Une diversité de riziculteurs et de modes d’accès au foncier rizicole dans la ville de Gagnoa

A diversity of rice farmers and modes of access to rice land in the city of Gagnoa

Adjoba Marthe KOFFI-DIDIA,

koffiamarthe@yahoo.fr

Koffi Lucien KONAN,

lukofkonan@gmail.com

Résumé :

La région de Gagnoa est l’une des régions à forte production de riz de la Côte d’Ivoire depuis de nombreuses décennies. Tout comme le milieu rural, dans la ville de Gagnoa, des populations cultivent le riz dans les bas-fonds pour satisfaire à leurs besoins socioéconomiques. Cependant, l’accès à la terre qui est le premier facteur de production des citadins riziculteurs constitue un problème fondamental pour le bon développement de cette activité.

Cette étude analyse les caractéristiques sociodémographiques des citadins riziculteurs et leurs conditions d’accès au foncier rizicole dans la ville de Gagnoa et sa périphérie proche. Elle s’appuie sur la recherche bibliographique et sur des enquêtes de terrain effectuées sur plusieurs sites rizicoles dans la ville de Gagnoa et sa périphérie proche en Décembre 2018 et de Mars à Août 2019. Ces investigations montrent que les citadins riziculteurs sont une population hétérogène issue de diverses catégories sociodémographiques. Ils ont acquis la terre par l’héritage, la location ou le prêt sans contrats légaux. Mais, le mode d’accès le plus utilisé est la location du fait de son avantage à la fois pour les riziculteurs et propriétaires de bas-fonds. Par ailleurs, les riziculteurs sont confrontés à des contraintes foncières liées à la pression de l’urbanisation et à l’émergence de conflits.

Mots clés : Côte d’Ivoire, Gagnoa, agriculture urbaine, riziculture, foncier urbain

A diversity of rice farmers and modes of access to rice land in the city of Gagnoa

Abstract

The Gagnoa region has been one of the high rice producing regions of Ivory coast for many decades. Just like the rural environment, in the city of Gagnoa, people grow rice in the lowlands to meet their socio-economic needs. However, access to land, which is the main factor of production for urban rice farmers, constitutes a fundamental problem for the proper development of this activity. This study analyzes the socio-demographic characteristics of urban rice farmers and their conditions of acces to rice-growing land in the town of Gagnoa and its close periphery. It is based on bibliographic research and on field surveys carried out on several rice sites in the city of Gagnoa and its close autskirts in December 2018 and from March to August 2019. These investigation show that urban rice farmers are a heterogeneous population from various socio-demographic categories. They acquired the land by inheritance, rental or loan without legal contracts. However, the most used mode of access is rental because of its advantages for both rice famers and lowland owners. In addition, rice farmers are faced with land constraints linked to the pressure of urbanization and the emergence of conflicts.

Keywords : Ivory Coast, Gagnoa, urban agriculture, rice cultivation, urban land

Introduction

La croissance démographique et l’urbanisation concourent à une forte dynamique foncière dans les villes. Plus elles se développent et plus les besoins en ressources foncières s’intensifient. Pour les

citadins, le foncier constitue de nos jours un enjeu majeur, car, il est l’objet de spéculation des populations aussi bien pour la satisfaction de leurs besoins en logements que ceux des activités urbaines (F. N’gana et al., 2010 p. 2). Cependant, à côté de l’usage spéculatif du foncier urbain, les espaces urbains sont aussi utilisés par des citadins pour pratiquer les activités agricoles. Ces activités agricoles se développent dans les zones plus ou moins marginalisées des villes généralement sur les lots pas encore mis en valeur, en bordure des routes et cours d’eau, dans les lieux non aedificandi et surtout dans les bas-fonds. La pratique de l’agriculture urbaine est liée à plusieurs facteurs, dont le principal est la présence dans le foncier urbain d’espaces propices au développement de cette activité (A. J-M. Konan, 2017, p. 283). C’est notamment le cas à Gagnoa, une ville située au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire (carte 1), où les bas-fonds sont exploités à des fins rizicoles. Gagnoa bénéficie de conditions naturelles favorables à la culture du riz. On y rencontre une population autochtone « Bété » qui a pour aliment de base et principale le riz et d’autres populations d’origines diverses très impliquées dans la riziculture (J-P. Dozon, 1974 p. 113). Dans cette ville, la riziculture se pratique dans de nombreux bas-fonds intra-urbains et périphériques (carte 2). Cette activité est faite pour répondre aux besoins alimentaires de la population, générer des revenus aux exploitants et assainir parfois ces lieux d’accès difficiles (K. L. Konan, 2015 p. 88). Il ressort que l’espace urbain de Gagnoa avec plus de 260 hectares de bas-fonds rizicoles est une zone de forte production de riz. La riziculture s’est intensifiée dans cette ville grâce à l’intervention de l’Etat par le biais de plusieurs structures pour l’aménagement de 36 hectares de bas-fonds dans les années 1970-1980. Cependant, l’urbanisation rapide que connait la ville (avec 297 ha d’espace urbanisé avant l’indépendance à environ 2 000 ha aujourd’hui), suivie de la croissance rapide de sa population qui est passée de 107 124 habitants en 1998 à 602 097 habitants en 2014 et (INS1, 1998 ; RGPH2, 2014), les bas-fonds rizicoles intra-urbains sont désormais convoités pour le bâti et l’implantation d’autres activités économiques (commerce, transport, etc.). Cette réalité entraîne une compétition spatiale qui pèse lourdement sur la durabilité de l’activité rizicole et l’accès aux espaces agricoles dans la ville. Comment se fait donc l’accès au foncier agricole des riziculteurs dans la ville de Gagnoa ? En d’autres termes qui sont les riziculteurs urbains de Gagnoa et quels sont leurs modes d’accès à la terre?

Pour répondre à ce questionnement, une méthodologie de travail a été adoptée.

1 Institut National de la Statistique

2 Recensement Général de la Population et de l’Habitat

Source : CNTIG, 2018                                                                       Réalisation : KONAN K. L /KOFFI-DIDIA A. M., 2022

Carte 1 : Carte de situation de la ville de Gagnoa en Côte d’Ivoire

1-  Méthodologie

La méthodologie mise en place pour mener cette étude est essentiellement un combiné d’une phase théorique axée sur les recherches bibliographiques et d’une phase pratique de recherche de terrain. La recherche bibliographique a porté sur les travaux qui ont un lien avec l’agriculture urbaine et la riziculture en particulier. Il s’agit précisément des rapports d’activités des structures en charge de l’agriculture notamment l’ANADER3 et le MINADER4 et des ouvrages spécifiques traitant en générale, les questions sur l’agriculture urbaine en Côte d’Ivoire et la riziculture à Gagnoa. Cette fouille documentaire a révélé que les études réalisées sur la riziculture dans la région de Gagnoa abordent partiellement la pratique de cette activité en milieu urbain. Ces études sont aussi pour la plupart peu récentes et traitent rarement la question de l’accès au foncier rizicole urbain d’où l’intérêt d’actualiser et compléter les données existantes sur la riziculture urbaine à Gagnoa. Ce recueil d’informations secondaires a été complété par une enquête de terrain pour la collecte de données primaires.

3 Agence Nationale d’Appui au Développement Rural

4 Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural

L’enquête s’est effectuée en deux étapes, notamment une préenquête et une enquête par questionnaire à partir d’une unité d’observation susceptible de nous permettre de saisir les réalités relatives au foncier rizicole et les riziculteurs sur l’espace urbanisé de Gagnoa à savoir ; les lieux de production intra-urbains et périphériques. La préenquête a eu lieu au deuxième trimestre de l’année 2018 (grande période d’activités rizicoles). Elle a été meublée par les opérations d’observation couplées à l’identification des riziculteurs et la réalisation d’entretiens. Elle a consisté à parcourir et observer tous les espaces rizicoles de la ville, identifier et recenser les citadins riziculteurs des différents sites de production, et à réaliser des entretiens avec les responsables des structures en charge de la gestion foncière (MINADER) et du Ministère de la Construction et de l’Urbanisme et d’autres personnes ressources. Les entretiens avaient pour objectifs de connaitre le mode d’attribution et de gestion du foncier urbain à Gagnoa.

L’enquête par questionnaire s’est déroulée en décembre 2018 (petite saison de récolte et de vente de riz) et de mars à août 2019 (grande période de production et de récolte rizicole) dans la ville de Gagnoa et sa périphérie proche. Nous avons choisi d’interroger tous les chefs d’exploitation, ayant une petite ou grande parcelle rizicole, une courte ou longue durée d’activité rizicole sur les lieux de production intra-urbains et périphériques de l’espace urbanisé de Gagnoa. L’administration du questionnaire s’est faite au cours de passages répétés sur tous les sites de production auprès de tous les riziculteurs présents.

Cependant, après plusieurs passages, certains riziculteurs n’ont pu être enquêtés pour des raisons d’indisponibilité et d’absences répétées sur les lieux de production. Au total, 154 riziculteurs soit 62,34% des riziculteurs identifiés ont été interrogés dans les bas-fonds rizicoles intra-urbains et périphériques comme l’indique le tableau 1.

Source : CNTIG, 2018                                                                       Réalisation : KONAN K. L /KOFFI-DIDIA A. M., 2022

Carte 2 : Carte de localisation des espaces rizicoles de la ville de Gagnoa

Tableau 1 : Les effectifs des producteurs interrogés par sites

Source : KONAN-Koffi 2018-2019

Les données recueillies à travers la recherche documentaire et l’enquête de terrain ont fait l’objet de traitement statistique et cartographique.

Le traitement statistique des données issues du questionnaire administré aux agriculteurs a été réalisé à partir d’un ordinateur avec le logiciel Sphinx V5. Les données générées par Sphinx V5 ont été transférées sur Excel 2010 et ont servi à la confection des graphiques et tableaux. Nous avons également effectué le traitement cartographique de nos données à partir des logiciels Arcgis 10.2 et Adobe Illustrator 11.0. Ce qui a permis de réaliser les cartes de cette étude. Tous les traitements réalisés ont abouti à des résultats qui ont fait l’objet d’analyse par la suite.

2-  Résultats et discussion

Les résultats obtenus s’organisent en trois parties : les caractéristiques sociodémographiques des riziculteurs, les modes d’accès à la terre et les difficultés liées à l’espace de production.

2.1  La riziculture à Gagnoa : une activité pratiquée par une diversité de citadins

Les riziculteurs présentent plusieurs caractéristiques communes qui sont étudiées à travers leur structure par sexe, origine, âge, et niveau d’instruction.

Au niveau du genre, on note la présence des deux sexes. Mais cette population est fortement dominée par les hommes avec un taux de 96,11% contre 3,89% pour les femmes. Ces chiffres sont confirmés par les travaux de A. B. Krou réalisés en 2015 p. 69, dans la Sous-Préfecture de Gagnoa qui révèlent que les hommes « représentent 98,51% des producteurs de riz inondé et irrigué » produit dans les bas-fonds. Cette faible présence des femmes dans ce secteur peut s’expliquer par le fait que l’activité rizicole dans les bas-fonds en particulier requiert beaucoup d’efforts physiques et exige un suivi permanent pour certains travaux complémentaires (irrigation, protection contre les oiseaux et les insectes, activités post-récoltes) ainsi que des moyens financiers importants. Par ailleurs, les rizicultrices ont plutôt une préférence pour le riz pluvial moins exigeant que le riz irrigué et qui est généralement pratiqué dans les localités rurales de la Sous-Préfecture de Gagnoa (A. B. Krou, 2015 p. 71). Cette sous-représentation des femmes dans la riziculture est surtout liée à la pénibilité des travaux rizicoles et l’exigence de forces physiques adéquates.

La riziculture pratiquée dans la ville de Gagnoa est une activité essentiellement masculine exercée aussi bien par des autochtones que des allochtones (tableau 2).

Tableau 2 : Répartition des riziculteurs enquêtés selon l’origine

Source : KONAN-Koffi, 2018-2019

La lecture du tableau 2 montre que plus de 97% des riziculteurs enquêtés sont des allochtones. Son analyse met en relief une forte représentation d’allochtones nationaux (53,89%) et non nationaux (43,51%) dans la production du riz. Les nationaux sont pour la plupart des Ivoiriens du Nord et de l’Ouest, tandis que les non nationaux sont originaires des pays de la CEDEAO5 et majoritairement du Burkina-Faso et du Mali. Quant aux autochtones, ils ne représentent que 2,60% des enquêtés. Ces constats ont été aussi faits dans la même ville par J-P. Dozon (1974, p. 113), dans la région du centre-ouest par IES6 et MINAGRA7 (1984, p. 17) et dans la ville de Bouaké par A. J-M. Konan (2017, p. 94). Dans leurs travaux, ils révèlent que 80 % des chefs d’exploitations de riz de bas-fond en milieu urbain comme rural du centre-ouest sont des allochtones. À Bouaké, 81 % des riziculteurs urbains sont des ivoiriens. Pour l’auteur, l’engouement des ivoiriens dans le secteur riz est lié prioritairement à l’enjeu alimentaire et économique.

Cette prédominance est due à l’implication active de ces hommes dans l’agriculture depuis leur jeune âge et leur savoir-faire qui participent au progrès de cette culture. Aussi, sont-ils excellents dans la pratique de la riziculture de bas-fonds contrairement aux autochtones, car la plupart des allochtones ont une meilleure maîtrise de l’eau que les autochtones. Cette maitrise des activités rizicoles de bas- fond leur permet de réaliser de bons rendements comme le montrent les analyses de C. Koffi (2000, p. 14). Pour l’auteur, à Guessihio (village de la périphérie ouest de Gagnoa), plusieurs allochtones tirent une marge nette de 170 000 FCFA/ha/cycle comme revenu dans la riziculture de bas-fond. Quant aux autochtones, ces derniers, face à certaines croyances traditionnelles et aux difficultés liées à la pratique du riz de bas-fond, cultivent en général le riz pluvial dans les zones de plateau. Sur cette question, selon le témoignage d’un autochtone de troisième âge au quartier Barouhio : « les Bété

trouvent que la longue présence dans le bas-fond rend l’homme sexuellement impuissant ». Les autochtones préfèrent donc pratiquer la riziculture pluviale ou de plateau, moins contraignante et harassante que la riziculture de bas-fond. A ce propos, un riziculteur autochtone affirme : « je préfère ce type de culture de riz que l’autre ; pas trop de fatigue pour le faire ». Cette préférence est également gustative car ces derniers consomment en général le riz de plateau jugé de meilleure qualité qui est d’ailleurs leur principal aliment de base. Ces facteurs endogènes induisent un désintérêt manifeste des autochtones pour la riziculture de bas-fond et la cession de ces espaces de production aux allochtones. Contrairement à Gagnoa, où la riziculture urbaine est majoritairement dominée par les nationaux, dans les grandes villes ivoiriennes comme Abidjan et Bouaké, le secteur agricole urbain en particulier le maraîchage est fortement représenté par les non nationaux (A. M. Koffi-Didia, 2015 p. 51; A. Olahan, 2010 p. 8, Y. S. Affou, 1998, p. 11 ; A. J-M. Konan, 2017 p.

93).

5 Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest

6 Institut d’Ethno-sociologie

7 Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales

Cette population rizicole de la ville de Gagnoa dans son ensemble est très diversifiée et peut être répartie par tranches d’âges. La riziculture est pratiquée aussi bien par des personnes jeunes et adultes que des personnes âgées de plus de 55 ans. (Tableau 3).

Tableau 3 : Répartition des riziculteurs enquêtés selon l’âge

ÂgeEffectifPourcentage (%)
Moins de 35 ans2012,99
35 à 55ans10870,13
55 ans et plus2214,28
Non répondu42,60
Total154100

Source : KONAN-Koffi, 2018-2019

Les résultats consignés dans le tableau 3 montrent que plus de la majorité des riziculteurs (70%) ont un âge compris entre 35 et 55 ans. Cette tranche d’âge est le symbole de la vigueur, la principale force de travail. Elle regroupe la plupart des bras valides puisque les travaux rizicoles demandent de gros efforts physiques et financiers. Ainsi, parmi les riziculteurs enregistrés, les personnes âgées de 35 à 55 ans exercent d’autres activités (fonctionnaires, agents d’entreprises privées formelles et informelles, etc.) dans les secteurs secondaires et tertiaires pour accroître leurs revenus. L’effectif réduit des plus jeunes (13%), est dû à la situation scolaire de la majorité de ceux-ci (élèves ou étudiants) et l’absence de financements pour mener leur activité.

Par ailleurs, les riziculteurs sont majoritairement lettrés avec un niveau d’instruction relativement bas. Le taux des illettrés est de 16,88 % contre un taux de 83,12% pour les lettrés. Cependant, plus de 74,21% des lettrés ont un niveau primaire (CP1–CM2) et d’école coranique ; ce qui représente près des 2/3 de l’ensemble des riziculteurs enquêtés (61,68%). Les analphabètes et les lettrés de niveau primaire sont généralement peu qualifiés et ont du mal à trouver un emploi urbain. Ils exercent souvent de petits métiers à leur propre compte. Selon les propos d’un producteur « Cette situation leur permet d’être disponibles pour la culture de riz », d’où leur présence massive dans cette activité. En revanche, les producteurs qui ont un niveau secondaire et supérieur sont moins représentés, car ils ont beaucoup plus d’opportunité d’emplois dans les secteurs secondaires et tertiaires.

La culture de riz dans les bas-fonds de la ville de Gagnoa mobilise des acteurs aux caractéristiques diverses. C’est une activité essentiellement exercée par une population masculine allochtone. Ces principaux traits de la population rizicole de la ville de Gagnoa renferment des similitudes au niveau du genre et de l’âge avec la population maraîchère de la ville d’Abidjan et des divergences concernant les origines et le niveau d’instruction décrites dans la plupart des travaux sur l’agriculture intra-urbaine à Abidjan (A. Olahan, 2010, p. 8 ; A. M. Koffi-Didia, 2015, p. 51 ). Les riziculteurs pratiquent généralement une agriculture semi-traditionnelle et ont un accès au foncier rizicole de différentes manières.

2.2  Un mode d’accès aux bas-fonds rizicoles diversifiés

Dans la ville de Gagnoa, les producteurs de riz ont recours à plusieurs modes d’accès au foncier. Mais les modes d’accès les plus rencontrés sont : l’appropriation, la location et le prêt (tableau 4).

Tableau 4: Répartition des riziculteurs selon le statut des bas-fonds exploités

 EffectifPourcentage(%)
Appropriation3925,32
Location10568,20
Prêt74,54
Non répondu31,94
Total154100

Source : KONAN Koffi, 2018-2019

2.2.1  L’appropriation : une forme de succession héréditaire au foncier rizicole

Le tableau 4 indique que, plus de 25% des riziculteurs interrogés sont propriétaires des terres de production. On rencontre ainsi, deux types de propriété sur les bas-fonds rizicoles de la ville de Gagnoa. Ce sont soit des propriétés individuelles, soit des propriétés familiales appartenant à des familles autochtones. L’accession à ces propriétés rizicoles s’est surtout faite par héritage et par don.

Source : KONAN-Koffi, 2018-2019

Figure 1 : Répartition des riziculteurs interrogés par mode d’appropriation du foncier rizicole

Selon les données de la figure 1, on retient que 76,66 % des riziculteurs propriétaires de bas-fonds rizicoles, ont acquis ces parcelles par héritage. Il faut préciser que, la majorité des riziculteurs qui ont hérité des parcelles rizicoles sont des fils des premiers allochtones riziculteurs qui ont travaillé dans

les bas-fonds rizicoles. Rappelons que dans les années 1980, quelques bas-fonds de la ville ont été aménagés et des parcelles ont été distribuées aux riziculteurs par la Société pour le Développement du Riz (SODERIZ) dans le cadre d’un projet de vulgarisation de la riziculture. Tous ceux qui ont obtenu ces parcelles rizicoles sont essentiellement les allochtones venus du Nord et les non nationaux qui se sont impliqués volontairement dans les activités des projets rizicoles. C’est ainsi qu’après la dissolution de la SODERIZ, les bas-fonds aménagés ont été légués à ces premiers riziculteurs afin d’assurer la poursuite de l’activité. Aujourd’hui, ces espaces ont été intégrés dans le patrimoine foncier personnel de ces premiers riziculteurs et sont devenus un héritage familial pour leurs descendants.

À côté de ces héritiers allochtones, figure une minorité de producteurs autochtones qui ont aussi hérité des espaces familiaux pour la réalisation de leur activité. Ces derniers se rencontrent le plus souvent dans les quartiers périphériques éloignés du centre-ville tel que Barouhio, un village bété rattrapé par la ville de Gagnoa. L’héritage est l’un des modes d’accès à la terre privilégié par la coutume locale des populations autochtones de Gagnoa. En effet, chez les populations autochtones bété, le fils aîné ou l’unique fils hérite du patrimoine foncier de son père défunt. Ici, nous avons affaire à une société patrilinéaire dans laquelle les terres sont soit gérées par les enfants ou la famille. En outre, certains parents ou beaux-parents, propriétaires terriens coutumiers ont également fait des dons à leurs enfants ou à leur gendre. Ils représentent environ 7 % de cette catégorie de producteurs interrogés. C’est notamment le cas d’un jeune exploitant rencontré lors de l’enquête de terrain travaillant sur une parcelle d’un demi hectare au quartier Barouhio.

2.2.2  La location des parcelles : la terre contre de l’argent ou le riz

La location est un contrat de louage de bien foncier conclu entre deux parties. L’analyse du tableau 4 montre que la location figure parmi les différents modes d’accès à la terre dans les bas-fonds habituellement utilisé par l’ensemble des riziculteurs de la ville de Gagnoa et tout particulièrement les riziculteurs enquêtés avec un taux de 68,18 %. Ce mode d’accès est fondé sur une forme de contrat informel avec des conditions bien définies au préalable. Les clauses de la location peuvent se faire soit en espèce, soit en nature. Dans le cas de la location en espèce, le prix à l’hectare est compris entre 25 000 et 40 000 FCFA8 par récolte. Quant à la location en nature, le prix à l’hectare est fixé sur la base du produit de la récolte. Le producteur donne au propriétaire 1 à 2 sacs de 100 kg de riz non blanchis par récolte sur un hectare. En cas de mauvaise production, le producteur a la possibilité de revoir à la baisse la quantité de riz demandée par le propriétaire en le signalant dans un meilleur délai. Mais, selon les liens d’affinités qui lient les deux parties, le prix de la location ou le nombre de sac de riz peut être revu à la baisse. Ce sont ces raisons qui expliquent la prédominance de la location des parcelles dans la ville. Cette forme d’accès à la terre renferme autant d’avantages pour le producteur de riz en lui permettant d’acquérir un espace de culture que pour les propriétaires en raison des gains tirés de cet échange. C’est la forme d’accès la plus répandue qui rassemble près des trois quart (¾) des riziculteurs enquêtés.

8 1 Euro = 655,94 FCFA

2.2.3  Le prêt, un mode d’accès peu utilisé par les riziculteurs de la ville de Gagnoa

Le prêt est l’octroi d’un terrain ou d’une parcelle à titre gracieux pour un temps plus ou moins déterminé. Il s’agit d’une occupation temporaire et limitée dans le temps sur la base d’un arrangement entre le propriétaire et le producteur (A. M. Koffi-Didia, 2015, p. 52). Dans l’espace rizicole de la ville de Gagnoa, le prêt des parcelles concerne seulement 4,54 % des riziculteurs interrogés. Le prêt de bas-fond rizicole est peu utilisé à cause de la prédominance de d’autres formes d’accès. Généralement, les parcelles sont prêtées aux connaissances ou parents. Ces derniers à qui les parcelles sont prêtées, exploitent les bas-fonds sur une période bien déterminée sans aucune obligation de restituer quelque chose au propriétaire en retour.

En somme, trois modes d’accès au foncier rizicole ont été répertoriés dans le cadre de cette étude à savoir l’appropriation par le droit successoral, la location et le prêt. Ces différents modes d’accès tirent en général leur légitimité de la tenure foncière coutumière locale qui se fait de façon plus ou moins informelle. Mais, le mode d’accès le plus couramment utilisé par la majorité des riziculteurs est la location. Toutefois, l’acquisition d’une parcelle de bas-fond rizicole devient de plus en plus difficile pour le riziculteur urbain de Gagnoa.

2.3  Les difficultés liées à l’accès au foncier rizicole

Lors des enquêtes de terrain, les riziculteurs ont souligné un certain nombre de difficultés auxquelles, ils sont confrontés. Ces difficultés s’intensifient face à la passivité des autorités municipales de la ville de Gagnoa. Ce sont notamment la perte ou la réduction progressive des espaces rizicoles et les conflits fonciers.

2.3.1  L’étalement urbain et la réduction progressive des espaces rizicoles intra-urbains

Les riziculteurs rencontrent plusieurs problèmes fonciers liés aux effets de l’étalement urbain. Certains bas-fonds rizicoles sont fortement soumis à la pression de la ville de Gagnoa et de ses activités. Selon l’étude de J-P. Dozon (1974, p. 17), les premiers principaux bas-fonds rizicoles se retrouvaient uniquement dans le milieu intra urbain notamment dans le centre-ouest de la ville en 1970 illustré par la carte de la figure 3. Mais en 2019, on remarque sur la figure 4, une importante réduction des premiers bas-fonds rizicoles dans le centre-ville. Les principaux bas-fonds rizicoles sont désormais dans la périphérie sud-est et ouest. Notons qu’environ, 25% des riziculteurs interrogés ont perdu leur parcelle dans le noyau urbain pour des raisons liées à l’avancée de la ville et de ses différents aménagements. En effet, l’occupation et le remblaiement des bas-fonds pour l’installation d’activités économiques est l’une des raisons de la disparition des rizières dans le centre-ville. Par exemple, au niveau du grand marché situé dans le centre-ville, des menuiseries et des commerçants se sont installés sur l’emplacement d’anciennes parcelles rizicoles réduisant ainsi les espaces rizicoles dans cette partie de la ville. Les rizières encore exploitées dans les quartiers du centre-ville ne couvrent plus qu’une superficie de 39 hectares soit 14,87% des 262,26 hectares de superficie totale des rizières exploitées dans la ville selon un recensement effectué par le COOPRIF9 en 2012 car, les premiers riziculteurs ont perdu plusieurs espaces cultivables dans le noyau urbain. Cette situation a poussé de nombreux riziculteurs à abandonner la production dans le centre-ville.

9 Coopérative des Riziculteurs du Fromager

C’est ce qui explique la forte présence et la concentration de bas-fonds rizicoles aux alentours de la ville de Gagnoa.

En outre certains bas-fonds sont transformés en zone d’évacuation des eaux ménagères et des déchets liquides et solides produits par les populations de la ville.

Photo 1: Déversement des déchets liquides dans un bas-fond rizicole

Cliché : KONAN Koffi, 2019

La photo n°1 montre un passage d’écoulement des eaux urbaines en provenance de canalisation dans un espace rizicole au quartier Soleil au sud de la ville. Pour les riziculteurs, ces eaux urbaines ajoutées à l’eau de pluies sont source régulière d’inondation en saison pluvieuse des bas-fonds. Par manque d’aménagement profond, certains casiers rizicoles de ce site ont été abandonnés par les riziculteurs. Il faut dire également que les inondations à répétition dans certains bas-fonds sont souvent occasionnées par la fermeture de ceux-ci avec les déchets urbains. Ce qui conduit inévitablement à l’arrêt de l’exploitation rizicole et au départ des riziculteurs du site. Ces contraintes foncières représentent de véritables handicaps pour les riziculteurs de Gagnoa, car ils ne disposent d’aucun document légal qui atteste formellement l’occupation des bas-fonds. Selon les responsables du service technique de la mairie de Gagnoa, « les bas-fonds ne font pas partie des espaces lotis ; donc, toute personne peut les mettre en valeur de façon provisoire ». Ces propos pourraient justifier l’insécurité foncière vécue par bon nombre de riziculteurs.

La pression urbaine a un impact certain sur la disponibilité des bas-fonds rizicoles et leurs usages. Cela se traduit par une réduction de ces espaces agricoles dans la ville et ou leur reconversion dans des usages autres que la fonction agricole. Cette poussée urbaine augmente considérablement la pression sur les bas-fonds rizicoles encore disponibles et exploitables, d’où l’émergence de situations conflictuelles.

Carte 3 : Présentation des bas-fonds rizicoles de la ville de Gagnoa en 1970 par J-P Dozon

Carte 4 : Présentation des bas-fonds rizicoles de la ville de Gagnoa en 2019

2.3.2  Les conflits fonciers

Plusieurs conflits fonciers liés à la riziculture ont été évoqués lors des enquêtes. Au total, 11,04% des riziculteurs interrogés témoignent avoir rencontré au moins un conflit sur la parcelle rizicole occupée. Il s’agit des conflits intrafamiliaux et/ou entre propriétaires de bas-fonds, entre riziculteurs et propriétaires de bas-fonds et entre riziculteurs et riverains.

Concernant les propriétaires de bas-fond, les conflits sont d’ordre familial ou entre les propriétaires eux-mêmes. En effet, la mauvaise gestion du patrimoine foncier est couramment source de conflits entre les membres de la famille détentrice de bas-fonds. De plus, au sein d’une même famille, la personne qui loue le bas-fond à un riziculteur n’est pas souvent celle qui est habilitée à le faire dans la famille et ce genre d’agissement est indiscutablement à la base d’incompréhensions et de disputes. Par ailleurs entre les propriétaires, il arrive quelquefois qu’un propriétaire de bas-fond mette en location l’espace de production d’un autre propriétaire de façon unilatérale entrainant ainsi des différents avec le propriétaire évincé. Des propriétaires coutumiers autochtones ont également tenté de récupérer les espaces de bas-fonds obtenus gracieusement par des allochtones avec la SODERIZ dans les années 1980. Les autochtones avaient cédé leurs bas-fonds à la SODERIZ pour des travaux parce qu’ils ne trouvaient aucune importance ni d’intérêt pour ces espaces. Or, à l’issue du projet de vulgarisation de la riziculture dans la ville, les bas-fonds sont désormais vus comme une importante source de captation de revenus. Ce qui suscite un regain d’intérêt des autochtones pour ces espaces de production. Ces derniers réclament la restitution de ces bas-fonds parce que ces domaines représentent leur patrimoine et/ou sont de véritables sources financières. Ainsi, plusieurs tentatives de récupération de ces espaces ont été mises en œuvre par les autochtones entre les années 2000 et 2009. Ce qui a entrainé la perte d’environ 5 hectares de parcelles des riziculteurs interrogés. C’est le cas de ce riziculteur originaire du nord du pays qui affirme avoir perdu en 2008, 2 ha sur une superficie totale de 4 ha d’un bas-fond, dont il est propriétaire depuis 1984 dans le quartier de Barouhio. Ce riziculteur a bénéficié d’un don de la SODERIZ sans aucun contrat écrit. Ces conflits nés à la suite du départ de cette structure se manifestent généralement dans les villages autochtones périphériques devenus des quartiers du fait de l’extension spatiale de la ville de Gagnoa, comme Babré et Barouhio.

Au niveau des riziculteurs et des propriétaires de bas-fond, ces conflits sont dus au non-respect des clauses de contrats par les acteurs concernés. Car, le riziculteur peut faire une bonne récolte et refuser cependant de remettre au propriétaire du bas-fond le montant exact de la location. Souvent ce dernier verse seulement une partie du montant total de la location. Quant au propriétaire, il engage parfois une procédure de retrait d’une parcelle déjà attribuée à un riziculteur et sa réattribution à un autre juste après la première récolte. Et ce, malgré le fait que la location donne normalement droit à deux ou trois récoltes dans l’année. Par ailleurs, certains parents du propriétaire peuvent décider d’annuler le contrat parce que le signataire du contrat n’est pas reconnu par la famille, alors que souvent le riziculteur pour s’assurer de conserver l’espace a déjà honoré ses engagements. En effet, les riziculteurs interrogés ne sont pas propriétaires des terres de production dans la majorité des cas et ont pour principale alternative la location ou le prêt. Ces modes d’accès aux parcelles sont souvent précaires et peu formalisés en ce sens qu’ils ne donnent uniquement que des droits d’usage qui sont souvent sources de quelques litiges entre propriétaires fonciers et producteurs de riz. Par conséquent, ils ne garantissent pas une sécurité foncière à un grand nombre de riziculteurs dans la ville de

Gagnoa. Or selon S. Dauvergne (2011, p. 88), l’investissement dans la terre passe avant tout par une certaine sécurité de tenure appréciable au cas par cas, et qui permet l’intensification de la production ainsi que la transformation durable des droits d’usage et droits de propriété.

En dehors de ces situations conflictuelles, il y a aussi quelques fois des différends entre les riziculteurs et les populations riveraines des bas-fonds relativement à leurs agissements. Certains riverains déversent les déchets domestiques dans les rizières, d’autres par contre remblaient les bas- fonds en vue d’une éventuelle extension de leur construction.

Tous ces conflits sont parfois exacerbés par les intérêts divergents des différents acteurs impliqués et surtout l’emprise de la ville. Aussi, compte tenu du caractère particulièrement conflictuel du foncier en zone urbaine, et de ses accointances avec la « tenure informelle » via les propriétaires coutumiers autochtones, des mesures idoines doivent être prises pour garantir la sécurité foncière des espaces rizicoles. On pourrait à cet effet s’inspirer du modèle d’Antananarivo et de Ouagadougou. En effet, 2000 ha de rizières sont inscrits dans le nouveau plan directeur urbain d’Antananarivo comme non urbanisables (A. Ba et C. Aubry, 2010, p. 9). L’adoption du schéma directeur du Grand Ouaga en 2010, consacre

« la légalisation de l’agriculture urbaine et lui ouvre des grandes perspectives, mais demande à être matérialisée sur le terrain à travers des actions suivantes : a)- sensibilisation des élus et des responsables de l’aménagement du territoire ; b)- promotion d’un appui institutionnel par l’encadrement technique du maraîchage urbain par les services de l’agriculture et de l’hygiène alimentaire ; c)- mise en place du « cadastre rural » de la ville pour la sécurisation foncière en faveur de l’agriculture urbaine à Ouagadougou et la résolution des problèmes fonciers » ( A. Bagré et al., 2002, p. 147).

Conclusion

La riziculture de bas-fond est une activité agricole pratiquée dans la ville de Gagnoa par une population hétérogène de citadins riziculteurs issus de diverses catégories sociodémographiques. Elle est dominée majoritairement par la population allochtone masculine avec un faible niveau d’instruction. L’étude a révélé l’existence de plusieurs modes d’accès à la terre dans les bas-fonds rizicoles. Ce sont l’appropriation par héritage, la location, et le prêt. La location est le mode d’accès le plus utilisé par la majorité des riziculteurs interrogés avec 68,18% des enquêtés du fait des clauses de contrat avantageuses aussi bien pour le riziculteur que le propriétaire.

Cependant, l’acquisition d’une parcelle de bas-fond devient de plus en plus difficile pour les riziculteurs urbains de Gagnoa en raison de la réduction progressive des espaces rizicoles consécutives à l’étalement urbain rapide (de 297 ha d’espace urbanisé avant l’indépendance à environ 2 000 ha aujourd’hui) et à l’émergence de nombreux conflits évoqués par 11,04 % des riziculteurs enquêtés. Face à ces contraintes, quelles sont donc les actions à mettre en place pour un développement harmonieux et durable de cette activité dans la ville de Gagnoa ?

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