Logique spatiale et profil sociodémographique des cireurs de la commune du Plateau (Abidjan, Côte d’Ivoire)

Résumé

La commune du Plateau est le principal centre administratif de la Côte d’Ivoire. Chaque jour ouvré, de nombreux travailleurs et demandeurs de services y convergent. Nonobstant son architecture imposante et un paysage urbain essentiellement composé de services de haut standing, de petites activités informelles dont le cirage de chaussures qui fait aussi partie intégrante de ce paysage. Avec la problématique de l’emploi en Côte d’Ivoire notamment dans les grands centres urbains comme Abidjan, une prolifération de petits métiers aux contours peu connus est observée. Dans ce contexte, l’activité de cirage au Plateau qui migre avec le temps vers le formel, mérite une meilleure connaissance à partir de l’analyse des logiques spatiales et du profil sociodémographique et économique des acteurs. La méthode combine entretien semi-structuré avec la Mairie, géolocalisation des points de cirage et questionnement direct des cireurs. Au nombre de 95, les points de cirage au Plateau sont concentrés autour des services administratifs de grande affluence. Exclusivement de sexe masculin, les cireurs sont principalement des nationaux (80%) en activité depuis plus dix ans (62%) avec un niveau d’étude secondaire (51,90%). Par ailleurs, il s’agit de célibataires (50,50%) de plus de 30 ans (76%) essentiellement chrétiens

(55,70%) et qui ont un revenu journalier moyen de 4 000 FCFA.

Mots-clés : Plateau, cireurs, localisation, sociodémographique, informel, emploi.

Abstract

The Plateau commune is the main administrative centre of Côte d’Ivoire. Every working day, many workers and service seekers converge there. Notwithstanding its imposing architecture and an urban landscape essentially made up of high-standard services, small informal activities such as shoe-shining who are also an integral part of this landscape. With the problem of employment in Côte d’Ivoire, particularly in large urban centres such as Abidjan, a proliferation of small trades with little known contours is observed. In this context, the waxing activity in Plateau, which is migrating towards the formal sector, deserves a better understanding based on the analysis of spatial logics and the socio-demographic and economic profile of the actors. The method combines a semi-structured interview with the Town Hall, geolocation of waxing points and direct questioning of waxers. There are 95 waxing points in the Plateau, concentrated around the busiest administrative services. Exclusively male, the waxers are mainly nationals (80%) who have been working for more than ten years (62%) and have a secondary education (51.90%). Furthermore, they are single (50.50%), over 30 years old (76%), mainly Christians (55.70%) and have an average daily income of 4,000 CFA francs.

Keywords: Plateau, shoeshine boys, location, socio-demographic, informal, employment.

Introduction

La question de l’emploi demeure une préoccupation importante à l’échelle mondiale. Cette question est plus alarmante en Afrique au point où en réaction aux Objectifs du Développement Durable (ODD) sur l’accès à des emplois décents pour les jeunes, l’Union Africaine l’a inscrite au cœur de son agenda 2063. Elle a été d’ailleurs le thème central du sommet Union africaine-Union européenne qui s’est tenu en novembre 2017 à Abidjan. Au plan national, le gouvernement a adopté « la politique nationale pour l’emploi ». En effet, selon (JP. Cling et al., 2007), l’emploi des jeunes n’est pas une nouvelle lubie pour la communauté internationale. Il correspond bien à un enjeu majeur pour le continent en général et la Côte d’Ivoire en particulier. La situation de l’emploi est assez problématique dans les grandes métropoles comme Abidjan où plus de la moitié de la jeunesse est au chômage où dans des emplois informels (I. Lefeuvre, 2017). Elle s’est accentuée ces dernières années avec les crises sociopolitiques. Les efforts consentis par les pouvoirs publics ne semblent pas venir à bout de la question au point où la Côte d’Ivoire est devenue un pays de départ massif des migrations vers l’Europe. Cependant, d’autres jeunes choisissent de s’insérer localement dans le secteur « informel ». L’informel apparait alors comme une panacée au chômage grandissant pour nombre de personnes à Abidjan (A. Diabagate et al., 2016). Ce secteur qui offre une palette large d’activités dont celle du cirage pratiquée dans la commune du Plateau, occupe 94% des jeunes de la ville d’Abidjan (INS, 2016). Cette commune comporte en effet, de nombreuses tours de bureaux, hôtes de ministères et de plusieurs entreprises. Elle rassemble la majeure partie des activités administratives et commerciales de la ville d’Abidjan. Son architecture varie entre modernisme et fonctionnalisme, pour la majorité des bâtiments.

À l’origine ambulants pour la plupart et sans véritable organisation, les cireurs sont aujourd’hui sédentaires avec des positions fixes. L’activité s’est modernisée grâce au soutien logistique de la Mairie qui a offert des boxes dédiés dont la répartition semble quadriller le périmètre communal. À l’activité traditionnelle de cirage des chaussures, des activités de vente de boisson et la cordonnerie ont été couplées. La présence quasi permanente des cireurs fait d’eux des éléments incontournables du paysage urbain (JF. Steck, 2006) de la commune du Plateau. En initiant cette recherche, l’objectif est d’analyser les logiques spatiales et déterminer le profil sociodémographique et économique des cireurs. La collecte de données se décline en un entretien semi-structuré avec la Mairie, une géolocalisation des points de cirage et un questionnement direct des cireurs. L’hypothèse principale est que la localisation des activités notamment celle du cirage de chaussures dans un centre administratif de grande importance comme le Plateau, ne peut résulter d’un processus aléatoire. Par ailleurs, si le cirage des chaussures apparait comme une alternative pour des jeunes en quête d’emploi, ces cireurs partagent nécessairement des caractéristiques sociodémographiques et économiques.

1. Méthodologie

La présente recherche une étude descriptive transversale réalisée sur une période de 2 mois de Février 2021 à Mars inclus. La collecte des données se décline en un entretien semi-structuré avec la Mairie, une géolocalisation des points de cirage et un questionnement direct des cireurs. Les cireurs inventoriés ont été localisés à partir de relevés de terrain, effectués en parcourant de manière séquentielle toutes les voies de communication de la commune du Plateau. Les coordonnées géographiques de chaque point de cirage (95 au total) ont été enregistrées à l’aide d’un GPS. La localisation des cireurs est ensuite mise en relation avec celle des services administratifs pour apprécier les logiques spatiales d’installation. Les résultats de cette analyse sont matérialisés par une carte de localisation et une carte de flux de la commune de résidence des cireurs vers le plateau. Sur une population cible de 95 cireurs, 79 ont effectivement pu être interrogés, soit un taux de collecte de 83,15%. Les données quantitatives issues de cette collecte sont consignées dans des tableaux statistiques ou traduites sous la forme de graphiques afin de dresser le profil sociodémographique et économique des cireurs.

2. Résultats

2-1. Les zones d’intenses activités administratives, lieu de concentration des cireurs

La Carte 1 présente une implantation des points de cirage sur l’ensemble du périmètre communal mais avec une forte densification dans la moitié est.

Carte 1 : Localisation des points de cirage dans la commune du Plateau

Source : INS, 2020                          Réalisation : Guelé et Kouassi (Mai, 2021)

La périphérie Ouest de la commune est essentiellement constituée de zones d’habitat et de services administratifs de haute importance où les flux de personnes entre le service et son environnement immédiat sont de faible intensité. Il s’agit de services publics constitutifs des symboles du siège de l’État notamment la Présidence, la Primature et les Affaires étrangères. En définitive, contrairement aux secteurs d’intense activité et de bouillonnement, les zones résidentielles dépourvues de services administratifs ne sont pas occupées par les cireurs. Les cireurs semblent alors se concentrer en des points où les flux de travailleurs et usagers des services (clients potentiels) sont de grande intensité.

Photo : Vue d’un point de cirage devant un service administratif

Cliché : Guelé (Mai, 2021)

La concentration des cireurs est à juste titre perceptible dans le secteur des tours administratives situées au nord du Plateau. Il s’agit d’une bande qui regorge de grands services (finances, fonction publique, banque, écoles etc.). Par ailleurs, le boulevard lagunaire et les différentes rues du commerce de la partie sud du Plateau sont des positions préférentielles pour les cireurs. Dans cette zone, sont en effet, implantées de grandes structures privées (banque, assurance, commerce, hôtels, pharmacie, restaurants etc) et publiques (douane, police etc). Elle est aussi et surtout une porte d’entrée au Plateau de plusieurs travailleurs en provenance des communes d’Abobo, Yopougon et Attecoubé d’où viennent aussi les cireurs (Carte 2).

Carte 2 : Flux des cireurs de la Commune de résidence vers le Plateau

Source : BNETD, 2014                                                               Réalisation : Guelé et Kouassi (Mai, 2021)

La quête de l’emploi ou la recherche du mieux-être incite certains jeunes à migrer chaque jour de leur zone d’habitation vers des zones susceptibles d’offrir un emploi. C’est le cas des cireurs qui se déplacent quotidiennement de leur quartier d’habitation vers le Plateau pour y exercer leur métier. Abobo est la commune la plus pourvoyeuse de cireurs suivie de Yopougon. Ce sont les deux communes d’Abidjan les plus peuplées où naturellement, avec une forte proportion de jeunes, la question de l’emploi peut paraitre logiquement plus préoccupante. Les jeunes habitant le Plateau sont quasi absents dans le métier de cireur. En effet, le Plateau est assez spécifique dans le paysage urbain national avec une fonction administrative plus marquée que la fonction résidentielle. Les communes du Sud d’Abidjan dispose de moins de jeunes cireurs exerçant au Plateau.

2-2. Profil sociodémographique des cireurs

2-2-1. Une ancienneté dans le métier de cireur signe d’un manque d’opportunités en milieu urbain abidjanais

Les cireurs qui sont en exercice depuis plus d’une décennie sont en prépondérance avec 62% (Tableau 1).

Tableau1 : Répartition des cireurs selon l’ancienneté dans l’activité

NB% cit
0-4 ans1721,5%
5-9 ans1316,5%
10-14 ans2126,6%
15 ans et +2835,4%
79100%
Source: Nos enquêtes, 2021

La pérennité de la pratique du cirage peut être perçue comme révélateur d’une activité économique véritable pour les acteurs mais elle pourrait aussi montrer également le manque d’opportunité d’emploi en milieu urbain. Cette tendance se confirme dans la mesure où 82,30% des cireurs n’ont aucune autre activité à part le cirage au Plateau. Dans cet intervalle, la proportion des cireurs totalisant plus de 15 ans de métier (35,4%) au Plateau est significative.

2-2-2. Le cirage, un métier aux mains de personnes adultes de plus de 30 ans

Les cireurs âgés de 30 ans et + sont en nette prédominance avec une proportion de 76% environ (Tableau 2).

Tableau 2 : Répartition des cireurs du Plateau selon l’âge

Age de la personne interrogéeNB% Cit
Moins de 20 ans11,3%
20 à 29 ans1822,8%
30 à 39 ans3139,2%
40 ans et +2936,7%
Total79100,0%

Source : Nos enquêtes, 2021

Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que la recherche d’emploi semble beaucoup plus accentuée après 30 ans alors que les personnes ayant un âge inférieur à 30 peuvent être inscrites dans des cycles de formation académique ou qualifiante. On relève aussi que la situation de l’emploi se pose déjà à partir de 20 ans avec une présence significative des cireurs (22%,8%) dont l’âge est compris entre 20 et 29 ans.

2-2-3. Les cireurs en majorité ivoiriens

Avec une proportion avoisinant 80%, les cireurs de nationalité ivoirienne sont les plus nombreux. Les étrangers qui représentent 20% sont composés essentiellement de maliens (43,75%), de burkinabè et de guinéens (25% chacun). En ce qui concerne les nationaux, la population étudiée est constituée d’ethnies couvrant les grandes zones géographiques du territoire (Figure 3).

Figure : Répartition ethnique des cireurs de nationalité ivoirienne : les Baoulés en première ligne.

Source : Nos enquêtes, 2021

Parmi les nationaux, les Baoulé (14,29%) et les Senoufo (12,70%), se distinguent assez nettement. Les Guéré et les Bété viennent à leur suite avec une proportion de 9,52% chacun. Les autres ethnies sont en proportion marginale (globalement moins de 5%). Quant aux étrangers, ils sont exclusivement issus de l’espace CEDEAO.

2-2-4. Les cireurs du Plateau à majorité d’un niveau d’étude secondaire

Le tableau 3 indique que les cireurs ayant le niveau secondaire sont majoritaires avec 51,90%. Ceux qui n’ont fait que le cycle primaire suivent avec 31,60%. Les cireurs non scolarisés occupent une proportion non négligeable de 10,10% quand le niveau coranique (5,10%) et surtout supérieur (1,30%) sont en proportion extrêmement faible.

Tableau 3 : Répartition des cireurs selon le niveau d’étude

Source : Nos enquêtes, 2021

Ces résultats semblent s’inscrire dans les tendances nationales établissant un nombre de personnes de plus en plus faible au fur et à mesure que le niveau d’étude est élevé et une proportion importante de personnes non alphabétisées (INS, 2019) d’où la politique de scolarisation obligatoire au primaire.

2-2-5. L’activité de cirage au Plateau, un milieu où domine le christianisme

Le Tableau 4 montre que le christianisme (55,70%) est de loin, la religion dominante de la population investiguée. L’islam vient en seconde position avec 36,70%. Les autres croyances sont en proportions marginales.

Tableau  4 : Répartition des cireurs du plateau selon la religion

Quelle est votre religion ?NB% Cit
Christianisme4455,7%
Islam2936,7%
Animisme56,3%
Autre11,3%
Total79100,0%

Source : Nos enquêtes, 2021

Ce résultat s’apparente aux statistiques enregistrées à l’échelle nationale où ces deux religions monothéistes importées sont prépondérantes dans les croyances religieuses en Côte d’Ivoire.

2-2-6. Des cireurs à moitié célibataires

Il ressort du Tableau 5 que les célibataires sont en plus grande proportion avec 50,60%. Ensuite viennent, les mariés (29,10%) et enfin les personnes en union libre (20,30%). Par ailleurs, tous les cireurs sont de sexe masculin. Ces résultats s’apparentent plus ou moins à ceux enregistrés au dernier recensement général de la population (RGPH, 2014) avec 47% de célibataires, 38% de mariés, 11% d’union libre.

Tableau 5: Répartition des cireurs selon la situation matrimoniale

 Quelle est votre situation matrimoniale ? NB% cit.
Marié2329,1%
Célibataire4050,6%
Union libre1620,3%
Veuf/Veuve00,0%
Divorcé00,0%
Total79100,0%

Source : Nos enquêtes, 2021

2-3. Profil socioéconomique des cireurs

2-3-1. Une corrélation entre revenu et ancienneté dans l’activité

Le Tableau 6 fait apparaitre une croissance des effectifs au fur et à mesure que le revenu croit de même que le temps passé dans l’activité.

Tableau 6 : Répartition du revenu journalier suivant l’ancienneté dans l’activité

Revenu selon ancienneté dans l’activité

 0-4 ans5-9 ans10-14 ans15 ans et +Total
100F à 2000F11002
2000 à 3000F21069
3000 à 4000F5771130
4000F et +94141138
Total1713212879

Source : Nos enquêtes, 2021

Dans cette croissance continue, les cireurs qui ont un revenu journalier supérieur à 3 000 F CFA ont une très large prédominance avec 86%. Dans cette tranche, ceux qui ont un revenu de 4000 F CFA soit 48,1% des enquêtés sont les plus nombreux. De même, les effectifs sont plus importants au fil de la durée dans l’activité. En effet, avec le temps, il se tisse des affinités qui contribuent à la fixation de la clientèle.

2-3-2. Les cireurs pour la plupart locataires dans des quartiers populaires d’Abidjan

Les cireurs en location sont en nette majorité dans l’échantillon avec 78,50% contre 21,50% qui résident dans des concessions. Le Tableau 7 met en évidence la prédominance des loyers compris entre 21 000 FCFA et 40 000 FCFA. Les loyers inférieurs à 20 000 FCFA viennent ensuite avec 29% et enfin ceux qui sont supérieurs avec 11,30%.

Tableau 7: Répartition des cireurs selon le loyer

 Montant du loyer (F CFA) NB% cit.
5 000-20 0001829,0%
21 000-40 0003759,7%
Plus de 40 000711,3%
Total62100,0%

Source : Nos enquêtes, 2021

2-3-3. Les cireurs, des responsables familiaux avec des enfants scolarisés

En ce qui concerne les charges liées à l’éducation, les cireurs qui scolarisent moins de 3 enfants ont une nette prédominance avec 83,50%. À l’extrême opposé, ceux qui en scolarisent plus de 4 représentent moins de 4% (Tableau 7).

Tableau 7 : Répartition des cireurs selon le nombre de personnes scolarisées

Quel est le nombre de personnes scolarisées? NB% cit.
1-26683,5%
3-41012,7%
Plus de 433,8%
Total79100,0%

Source : Nos enquêtes, 2021

Avec la politique de l’école obligatoire en Côte d’Ivoire dont le but est la scolarisation à 100%, tous les enfants des cireurs qui ont l’âge requis, se retrouvent dans le système éducatif. Ils arrivent, tant bien que mal, avec leur revenu, à subvenir aux charges scolaires de leurs enfants.

3. Discussion

La problématique de l’insertion professionnelle en milieu urbain demeure une préoccupation importante à l’échelle mondiale. La Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (2016), estime que l’intégration des jeunes dans le marché du travail avec des emplois acceptables et productifs reste un important défi sur le continent africain. En dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics, l’accès à l’emploi reste limité. Aussi, dans un contexte de paupérisation croissante des populations, les adolescents et jeunes saisissent-ils les opportunités d’occupation que leur offre le secteur qualifié d’informel, qui constitue aujourd’hui un véritable pourvoyeur d’activités économiques (B. Gourmelen et al., 2011). Au nombre de ces activités, figure notamment le cirage de chaussures qui ne nécessite à priori pas de formation spécifique de base. Pour le journal Le Monde (2006), le cirage perçu comme une activité informelle, est pourtant la seule solution alternative des jeunes garçons boliviens pour remédier au chômage, qui touche officiellement 10 % de la population nationale. Les logiques spatiales mais aussi les profils sociodémographiques et économiques des acteurs de ce domaine d’activité, constituent un sujet très faiblement abordé par les chercheurs. Les rares documents disponibles sur cette question se présentent globalement sous la forme de coupures de journaux dont les articles sont axés sur la contribution des activités du secteur qualifié d’informel dans les économies locales. Malgré des angles d’approche divers, les résultats de cette étude sur les cireurs du Plateau à Abidjan, peuvent être mis en rapport avec ceux d’autres écrits.

La géolocalisation des cireurs a fait ressortir des zones préférentielles constituées autour des services administratifs de forte concentration humaine avec des flux de personnes assez importants. En revanche, les secteurs résidentiels sont dépourvus de points de cirage. Il en ressort une recherche de proximité des densités de population constituant une forte clientèle potentielle. Cette logique spatiale est aussi observée dans la capitale Bolivienne (La Paz) où les lieux de forte affluence humaine sont privilégiés. Ainsi, les cireurs se localisent-ils dans les rues escarpées du centre-ville, à la sortie des magasins, dans les marchés, sur des boulevards ou devant des églises (Le Monde, 2006). Dans la région parisienne, les cireurs sont concentrés dans les quatre grands centres commerciaux (La Dépêche, 2021). La situation de Conakry est singulière en ce sens que les cireurs sont fixes et aussi ambulants (le Podcast journal, 2018). Les cireurs du Plateau et les cordonniers de Brazzaville étudié par B Mengho en 1998, ont une similitude dans la localisation aux angles des rues sauf que ceux du Plateau disposent d’équipements dédiés offrant un meilleur confort aux clients.

En ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques des acteurs, B. Gourmelen et al. (2011) révèlent que les petits métiers dans la ville africaine sont occupés au 2/3 par les femmes. Ces résultats sont contraires aux nôtres qui montrent que le domaine du cirage au Plateau est essentiellement occupé par les hommes. Par ailleurs, à propos des petits métiers et chômage déguisé en milieu urbain, (BM. Mengho, 2018) montre que les enquêtés notamment les porteurs d’eau ont à 43,3% moins de 20 ans et que 56,7% d’entre eux se situent entre 20 et 25 ans. Ces résultats sont proches de ceux obtenus avec les cordonniers de la rue où 55,6% sont âgés de 20 à 25 ans. Cette étude bien que révélatrice de la question de l’emploi décent avant 30 ans est contraire à nos résultats qui soulignent une forte concentration des cireurs dans la tranche d’âge de plus de 30 ans. Dans le cas de Conakry, les cireurs sont des adolescents peuhls déscolarisés âgés de 9 à 17 ans, venus des zones rurales du «Foutah » notamment dans les préfectures de Gaoual, Télimélé et Mamou comme épicentres (Slate Afrique, 2018). Au niveau de la nationalité des acteurs, si les cordonniers de Brazzaville, selon cette étude, sont essentiellement des étrangers, ce n’est pas le cas à Abidjan, où notre étude indique une nette domination des nationaux. Ces différentes études montrent, tout comme la nôtre, que les secteurs informels sont occupés à majorité par les célibataires suivis des mariés et de ceux en union libre.

Au plan socio-économique, 71% des jeunes en Afrique subsaharienne vit avec moins de deux dollars soit moins de 1 000 F CFA par jour (G. Kararach et al., 2011). Pour ceux d’entre eux qui exercent de petits métiers, la réalité est toute différente au regard de leurs revenus qui ne sont pas aussi négligeables (B. Gourmelen et al., 2011). Notre étude rejoint ces auteurs car les cireurs du Plateau (68%) ont un revenu journalier moyen de 4 000 FCFA soit 7,28 dollars USD. Dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de 60.000 F CFA/mois soit 109,23 dollars USD, la situation des cireurs du Plateau parait acceptable. En Bolivie, un cireur gagne en moyenne 20 bolivianos par jour soit 2,5 dollars. Si cette somme parait insuffisante, elle est toutefois supérieure au salaire de 64 % des Boliviens qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté fixé à moins de 2 dollars par jour (Le Monde, 2006). À Conakry, les cireurs gagnent en moyenne par jour 25 000 francs guinéens soit 2,53 dollars USD. Avec ces revenus, ils contribuent aux charges familiales dans leurs zones d’origine (le Podcast journal, 2018). Par ailleurs, 66% des cireurs du Plateau ont à charge 1 à 2 enfants alors que seulement 13,9% des cordonniers de Brazzaville ont 1 enfant à charge. En ce qui concerne le statut d’occupation du logement, il ressort une prédominance des acteurs de petits métiers enquêtés à Brazzaville qui résident en famille ou chez des amis ; ce qui n’est pas le cas chez les cireurs du Plateau qui privilégient l’individualité en louant des maisons dont les loyers moyens de 30 000 FCFA/mois sont bien supérieurs à ceux de Brazzaville. À Conakry, les cireurs logent chez des parents, des amis ou squattent dans des écoles ou le hall des immeubles en accord avec les gardiens

Conclusion

Les cireurs de la commune du Plateau se concentrent préférentiellement autour des services administratifs de grande affluence. Dans l’ensemble, ces cireurs qui résident en grande partie dans l’Ouest d’Abidjan, partagent des caractéristiques sociodémographiques et économiques. Il s’agit de nationaux (principalement Baoulé et Senoufo) de plus de 30 ans, célibataires, chrétiens et de niveau d’étude secondaire. Sur le plan économique, leur revenu journalier moyen de 4 000 F CFA est positivement corrélé à l’ancienneté dans l’activité. Ce revenu leur permet de gérer des ménages de 4 personnes en moyenne dont 2 scolarisées. Le cirage apparait alors comme une véritable activité économique. Mais au regard des difficultés relevées par les cireurs, l’action de la Mairie dans le sens de la modernisation de l’activité doit être soutenue en permanence pour en faire un véritable outil de lutte contre le chômage et la précarité de l’emploi chez les jeunes dans la ville d’Abidjan.

Références bibliographiques

  • CLING JP., GUBERT F., NORDMAN CJ., ROBILLARD AS., 2007, Youth and Labour Markets in Africa. A Critical Review of Literature, DIAL working paper.
  • DIABAGATE  A.,  KOUAKOU  DB.,  GOGBE  T.,  ATTA  K.,  COULIBALY  SA.,  2016,
  • Impacts des activités informelles sur le tronçon Agban-Carrefour Zoo à Abidjan (Côte d’Ivoire) », Revue des Sciences Sociales du Pasres, pp61-77.
  • LEFEUVRE I., ROUBAUD F., TORELLIC. And ZANUSO C., 2017, « Insertion des jeunes sur le marché du travail en Côte d’Ivoire. La bombe à retardement est-elle dégoupillée ? » Afrique Contemporaine 3-4 N° 263-264, pp. 233-237.
  • Institut National de la Statistique (INS), 2016, Enquête nationale sur la situation de l’emploi et le secteur informel. Rapport descriptif sur la situation de l’emploi, Tome 1.
  • Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, 2016, Le défi du chômage des jeunes en Afrique, Document hors-série n° 26.
  • GOURMELEN B., LE ROUX JM., 2011, « Petits métiers pour grands services dans la ville africaine », Afrique Contemporaine n° 238, pp 145-155.
  • MENGHO Bertrand M, 2018, « Petits métiers et chômage déguisé en milieu urbain. Analyse de quelques cas à Brazzaville (Congo) », In Cahiers d’outre-mer. n° 201- 51e année, pp 89-98.
  • KARARACH G., KOBENA TH., LÉAUTIER FA., 2011, « Régional intégration politicies to support job création for africa’s burgeaning youth population», Word journal of entrepreneurship, management and sustainable development, 7(2/3/4).

Webographie



Auteur(s)

Gué Pierre GUELE

Université Jean Lorougnon GUEDE

peterguele@yahoo.fr

Kouamé Armand KOUASSI,

Université Peleforo GON COULIBALY

armand.koissy@gmail.com


Droit d’auteur

EDUCI

Regardsuds; Deuxième numero, Septembre 2021 ISSN-2414-4150

Plus de publications
Plus de publications