Carburants impropres : source de pollution atmosphérique à Abidjan

Seka Fernand AYENON

Université Felix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire) ayesek77@gmail.com

Irène KASSI-DJODJO

Université Felix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire) irenekassi@yahoo.fr

Kacou François N’GUESSAN

Université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), nkfrancois72@gmail.com

Résumé :

Les hydrocarbures sont une source d’énergie incontournable dans les pays à technologies moins avancées et à faible revenu. Cette énergie fossile dont le pétrole sert de carburant pour les véhicules motorisés, de combustible et de matière première pour les industries chimiques, est aussi utilisée pour la fabrication du plastique. Cependant, cette ressource est naturellement très polluante, car ses émissions sont très importantes en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Or, en Côte d’Ivoire, le carburant utilisé par certains engins motorisés provient souvent de la contrebande, échappant à tout test de conformité des normes nationales et internationales créant ainsi une pollution atmosphérique en zone urbaine précisément à Abidjan qui est ville congestionnée. L’objectif de cette étude est de montrer la contribution des rejets de gaz dus à la mauvaise qualité de carburant dans la pollution atmosphérique en milieu urbain, un facteur majeur dans la problématique du changement climatique. Pour ce faire, la méthodologie utilisée s’appuie sur une recherche documentaire portant sur la qualité du carburant dans le transport urbain et la pollution de l’environnement par les hydrocarbures, le prélèvement d’échantillons issus des différents circuits de contrebande de carburants pour leurs analyses en laboratoire. Les résultats de cette étude montrent clairement que le carburant ivoirien, qu’il soit du circuit officiel ou de contrebande, contient des taux de souffre très élevés (15 fois plus que la norme internationale) donc toxique. Des pics de pollution sur les principales voies de circulation et notamment dans les deux carrefours ; celui de la Vie et le rond-point de Marcory, les plus engorgés d’Abidjan sont mesurés attestant de son impact négatif dans l’atmosphère.

Mots clés : Abidjan, réchauffement climatique, carburants impropres, pollution.

Abstract

Hydrocarbons are an essential source of energy in countries with less advanced technologies and low income. This fossil fuel, whose petroleum is used as fuel for motor vehicles, fuel and raw material for the chemical industries, is also used for the manufacture of plastic. However, this resource is naturally very polluting, because its emissions are very important in carbon dioxide in the atmosphere. However, in Côte d’Ivoire, the fuel used by certain motorized vehicles often comes from smuggling, escaping any test of compliance with national and international standards, thus creating air pollution in urban areas, precisely in Abidjan, which is a congested city. The objective of this study is to show the contribution of gas emissions due to poor fuel quality in air pollution in urban areas, a major factor in the problem of climate change. To do this, the methodology used is based on documentary research on the quality of fuel in urban transport and environmental pollution by hydrocarbons, the taking of samples from the various fuel smuggling circuits for their laboratory analyses. The results of this study clearly show that Ivorian fuel, whether official or smuggled, contains very high levels of sulfur (15 times more than the international standard) and is therefore toxic. Pollution peaks on the main traffic lanes and in particular at the two intersections; that of Life and the roundabout of Marcory, the most congested of Abidjan are measured attesting to its negative impact in the atmosphere.

Keywords: Abidjan, global warming, unclean fuels, pollution.

Introduction

Les modes de transports routiers qui représentent plus de 80% de la consommation d’énergie des transports utilisent quasi exclusivement les hydrocarbures (H. Julien, 2004, p.7). Or l’étalement spatial des agglomérations et les besoins de mobilité de plus en plus rapide ont fait de l’automobile plus qu’un objet de plaisir ou de luxe mais plutôt une nécessité (Dupuy, 1999 ; CETM, 2002 ; H.J. Kablan, 2010, p.2). Cependant, les carburants utilisés souvent par les automobilistes en Afrique de l’ouest sont loin de respecter les normes internationales et sont source de pollution atmosphérique. Elle est sous la forme d’émissions de gaz ou de vapeurs relâchées dans l’air à la suite de la combustion incomplète du moteur d’un véhicule tels que le gaz carbonique (CO2), le monoxyde de carbone (CO), l’oxyde d’azote (NOx) et le dioxyde de soufre (SO2) (J. P. SAWERYSYN, 2009, p.1). Ce type de pollution de l’air n’est pas le seul fait du transport mais elle est générée aussi bien par les industries que par la production énergétique. Cependant, l’automobile y joue un rôle prépondérant dans la détérioration de sa qualité et surtout en milieu urbain. Les hydrocarbures ou dérivés pétroliers qui sert de carburants à l’automobile sont une ressource naturellement très polluante.

En Côte d’Ivoire, les carburants utilisés dans le transport proviennent de divers circuits (officiel et non officiel). Ils sont pour la plupart des produits de contrebande provenant du Nigéria pour le circuit non officiel. Pour le circuit officiel, ces carburants sont issus des terminaux pétroliers nationaux tels que Société Ivoirienne de Raffinage (SIR), Société de Gestion de Stocks pétroliers de Côte d’Ivoire (GESTOCI), Abidjan Operating Terminal (AOT), Shell-Vridi.) (Annuel-DGH, 2018, p. 35). Ainsi, la quasi-totalité de ces carburants qu’ils soient officiel ou non, sont incriminés dans la problématique de la pollution de l’air ; d’où la préoccupation de cette recherche : quelles sont les caractéristiques des carburants utilisées par les automobilistes ivoiriens et leurs effets dans l’atmosphère ?

L’objectif de cette étude est d’analyser les caractéristiques des carburants à Abidjan, sous de pollution atmosphérique

1- Materiel et Méthode

1-1-Présentation de la zone d’étude

Située entre le 3°49-4°5 Ouest et 5°15-5°25 Nord, la ville d’Abidjan se trouve au sud de la Côte d’Ivoire sur le littoral Est bordant le Golfe de Guinée. Elle s’étend sur une superficie de 422 km2 avec une population estimée à 4 707 000 habitants, soit 20% de la population nationale (INS 2014, p.6).

Elle se compose de 10 communes scindées en deux grandes parties par la lagune Ebrié. Dans sa partie Nord, se trouvent les communes du Plateau, Cocody, Attécoubé, Adjamé, Yopougon et Abobo qui sont à majorité des communes résidentielles en dehors du Plateau. Dans sa partie Sud de la ville, se localisent les communes de Treichville, Marcory, Koumassi et Port-Bouët qui concentrent l’essentiel des activités économiques et administratives.

Ces communes sont traversées par de grandes artères qui facilitent la circulation. Yopougon est reliée à Port-Bouët par l’autoroute du Nord, les boulevards Lagunaire ou de la Paix, Giscard d’Estaing (VGE) et la voie express de Grand-Bassam. Outre ces deux grandes artères, il en existe plusieurs autres à Abidjan tels que le boulevard des martyrs (Latrille), de Marseille, Nangui Abrogoua, de France, etc. A côté de ces grandes artères, des voies express et secondaires communiquent entre elles formant ainsi un dense réseau routier dans la métropole abidjanaise. Toutefois, l’étude a porté sur le test des carburants utilisés par les automobilistes en Côte d’Ivoire et la mesure du niveau de pollution de l’air sur deux grandes artères (VGE et Martyrs), épine dorsale de la circulation à Abidjan Sud et Abidjan Nord (Figure 1).

1-2-Technique de collecte de données

La méthodologie adoptée s’appuie tout d’abord sur une recherche documentaire qui porte sur la qualité de carburants utilisés dans le transport urbain et la pollution de l’environnement par les hydrocarbures. Elle a permis de faire un état des lieux de la production scientifique sur les hydrocarbures et en particulier sur les carburants importés en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest en général mais aussi d’approfondir la réflexion sur les notions de pollution atmosphérique liée aux rejets de gaz des véhicules.

La seconde partie qui est l’enquête de terrain s’est faite en deux étapes. Il y a d’abord la collecte des données secondaires sur les normes et la qualité des produits pétroliers distribués dans les terminaux de seconde classe (stations-services et dépôts de consommation). Ces données sont issues des prélèvements faits à la fois à la pompe dans les stations-services pour le circuit officiel et dans les dépôts de vente de carburants de contrebande pour le circuit non officiel, en

plus des flacons d’un (1) litre d’huile (de moteur, de frein etc.) bon marché. Ces dérivés pétroliers sont acheminés dans le laboratoire de SGS et ont été testés.

Des mesures du niveau de pollution sur des voies de circulation sont aussi effectuées. Deux choix ont été opérés sur l’ensemble du réseau routier. Le rond-point de Marcory, sur le boulevard VGE à Abidjan Sud et le carrefour de la vie à Cocody, sur le boulevard des Martyrs à Abidjan Nord ont servi de sites de mesure. Ces choix s’expliquent en raison du grand trafic automobile et des embouteillages constatés aux heures de pointe en ces lieux qui sont largement représentatifs de la situation générale d’une probable pollution à Abidjan. Ainsi, avons-nous prélevé par le biais du cabinet BH&T CONSULTING huit (8) échantillons de Composés Organiques Volatiles (COV) et de particules fines qui sont analysés dans les laboratoires dudit cabinet. Les données nous ont été ensuite transmises pour le traitement et l’interprétation. Ces deux étapes ont consisté à l’analyse de la proportion de soufre dans le carburant et les taux de substances en suspension dans l’air mesurés au cours des différents moments de la journée précisément aux heures de pointes de 6h10 à 8h10 et de 18h 10 à 20h 10. Ces taux obtenus sont comparés aux normes internationales (OMS et UE). Les appareils de mesures utilisés sont le Moniteur de poussières Capteur Afrocet 531 et le Mini RAE 3000.

2- Resultats

2-1- Les circuits d’approvisionnement du carburant ivoirien

L’approvisionnement de la Côte d’Ivoire en carburants se fait par deux grands circuits. Le premier est officiel et est l’apanage des produits dérivés issus d’une part, de la Société de Raffinerie Ivoirienne (SIR) et d’autre part, des importations d’hydrocarbures semi-finis ou finis provenant de l’Europe. Le deuxième circuit est issu de la contrebande aussi nationale qu’international.

2-1-1. Le carburant issu du circuit officiel

La Côte d’Ivoire est un petit pays producteur de pétrole avec une production de 42 147 barils/jour. Cette production journalière ne cesse de décroitre au fil des années. Elle est de 19 435 barils/jour en 2019. Ainsi, pour faire face à la demande de produits pétroliers de plus en plus croissante, le pays importe de l’hydrocarbure (brut ou dérivés semi-finis) des pays africains producteurs de pétrole (le Nigeria, l’Angola etc.) et des Etats latino-américains comme le Venezuela. Ce pétrole brut ou semi-raffiné est destiné à l’hydrocraqueur de la SIR afin de le rendre en produit fini alimentant ainsi les stations-services à partir des terminaux de stockages que sont la GESTOCI, AOT et SHELL-Vridi. Les importations de dérivés pétroliers prêts à la consommation proviennent aussi de certains ports de pays européens comme les ports d’Amsterdam et de Rotterdam des Pays-Bas à destination des pays de l’Afrique de l’ouest dont la Côte d’Ivoire (tableau 1)

Tableau 1 : les statistiques de carburants importés des pays européens en Côte d’Ivoire

produits liquides importés (en tonnes)  2017  2018  2019  2020  TOTAL
Butane (GPL)189 37241 31500230 687
essence516 215473 465425 026649 2842 063 990
Gasoil516 942388 210256 76472 4621 234 378
Kérosène (jet)10 42600010 426
fuel oil005 23535 99841 233

Source : Direction Générale des Hydrocarbures (DGH-CI), 2021

Parmi ces produits pétroliers finis importés de l’Europe, le carburant le plus utilisé par les usagers, composé de l’essence et du gasoil, connaissent une chute dans leur importation au fil des années surtout le gasoil. Ce carburant enregistre une baisse drastique dans l’importation passant de 516 942 tonnes en 2017 à 72 462 tonnes en 2020 soit plus de 7 fois le tonnage importé. Les raisons expliquant ces faits se trouvent dans la décision étatique de la limitation d’âge des véhicules importés mais surtout dans la mauvaise qualité de ces produits importés qui contiennent des taux de souffre (SO2) élevés.

2-1-2. Le carburant de la contrebande

Le circuit de la contrebande est à la fois national et international. Le carburant provenant des terminaux pétroliers de la SIR et de la GESTOCI donc national connait un trafic clandestin de la part de certains agents des sociétés de stockage en complicité avec les routiers des camions citernes livrant ces cargaisons de dérivés pétroliers. En effet, après avoir rempli les citernes au- delà de sa capacité normale le surplus est nuitamment déporté par les conducteurs des camions citernes stationnés dans les parkings des terminaux pétroliers. Le carburant (essence ou gasoil) issu de ce trafic va subir des mélanges et sera par la suite transporté dans les bidons de 20 litres (photo 1) par toute sorte d’engins pour atterrir au « marché noir ».

Photo 1 : livraison de carburants de contrebande dans des bidons de 20 livres dans la commune de Treichville à Abidjan

Cliché photo, Ayenon, novembre 2020

Quant à la contrebande internationale, les produits pétroliers proviennent de la plupart du Nigéria. Il est l’un des principaux fournisseurs d’hydrocarbures de qualité douteuse. Cependant, ce carburant transite par le Benin, le Togo et le Ghana à l’Est ainsi que par la Guinée à l’Ouest pour atteindre la Côte d’Ivoire. Ce carburant, à la porte des frontières ivoiriennes passent par des voies terrestres, lagunaires et fluviales et se retrouvent sur des sites d’entreposage. Ces lieux de stockage et de vente de bidons de produits pétroliers de contrebande, qu’ils soient national ou international sont implantés dans presque dans toutes les capitales régionales du pays. Ce trafic est plus dense avec les implantations clandestines des lieux de vente dans toutes les communes d’Abidjan.

Ce carburant inonde le marché noir et est utilisé en majorité par les transports en commun tels que les taxis communaux et intercommunaux (wôrô-wôrô, les taxis compteurs etc.), les mini- cars appelés « Gbaka », les engins à deux roues de plus en plus utilisés ainsi que quelques véhicules personnels.

2-2-le carburant ivoirien, un carburant au-delà des normes internationales

Une panoplie de texte régit le secteur des hydrocarbures en Côte d’Ivoire. Cependant, ils restent pour la plupart obsolètes.

2-2-1. Des textes caducs régissant la qualité du carburant

La Côte d’Ivoire a axé sa politique sur l’importation du pétrole brut ou raffiné en raison de la faible production en hydrocarbures. Les produits pétroliers importés par le pays sont raffinés par sa puissante société de craquage, la SIR (Société Ivoirienne de Raffinage). Cette raffinerie

est l’entreprise industrielle la plus importante du pays mais également de toute l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Ce trafic de carburants hautement important pour l’autosuffisance en énergie fossile du pays s’adosse à des textes qui régissent son fonctionnement. Le code pétrolier élaboré en 1996 vient abroger les lois n° 70-489 du 3 août 1970, portant code minier et n° 92-962 du 23 décembre 1992 relative aux contrats pétroliers qui traitent de tous les aspects des hydrocarbures concernant la recherche au transport en passant par la production. Ces textes mentionnent en son article 25 des dispositions pratiques et règlementaires à l’importation de carburants de l’extérieur et la qualité qui leurs est liée. Ainsi, la Direction du Suivi et de la Réglementation des hydrocarbures est créée. Elle est chargée d’assurer le contrôle de conformité et la qualité des produits pétroliers et gaziers commercialisés sur le territoire national aux normes et spécifications en vigueur mais aussi de lutter contre la fraude. Par ailleurs, la qualité des produits pétroliers consommés en Côte d’Ivoire est définie par les spécifications prises par le décret n°65-203 du 17 juin 1965 fixant le taux de soufre dans le carburant à 1 500 ppm pour le super et à 8 000 ppm pour le gasoil. Cette spécification de 1965 est abrogée par le décret n°2013-220 du 22 mars 2013 portant spécifications des produits pétroliers et modifiant le décret n°2005-04 du 06 janvier 2005 fixant les spécifications des produits pétroliers portant la norme à 150 ppm alors que la teneur en soufre dans le carburant à l’international la fixe, à partir de 2009, à 10 ppm soit 15 fois cette teneur. La qualité des produits importés et/ou transformés ou ceux provenant du trafic clandestin sont loin de satisfaire aux normes internationales.

2-2-2. Un carburant aux « normes africaines » avec des taux d’impureté effroyables

Le carburant (l’essence et le gasoil) utilisé dans la plupart des pays africains contient des taux d’impureté (hydrocarbures Aromatiques Polycycliques : HAP, benzène, chlore etc.) et surtout du soufre dépassant les 5 000 ppm. Pourtant des normes de qualité sont recommandées par l’Association des Raffineurs Africains (ARA) (Tableau 2).

Tableau 2 : Spécification recommandée par l’ARA pour les carburants en Afrique subsaharienne

CarburantTeneur en soufre   (en ppm)AFRI-1AFRI-2   (2010)AFRI-3   (2015)AFRI-4   (2020)AFRI-5   (2030)
Essencesoufre1 00050030015050
Gasoilsoufre8 0003 5005005050

Source : ARA, 2016

Les spécifications recommandées par l’ARA pour le carburant en teneur de soufre en Afrique subsaharienne tournent autour de 150 ppm pour l’essence et 50 ppm pour le Gasoil à partir de 2020. Ces teneurs restent toujours obsolètes par rapport à la norme européenne et internationale définie par Organisation Internationale de Normalisation (ISO13032, 2012) qui depuis 2009 est passée à un taux de soufre de 10 ppm dans le carburant respectivement 15 à 5 fois le taux africain. Cependant, le carburant importés de certains pays européens vers l’Afrique particulièrement en Afrique de l’ouest contiennent souvent des taux élevés d’impureté. La Côte

d’Ivoire a décidé d’éliminer à partir de 2005, le plomb du super carburant et par la suite de réduire du soufre et du Benzène dans les carburants automobiles modifiant ainsi donc la spécification en cours depuis 1965 (Tableau 3).

Tableau 3 : Spécification de la teneur des impuretés en soufre et benzène dans les Carburants automobiles en Côte d’Ivoire

La réduction du taux du soufre a évolué depuis 1965 à nos jours pour atteindre des teneurs 10 fois moins élevé dans le super et un peu plus de deux fois dans le Gasoil en 48 ans. La teneur en Benzène dans le super reste à un niveau très élevé à 50 000 ppm. Cependant, la norme ivoirienne des spécifications affiche des taux de soufre et de benzène comparables à la norme des spécifications africaines. Le taux en soufre est respectivement de 500 ppm dans le carburant super et de 5 000 ppm dans le Gasoil à partir de 2005 à 2013 en Côte d’Ivoire pour 500 à 300 ppm et 3 500 à 500 entre 2010 et 2015 issu des spécifications de l’ARA.

Or la teneur en soufre est aujourd‘hui limitée en Europe à 10 mg/kg pour les carburants routiers (gazole, essence) et à 20 mg/kg pour le gazole non routier, ce qui dénote des textes caducs en matière de qualité des produits pétroliers consommés en Côte d’Ivoire. Le soufre contamine les systèmes de post-traitement des gaz d’échappement et réduit donc leur efficacité et leur durée de vie, d’où une émission importante de polluants.

2-3-le carburant ivoirien : une source importante d’émission

2-3-1. D’énormes rejets de gaz d’échappement dans l’atmosphère

La pollution automobile est causée par la qualité des carburants utilisés et l’état des véhicules. Ces carburants de qualité douteuse rejettent plusieurs types de polluant à partir de la combustion incomplète des moteurs des engins roulants et des usines utilisant des dérivés pétroliers. Les particules diverses sont entre autre le gaz carbonique (CO2), le monoxyde de carbone (CO), les oxydes d’azote (NOx), le dioxyde de soufre (SO2), le sulfure d’hydrogène (H2S) et les hydrocarbures imbrulés (HC).

Par ailleurs, dans les grandes artères d’Abidjan et particulièrement au grand carrefour de Marcory et celui de la Vie, des mesures de la qualité de l’air sont effectuées. Elles concernent les particules fines comme des Particule Metter (PM1, PM7, PM10 et PM 2.5), des composés organiques volatils (COV) et Particules Totales en Suspension (TSP) (tableau 4).

Tableau 4 : la mesure des particules fines et des COV rejetées par les gaz d’échappement dans les deux carrefours du Rond-point de Marcory et de la Vie aux heures de pointe à Abidjan

Source : données terrain, 2017

Les données recueillies dans ce tableau montrent de rejets allant de 1 à plus de 1300 µg/m3 aux heures de pointes aux heures de pointes dans les deux carrefours. Les cumuls de particules fines les plus élevés concernent les MP7 qui cumulent à 1050 µg/m3, les PM10 à 1180 µg/m3 et surtout les TSP à 1304 µg/m3. Elles sont mesurées au grand Carrefour de Marcory entre 18h10 et 20h10 à ces deux moments pointe de la journée. Les valeurs les moins élevées de ces particules fines sont mesurées au carrefour ‘La Vie’. Quant aux COV, les pics sont mesurés au carrefour de Marcory avec des valeurs allant de 3,9 à 4,8 µg/m3 aux heures de pointe précisément le matin à 8h10 à 4,8 µg/m3 et le soir à 18h10 à 3,9 µg/m3. Ces mesures sont largement au-delà des normes internationales (OMS) aux heures de pointes qui sont 25 µg/m3 de pour les particules fines et de 3 µg/m3 pour les COV et de la norme ivoirienne qui est de 100 µg/m3. Tout comme les particules fines, le carrefour ‘La Vie’ enregistre les valeurs de COV les plus faibles au cours des différents moments de prélèvement de la journée. Ces valeurs dénotent que la pollution atmosphérique liée aux particules fines et aux COV est plus accentuée au carrefour de Marcory situé sur le VGE qui est un tronçon de l’autoroute du Nord, donc enregistrant plus de circulation que le carrefour ‘La Vie’. Ainsi donc, les communes de la ville d’Abidjan enregistrent par endroit des pics de pollution selon l’intensité et la fréquence de la circulation. Cette situation de pollution atmosphérique croissante due aux rejets permanents de substances issues de la mauvaise qualité du carburant dépassant les normes internationales voire nationales expose la population abidjanaise à certaines maladies.

2-3-2. Des pics de pollution jamais égalés aux heures de pointe à Abidjan

La pollution atmosphérique a atteint des taux d’impureté élevés surtout celui du soufre. Le taux de soufre mesuré dans le carburant à Abidjan est plus de 300 fois à la norme européenne. Le taux est mesuré dans le carburant importé et/ou fabriqué respectant les normes africaines issues des spécifications de l’Associations des Raffineurs d’Afrique (ARA) et en particulier les spécifications ivoiriennes en vigueur pris par degré de l’année 2013. Ces carburants sont des sources permanentes de rejet de gaz d’échappement des automobiles dans l’atmosphère à Abidjan.

Le prélèvement des particules fines et des composés organiques volatils (COV) réalisé montre le niveau de pollution sur les grandes artères de la ville d’Abidjan. Il ressort des analyses effectuées dans les deux carrefours (La Vie et le Grand carrefour de Marcory) que le niveau de pollution de l’atmosphère par certaines PM (Particule Matter) (particule fine) comme PM 2.5 et PM 10 sont au-dessus des normes requises par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la France. Les résultats des particules fines sont interprétés sur la base des normes de l’OMS dont la limite d’émission est de 25 µg/m pour les PM10. Pour les TSP (Particules Totales en Suspension), la concentration admissible pour les poussières totales est de 100 mg/m 3 pour les PM 2.5 et de 50 µg/m3. Les pics de pollution sont observés dans les deux carrefours et atteignent 23 fois la norme OMS.

3- Discussion

La Côte d’Ivoire produit du pétrole mais de quantité insuffisante pour son autosuffisance en consommation de produits pétroliers. Ainsi, d’énormes tonnages de bruts, de dérivés pétroliers semi-finis et/ou finis sont importés de tous les continents, alimentant le marché ivoirien. Ces produits surtout le carburant approvisionnant le pays empruntent deux circuits, l’un officiel et l’autre clandestin (F. S. Ayenon, N. N. Kouakou, 2017, p. 24). L’augmentation du parc automobile du pays lui impose une hausse dans la consommation de carburant. En 2015, la ville d’Abidjan représentait à elle seule 53% du total du carburant consommé sur l’ensemble du territoire national (Ministère de l’Energie et du Pétrole, 2016, cité par J. Ebah et P. K. Anoh, 2019, p.310).

Par ailleurs, le carburant qui alimentent le marché ivoirien est régit par des textes de loi. De nombreux décrets encadrent le trafic et la commercialisation du carburant en Côte d’Ivoire. Cette panoplie de lois dont la dernière est le décret n°2013-220 du 22 mars 2013 fixant la teneur de soufre pouvant contenir dans le carburant à 150 ppm reste caduc en comparaison avec les normes internationales qui fixent depuis 2009 le taux de soufre dans le carburant à 10ppm. Cependant, la norme ivoirienne et généralement les spécifications africaines a connu une baisse jusqu’à 50 ppm du taux de soufre dans le gasoil.

La décision de ces pays ouest africains de réduire à moins de 50 ppm la teneur de soufre à partir de 2021 devrait avoir un impact significatif sur la qualité de l’air dans la région, car seulement 20 % environ des besoins en carburant de la sous-région sont raffinés localement, tandis que 80% sont importés (PNUE, 2020, p.3).

En dépit des spécifications citées ci-dessus, certains carburants importés de l’Europe vers les pays ouest africains ont toujours des taux en soufre supérieurs aux normes AFR-4. Le taux de soufre dans le carburant est 300 fois supérieur à la norme européenne en Afrique (rapport public eyes, 2016 cité par B. MAKOOI, 2018, p. 6). Or, le soufre est un composant naturel du pétrole brut. Il doit être éliminé durant le processus de raffinage, afin que les essences et le diesel répondent à la norme légale. Le soufre possède en effet la propriété de se combiner à l’oxygène pendant le processus de combustion dans le moteur (N. Atanassoff, M. Peelman, 2021, p.5).

Ces produits provenant de tous les circuits semblent de qualité douteuse parce que comprenant de nombreuses impureté surtout un taux de soufre très élevé. Ces carburants de piètre qualité, utilisés dans transport engendrent des conséquents néfastes pour l’environnement à travers des rejets des gaz d’échappement. La combustion génère du dioxyde de soufre (SO2), un gaz nocif, en partie à la base du ‘smog’ et des pluies acides. Si l’on réduit la teneur en soufre, les émissions de SO2 diminuent du double (N. Atanassoff, M. Peelman, 2021, p.6).

Le transport routier qui utilise des quantités importantes de carburant avec un parc automobile très vieillissant est l’une des sources de pollution. Il est clair que le transport routier est une source importante de pollution de l’air et d’émission de gaz à effet de serre (O. Godard, 2009, p. 3). Des véhicules produisant des bruits assourdissants, rejetant des gaz d’échappement de couleur noirâtre mêlée à de la poussière. C’est le quotidien des populations abidjanaises qui respirent 3000 tonnes de gaz carbonique par jour. (N. Koné, 2014, p.1). Par ailleurs, A. Garric (2014, p.1) montre également que le trafic routier est le premier responsable de la pollution dans les agglomérations. Selon G. Deletraz et E. Paul (1998, p.98) les substances émises par le trafic routier sont très nombreuses et constituent un véritable cocktail de polluants dans l’air.

Le rejet par les gaz d’échappement fait circuler dans l’air à Abidjan, et plus précisément à certains carrefours des grandes artères des quantités élevées de particules fines tel que les PM 2.5, PM7, PM10 et TSP qui atteignent souvent des pics de plus 1300 µg/m3 aux heures de pointes. Ces rejets concernent aussi les Composés Organiques Volatils (COV) cumulant de 3,9 à 4,8 µg/m3 un peu plus au-delà de la norme OMS qui est 3 µg/m3 (I. Kassi, F.S. Ayenon, T. A. Ouattara, 2018, p.198)

Conclusion

L’augmentation du parc automobile engendrée par l’étalement urbain à Abidjan pousse la population à parcourir plus de distance pour regagner leur de travail. Cette hausse des véhicules surtout d’occasion et la forte demande de ces dérivés pétroliers à Abidjan amène le pays à importer plus le carburant. Cependant, le pétrole raffiné et/ou les carburants importés qui entrent sur le territoire ivoirien contiennent 150 à 3 500 ppm de taux de soufre respectivement dans l’essence et le gasoil donc impropres au regard de la norme internationale. Par ailleurs, le pays enregistre une prolifération des carburants de contrebande ou clandestins de piètre qualité qui sont source de pollution atmosphérique en raison des nombreux rejets de substances toxiques par les automobiles utilisant ce carburant. L’Etat doit revoir ses textes législatifs et réglementaires pour mettre aux normes internationales le taux de souffre compris dans les carburants officiels et lutter efficacement contre le trafic pétrolier clandestin, pour un développement durable.

Références bibliographiques

  • AYENON Seka Fernand, KOUAKOU N’goran Norbert, 2021, « trafic nocturne clandestin du pétrole sur les lagunes Aby et Ebrié en Côte d’Ivoire : conséquences sur le commerce des produits pétroliers et l’environnement », revue de géographie du laboratoire leïd, Université Gaston Berger Sénégal, pp 2-34 ;
  • -BANQUE MONDIALE, 2011, Secteur de l’Energie Améliorer la gouvernance et l’efficience dans les sous-secteurs du pétrole, du gaz et de l’électricité, Un rapport de base pour l’étude : Un Agenda pour la Croissance Basée sur les Exportations et les Ressources Naturelles, public disclosure authorized, 47 p ;
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