Pratique du commerce informel et dégradation de l’environnement urbain de Tiebissou (Centre de la Côte d’Ivoire)

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Pratique du commerce informel et dégradation de l’environnement urbain de Tiebissou (Centre de la Côte d’Ivoire)

Yao Valère KRAMO, Université Alassane Ouattara, valerekramo@gmail.com

Résumé

Le manque d’emploi inhérent aux stratégies de développement socio-économique oblige les populations à pratiquer du commerce informel dont l’expansion occasionne des risques sanitaires induits par une dégradation de l’environnement. Cette contribue envisage de déceler les impacts sanitaires et environnementaux qui résultent de la pratique du commerce informel dans la ville de Tiébissou. L’atteinte de cet objectif a nécessité le recours à une méthodologie articulée autour d’une recherche documentaire, de l’inventaire et d’une observation directe. A cela s’ajoutent un questionnaire adressé à 133 commerçants informels et des entretiens réalisés avec 30 personnes riveraines des sites marchands. L’entretien s’est également déroulé avec le directeur des services techniques de la mairie de Tiébissou, la directrice départementale des infrastructures et économiques, le directeur départemental de la construction et de l’urbanisme de Tiébissou.

Les résultats révèlent que les praticiens du commerce informel de la ville de Tiébissou exercent leurs activités à l’échelle des gares et des artères principales de la ville. Le déroulement de l’activité entraîne une occupation des trottoirs, une obstruction des routes et un encombrement des gares. Les déchets liquides produits sont rejetés à 56% dans les rues, à 44% à travers les caniveaux et à 1% à partir des fosses septiques. Les ordures sont évacuées à 70% dans les rues et à 30% dans les caniveaux. Cette situation occasionne l’abondance des déchets (78%), des difficultés de circulation (17%) et une émission de bruits (5%). Il en résulte une émergence de maladies (34%), un engorgement des caniveaux (25%), une pollution de l’air (25%) et une insalubrité (20%).

Mots clés : commerce informel, dégradation environnementale, risques sanitaires, ville de Tiébissou

Pratical of waste from informal trade and degradation of the urban environment of Tiebissou (central Côte d’Ivoire)

Abstract

The lack of employment inherent in socio-economic development strategies forces populations to practice informal trade, the expansion of which causes health risks induced by environmental degradation. This contribution aims to detect the health and environmental impacts resulting from the practice of informal commerce in the city of Tiébissou. Achieving this objective required the use of a methodology based on documentary research, inventory and direct observation. Added to this is a questionnaire sent to 133 informal traders and interviews carried out with 30 people living near the trading sites. The interview also took place with the director of technical services of the town hall of Tiébissou, the departmental director of infrastructure and economics, the departmental director of construction and town planning of Tiébissou. The results reveal that informal trade practitioners in the city of Tiébissou carry out their activities at the scale of stations and main arteries. The progress of the activity leads to the occupation of sidewalks, obstruction of roads and congestion at stations. 56% of the liquid waste produced is discharged into the streets, 44% through gutters and 1% from septic tanks. 70% of garbage is disposed of in the streets and 30% in the gutters. This situation causes an abundance of waste (78%), traffic difficulties (17%) and noise emissions (5%). This results in the emergence of diseases (34%), clogging of gutters (25%), air pollution (25%) and unsanitary conditions (20%).

Keywords: informal trade, environmental degradation, health risks, town of Tiébissou

Introduction

L’urbanisation est un processus de transformation sur l’organisation et la structuration de l’espace soutenu par l’extension des terrains urbains, l’augmentation de la population et le développement d’activités économiques (W KOUKOUGNON, 2012 p.12). La Côte d’Ivoire, pays de l’Afrique occidentale, connait une urbanisation accélérée. Ainsi, de 12,7% en 1960, le taux d’urbanisation est passé successivement à 32 % en 1975, à 39 % en 1988, à 43 % en 1998 et à 49,7 % en 2014 et a atteint 57 % en 2020. En 2021, le taux d’urbanisation est estimé à 52,5% (INS, 1975, 1988, 1998, 2014, 2021). Cette dynamique urbaine dominée par l’émigration rurale s’accompagne d’une inadéquation entre les emplois disponibles et le volume d’une population de plus en plus croissant. Ainsi, face à la démographique galopante, le nombre de demandes d’emplois ne cesse de croître. Pour faire face à ces nombreuses demandes, il s’observe un foisonnement d’activités génératrices de revenus initiés pour la plupart dans l’inobservance des normes préétablies. A l’image des villes secondaires, Tiébissou connaît un écosystème urbain similaire. Elle est une ville carrefour par laquelle transite les productions, les populations et articles divers en direction des autres villes de la Côte d’Ivoire et vers les autres pays frontaliers. En outre, la ville de Tiébissou dispose d’une panoplie d’activités et d’une population hétérogène. Ayant été la seconde grande cité ivoirienne à être tombée aux mains des « forces républicaines », ex-forces nouvelles, durant la crise socio-politique de 2010 à 2011, Tiébissou va souffrir des affres de cette crise, avec la destruction de son système économique, de son paysage urbain, d’une destruction de ses bassins d’emplois formels. La crise socio-politique a eu un véritable impact sur la population et le paysage urbain ralentissant ainsi son développement. Le tissu socio-économique local a été désarticulé. Mais, après, la ville de Tiébissou renoue avec le développement laissant malheureusement une partie de sa population dans une précarité sans précédent.

En dépit de la mise en place d’une promotion d’emplois locaux par la municipalité et le Conseil Régional d’une part et d’autre part par l’Agence Nationale d’Emplois Jeunes, on observe un foisonnement d’activités commerciales informelles à l’échelle du territoire urbain de Tiébissou. Les déchets issus de ces activités contribuent à l’insalubrité, à la dégradation de l’environnement urbain et à l’émergence de risques sanitaires à Tiébissou. Il se pose alors le problème des risques sanitaires induits par la dégradation environnementale issue de la prolifération des activités commerciales informelles. Ainsi, comment l’essor des activités du commerce informel contribuent-elles à l’émergence des risques sanitaires consécutifs à la dégradation de l’environnement urbain Tiébissou ?

Cette contribution met en relief les territoires professionnels des acteurs du commerce informel. Elle indique également les risques sanitaires qui résultent de la dégradation du paysage urbain de Tiébissou du fait de la gestion défectueuse des déchets issus des activités informelles. La recherche réalisée dans ce contexte repose sur l’hypothèse selon laquelle l’essor du commerce informel dégrade l’environnement urbain de Tiébissou.

1.  Matériels et méthodes

Les matériels et méthodes retenus dans le cadre de cette recherche s’articulent autour de la présentation de la ville de Tiébissou et aux techniques de collecte de données.

1.1  Présentation de la ville de Tiébissou et approche conceptuelle

Tiébissou est une ville située au centre de la Côte d’Ivoire dans la région du Bélier. Chef-lieu de département, la ville de Tiébissou est comprise entre 7°9’47 » de latitude Nord et 5°13’14 » de longitude Ouest (figure 1). Elle couvre une superficie de 934 kilomètres carrés. La ville de Tiébissou se trouve dans la zone de transition forêt-savane au centre de la Côte d’Ivoire. Ancienne zone de production du café et du cacao, Tiébissou est une localité carrefour traversée par des routes nationales notamment la nationale A 3 qui relie ladite ville à Bouaké (second pôle urbain démographique et industriel national) et à Yamoussoukro (capitale politique du pays depuis 1983). La ville de Tiébissou est également connectée à la ville de Sakassou (au Sud) et à la ville de Didiévi (au Nord-Est) par des réseaux routiers à la fois linéaires et ramifiés.

Figure 1 : Localisation de la ville de Tiébissou

Source : BNETD, 2011    Réalisation : KRAMO Y. Valère, 2024

Figure 2 : Interaction systémique de la contribution du commerce informel à la dégradation de l’environnement urbain Source : KRAMO Yao Valère, 2024

De cette figure, il ressort que l’essor du commerce informel découle de l’insuffisance d’emplois induite par une population urbaine nombreuse consécutive à l’exode rural. Le tissu industriel demeure embryonnaire et incapable d’absorber le flux de plus en plus important des jeunes diplômés dont le parcours de formation se trouve en inadéquation avec le marché de l’emploi. Les territoires urbains sont alors confrontés à un volume de plus en plus élevé de population. Face à la crise de l’emploi en milieu urbain et dans l’impossibilité de retourner en zone rurale où prévalent des difficultés d’accès au foncier, les populations diversifient leurs activités vers le commerce informel. L’essor cette activité s’accompagne d’une occupation anarchique du territoire urbain. Le cadre de vie s’en trouve alors dégradé. La gestion défectueuse des déchets issus de ladite activité accentue davantage la dégradation de l’environnement urbain. Les marqueurs spatiaux de la dégradation environnementale se traduisent par les dépôts sauvages d’ordures, l’évacuation des déchets solides à travers les caniveaux et les rues. Les eaux stagnantes se multiplient occasionnent de multiples facteurs de risques sanitaires.

1.2  Technique de collecte et de traitement des données

Dans le cadre de cette recherche, les techniques de collecte de données ont été fondées sur la recherche documentaire, l’observation de terrain, l’inventaire, l’enquête par entretien et par questionnaire. La recherche documentaire a consisté à bâtir une revue de littérature articulée autour des incidences variées de l’essor des activités informelles. Les ouvrages parcourus ont mis l’accent sur les implications socio-économiques des activités informelles. Cependant, la question de la dégradation environnementale due à la pratique desdites activités n’a été abordée que de manière peu significative.

L’observation directe qui s’est déroulée de février à Juin 2024 a permis d’inventorier les acteurs du commerce informel à l’échelle de la ville de Tiébissou. Elle a également favorisé l’identification des territoires professionnels des praticiens du commerce informel. Au cours de cette observation directe, les conditions de travail, les sites de dépôts anarchiques d’ordures, les modes de gestion des déchets liquides et solides de l’activité commerciale informelle dans la ville de Tiébissou ont été enregistrés grâce à une variété d’outils. Ainsi, à l’aide d’un bloc- notes, le mode d’occupation, le statut (privé, public) du site d’exercice de l’activité ont été enregistrés. Un appareil de photographie numérique a été également utilisé pour réaliser les prises de vue au format JPEG.

Par ailleurs, des entretiens ont été effectués avec le Directeur des Services Techniques de la Mairie de Tiébissou. Il a évoqué l’ampleur du phénomène des vendeurs ambulants et sédentaires à Tiébissou ainsi que l’occupation anarchique de l’espace urbain par les acteurs du commerce informel sans oublier les zones de prédilection pour comprendre la part du commerce informel dans l’économie urbaine de Tiébissou.

La directrice départementale des infrastructures et économiques de Tiébissou a mis en avant le nombre de place occupé dans le marché et l’évolution du commerce informel à l’échelle de ladite ville.

Le directeur départemental de la construction et de l’urbanisme de Tiébissou a été sollicité sur la longueur des routes bitumées et non-bitumées, le niveau de couverture de la ville de Tiébissou en ouvrages collectifs d’assainissement.

1.3  Le choix des quartiers enquêtés et la taille de l’échantillon d’enquête

Le choix des quartiers s’est fait de manière raisonnée. En référence à la pratique significative des activités commerciales et les effets environnementaux subséquents, six quartiers ont été choisis pour conduire cette étude. Il s’agit Sanganko, Sokoura, Faboukro, Baoulekro, Baoulekro Bel-Horizon et Résidentiel. Le tableau 1 présente une répartition de l’effectif des acteurs du commerce informel interrogé selon les quartiers investigués.

Tableau 1 : Répartition des commerçants informels interrogés par quartier

Source : Enquêtes personnelles, 2024

Compte tenu de l’inexistence de bases de données, la technique du choix raisonné a été adoptée. De ce fait, 133 commerçants dont 76 de genre féminin et 57 de genre masculin ont été interrogés en tenant compte de l’ampleur de l’activité commerciale dans les quartiers. Toutefois, pour évaluer les incidences environnementales et les risques sanitaires subséquents, 30 riverains des territoires ont été interrogés. Le traitement numérique de l’information a été réalisé à l’aide des logiciels Excel et IBM Spss Statistic 20. Ces applications ont servi à l’élaboration des opérations mathématiques et à générer des illustrations graphiques relatives au travail de recherche. Le traitement cartographique des informations, le logiciel cartographique Qgis 2.18 et 3.16 a été utilisé. Le tableur Word a permis de finaliser le travail par le traitement de texte.

2.  Résultats et discussions

2.1  Résultats

Les résultats de cette recherche portent sur les sites d’exercice de l’activité informelle marchande, les modes de gestion des déchets solides et liquides issus du commerce informel. Ils mettent également en évidence les incidences environnementales et les risques sanitaires induits par l’essor du commerce informel à l’échelle de la ville de Tiébissou.

2.1.1  Des gares routières assimilées à des territoires professionnels des acteurs du commerce informel

Le marché de Tiébissou, principal site des activités commerciales abrite 500 places. Cependant, certains acteurs du commerce informel occupent des sites réservés à des activités de transport.. À Tiébissou, il existe plusieurs gares à savoir la gare de Sakassou à Faboukro, la gare de Yamoussoukro à Sokoura, la gare de Bouaké au Résidentiel, la gare de Didievi au Résidentiel et la gare routière constituée de plusieurs compagnies (UTB, CTE, TSR, MASSA, MOLO- MOLO). Ces gares enregistrent une intégration des activités commerciales à leur espace. Les photos 1 et 2 présentent l’état du commerce dans les gares.

Photo 1 : Le commerce de la gare UTB                    Photo 2 : La présence des marchands

localisés à la gare CTE

Prise de vue : KRAMO Valère, 2024           Prise de vue : KRAMO Valère, 2024

À travers les photos 1 et 2, il est donné de constater la présence des marchands à l’entrée et à l’intérieur des gares. Ils présentent et vendent leurs produits aux voyageurs intéressés qui sont des clients potentiels. Certains sont des marchands sédentaires et d’autres sont ambulants.

2.1.2  Des rues transformées en espaces marchands

Dans la ville de Tiébissou, le marché central et les autres marchés hebdomadaires ne sont plus les seuls lieux appropriés pour accueillir les acteurs et les clients dans le cadre de l’offre et la demande. Le réseau viaire, les carrefours deviennent pour eux l’espace idéal pour les échanges avec sans aucune procédure. Cela favorise une pluralité d’activités qui se greffent donnant l’apparence d’un marché (planche photographique 1).

Planche photographique 1 : Occupation de la rue par des commerçants informels au quartier Sangakro

Prise de vue : KRAMO Valère, 2024

Ces photos restituent les externalités induites par le commerce informel. La transformation des rues en territoires marchands contribue à enlaidir le paysage urbain. Il en résulte une dégradation résultante de l’occupation du domaine public par les acteurs du commerce informel.

2.1.3  L’essor du commerce informel, source de dégradation de l’environnement urbain

2.1.3.1 Des espaces publics envahis par les acteurs du commerce informel

La ville de Tiébissou se caractérise par une occupation significative de ses trottoirs par les commerçants informels au cours des marchés hebdomadaires.

En outre, les carrefours et les espaces péri-domestiques sont occupés par des magasins et des petites boutiques puis des étalages qui exposent des produits divers. Ce sont les produits d’importations, alimentaires et des vivriers. Parmi ces produits, on a également les appareils téléphoniques et téléviseurs, les produits phytosanitaires, les matériaux de constructions et les équipements de maison. La vente des produits cosmétiques (pommades, parfums, savons, pagnes et bijoux), les légumes et la restauration de rue se retrouvent également au niveau de ces espaces transformés en territoires marchands. On y trouve aussi des produits vivriers et maraichers (ignames, banane plantains, oignons, tomates, riz, mils, haricots, etc.). Ces produits sont également exposés sur les étagères installées sur les trottoirs comme dans le marché. Il y a également la vente des médicaments de rue sur des étalages ou dans des magasins construisent en tôle à l’intérieur du marché. Ce phénomène s’observe à Faboukro, à Sangankro, et à Sokoura. Les photos 5 et 6 ci-dessous montrent ce phénomène d’occupation des voies et trottoirs.

Photo 5 : Occupation des trottoirs Faboukro

Photo 6 : Fermeture totale par des vendeuses à de la voie par les commerçants

Prise de vue : KRAMO Valère, 2024                                                           

Prise de vue : KRAMO Valère, 2024

La vue de ces deux photos montre une occupation des voies par les activités de commerce. Par conséquent, cela participe à créer un désordre spatial dans la ville.

En dépit de l’existence de la loi n°85-583 du 29 juillet 1985 relative au domaine public interdisant l’installation des activités anthropiques le long des ouvrages électriques, le secteur électrique est confrontée à des problèmes d’occupation anarchique de ses sites. Sur la photo 6, la fermeture du passage par des marchandes qui placent des ignames, des aubergines, des glacières d’eaux réduit la mobilité sur cette voie. Cette situation peut engendrer des accidents de circulation.

2.1.3.2  Des modes déficients de gestion des déchets issus du commerce informel

Pour ce qui est du système de stockage des ordures des commerçants et des ménagers la plupart dispose de moins de stockage d’ordure. La figure 3 montre la distinction entre les commerçants qui ont un des réceptacles de stockage ou non.

Figure 3 : Répartition des commerçants interrogés selon le mode de stockage des déchets solides par quartier enquêté

Source : Enquêtes personnelles, 2024

La figure 3 montre qu’en moyenne, 56% des commerçants détiennent une poubelle pour le stockage des déchets solides. Ce sont des sacs, des sachets plastiques, des sceaux, des cartons. En revanche, 44% d’entre eux ne disposent d’aucun réceptacle de déchets solides. Cependant, ces proportions varient d’un quartier à un autre. Dans 67% des quartiers investigués, le taux de disponibilité de poubelle est supérieur à 50%. La proportion la plus élevée est observée au quartier Résidentiel (85%) et au quartier Sokoura (81%). Ces proportions chutent à 67% à Bel-horizon, puis à 53% à Faboukro. La plus faible proportion de détenteurs de poubelles est enregistrée à Sangankro avec 25%.

Au niveau des commerçants qui ne disposent pas de poubelles, la proportion la plus élevée est enregistrée au quartier Baoulékro (100%). Cette proportion décroît à 75% à Sangankro puis à 45% à Sangankro. Les plus faibles proportions de cette catégorie de commerçants informels sont celles des quartiers Bel-horozon (33%), Sokoura (19%) et Résidentiel (15%).

2.1.3.3  Le mode d’évacuation des déchets commerciaux liquides

Les acteurs du commerce informel rejettent les déchets liquides dans la rue (56%) et dans les caniveaux (43%) et rarement dans les fosses septiques (1%). La figure 4 présente le mode d’évacuation des déchets commerciaux liquides dans les quartiers enquêtés.

Figure 4 : Répartition des commerçants enquêtés par quartiers selon leurs modes d’évacuation des eaux usées par quartier Source : BNETD, 2011   Réalisation : KRAMO Y. Valère, 2024

De cette figure, il ressort que les modes d’évacuation des déchets liquides issus de l’activité des commerçants informels varient selon les quartiers investigués. Les caniveaux, les rues et les fosses septiques constituent les exutoires des déchets liquides marchands. Le recours à la rue est pratiqué par 100% des acteurs du commerce informel à Baoulékro. Cette proportion recule à 76% à Faboukro, à 75% à Sangankro, à 56% à Bel-horizon puis à 15% dans 33% des quartiers investigués notamment Résidentiel et Sokoura.

Quant à l’usage des caniveaux, il est l’œuvre de 83% des quartiers d’enquête avec une proportion plus élevée au quartier Résidentiel (85%) qu’à Sokoura (75%) et à Bel-horizon (44%). Ces taux connaissent une réduction à Sangankro (20%) et à Faboukro (19%). En revanche, l’utilisation des fosses septiques est faiblement constatée. Elle est effective à l’échelle de 33% des quartiers investigués avec de faibles proportions notamment à Faboukro (5%) et à Sangankro (5%). En plus de ces déchets liquides, les acteurs du commerce informel de la ville de Tiébissou produisent également des ordures. Ces déchets solides sont évacués à partir de deux principaux modes notamment à travers les rues ou à partir des caniveaux (figure 5).

Figure 5 : Répartition des commerçants interrogés selon le réceptacle des déchets solides marchands par quartier Source : Enquêtes personnelles, Août, 2024

L’analyse de cette figure révèle que 70% des acteurs rejettent les ordures dans les rues ou dans les environs du quartier. En revanche, les 30% évacuent leurs ordures dans les caniveaux. Toutefois, ces taux varient d’un quartier à l’autre. A l’échelle de 83% des quartiers investigués, le taux de rejet des ordures dans la rue est supérieur à 50% notamment à Baoulékro (100%), à Bel-horizon (100%), à Sangankro (95%), à Sokoura (74%), à Faboukro (72%). Le taux de recours aux caniveaux comme exutoires est le fait de 5% des acteurs du commerce informel de Sangankro. Cette proportion atteint 26% à Sokoura et 28% à Faboukro puis 95% au quartier Résidentiel.

2.1.4  Des nuisances et risques sanitaires évoqués par les populations riveraines

La pratique de l’activité commerciale informelle occasionne une variété de nuisances dominées par l’abondance des déchets. Dans 78% des avis recueillis, l’abondance des déchets constitue un marqueur spatial de la pratique de l’activité du commerce informel. A cela s’ajoute le problème de circulation (mobilité) dénoncé par 17% des avis recueillis. Dans une faible proportion (5%) de ces avis, le bruit (nuisance sonore) est également mis en relief par les populations riveraines des sites qui abritent les activités commerciales de type informel. Ces différentes proportions varient d’un quartier investigué à l’autre (figure 6).

Figure 6 : Distribution spatiale des nuisances évoquées par les populations riveraines selon les quartiers

Source : BNETD, 2011    Réalisation : KRAMO Y. Valère, 2024

De cette figure, il ressort que l’émission de bruits, les difficultés de circulation, l’abondance des déchets constituent les trois principales nuisances dénoncées par les populations riveraines à proximité des rues, des espaces publics. Toutefois, les avis varient d’un quartier à un autre selon les nuisances. L’abondance des déchets est mentionnée à l’échelle de tous les quartiers investigués. Les proportions inhérentes à cette nuisance varient de 96% au quartier Sokoura à 60% aux quartiers Baoulékro et Sangankro. A l’interface de ces deux extrémités, se trouvent des proportions intermédiaires notamment 95% quartier Résidentiel, 78% au quartier Bel- horizon et 72% au quartier Faboukro. Des difficultés de circulation sont mises en avant par 83% des quartiers enquêtés avec des proportions inférieures ou égales à 30%.

La dénonciation relative à l’émission de bruit, elle est traduite par 67% des quartiers dans de faibles proportions inférieures ou égales à 10%.

Au-delà des nuisances environnementales dénoncées, se dégagent des risques sanitaires évoqués et perçus par les populations riveraines interrogées (figure 7).

Figure 7 : Répartition des avis sur l’incidence environnementale de la gestion défectueuse des déchets marchands aux risques sanitaires Source : Enquêtes personnelles, 2024

De cette figure, il ressort que quatre principales incidences environnementales de la gestion défectueuse des déchets marchands informels, sont évoquées par les populations riveraines interrogées. Il s’agit essentiellement de l’émergence des maladies mise en avance par 34% des personnes interrogées. Cette proportion recule pour atteindre 25% au niveau des riverains qui évoquent l’engorgement des caniveaux par les déchets produits à l’issue de l’activité commerciale informelle. Parmi les personnes interrogées, 21% d’entre elles dénoncent la pollution de l’air par les déchets marchands informels quand 20% desdites populations attribuent l’insalubrité urbaine à la production de déchets par les commerçants informels. La figure 8 montre la variation des incidences environnementales selon les quartiers.

Figure 8 : Répartition de l’impact des déchets sur l’environnement des quartiers enquêtés

Source : BNETD, 2011    Réalisation : KRAMO Y. Valère, 2024

L’analyse de cette figure révèle que les proportions des avis relatifs aux risques sanitaires induits par les incidences environnementales de la gestion défectueuse des déchets issus du commerce informel varient d’un quartier à un autre. Dans 50% des quartiers visités, l’émergence de maladies est évoquée à Sokoura (85% des enquêtés), Résidentiel (60%) et Faboukro (21%).

Quant à l’insalubrité, elle est mise en avant dans 83% des quartiers qui ont abrité l’étude de recherche. Les avis relatifs à l’impact de cette incidence environnementale sont plus élevés à Sangankro (40%). Cette proportion chute à 26% à Faboukro, à 20% au quartier Résidentiel, puis à 12% à Sokoura et à 11% à Bel-horizon.

En ce qui concerne l’engorgement des caniveaux, il est mentionné à 40% à Sangankro, à 38% à Faboubro, à 30% à Baoulékro, à 22% à Bel-horizon et à 10% au quartier Résidentiel. Contrairement à l’engorgement des caniveaux mis en relief dans 83% des quartiers d’enquête, la pollution de l’air est déclarée comme incidence environnementale dans 100% des sites visités. Ainsi, elle est mentionnée par 70% des avis à Baoulékro et par 67% des personnes interrogées à Bel-horizon. Ces proportions reculent à 20% à Sangankro, à 15% à Faboukro, à 13% à Sokoura et à 10% au quartier Résidentiel.

2.2   Discussion

Cette étude analyse les relations entre l’essor du commerce informel et la dégradation environnementale induite par la pratique de ladite activité. Les acteurs de cette activité occupent en majorité les rues, les espaces publics. Les logiques de regroupement aux abords des principales artères obéissent à un besoin de partage de la clientèle (A. RODRIGUE, 2019, p.44). En outre, les points de rupture, les feux rouges constituent également des territoires professionnels des acteurs du commerce informel (C. STAMM et al, 2016, p.68). Ces sites d’exercice professionnelle s’étendent aux trottoirs des voies principales, les espaces laissés entre les routes (S. OUMAR et al, 2022, p.8). Ces occupations anarchiques adossées à l’objectif de rentabilité s’expliquent aussi par la passivité des pouvoirs publics. Ainsi, en plus des nuisances sonores, des mauvaises odeurs, de l’insalubrité, les dimensions des voies sont réduites

Toutefois, cette activité engendre une dégradation de l’environnement. En effet, la gestion irrationnelle des déchets issus des activités informelles notamment commerciales contribuent à l’insalubrité urbaine (D.Y. SIDIBE, 2022, p.73). Les commerçants procèdent par un dépôt sur place des déchets générés par leurs activités. L’absence de poubelle, l’irrégularité du ramassage ou du compostage occasionne un enlaidissement du paysage urbain. En plus des déchets solides, des eaux usées du commerce informel polluent à leur tour l’environnement (K.A. KOUAME et al, 2022, p.101). Dans une étude conduite à l’échelle de la ville de Daloa, ces auteurs ont indiqué que les commerçants informels déversent les eaux usées dans les rues, les caniveaux ou les espaces non mis en valeur. Il en résulte une prolifération d’eaux usées stagnantes qui dégagent des eaux nauséabondes. Il en est de même pour les activités de restauration populaire (K.H-S. KAMELAN et al, 2019, p.485). Cela s’observe à partir de l’émission de fumée, le rejet des eaux usées sur la voie publique ou dans les canaux d’évacuation, l’occupation illicite des routes transformées en sites professionnels. Mieux, le non-respect de la fréquence journalière

d’enlèvement des ordures (séjour de plus de 48 heures) par la municipalité. Il en découle une dégradation de l’environnement urbain (K. DONGO, 2016, p.21).

Au demeurant, la gestion défectueuse des déchets du commerce informel ne représente pas l’unique facteur de dégradation environnementale. La non maîtrise de la dynamique urbaine débouche sur une altération des indices de salubrité. Il s’agit essentiellement des approches hygiéniques défectueuses des ménages, la passivité des autorités de la gouvernance urbaine, de l’insuffisance des ouvrages d’assainissement et la mauvaise gestion des déchets (B. KAMBIRE et al, 2021, p.82). Toutefois, les pouvoirs publics s’emploient à juguler ce phénomène pour une restructuration du paysage urbain. Les stratégies déployées s’articulent autour de l’application des opérations de déguerpissement, de gestion concertée, psychologique et intégrée (A.F. AKA et T. MAMOUTOU, 2020, p.20). Cette disposition est identique à celle pratiquée à Dakar (K. MAMOUDOU, 2017, p.84). À l’échelle de cette ville, les autorités municipales procèdent régulièrement à l’expulsion des marchands qui occupent certains espaces publics. Au-delà du déguerpissement, les commerçants qui occupent les rues sont recasées à l’intérieur des marchés officiels (N. GOURLAND, 2017, p.4). La sensibilisation des populations locales, la sanction des contrevenants du désordre, la surveillance entière de l’espace urbain par les agents municipaux, la création d’un cadre participatif avec l’implication des jeunes dans la gestion de la ville constituent également des options de lutte contre l’occupation anarchique du domaine public par le commerce informel (C. MEDIEBOU et I. NDAM, 2022, p.267).

Conclusion

De cette recherche, il ressort que les acteurs du commerce informel à l’échelle de la ville Tiébissou ont transformé les trottoirs, les rues, les gares routières en des espaces professionnels. Il s’en suit un encombrement des espaces publics, une restriction des chaussées et des difficultés de circulation. La gestion déficiente des déchets liquides et solides produits à partir de la dynamique de ce type de commerce amplifie la dégradation du paysage urbain. Des risques sanitaires induits par une détérioration de l’environnement urbain émergent et menacent la santé des populations riveraines des sites marchands informels. De ce qui précède, l’hypothèse,

« l’essor du commerce informel dégrade l’environnement urbain de Tiébissou » qui sous- tend cette recherche est confirmée.

En dépit de ces incidences environnementales et sanitaires, le secteur du commerce informel constitue une poche d’endiguement de la précarité sociale et de la pauvreté urbaine.

Bibliographie

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