L’accès au logement et aux services sociaux de base1: encore de très fortes inégalités au Sénégal
NGOM Ndéye, CASSE Lamine Ousmane, DIOP Ndiacé
Résumé
Avec la forte tendance de la population mondiale à s’urbaniser, la question de l’accès au logement est plus que jamais prégnante. Malgré les politiques sociales d’habitat définies par l’Etat sénégalais et les initiatives privées, l’accès au logement et aux services sociaux reste encore très déséquilibré entre les différentes régions du pays (régions littorales et celles de l’intérieur) mais aussi entre zones urbaines et rurales. La question d’accessibilité mesurée à travers plusieurs paramètres constitue le fondement de cette recherche. L’objectif retenu dans cet article est d’analyser le niveau d’accès à un logement décent et aux services urbains selon une approche régionale dans le territoire sénégalais. La recherche du contraste est d’une importance cruciale dans cette étude ; intégrer ce principe revient à privilégier une approche comparative en s’appuyant sur les données de recensements de la population et de l’habitat au Sénégal à différentes dates. Les résultats de cette étude révèlent que l’accès au logement et aux services de base, marqué par des inégalités, reste encore l’apanage d’une minorité alors qu’il est pourtant un droit fondamental à l’exemple des politiques sociales développées par l’Etat sénégalais
Mots clefs : Sénégal, inégalité, accès, logement, services urbains
Abstract :
Key words:
INTRODUCTION
Le contexte urbain est, actuellement, marqué par un accroissement démographique sans précédent dans l’histoire avec comme tendance la concentration de la population dans les villes ou centres attractifs. L’essentiel de la population urbaine mondiale (55 %) réside dans des villes (P. Antoine, 1996, p. 2). Légèrement inférieur à 30% en 1950, le taux d’urbanisation franchit en 2007 la « barre » de 50%. D’après les Nations unies, il devrait se situer un peu au-dessus de 60% en 2030 (J. Véron, 2007, p. 2). Cette redistribution de la population à l’échelle mondiale est à l’origine d’une multitude de problèmes, dont le premier est la pénurie de logements (P. Antoine, 1996, p. 287). S’y ajoutent les difficultés d’approvisionnement en eau, en énergie, le manque d’hygiène, l’insécurité etc. (B. Agnès, S. Bibby et al, 2017, p. 5). Cette urbanisation s’accompagne d’une expansion des bidonvilles et de l’accentuation des déséquilibres entre régions urbaines (Références).
Les inégalités de développement et particulièrement d’accès au logement et aux services urbains dans les villes sont au coeur des préoccupations des acteurs politiques, institutionnels et des chercheurs. Cette prise de conscience est à l’origine de nombreuses politiques à l’échelle nationale et internationale qui sont des initiatives interétatiques à l’instar de l’Objectifs de Développement Durable (ODD 11) qui mettent l’accent sur les difficultés des Etats, des municipalités et du secteur privé à réguler les marchés fonciers et du logement afin de garantir aux habitants les plus pauvres le droit au logement (CGLU, 2016, p. 13).
La Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat III)3 a fait son défis la lutter contre la ségrégation et les disparités croissantes entre régions (CISS, 2016, p. 5). A la lumière des déséquilibres d’accès au logement et aux services urbains entre les régions et/ou villes, les Lignes Directrices Internationales sur la Planification Urbaine et Territoriale (LDI-PUT) soutiennent des villes et des territoires qui soient plus compacts et socialement inclusifs, davantage intégrés et connectés, tout en favorisant un développement urbain durable (ONU Habitat, 2014, p. 2). Malgré la volonté politique de donner un droit à la ville à tous, les modes d’habiter restent désarticulées dans les régions en Afrique. Cette contradiction a provoqué une grave crise du logement, (P. Antoine, 1996, p. 288).
Le Sénégal, champ géographique de cette étude, n’échappe pas à ce phénomène où s’opposent les régions littorales et celles de l’intérieur (O. Thiam, 2008, p. 140). Entre autres facteurs explicatifs, cette opposition est héritée du passé colonial du pays. Les villes littorales sont dotées d’infrastructures et concentrent de nombreux services et un potentiel d’emploi permettant à leurs populations d’assoir leur propre développement (L. O. Cassé, 2017, p. 126). La problématique est centrée sur les questions à savoir quelles sont conditions dans lesquelles sénégalais sont logés ? Quel est le niveau d’accès aux services sociaux de base ? Ainsi, l’objectif général visé à travers cet article est de montrer que l’accès à un habitat décent est encore l’apanage d’une minorité alors qu’il est pourtant un droit fondamental. L’hypothèse de départ qui a guidé la rédaction de cet article, tient à la considération que malgré les politiques sociales développées par l’Etat sénégalais, l’accès à un logement décent et services de base reste inégale et
globalement faible à l’échelle du pays.
I-Méthode de recherche
L’échelle géographique retenue dans le cadre de cet article est le territoire Sénégalais, compris entre 12°8 et 16°41 de latitude nord et 11°21 et 17°32 de longitude Ouest. Sa pointe ouest (la presqu’île du Cap-Vert) constitue la partie la plus occidentale de toute l’Afrique continentale. Il s’étend sur une superficie de 196.722 km² avec une population de 13.508.715 en 2013 qui passe à 15.726.037 habitants en 2018 (ANSD, 2013, p. 50). Le Sénégal fait frontière au nord avec la Mauritanie et à l’est avec le Mali. Au sud-est, la frontière avec la Guinée est traversée par les contreforts de la montagne du Fouta-Djalon et au sud-ouest avec la Guinée-Bissau par une forêt tropicale. La Gambie forme une enclave et sépare la région de la Casamance du reste du pays (Cf. figure n°1). Le Sénégal atteint 14 régions avec le Décret n° 2008-1025 du 10 septembre 2008 fixant le ressort territorial et le Chef-lieu des régions, départements et arrondissements. L’analyse des disparités est mesurée à l’échelle interrégionale.
Figure 1 : Carte de situation du Sénégal et de la répartition des Régions
Source : Données DTGC, Réalisation : L. O. CASSÉ, 2016
I-1-Source de données et traitement des données
La réalisation de cette étude a été possible grâce à la mobilisation des données des différents recensements du Sénégal dans une période intercensitaire de 2002 à 2013. Les bases de données de ces deux périodes ont été obtenues au niveau de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) chargée de réaliser les recensements du Sénégal. Certes, dans ces bases
de données, les paramètres analysés sont nombreux, variables et parfois très dispersés. Ainsi, leur toilettage/apurement a été effectué en procédant à un double tri. Le premier tri à consister à sélectionner les variables qui intéressent l’étude (nature du titre de propriété, caractéristiques de l’habitat, matériaux de construction, accès à l’eau, à l’électricité, à l’assainissement) pour nous
dispenser des autres variables des recensements. Le second tri a permis de regrouper les données au niveau régional puisqu’elle est notre échelle d’analyse et de comparaison afin de mesurer l’amélioration des conditions de vie suivant une échelle temporelle.
I-1-1 Cartographie
Après avoir créé notre nouvelle base de données exploitée à partir de celle du 4e RGPHAE de l’ANSD par triage, l’étape de la cartographie a été entamée. Cette phase a nécessité d’intégrer à partir d’une jointure d’un fichier Excel (base de données épurée) des données au logiciel ArcGis 10. L’intégration des données commence par une structuration et un ordonnancement identiques
entre la base de données à intégrer (celle de l‘ANSD) et la base de données cartographique (celle de la DTGC/ANAT) qui reçoit les inputs. La méthode utilisée pour sérier l’information en classe est la classification d’intervalles géométriques qui vise à créer des interruptions de classe basées sur des intervalles ayant une série géométrique4. Ainsi, la démarche méthodologique suivie dans
le processus d’analyse spatiale des variables, associe, suivant le mode de cartographie des classes d’informations, les zones faiblement couvertes en services sociaux de base aux zones relativement plus couvertes.
II-Résultats
II.1-Les inégalités d’accès à un habitat décent au Sénégal
II.1.1-L’accès au logement dans les régions du Sénégal
Globalement, l’analyse de l’accès au logement montre à l’échelle du pays, entre 2002 et 2013 que le Sénégal a gagné 1,5 point. Mais il est aussi important de signaler que le gain est plus manifeste en zone rurale qui, entre les deux dates capitalise 2,8 points ; alors que le contraire est noté en zone urbaine qui a perdu 0,9 point. Cette situation peut s’expliquer par la dégradation des conditions d’accès au logement et l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier en zone urbaine, due à une demande constante en hausse (Cf. tableau n°1).
L’accès au logement reste un fait très déséquilibré selon les régions du Sénégal. Au niveau de Dakar, région avec le plus faible taux d’accès au logement, moins de la moitié des ménages ont accès à un logement, soit 41,8% (Cf. figure n°2). A Dakar, il est important de souligner un fait géographique majeur qu’est la forte mobilité résidentielle de la population. En effet, le renchérissement de l’immobilier et des loyers, conjugué à une progression du chômage et de la pauvreté a comme conséquence les impayés du loyer qui engendrent une forte mobilité résidentielle.
La région de Ziguinchor reste la deuxième région où l’accès au logement est moins important avec 64,8%. Par contre, le reste des régions situées au nord, au centre, à l’est et une partie du sud, est considéré comme une zone où l’accès au logement ne pose pas de problème majeur. En effet, plus de 80% des ménages dans ces régions sont des propriétaires. En dehors de Dakar où nous comptons 52,9% de locataires, l’accès au logement est facilité dans les autres régions par leur potentiel foncier mais aussi les conditions de constructions moins contraignantes (main d’oeuvre moins cher, investissement moins lourd, matériaux de construction plus souples, etc.) (Cf. tableau n°1).
En dépit de la politique d’habitat du Sénégal qui se structure depuis le début des années 1950 à travers les programmes de la SNHLM, les SICAP, Castors, les ZAC et les nouvelles villes ajouté à la promotion foncière et immobilière, la question de l’accès au logement reste une préoccupation centrale (Y. Sané, 2013, p. 318). Toutefois, l’examen des politiques d’attribution des terres en Afrique révèle l’existence de toute une gamme de stratégies pouvant être utilisée pour obtenir l’accès au bien immobilier à travers des stratégies individuelles (D. Houdeingar, 2009, p. 12).
II.1.1.1-Une mal répartition du logement décent au Sénégal
Se loger est une chose, se loger mal en est une autre. Le mal logement touche une part importante de la population sénégalaise. L’habitat inconfortable et/ou insalubre, qui se manifeste par un défaut d’accessibilité aux équipements et aux services sociaux de base mais aussi les situations d’hébergement provisoire, sont un cas de mal logement.
L’habitat précaire reflète une qualité de la structure du logement insuffisante. Le débat à l’échelle internationale dans les années 1970 a porté sur l’identification des formes de l’habitat précaire et sur la délimitation des concepts utilisés. On a assisté à une profusion d’appellations : bidonville, habitat spontané, illicite, précaire, insalubre, marginal, des plus défavorisés, des populations à faible revenu, clandestin, sous intégré, etc. (C. Serrab-Moussannef, 2006, p. 46). Il est difficile de fixer un seuil pour définir un habitat précaire même si plusieurs études portant sur ce sujet ont été réalisées. En effet, selon les études ou pays, les critères de définition de la précarité varient. Dès lors, dans le cas de cette étude, la précarité de l’habitat est mesurée selon : la nature du logement, le statut d’occupation, la qualité de l’environnement, l’accès à l’eau et à l’assainissement. La précarité de l’habitat renvoie aux types de matériaux utilisés dans sa construction. Il est admis qu’un habitat de type précaire est celui qui a été construit à partir de matériaux légers, non durables. D’ailleurs, la classification des types de logement laisse apparaître trois grandes catégories. Si l’on reprend la classification faite par P. Antoine (1996, p. 277) on a :
- L’habitat de haut et moyen standing (villas, appartements en immeubles)
- L’habitat populaire (maisons à terrasses ou étages, à toits en tôle ondulée ou en tuile)
- Habitat précaire (baraques).
La précarité de l’habitat renvoie également au niveau de confort c’est-à-dire l’accès aux équipements et services sociaux (aisance, eau et électricité). Le constat est que la notion de précarité dépend du niveau de développement des Etats. Ailleurs, dans les pays du nord, les notions de confort ou précarité de l’habitat peuvent même signifier l’équipement de ce denier à la technologie : maison intelligente.
L’habitat précaire n’est pas trop développé dans les régions de l’Ouest et surtout Dakar, Thiès et Ziguinchor où il représente moins de 17%. Le deuxième groupe de régions avec un habitat précaire moins important concerne les régions de Saint-Louis, Kaolack et Sédhiou. Le troisième groupe intéresse les régions du Centre et centre-ouest (Fatick, Diourbel, Louga et Matam) ; enfin les régions avec un niveau d’habitat précaire très élevé sont celles de l’est (Tambacounda et Kédougou), les régions de Kolda et de Kaffrine avec plus de 52% (Cf. figure n°3).
Figure 3 : Répartition de l’habitat précaire au Sénégal
II.1.1.2-Les matériaux de construction, un indicateur marquant de la qualité du logement
Les matériaux de construction utilisés sont également des indicateurs qui peuvent révéler la qualité du bâti dans les régions du Sénégal. Selon la même logique, la partie occidentale et celle orientale montrent une opposition. En effet, les régions de Dakar et Thiès comptent chacune plus de 80% d’habitation avec des murs en dur ; ce qui renseigne sur le durcissement important des
constructions. Le deuxième groupe de régions concerne Fatick, Kaolack, Diourbel, Louga et Saint-Louis composé de 60,1 à 80% de constructions avec des murs en dur. Ensuite, le troisième groupe qui concerne le plus de région (celles du sud et de l’est) compte entre 32,3 et 60%. Enfin, Kédougou est la région avec des constructions de mur en dur les moins importantes. Une approche comparative permet de constater que les régions de Ziguinchor, Tambacounda et Matam ont connu beaucoup plus de changements dans la modification des murs de construction entre 2002 et 2013. Mais les constructions de mur en ciment sont beaucoup plus représentatives dans les centres urbains pour ces régions (Cf. Tableau n°2).
Une étude parallèle réalisée en 2012 a montré des résultats similaires avec plus du ¾ des habitations de la région de Dakar qui avaient des murs en béton, tandis que les murs en tôle ou bois, en végétaux ou en « crintins » restent dominants en zone rurale. Ces pourcentages demeurent homogènes sur toute l’étendue de la région (O. Cissé, 2012, p. 37). Néanmoins, malgré l’existence d’attributs communs, les différentes régions du Sénégal présentent des disparités tant dans la formation du peuplement, du régime foncier que du mode d’occupation du sol.
La qualité du bâti est aussi mesurée par les matériaux utilisés pour la toiture des habitations. Selon les résultats de l’ANSD (2013), plus de la moitié des constructions à Dakar, soit 70,3%, sont conçues avec une toiture en dalle béton. La proportion de la protection des toitures en dalle béton est aussi importante dans les régions de Thiès, Saint-Louis et Matam comprise entre 20,1 et 40%. Elle est négligeable dans les régions du Centre (Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga) de l’est (Tambacounda et Kédougou) et enfin du sud (Ziguinchor et Kolda) dont les toitures en dalle béton concernent 5,1 à 20% des constructions. Il existe dans les régions de Kaffrine et de Sédhiou un très faible taux de construction avec des toitures en dalle soit 2,2 à 5%. Dans ces régions on utilise plus le zinc, la paille/chaume pour les toitures du bâti (Cf. Tableau n°2).
Une lecture diachronique entre 2002 et 2013 montre que les changements de toiture pour leur durcissement sont plus importants dans les régions de Thiès et Saint-Louis. De manière générale, au Sénégal, le dallage est encore très faible en milieu rural, les populations de ces zones préfèrent les matériaux légers tels que la paille et le zinc alors que dans les centres urbains la dalle en béton est très employée par les constructeurs.
Le revêtement constitue également un indicateur révélateur de la qualité du bâti, il suppose que le sol soit carrelé ou cimenté. Les résultats de l’enquête de 2013 révèlent de grandes disparités au sein des ménages ayant revêtu le sol de leur habitation. Dans les régions de Dakar et Thiès plus de 70% des constructions sont revêtues. Les autres régions Ziguinchor, Diourbel, Fatick et Kaolack constituent le deuxième groupe dont 60,1 à 70% des habitations sont revêtues. Les régions du nord (Saint-Louis et Louga) du centre (Kaffrine) de l’est (Matam, Tambacounda et Kégougou) et du sud (Kolda) forment le troisième groupe considéré comme des secteurs avec un revêtement moyen des habitations compris entre 39,7 et 60%. Enfin, Sédhiou est la seule région où le revêtement du sol est faible avec 39,6%. Le début du XXIe siècle marque l’engouement porté pour le revêtement des sols dans les habitations dans les régions de Kaolack et de Tambacounda (Cf. Tableau n°2). Cependant, à l’échelle de pays, le niveau de revêtement du sol
dans les habitations est encore moins important en milieu rural (48,8%) qu’en zone urbaine (85,6%).
La construction en hauteur est un indicateur sur la qualité du bâti, sur le niveau de vie également des ménages. Selon la classification des données de l’habitat du 4e recensement général, l’urbanisation au Sénégal s’effectue globalement d’une manière horizontale. A l’exception de Dakar, où 47,2% des habitations sont en étage, les autres régions ne construisent pas en hauteur
(ANSD, 2013, p. 320). Dakar se singularise par sa taille démographique importante et la faiblesse de sa superficie 550 km2. Ainsi, son potentiel foncier se raréfie, ce qui pousse des ménages à construire en hauteur. L’importance du marché locatif et la taille des ménages dans une moindre mesure favorisent la verticalisation de l’habitat. Par contre, les régions comme Thiès, Diourbel et Saint-Louis ont tendance à se démarquer et construire en hauteur. Cette situation s’explique par la taille importante de certaines villes situées dans ces régions qui ont des ambitions de changer leur structure de logement. Mais pour la région de Diourbel, le cas de
Touba doit être considéré au plus haut degré. Le niveau démographique actuel de la ville Sainte, conjugué avec son processus de modernisation explique sa tendance à exagérer la verticalité de l’habitat de toute la région de Diourbel.
Cependant, le reste des régions, voire la majorité, est composé d’habitations basses soit plus de 95% (ANSD, 2013, p. 320). Pour toutes les régions du Sénégal, une tendance à la construction en hauteur est notée et particulièrement pour Dakar ou l’urbanisation se fait à double niveau (horizontalement et verticalement). L’étude sur le profil du logement révèle qu’au niveau national, plus d’un ménage sur deux logement dans une maison basse alors que les maisons à étage abritent une faible proportion des ménages (O. Cissé, 2012, p. 36).
L’analyse de l’habitat révèle que sa précarité est beaucoup plus affirmée dans les régions de l’est et du sud que dans la partie ouest du Sénégal. En effet, la hauteur du bâti, les matériaux utilisés pour le mur, la toiture et le sol renseignent sur la qualité du bâti. A ce titre, on notera une inégalité de l’accès à un habitat décent au Sénégal avec une concentration dans la partie ouest des habitations de qualité acceptable et leur pourcentage moins important vers les régions de l’intérieur du pays.
II.1.2-Un accès différencié aux équipements et aux services, révélateur d’un mal logement
II.1.2.1-Le déséquilibre d’accès à l’eau et l’électricité dans le logement
Au-delà des éléments liés à la structure du logement, l’accès aux réseaux d’électricité, d’eau, et à l’assainissement constitue des indicateurs qui renseignent sur la qualité de l’habitat. Sur cet aspect également, il existe une inégalité d’accès des ménages à ces services. D’une manière générale, la situation sur l’accès à l’électricité montre que le Sénégal a progressé de 16,6 point entre 2002 et 2013. Toutefois, il faut noter que, même si les centres urbains sont plus électrifiés, les progrès sont plus manifestes en zone rurale, qui entre les deux dates capitalisent 14,3 points grâce au programme de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale (ASER) ; alors qu’on note une amélioration de 10,8 point en zone urbaine (Cf. tableau n° 3). Cette situation peut s’expliquer par la dégradation des conditions d’accès au logement et l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier en zone urbaine, dues à une demande constante en hausse.
S’agissant de la distribution spatiale du réseau électrique selon les régions, elle est beaucoup plus importante dans la partie occidentale du Sénégal. Plus de 60% des ménages ont de l’électricité dans l’habitat pour les régions de Dakar et Thiès, considérées comme les plus électrifiées. Entre 40,1 à 60% des ménages des régions de Diourbel, Saint-Louis et Ziguinchor ont une électrification. Les régions les moins électrifiées concernent celles de l’est (Tambacounda et Kédougou), du sud (Sédhiou et Kolda) et la région centre de Kaffrine. Cette situation révèle des disparités dans l’accès à l’électricité entre l’ouest et l’est du pays (Cf. figure n°4).
Concernant l’accès à l’eau, les principales sources d’approvisionnement en eau potable des ménages sont très variées allant du branchement à domicile, en passant par le robinet public, le puits, la charrette avec tonneau, l’eau de surface et à l’eau minérale (ANSD, 2013, p. 333). L’accès à l’eau reste aujourd’hui une condition du développement. En effet, les statistiques prouvent que pauvreté et manque d’accès à l’eau sont profondément liés (Senagrosol Consult, 2009, p. 28). Or au Sénégal, le branchement domiciliaire est plus important dans les régions de Dakar et Thiès avec plus de 60%. Le second groupe concerne les régions du nord. Les régions du sud (Sédhiou et Kolda) et la région du sud-est (Kédougou) sont considérées comme des zones où la proportion des ménages ayant un branchement eau à domicile est très faible avec moins de 20% (Cf. figure n°5). Les inégalités d’accès à l’eau selon le branchement domiciliaire sont aussi illustrées suivant les milieux de résidence. On observe un faible taux d’accès au branchement à l’eau dans les zones rurales (32,9%) et une proportion assez élevée en zone urbaine (79,2%) (Cf. tableau n°3). Cependant, des efforts sont entrain d’être faits dans le système de branchement en eau ; les résultats du tableau n°3 montrent une évolution non négligeable entre 2002 et 2013.
Dans l’exemple du Cameroun, en général, le réseau d’eau est réalisé dans les grandes villes ou les axes stratégiques ; ce qui sous-entend que les territoires enclavés seront les moins desservis en eau. Les disparités d’accès s’expliquent par le coût élevé de branchement et plus particulièrement pour les populations pauvres, l’insuffisance des canalisations et les politiques étatiques en matière d’eau qui sont inefficaces (M. H. Grelle, K. Kabeyne et al, 2006, p. 9). En dépit des disparités sur l’accès à l’eau et l’électricité au Sénégal, on peut retenir que des progrès sont en train d’être faits dans les différentes localités du pays. Les consommateurs estiment qu’il y a une nette amélioration de l’accès à l’eau potable depuis 2003, mais ils déplorent la qualité de l’eau (couleur, odeur et goût) et les difficultés à avoir de l’eau en continu (O. Cissé, 2012, p. 75).
II.1.2.2-L’assainissement dans un logement, un paramètre de la qualité de l’habitat
En termes de types d’ouvrages d’aisance, ce sont les latrines traditionnelles qui prédominent au Sénégal (Senagrosol Consult, 2009, p. 50). Les ouvrages d’aisance peuvent être classés en deux catégories (correct et mal équipé). La définition attribuée ici comme ouvrage d’aisance correct concerne les habitations ayant une chasse raccordée à l’égout ou à une chasse avec fosse. A ce propos, les résultats de l’ANSD (2013, p. 335) révèlent qu’il y a un inégal accès à un assainissement correct au Sénégal. La partie occidentale et surtout Dakar (87,7%), Thiès (49,5%) et Diourbel (42,2%) constitue la zone où les ménages sont mieux dotés d’ouvrage d’aisance acceptable. Alors que dans les régions de l’intérieur, entre 5 et 20% des ménages ont accès à un ouvrage d’aisance de type correct (Cf. figure n°6).
Une analyse diachronique révèle qu’il existe néanmoins des efforts dans l’amélioration du type d’aisance utilisé dans les concessions entre 2002 et 2013. Les résultats montrent que des inégalités sont aussi notées avec des ménages en zone urbaine disposant d’un bon ouvrage d’aisance alors que le taux d’accès à une aisance satisfaisante est très faible dans les milieux ruraux du Sénégal.
La situation environnementale dans les ménages est également très contrastée selon les régions du Sénégal. Le système d’assainissement reste varié et dominé par son caractère irrégulier et désorganisé. La plupart des ménages surtout des régions de l’intérieur versent les eaux usées dans la rue. Dakar est la région où le raccordement à l’égout est plus important avec 44,3%
(ANSD, 2013, p. 339). Toujours dans cette même région, les chiffrent révèlent que 61,5% des ménages évacuent leurs eaux usées de manière organisée. Puis viennent les régions de Thiès (20,7%) et de Saint-Louis (13,0%). Toutefois, il existe encore des régions où le système d’assainissement est très défectueux à l’instar de Fatick, Kaffrine, Kédougou, Sédhiou et Kolda où moins de 6% des ménages ont accès à un système d’évacuation des eaux usées correct. Dans ces régions les eaux usées sont déversées principalement dans la nature (Cf. figure n°7).
Concernant la gestion des eaux usées domestiques, le taux d’accès au Sénégal est estimé à 25,3%. Par ailleurs, des efforts restent à faire en milieu rural ou il n’y a quasiment pas un système de gestion des eaux usées domestiques ; 4,5% seulement des ménages en bénéficient tandis qu’en milieu urbain on est à 43,6%. La situation est plutôt similaire à Niamey (Niger) où dans les concessions enclavées, il est impossible de conduire l’eau des toilettes hors des parcelles ; il n’y a aucun branchement à domicile. Les eaux usées issues des toilettes restent dans la concession et constituent de véritables foyers de reproduction des agents vecteurs de maladies (N. Nassartebaye, 2011, p. 77).
Dans le cas de cette étude, la collecte des ordures ménagères est située à deux niveaux : le ramassage par camion et par charrette. Nous avons considéré ces deux méthodes comme les plus acceptables pour une gestion des déchets solides et que les autres procédés comme l’incinération, l’enfouissement, le dépôt sauvage restent non formels. Les données issues de l’ANSD révèlent
que Dakar est la seule région qui est dotée d’un système de collecte des ordures ménagères (90,7%) dominé par le ramassage des camions ; ensuite viennent les régions de Thiès (47,8%) et Diourbel (35,6%). Les régions du nord dont Saint-Louis et Matam sont classées dans le troisième groupe avec un système de collecte assez faible. Dans ces régions, 15,1 à 30% des ménages ont
accès à un système de collecte des déchets solides. Le centre (Kaffrine), les régions de l’est et du sud ne sont pas encore dotées de système de collecte efficace pour la gestion des déchets. En effet, 4,6% à 15% des ménages déclarent disposer de ce système ; environ 70,1% de ces ménagent évacuent leurs ordures par dépôt sauvage (Cf. figure n°8).
Entre 2002 et 2013 des avancées timides ont été faites dans le cadre de l’amélioration du système de gestion des déchets solides. A ce propos, les collectivités locales n’ont pas pris des initiatives afin d’améliorer les conditions de vie des populations. Le taux pour les ménages ayant un système de collecte des ordures est important en zone urbaine avec 73,3% tandis qu’il reste encore faible dans les espaces ruraux avec 13,2% (ANSD, 2013).
D’autres études menées dans les villes africaines, à l’instar de Bourkina Faso, montré les disparités en matière de gestion des déchets entre territoires urbains. Les régions Centre et Hauts-Bassins, dont les principales villes Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, disposent d’un Projet de développement urbain (PDU) avec un système de gestion des déchets correct. Les régions Centre-Est (Tenkodogo) et Nord (Ouahigouya) semblent mettre à la disposition de leur population urbaine des bacs. Alors qu’ils sont pratiquement absents dans les autres villes du pays (A. Meunier-Nikiema, 2007, p. 4).
Conclusion
Depuis bien des années, le Sénégal garde toujours cette image d’un pays territorialement déséquilibré au niveau de son peuplement. Les grandes villes situées dans la partie occidentale ont aspiré et continuent d’absorber les populations de l’intérieur. Par ailleurs, l’Etat du Sénégal a beaucoup mis l’accent sur les régions ouest en manière de développement et de politique d’habitat au détriment de celles de l’intérieur. Cette situation a motivé les gens à se concentrer vers l’ouest à la recherche de meilleures conditions de vie. Au-delà des déséquilibres de peuplement, des inégalités sont aussi notées dans les conditions d’accès à un habitat mais aussi des matériaux de construction de qualité. Par ailleurs, l’accès aux services sociaux de base reste encore un problème pour les régions centre, de l’est et du sud. La majorité des ménages de ces zones parcourent des distances pour s’approvisionner en eau car le nombre de branchement est faible. L’électrification reste encore timide surtout en milieu rural.
De même, les pratiques environnementales sont plutôt informelles dans ces régions. En effet, les ménages n’ont pas un système d’assainissement correct. Ainsi, face à tous des problèmes liés aux inégalités, l’effort des gouvernements centraux et locaux devrait s’accroître très fortement dans ces domaines. Cela implique des actions à trois niveaux complémentaires : politique, financier et managérial. En d’autres termes, au-delà des politiques que l’Etat, en concert avec les Collectivités locales, doivent mettre en place dans le sens de corriger ces déséquilibres, il est opportun d’investir dans ces secteurs pour améliorer le cadre de vie de ces populations et réduire les inégalités.
Références bibliographiques
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), 2014, Rapport définitif du 4e Recensement Général de la Population de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Élevage (RGPHAE) de 2013, Rapport de recensement, Dakar, 417 p.
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Auteur(s)
1NGOM Ndéye : Assistante en Géographie,; e-mail :ngomndey@yahoo.fr – Faculté des Lettres et Sciences Humaines / Université Cheikh Anta Diop de Dakar
2CASSE Lamine Ousmane :Laboratoire GERAD ; e-mail:cassemabo@gmail.com – Faculté des Lettres et Sciences Humaines / Université Cheikh Anta Diop de Dakar
3DIOP Ndiacé :Chargé d’enseignement ; e-mail:mamemagate@gmail.com – Faculté des Lettres et Sciences Humaines / Université Cheikh Anta Diop de Dakar