Désordre urbain et cadre de vie à Abidjan : Cas du quartier Sideci1 à Yopougon (Côte D’ivoire)

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MOURITALA Abou, IBOURAÏMA Yabi, Evariste O. B. ADEOTI, Euloge OGOUWALE

Résumé

Avec l’urbanisation rapide et incontrôlée, les villes de Côte d’Ivoire produisent de plus en plus des paysages marqués par le désordre urbain. Les paysages des communes d’Abidjan en sont la parfaite illustration. A travers le cas du quartier Sideci dans la commune de Yopougon, cette étude traite de la persistance du désordre malgré les efforts d’aménagement des pouvoirs publics. L’objectif visé est de montrer l’ampleur de ce désordre sur le cadre de vie des populations. Pour l’atteindre, une démarche méthodologique autour du triptyque recherche documentaire (pour circonscrire et approfondir nos analyses), observation et enquête de terrain (auprès de 100 chefs de ménages propriétaires de logements et de 100 prestataires de services installés sur les quatre principaux axes de circulation) a été adoptée. Les résultats identifient d’abord deux principales formes de désordre dans ce quartier (modifications anarchiques et inappropriées des logements et l’invasion des axes de circulation par les activités économiques) ; ensuite, dégagent trois principaux facteurs à l’origine de ce désordre (la transgression du règlement d’installation sur la voirie, l’incivisme des populations et recherche de revenus additionnels ; et enfin, analysent les répercussions de ce désordre observées à travers la perte des normes urbanistiques (indigence du paysage), le délabrement des équipements collectifs et l’amplification des nuisances.

Mots clés : Yopougon, Sideci, désordre urbain, cadre de vie, modifications de l’habitat, activités économiques

Abstract :

Key words:

INTRODUCTION

A l’instar des métropoles de l’Afrique subsaharienne, Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire subit une croissance urbaine incontrôlée. De 23,2% en 1965, le taux d’urbanisation est passé à 28,1% en 1970 (A. M. Cotten, 1974, p. 183). Au dernier recensement, le taux d’urbanisation a atteint 50,3% (INS2, 2014 ;A. Coulibaly et al, 2017, p. 227). La ville n’est pas immobile, elle se transforme au fil du temps dans sa forme, faisant allusion aux paysages et à l’esthétique, mais aussi dans sa structure, son organisation, ses modes de vie (Y. Chalas, 2000, p. 45). Cette croissance est marquée par une forte démographie : ainsi de 2 877 948 habitants en 1998, sa population est passée à 4 395 243 habitants en 2014, soit un taux d’accroissement de 2,6%(INS, 2014). Cette croissance rapide a entraîné une suite de problèmes devant lesquels, l’Etat doit faire face (équipement en infrastructures de base, accès aux services publics, création d’emplois urbains, production de logements, sécurité, salubrité etc.). Parmi ces défis, la question de l’accès des citadins à un logement décent se pose avec acuité (K. Attahi et al, 1992, p. 104). Le déficit en logements pour l’ensemble du pays est de 400.000 unités. La politique volontariste de production de l’habitat mise en oeuvre dès le début des années 1960 par l’Etat pour faire face à cette forte demande de logements, s’appuie sur le modèle de l’habitat économique planifié c’est-à-dire produire massivement des logements économiques et d’obtenir des paysages urbains homogénéisés(A. Coulibaly et al, 2017, p. 228).Contraint de se retirer de la production de l’habitat au début des années 1980 suite aux difficultés économiques, à la faible productivité des sociétés publiques et aux reformes de la politique de l’habitat exigées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (O. Dembélé, 2010, p.189-190), l’Etat laisse la place à la promotion immobilière privée. Les activités des promoteurs immobiliers se développent surtout à Abidjan où le marché est porteur. Le déficit de logements y est de 200 000 unités et les besoins de 20 000 logements par an. Le stock de logements produits dans le district d’Abidjan par ces promoteurs privés entre 2005 et 2015 est de 22 149 unités. Cette situation engendre un durcissement des conditions d’accès d’une part à la propriété d’un logement et d’autre part à logement locatif en particulier pour ceux qui ont des faibles revenus. Par ailleurs la croissance démographique rapide d’Abidjan n’a pas été accompagnée de la création suffisante d’emplois modernes. En effet, la population en activité de la commune de Yopougon est de 30,84% alors que celle sans occupation s’élève à 69,16% (INS, 2014). Cette situation a provoqué le développement du secteur informel qui est un facteur de transformation de la ville. (S. Kouamé, 2015, p. 88). Dans un contexte de difficile accès au logement et à un emploi moderne, l’espace urbain devient le réceptacle de stratégies déployées par les citadins pour se loger et créer une source de revenus par la création de projets générateurs de revenus. Les modifications de logements à des fins locatives sont très fréquentes et le souci d’améliorer les conditions socio-économiques, poussent les populations à se lancer dans des activités pouvant leur permettre de vivre, (D. K.Gbetanou, 2010, p. 26). Dans les villes ivoiriennes surtout à Abidjan, les espaces surtout le domaine et les servitudes publics sont pris d’assaut par les petits commerces et métiers en prolifération depuis la crise économique des années 1980 (A. Touré, 1985, p. 288). Cette situation pose problème non seulement au niveau de la gestion de l’espace et de l’aménagement urbain mais engendre des conséquences sur le cadre de vie des riverains. C’est en cela Y. Chalas (2000, p. 44) pense que la ville est une perpétuelle réinvention, au sens où elle est le résultat matériel de l’action humaine et pas uniquement d’un héritage du passé. De manière générale, à Abidjan, cette problématique a fait l’objet de nombreux travaux. Cependant, ces analyses ne mettent pas directement en relation le désordre urbain qui 7 résulte des aménagements anarchiques et le cadre de vie. Yopougon, commune du District d’Abidjan, ayant fait l’objet de projet urbanistique de l’Etat à travers des programmes immobiliers très ambitieux, n’échappe pas à cette réalité. La présente étude veut s’intéresser donc au cas du quartier Sideci, issu d’un programme immobilier dans la commune de Yopougon et qui se singularise par sa péri urbanité et sa fonction de cité dortoir pour les classes moyennes. Dès lors, l’étude pose le problème de la persistance du désordre dans ce quartier. De ce problème, découle la question principale de savoir quelle est l’ampleur du désordre rencontré dans ce quartier ? Ainsi, l’objectif visé par l’étude est de montrer l’ampleur du désordre au quartier Sideci. Pour y parvenir, trois questions subsidiaires ont été définies : quelles sont les formes de désordre rencontrées dans ce quartier ? Quelles sont les causes de ce désordre ? Et quelles sont ces répercussions sur le cadre de vie des populations ?

1-Approche méthodologique

Dans ce volet, il est question de présenter la zone étudiée et la méthode de collecte des données utilisées.

1-1-Présentation de la zone d’étude

Le quartier Sideci porte le nom du programme qui l’a initié et fait partie de l’arrondissement de Kouté, situé dans la partie Sud de la commune de Yopougon, dans le District d’Abidjan. Le quartier est limité au Nord par l’ancien quartier Sicogi, au Sud par le village de Béago, à l’Est par Kouté municipalité et Kouté Village et à l’Ouest par le quartier Niangon Sud. C’est un quartier viabilisé qui est née des opérations de logements économiques entrepris à Yopougon à partir des années 1970, (Archives Sicogi3, 1980). Il s’étend sur une superficie de 186,67 hectares, renferme officiellement quatre sous quartiers (Coprim4, Iges5, Lem6, Palais), (Cf. figure 1), mais en réalité, ce sont sept sous-quartiers que les 95 009 habitants (INS, 2014) reconnaissent.

L’approche méthodologique utilisée pour l’étude repose sur le tryptique : recherche documentaire, observation directe et enquête par questionnaire. L’Institut National de la Statistique (INS), le Centre de Cartographie et de Télédétection (CCT), le service urbanisme et cadre de vie de la Mairie de Yopougon et le centre de documentation de la Sicogi sont les différentes structures auprès desquelles les données statistiques et cartographiques ont été recueillies. A l’INS et à la Mairie de Yopougon, les informations collectées sont relatives aux données démographiques et aux règles d’occupation du domaine public au quartier Sideci. Quant au centre de documentation de la Sicogi, il a permis de disposer du volume de logement réalisé par cette structure immobilière étatique dans la zone d’étude. Pour les données cartographiques, il s’agit d’une carte de la commune de Yopougon à l’échelle 1/46000 obtenue au Centre de Cartographie et de Télédétection (CCT, 2006). Cette carte a permis de délimiter et de localiser l’espace d’investigation. L’observation in situ a permis d’apprécier les différents types de modifications, la nature des activités, les espaces sollicités, les acteurs, le paysage. Aussi, muni d’un GPS, les différentes artères ont-elles été sillonnées pour le positionnement des activités ; ce qui a donné lieu à une figure. Par ailleurs, à la faveur des enquêtes auprès du service d’urbanisme de la commune de Yopougon, les données sur les types d’habitats, du coefficient d’occupation du sol, du recul sur rue, du recul par rapport aux voisins et de la hauteur maximale à observer dans la zone de Sideci ont été recueillies. Les investigations de terrain se sont déroulées sur quatre principaux axes de circulation du quartier. Afin de confirmer ou non le caractère illégal de l’occupation
de l’espace, les différents aménagements ont été analysées, en se référant aux textes d’urbanisme régissant l’occupation du site. Quant à l’enquête par questionnaire, elle a été menée en premier lieu auprès de 100 acteurs installés sur des espaces non-conventionnels en vue de vérifier s’ils bénéficient d’une autorisation municipale ou d’un permis de construire. Ils ont été sélectionnés selon un sondage aléatoire simple suivant des critères de sélection : type d’activité, sexe, statut socio-professionnel et mode d’acquisition. Et en second lieu, l’enquête a été menée auprès de 100 chefs de ménages propriétaires de logement. Ils ont été
sélectionnés suivant la méthode des pas de cinq par ilot. Les informations recueillies ont donné lieu à un traitement à la fois statistique, cartographique et analytique.

2-Résultats et discussion

2-1-les diverses formes de désordre au quartier Sideci

Le quartier Sideci est en proie à une pléthore de formes de désordre regroupée en deux grands types que sont l’anarchie dans les transformations des habitations et l’invasion des axes de circulation par les activités commerciales et artisanales.

2-1-1-L’anarchie dans les transformations des habitations

Cette anarchie est illustrée par les transformations intempestives et incontrôlées initiées introduites par les propriétaires et s’observe à travers les normes d’occupation de l’espace urbain, l’usage de l’habitat, l’utilisation des infrastructures et des axes de circulation.

2-1-1-1-Les normes d’occupation de l’espace urbain

L’occupation de l’espace urbain est fonction de la zone qui reçoit un projet de construction. En effet, selon la direction du Service Urbanisme de la Mairie de Yopougon, le quartier Sideci peut recevoir deux types d’habitats qui sont essentiellement l’habitat résidentiel et l’habitat économique. La norme au niveau du coefficient d’occupation du sol, du recul par rapport à la voie et aux voisins est fonction du type d’habitat et de la hauteur du bâtiment. Ainsi, le coefficient d’occupation du sol des bâtiments qui ont une hauteur inférieure ou égale à R+1 est de 33% avec un recul par rapport à la voie de cinq mètres et un recul par rapport aux voisins équivalent à trois mètres au minimum ou à deux fois la hauteur du bâtiment ou mitoyen. Les bâtiments de R+1, R+2, R+3 au maximum de type économique, le coefficient d’occupation du sol est de 60% avec un recul par rapport à la voie de trois mètres ou aligné et un recul par rapport aux voisins équivalant à trois mètres au minimum ou à deux fois la hauteur du bâtiment ou mitoyen. A ce niveau, les appartements en hauteur situés aux abords des voies ne respectent pas tous le même alignement et diffèrent quelques fois au niveau de la hauteur. Les différentes informations relatives à ces normes sont consignées dans le tableau 1 ci-dessous.

2-1-1-2-Les modifications non réglementaires de l’habitat

Le quartier Sideci abrite de nombreuses transformations opérées sur le cadre initial du bâti. En effet, 80 % des habitations ont été modifiées et sont observables dans la quasi-totalité du quartier, allant de légers travaux d’aménagement du logement à des travaux très lourds, touchant à la structure du bâtiment existant et parfois à la destruction intégrale du logement. Les modifications de logements dans le parc immobilier réalisé par les sociétés d’Etat sont très fréquentes avec l’utilisation d’espaces publics à des fins d’extension. Par ailleurs, des cours sont parfois couvertes et transformées en dortoir (K. Attahi et al, 1992, p 103). De plus, la tendance générale est l’agrandissement de l’espace construit par l’adjonction de nouvelles pièces ou à l’intégration d’espaces semi-ouverts telles que la véranda et les terrasses. Ces modifications qui augmentent généralement la superficie bâtie, se font selon une extension horizontale ou verticale et quelquefois selon les deux dimensions à la fois. Ces réaménagements de logements et leurs sur-occupations remettent en cause le confort initial, (C. Soumahoro, 1997, p. 487). Les investigations de terrain confirment la persistance de cette situation. En effet, 80% des propriétaires interrogés ont effectué des modifications de leurs logements (Cf. figure 2). L’ensemble du quartier visité est concerné par ce phénomène qui vise à l’augmentation du niveau du bâtiment, de la surface et/ou du nombre des pièces. Il vise également à la recomposition du logement. Ces modifications sont structurelles ou
fonctionnelles.

Les modifications structurelles hors norme architecturale sont celles qui affectent l’organisation de l’espace de l’habitation (K. Attahi et al, 1992, p.104). Elles se font par le biais de la modification de la structure du bâti existant ou par la construction de nouvelles structures accolées ou non à l’existant et concernent l’augmentation de la superficie du bâti. Les logements font l’objet d’importantes transformations de la part des acquéreurs, quel que soit leur niveau socio-économique. Ces transformations qui remettent en cause le confort initial (C. Soumahoro, 1997, p. 487), sont la réponse à la recherche d’un cadre de vie plus adapté au mode de vie de l’acquéreur. Mais, le plus souvent la tendance consiste à augmenter le nombre de pièces ou à agrandir les pièces existantes. Près de 70% des ménages enquêtés en ont fait pareil et 10% disent avoir transformé leurs maisons pour donner un autre aspect architectural. Par ailleurs, des cours sont parfois couvertes et transformées en dortoir. Toutefois, ce que l’on gagne en espace est perdu en aération et en confort thermique (K. N’guessan, 1983, p. 457). Les nouvelles constructions sont accolées ou non au bâtiment existant livré par le promoteur. Certaines de ces transformations vont jusqu’à occuper la presque totalité de la parcelle, au mépris de la réglementation en vigueur en matière de construction et d’urbanisme. Pourtant, le taux d’occupation réglementaire du lot est de 60% pour le quartier Sideci (Service Urbanisme de la Mairie de Yopougon, 2017). La plupart des modifications concernent des extensions horizontales. La photo 1 ci-dessous est une illustration de la situation qui prévaut dans la zone d’étude.

Les modifications fonctionnelles inappropriées ont pour objectif de transformer la destination initiale d’une pièce du logement ou du logement entier. Cette situation peut entraîner la suppression totale ou partielle de certains espaces et l’occupation des servitudes. En réalité, ces modifications ne sont que l’expression urbaine de désordres sociaux. La ville comme le quartier subit de plein fouet les effets du chômage, de l’exclusion, du déclassement social (G. Chevalier, 1995, p. 415). Lors des enquêtes de terrain, ce constat a été fait. Des propriétaires ont effectué des modifications fonctionnelles en détournant les habitations de leurs fonctions résidentielles pour abriter des activités commerciales et artisanales. (Cf. photo 2). Ainsi, l’aspect déstructuré du paysage tient aussi à leur grande disparité architecturale (G. El Kadi, 1987, p. 33).

2-1-2-L’invasion des axes de circulation par les activités

L’enquête effectuée sur les principaux axes de circulation du quartier Sideci a permis de recenser750 activités économiques sédentaires installées sur le domaine public et le trottoir. La rue est détournée de sa fonction première (circulation, support des réseaux d’assainissement) pour devenir le produit des modes de construction, d’aménagement et de gestion urbaine. « Elle est le lieu d’échanges, de débats et de négociations entre acteurs unis dans un même intérêt ou non. Mais aujourd’hui, c’est un espace qui est touché par de rapides changements socio-spatiaux qui influencent sa dynamique » (D. Nassa, 2009 p. 6). Les investigations sur les espaces sollicités (Cf. Figure 3) montrent que ce sont les trottoirs qui sont à 36% les plus convoités. En effet, ces espaces sont occupés par les étals, hangars, tables, maquis et bars.

Les nombreuses activités économiques surtout commerciales qui se déroulent le long des artères de ces trottoirs répondent certainement à un souci de logique commerciale, à savoir celui de la rentabilité (A. Kouamé, 2013, p. 149). Aussi, pour soi-disant combler le vide de certains espaces, les populations s’adonnent-elles à la pratique d’activités économiques informelles sur des espaces inappropriés (T. Gogbé et al, 2016, p. 105).C’est pourquoi, les espaces les plus fréquentés subissent la pression de ces derniers et sont détournées de leur fonction initiale comme le soutient N. F. Bouchanine (2002, p.72) : « la disparition des espaces publics, leur privatisation, leur remplacement par des espaces marchands, touristiques ou de loisir, parfois dénoncés comme simulacres d’espaces publics» (voir figure 4).

Egalement à côté des trottoirs, les alentours des établissements scolaires situés en bordure de route sont fortement exploités. Une forte présence d’activités économiques surtout de restauration y est observable. En effet, les acteurs économiques y trouvent de potentiels clients. Les établissements scolaires sont des lieux de rencontre quotidienne de populations venant d’horizon divers et cette situation fait naître des besoins de consommation et de communication. C’est pourquoi S. Bouziane (2009, p. 102) parle de l’émergence d’une convergence de stratégies résidentielles et de stratégies économiques. Les observations effectuées révèlent une forte présence de restaurants ouverts, d’aliments variés et de produits divers aux alentours des établissements scolaires (Cf. photo 3).

Au regard des différentes formes de désordre enregistrées au quartier Sideci, il est impérieux de pousser la réflexion sur les causes ou origines d’une telle situation.

2-2-Les origines du désordre au quartier Sideci

Le désordre vécu au quartier Sideci trouve ses fondements dans la transgression du règlement d’installation sur la voirie, l’incivisme des populations, la recherche de revenus additionnels et le manque de marché.

2-2-1-La transgression des règles d’installation sur la voirie

L’expansion du désordre urbain matérialisée par les transformations d’habitations et les occupations spatiales inappropriées s’explique en partie par des attitudes souvent complices des autorités municipales. En réalité, l’occupation de l’espace et la modification d’un habitat est régie par des règlements auxquels tous les acteurs devraient être soumis. En ce qui concerne la réglementation en matière d’occupation urbaine aux abords des voies en vigueur est de deux mètres (2m) à partir de la limite du trottoir (Service Technique Mairie de Yopougon, 2016). Pourtant, il existe de nombreuses installations sur et/au-delà des servitudes
et du trottoir. Le trottoir est entièrement pris d’assaut pour le commerce. Cette situation met en danger les piétons et les commerçants tout en représentant un facteur aggravant dans le désordre urbain. Les enquêtes ont permis de faire une représentation de la limite d’installation autorisée en fonction de la disposition des activités économiques à travers la figure 5.

2-2-2-L’incivisme des populations en matière d’aménagement

Pour répondre aux besoins en logements et assurer le « confort » social, les projets d’aménagements du quartier Sideci ont intégré des pratiques problématiques. En effet, les modifications de logements sont effectuées dans un contexte non réglementaire. Les enquêtes ont révélé que 80% des logements ont subi des modifications inappropriées et sans autorisation des autorités compétentes. Ces rénovations répondent à un souci de rentabilisation de l’espace du logement de la part des propriétaires. Elles se font pour des raisons structurelles ou fonctionnelles et sans respect des normes d’urbanisme. Dans une certaine mesure, comme le soutient P. Ducasset (1993, p.2-3) : « la ville est le miroir de la société, même s’il s’agit d’un miroir déformant ». Le non-respect du permis de construire et les installations illégales et anarchiques de commerce constituent l’essentiel de l’incivisme des populations du quartier Sideci. Le permis de construire qui est un instrument de régulation du lotissement perd donc ses fonctions et entraîne le non-respect des règles d’urbanisme. Cette situation se matérialise par le non respect des reculs par rapport aux voies, aux voisinages et favorise le non alignement des bâtiments. En effet, les propriétaires de logements aménagent les bâtiments en dépit des normes urbanistiques. Les habitations modifiées sont accolées au mur du voisinage ou prolongées jusqu’aux servitudes. Pour G. Perec, (1974, p. 19) : « L’espace est un doute, il me faut sans cesse le marquer, le désigner il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête ». La photo 4 présente une villa moyen standing dont la servitude en avant cour a été transformée en jardin pour un embellissement. L’aménagement de ce jardin et du parking a nécessité l’utilisation de la servitude et d’une partie de la chaussée.

2-2-3-La quête de revenu additionnel

Les modifications des logements répondent à plusieurs préoccupations mais, la cause principale est certainement la recherche de ressources financières additionnelles. En effet, selon G. Chevalier (1995, p. 415), de nombreux désordres urbains ne sont en réalité que l’expression urbaine de désordres sociaux. La ville subit de plein fouet les effets du chômage, de l’exclusion, du déclassement social ». Les investigations sur le terrain révèlent qu’après avoir pris possession des logements, certains propriétaires ajustent la taille de ces logements à celle de leur ménage. Ainsi, des logements de trois pièces sont transformés en quatre ou cinq pièces par occupation progressive des espaces disponibles. Ces modifications permettent de diversifier et d’avoir d’autres sources de revenus en créant des espaces commerciaux ou d’habitation mis en location. Cette pratique est très répandue et s’illustre dans le quartier par la présence de boutiques, des salons de coiffure, des pharmacies, des restaurants dans les habitations. Aussi, des parkings et espaces verts sont-ils transformés en lieux de commerce et « maquis » plein-air (Cf. figure 6). Cette figure met en exergue une modification d’habitation et de la servitude publique à des fins lucratives. En effet, le plan initial du logement était composé de trois chambres, d’un séjour d’une cuisine d’une salle d’eau et d’une cour arrière. Mais, après les modifications du logement, la cour arrière a été transformée en maquis. La servitude a été scindée en atelier de couture, de coiffure et dépôt de gaz et boutique. La
chambre 1 a été érigée en studio et la cour avant sert de lieu de restauration. Le coût de location du nouvel espace aménagé varie selon l’activité pratiquée et la surface occupée. Sur 100 acteurs interrogés, 50 % utilisent une superficie de trois mètres carré (étals
et tables) pour la restauration, de loin l’activité la plus répandue avec un menu mixte variant le matin et le soir. La location journalière de l’espace varie entre 500 FCFA et 1000 FCFA. L’utilisation de conteneurs pour la vente de friperie, la quincaillerie et autres activités (coiffure, couture) est le fait de 29 % des acteurs et occupe de 3 à 5 mètres carré de superficie. Le coût de location mensuelle des espaces d’activité oscille entre 15 000 FCFA et 30 000 FCFA. Malgré, les coûts élevés de la location, les acteurs ne cessent de s’accroître du fait de la rentabilité des activités et des charges sociales qu’elles permettent de satisfaire. Quant aux parkings et espaces verts, érigés en maquis plein air et marché de nuit, ils concentrent 13% des acteurs sur des superficies de plus de 25 mètres carré. Ces espaces sont mis en location par le comité de gestion du quartier pour un loyer mensuel compris entre 40 000 et 70 000 FCFA. Au vu de raisons énoncées du désordre, il est nécessaire d’analyser les effets induits ou les répercussions sur le cadre de vie des populations.

2-3-Les effets induits des transformations inappropriées et de l’invasion des activités au quartier Sideci

Les modifications inappropriées et la prolifération anarchique des activités au quartier Sideci ont des répercussions sur le cadre de vie des populations. Ces conséquences se résument à la perte des normes urbanistiques et esthétiques, au délabrement des équipements collectifs et à la prolifération des nuisances.

2-3-1-La perte de la norme urbanistique et architecturale du quartier

Les investigations révèlent que 80% des modifications de logements sont effectuées sans autorisation de l’autorité administrative. Cette disposition règlementaire qui devait permettre de réguler le domaine de la construction et prévenir le désordre qui pourrait en résulter n’est pas appliquée dans sa plénitude. De ce fait, ces modifications anarchiques portent atteinte à l’harmonie et à l’esthétique du paysage urbain. Ainsi donc, le paysage est nettement déterminé par l’habitat (K. Atta, 1978, p. 244). Il est très fréquent de voir des logements qui ont subi à la fois une extension horizontale et verticale, transformant ainsi des villas de plain-pied en maisons en hauteur de plusieurs niveaux dans un paysage où la norme prévoit des villas basses et des bâtiments R+1. Cette situation rend le paysage indigent comme l’illustre la photo 5.

2-3-2-Le délabrement des équipements à caractère économique et collectifs

L’aménageur, dans le cadre du quartier Sideci n’a pas réalisé de marché. Celui qui existe bien qu’assurant cette fonction n’a pas été planifié et construit comme cela devrait l’être. Il s’est constitué de manière spontanée et apparaît aujourd’hui très exigu. En conséquence, aux alentours, des propriétaires ont transformé, le domaine public jouxtant leur propriété immobilière en magasins et les mettent en location. Par ailleurs, les commerçantes à défaut d’espaces pour l’exposition de leurs marchandises, les étalent à même le sol sur les voies aux alentours du « marché ». De plus, les populations ont transformé les 16 parkings recensés en lieu de commerce, les détournant ainsi de leur fonction première de stationnement d’automobiles (Cf. photo 6). L’implantation d’un marché sur un parking collectif au mépris de la planification établie entraîne une perte de l’esthétique et de l’harmonie du cadre de vie. En effet, il n’est pas agréable de voir un espace commercial et toute la production de déchets qu’il engendre au centre d’une cité. Par ailleurs, les automobilistes sont obligés de stationner leurs véhicules le long des voies, les conséquences sont parfois les bousculades, les embouteillages, les vols et autres incidents divers.

2-3-3-La prolifération des nuisances générées par les occupations anarchiques

Les constructions anarchiques ou sans respect des normes d’urbanisme entravent le bon fonctionnement des systèmes d’assainissement et favorisent alors la dégradation de la voirie. De ce fait, les réseaux d’assainissement sont exposés à la déficience. Les résultats des différentes enquêtes ont révélé un usage inapproprié des réseaux d’assainissement. En effet, il s’exerce sur les équipements des activités autres que celles qui leur sont dévolues. En effet, pour R. Peiser (2001, p. 280) : « les activités urbaines sont de plus en plus assimilées aux nuisances qu’elles génèrent. ». Ce sont les résultats d’une modification du milieu environnant (obstruction des canalisations ou constructions sur les canalisations), soit de la mauvaise utilisation des équipements (dépotoirs d’ordures…). Les extensions et transformations spontanées des maisons favorisent l’imperméabilité du sol et entravent l’infiltration des eaux pluviales contribuant ainsi à leur stagnation ou au drainage d’un important volume d’eau. Les
connexions irrégulières et frauduleuses des réseaux d’eaux usées aux réseaux d’eaux pluviales par les habitants entraînent des désagréments aux populations nuisances et participent à la pollution du cadre de vie. Photos (Cf. photos 7).
Par ailleurs, l’occupation des espaces (trottoirs et terrains vagues) par les activités commerciales et artisanales (mécanique, vulcanisation) favorise la production d’une quantité importante d’ordures qui expose les populations à des risques de pollution comme le soulignent N. J. Aloko et al (2014, p. 264). Ces activités souillent l’espace utilisé avec les huiles de vidange des moteurs et des autres déchets liquides.

A ces activités s’ajoutent les nuisances sonores engendrées par la musique bruyante provenant des bars et buvettes pour attirer la clientèle. Dans bien de cas, cette sonorisation assourdissante est à la base des querelles dans le voisinage. Des propos recueillis auprès d’un enquêté révèlent ceci : « ici, le bruit (la musique assourdissante des maquis) est notre quotidien. Les maquis installés le long de la voie distillent de la musique à tue-tête pour attirer plus de personnes et satisfaire leurs clients ». Les nuisances sonores sont l’une des principales incommodités causées par ces activités aux populations du quartier. Les ménages enquêtés à 46,1% se plaignent de nuisances sonores qui ont des effets nuisibles sur l’organisme humain, notamment au niveau de l’audition. Les sujets fragiles ou sensibles sont exposés aux risques de stress et aux accidents cardio-vasculaires. Au niveau des nuisances olfactives, 45,1% des enquêtés respirent de fortes odeurs nauséabondes émanant des ordures et urinoirs plein air. Quant à la pollution atmosphérique, elle est décriée par 8,8% des ménages et concerne les gaz d’échappement des minicars de transport en commun familièrement appelés « gbakas », des taxis communaux, des autobus de la Sotra et les véhicules personnels. Les gaz produits par ces véhicules sont susceptibles de provoquer des infections respiratoires lorsqu’ils sont inhalés (source médicale). La figure 7 présente la proportion des nuisances subies par les populations résidentes.

Conclusion

L’étude de l’impact du désordre au quartier Sideci, issu des promotions immobilières étatiques des années 1970, a permis de mettre d’abord en exergue les différentes formes de désordre rencontrées dans ce quartier se résumant aux modifications inappropriées des habitations et à l’invasion des activités. Ensuite, l’étude a dégagé les fondements de ce désordre que sont la gestion laxiste des autorités, l’incivisme des populations et la recherche de revenus additionnels. Enfin, l’étude a montré que ce désordre nuit au cadre de vie des populations et rend indigent le paysage architectural du quartier. Vivement que les pouvoirs publics trouvent des solutions idoines à travers cette étude pour redorer le blason de nos communes et quartiers. Les aménagements anarchiques initiés par les résidents propriétaires sont la manifestation d’un urbanisme volontaire qui tente d’apporter des réponses à leur besoin d’espaces et de survie dans un contexte de gouvernance urbaine de moins en moins centralisée et de paupérisation des urbains. Les métropoles africaines sont en définitive l’objet d’une confrontation entre urbanisme normatif et urbanisme volontaire.

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Auteur(s)


1Kassi Anne Madeleine :Doctorante– e-mail :kass_anne@yahoo.fr- LARESP, Institut de Géographie Tropicale, UFHB-Abidjan

2 COULIBALY Amadou: Assistant, – e-mail :madougbon@yahoo.fr – LARESP, Institut de Géographie Tropicale, UFHB-Abidjan

3 DIABAGATE Abou: Maître-Assistant,– e-mail :aboudiaba76@yahoo.fr – LARESP, Institut de Géographie Tropicale, UFHB-Abidjan

4 GOGBE Téré: Professeur Titulaire,– e-mail : gogbetere@yahoo.fr – LARESP, Institut de Géographie Tropicale, UFHB-Abidjan

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