché. Cependant, une disposition prise en vue de redéfinir les périmètres communaux de Cocody et d’Aboboa modifié les frontières fixées initialement entre Abobo et Anyama. Ce nouveau décret qui a abrogé les décrets antérieurs est celui du No 95-530 du 14 juillet 1995.Il est clairement indiqué dans ce décret que le site d’Akéikoi-extension reste une propriété d’Abobo. C’est sur ce décret que s’appuie l’autorité municipale pour matérialiser l’appartenance du village et son terroir à Abobo: « ma présence ici, est la preuve qu’Akéikoi-extension est du ressort territorial d’Abobo. Mon collègue d’Anyama ne s’est jamais permis de venir tenir une telle réunion chez vous »

Les problèmes de frontières qui existent entre les communes d’Abobo et d’Anyama ont contribué à plonger les populations de ces deux entités territoriales dans une confusion. Aujourd’hui, ces populations ont du mal à identifier les véritables frontières entre Abobo et Anyama désormais rendues communes siamoises par le phénomène de la conurbation. La grande difficulté est que se trouvant dans l’une de ces localités, ces dernières ne savent plus véritablement si elles sont à Anyama ou si elles sont à Abobo. Embobinées dans cette confusion liée aux jeux des problèmes frontaliers, certains riverains considèrent le quartier d’Akéikoi-extension comme une suite ou un prolongement du village « originel d’Akéikoi ». Cette appréciation les amène à attribuer la même dénomination, c’est-à-dire ‘‘Akéikoi’’ aux deux entités territoriales. Au-delà de cette première perception, des informations recueillies auprès des populations rencontrées ont révélé que, par souci de prononcer un nom de quartier jugé assez long, les habitants d’Akéikoi-extension font fi de l’expression « extension ». Ainsi, les nouveaux termes génériques qui ont émergé de cette initiative sont respectivement Akéikoi-village pour désigner le village originel rattaché à Anyama et Akéikoi, pour désigner Akéikoi-extension
(Voir photo 1 p. 12).

Conclusion

Akéikoi : un village d’Abobo, un quartier d’Anyama. Comment ? Telle était la question qui fondait la quintessence de cette analyse. Au total, nous retiendrons que le bicéphalisme territorial de cette localité est la résultante de la dynamique spatiale des communes d’Abobo et d’Anyama. Cette dynamique qui a contribué à phagocyter les quartiers périphériques aux deux communes a engendré le phénomène de conurbation mettant ainsi à l’ordre du jour, une difficile question de reconnaissance des périmètres communaux.
En réalité, Akéikoi demeure un village d’Anyama. Ce rattachement repose d’une part, sur un fondement d’intégration entre peuples Akyé dans le souci de pérenniser les liens, les traditions et les coutumes entre peuples Akyé. Cette forme de « frontière sociolinguistique » a été concrétisée par la création de la sous-préfecture d’Anyama en 1961 regroupant ainsi tous les villages Akyé environnants dont Anyama. D’autre part, cette identité de village repose sur un statut juridique notamment le décret No 80-1184 du 18 octobre 1980. Ce décret qui porte création de la commune d’Abobo, inscrit la localité d’Akéikoi dans le territoire d’Anyama. Cependant, faut-il le préciser, le site d’Akéikoi encore considéré comme un quartier d’Abobo demeure plutôt une initiative des populations riveraines entraînées dans une confusion par le jeu des problèmes frontaliers. Par ailleurs, une volonté nourrie par ces mêmes populations à contracter l’appellation du quartier « d’Akéikoi-extension » considérée comme une expression trop longue à évoquer, a permis d’accentuer cette confusion. De nouvelles dénominations pour désigner les deux localités ont alors émergé. Ainsi, le village originel d’Akéikoi rattaché à Anyama est-il connu sous l’appellation d’Akéikoi-village et le quartier d’Akéikoi-extension
rattaché à Abobo s’est substitué en Akéikoi.

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VELASCO-GRACIET Helène

Auteur(s)


1Romuald Junior DOGBA :Doctorante-mail : romualdogba@gmail.com- Institut de Géographie Tropicale(IGT), Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire (Côte d’Ivoire)

2 Dabié Désiré Axel NASSA :Maître de Conférences; e-mail: dabienassa@gmail.com – Institut de Géographie Tropicale(IGT), Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire (Côte d’Ivoire)

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