Dynamique urbaine et productions de vulnérabilités d’une ville littorale de la Côte d’Ivoire, San-Pedro
Kinakpefan Michel TRAORE
Awa Timité TAMBOURA
Université Jean-Lorougnon GUEDE
Résumé
La dynamique urbaine de la ville de San-Pedro qui se manifeste par une occupation rapide et mal maîtrisée de l’espace urbain. Cette situation accentue la recrudescence des aléas pluvieux comme les inondations, l’érosion hydrique et les glissements de terrain. L’objectif de cette étude est d’analyser la croissance urbaine comme le facteur prépondérant des vulnérabilités de la ville de San-Pedro.
L’étude s’est effectuée sur la base du croisement de la couche des pentes et celles du bâti obtenu par application de l’algorithme Random Forest aux rasters de la couverture aérienne de 1974 et des images satellitaires Landsat de 1998 et 2014 puis Sentinel 2 de 2022, dans la plateforme Google Earth Engine. Les documents démographiques et les enquêtes de terrain ont été des sources complémentaires d’informations.
Les résultats de cette étude montrent que l’emprise du bâti de la ville de San-Pedro, alimentée par une croissance démographique remarquable, est passée de 384 ha en 1974 ha à environ 3 000 ha en 2022. Cette augmentation globale de 681% correspond à un taux d’accroissement moyen annuel de 4,4%. Alors que, la susceptibilité d’occurrence « Certaine » aux aléas pluvieux ne concernait que 62,8 ha en 1974, elle a atteint 732 ha en 2022 soit respectivement à 16% et 24,4% de l’espace urbain. L’exposition des enjeux (personnes, services urbains, activités…) apparait comme un risque majeur susceptible de s’exacerber avec les effets des incertitudes climatiques. La gestion préventive de ces vulnérabilités s’impose comme le fil d’Ariane de la durabilité de la ville de San-Pedro.
Mots clés : San-Pedro, Dynamiques urbaines, Vulnérabilités, Risques, Gestion des crises
Abstract
The urban dynamics of the city of San-Pedro which is manifested by a rapid and poorly controlled occupation of the urban space. This situation accentuates the resurgence of rain hazards such as floods, water erosion and landslides. The objective of this study is to analyze urban growth as the preponderant factor of the vulnerabilities of the city of San- Pedro.
The study was carried out on the basis of the crossing of the layer of the slopes and those of the building obtained by applying the Random Forest algorithm to the rasters of the air cover of 1974 and the Landsat satellite images of 1998 and 2014 then Sentinel 2 of 2022, in the Google Earth Engine platform. Demographic documents and field surveys were additional sources of information.
The results of this study show that the footprint of buildings in the city of San-Pedro, fueled by remarkable population growth, has increased from 384 ha in 1974 ha to around 3,000 ha in 2022. This overall increase of 681% corresponds at an average annual growth rate of 4.4%. While the “certain” susceptibility of occurrence to rainfall hazards only concerned 62.8 ha in 1974, it reached 732 ha in 2022, i.e. respectively 16% and 24.4% of the urban space. The exposure of issues (people, urban services, activities, etc.) appears to be a major risk likely to be exacerbated with the effects of climatic uncertainties. The preventive management of these vulnerabilities is essential as the breadcrumb trail of the sustainability of the city of San-Pedro.
Keywords : San-Pedro, Urban dynamics, Vulnerabilities, Risks, Crisis management
Introduction
Du fait de leur ouverture sur l’océan mondial, les littoraux constituent des espaces stratégiques et attractifs. Cette attractivité se traduit par une forte anthropisation de ces milieux en lien avec une croissance démographique exponentielle (F. Gohourou et al, 2020, p. 1). On estime à plus de 60% la population mondiale qui vit en zone côtière soit environ 3,8 milliards d’individus vivant dans une bande terrestre qui n’excède pas 100 kilomètres par rapport à la ligne de rivage (C. Lefebvre, 2011, p. 2). La zone littorale des Etats côtiers de l’Afrique de l’Ouest rassemble plus de 30 % de la population totale soit plus de 50 % de la population urbaine et cette proportion sera d’environ 60% en 2050 (UEMOA, 2017, p. 17).
En Côte d’Ivoire, ce processus de littoralisation (glissement des populations et des activités vers les littoraux) est un héritage colonial. En effet, ayant été la tête de pont de la pénétration française, le littoral ivoirien a vu se développer des comptoirs puis un réseau de villes auxquelles l’importance du niveau des activités économiques a conféré un fort potentiel attractif (K. P. Anoh et P. Pottier, 2008, p. 10). Cette attractivité a été surtout le fait de la ville d’Abidjan qui de par son statut de capitale politico-administrative et économique de la Côte d’Ivoire, polarisait aux lendemains de l’indépendance en 1960 l’essentiel de la population et de l’activité économique du pays (K. M. Traoré, 2016, p. 60). Cette polarisation a été à l’origine de la distorsion de la trame du développement du territoire national (O. Dembélé, 2008, p. 72). C’est donc dans le but de contrebalancer cette primatie d’Abidjan, que la ville de San-Pedro et son port ont été créés au début des années 1970 par la volonté étatique (M. Touré, 2008, 143).
Cette volonté politique s’est matérialisée par la construction d’une ville et d’un port en eau profonde sous l’égide d’un organisme public, l’Autorité pour l’Aménagement du Sud-Ouest : l’ARSO créée par le décret n°69-546 du 22 décembre 1969 (P. Haeringer, 1973, p. 245). L’initiation de ce vaste chantier d’aménagement territorial ambitionnait le rééquilibrage de l’armature des villes ivoiriennes (A. T. Koby, 2008, p. 287) et de réduire les effets de la macrocéphalie et de la distorsion de la trame du développement du territoire national (O. Dembélé, 2008, p. 72).
La dynamique des activités industrielles et portuaires de ce nouveau pôle urbain va engendrer des taux de croissance démographique de 25,8% entre 1965 et 1975 et de 7,4% entre 1975, 1998 et d’environ 6% en 2014 (INS, 1992, INS, 2001, INS-SODE, 2014). La population de la ville est ainsi passée de 31 600 en 1975 à 209 590 habitants en 2014 pour atteindre environ 390 000 habitants en 2021 (INS, 2021). L’implications de cette forte croissance démographique est l’extension de l’emprise urbaine hors des limites prévues par le planificateur et surtout vers des zones non- aménagées et dangereuses. Cette urbanisation mal-maîtrisée, malgré l’existence de textes règlementaires comme le Schéma Directeur de 1976 qui jetaient d’ores et déjà les bases d’un développement harmonieux de la ville, pose le problème des vulnérabilités et de l’exposition des enjeux (populations, équipements, infrastructures, activités…) à divers aléas hydroclimatiques comme les inondations et les glissements de terrains susceptibles d’être à l’origine de crises et de catastrophes.
Dès lors, comment les dynamiques démographiques et spatiales constituent des facteurs de vulnérabilités au risque pluvial dans la ville de San-Pedro ? Afin de répondre à cette préoccupation, l’étude s’attelle à caractériser d’une part la dynamique de la ville de San-Pedro et d’autre part à identifier les sous-espaces de la ville de San-Pedro les plus enclins au risque pluvial. De ce fait, les lignes qui suivent décrivent la méthode puis analysent et discutent les résultats.
1- Matériels et méthodes
A l’aune des techniques d’analyse spatiale de la géomatique que sont les Systèmes d’Information Géographique (SIG) et la télédétection, cette étude interroge cinquante ans (1972-2022) de fabrique urbaine à San-Pedro dans un contexte de crise généralisée. Cette approche géographique a nécessité un certain nombre de matériels.
1-1-Matériels
1-1-1-Présentation de l’espace d’étude
Située sur le littoral ivoirien entre le 4°42′0″ et 4°51′0″ de Latitude Nord et le 6°33′0″ et 6°33′0″ de Longitude Ouest, San-Pedro (carte 1) est la seconde ville portuaire de la Côte d’Ivoire après Abidjan.
Carte 1 : Situation et morphologie du site de la ville de San-Pedro
L’emprise actuelle de San-Pedro couvre une superficie d’environ 14 mille hectares pour une population estimée à 390 mille habitants (INS, 2021). Son site est caractérisé par des zones de dépressions marécageuses à faibles altitudes (inférieur à 5 m) entourées par des éminences collinéennes aux altitudes allant parfois au-delà de 300 m. La typologie des pentes varie selon ces différentes facettes topographiques (tableau 2). Les espaces marécageux aux pentes très faibles
(inférieures à 2%), sur sols alluvionnaires, occupent 946 ha soit un peu moins 7% de l’emprise urbaine (tableau 2). Les champs collinéens, sur sols ferralitiques, ont quant à eux des pentes très fortes excédant 15% sur 3 400 ha soit près du quart du territoire de la ville (tableau 2). Les deux tiers de l’espace urbain sont partagés entre des pentes faibles, moyennes et fortes (tableau 2).
Tableau 2 : Proportion de la typologie des pentes du site de San-Pedro
N° | Niveau de pente | Niveau de pente | Superficie (ha) | Fréquence (%) | Fréquences cumulées croissantes | Fréquences cumulées décroissantes |
1 | ≤ 2 | Très faible | 946,0 | 6,8 | 6,8 | 100,0 |
2 | 2 – 5 | Faible | 2654,9 | 19,0 | 25,8 | 93,2 |
3 | 5 – 7 | Moyen | 1502,8 | 10,8 | 36,6 | 74,2 |
4 | 7 – 15 | Fort | 5453,6 | 39,1 | 75,6 | 63,4 |
5 | > 15 | Très fort | 3401,3 | 24,4 | 100,0 | 24,4 |
Source : Traitement MNT du site, 2023
1-1-2-Données
Cette étude s’est effectuée sur la base d’analyse de diverses données rasters. Il s’agit d’un Modèle Numérique de Terrain (MNT), d’une couverture aérienne et trois images satellitaires (Tableau 2).
Tableau2 : Donnée utilisées
Images | Scènes (Path / Row) | Résolution | Date d’acquisition |
ALOS PALSAR-RTC | ALPSRP084590080 | 12,5 m | 26-08-2007 |
Couverture aérienne (SOFRATOP) | Août 1974 | ||
Landsat 7 ETM | 197 / 57 | 30 m | 01-01-1998 / 31-12-1998 |
Lansat 8 OLI | 197 / 57 | 30 m | 01-01-2014 / 31-12-2014 |
Sentinel 2 | 10 m | 01-01-2022 / 31-12-2022 |
Source : Mosaïque SDFRATOP, 1974 ; https://asf.alaska.edu; https:earthengine.google.com
Le MNT est une image de type « ALOS PALSAR – Radiometric Terrain Correction (RTC) » du 26/08/2007 d’une résolution de 12,5 m téléchargé au format Geo TIFF. La couverture aérienne est un support photographique de la réduction à 1/40 000 environ d’une mosaïque réalisée à partir d’une couverture stéréoscopique à 1/8 000 (SOFRATOP, Paris, 1974 ; P. HAERINGER, 1977, p.3). Trois images satellites des capteurs Landsat 7, 8 et Sentinel 2 ont été utilisées pour analyser la dynamique du bâti de San-Pedro entre 1974 et 2022. La revue bibliographique, les documents statistiques et les enquêtes de terrain ont été des sources complémentaires d’informations.
1-2-Méthodes
Les rasters ci-dessus présentés ont subi différents traitements à partir des outils de la géomatique que sont la télédétection et les SIG. Le traitement du Modèle Numérique de Terrain (MNT) a permis dans un premier temps de réaliser un Réseau Triangulé Irrégulier ou Triangulated_Irregular_Network (TIN) qui est un fichier raster représentant numériquement la morphologie de la surface du site de la ville de San-Pedro en 3D (figure 1 ci-dessus). Ces données numériques sont représentées sous forme de carte d’élévations ou d’altitudes. Dans un second temps, une carte de pente a été générée.
Les opérations de prétraitement et traitement pour la cartographie de la dynamique du bâti se sont faites essentiellement à partir de l’interface de la plateforme d’analyse géospatiale Google Earth Engine (GEE). La photographie aérienne a été géoréférencée dans le système de projection de coordonnées WGS_1984_UTM_Zone_29N et importée dans la plateforme. A partir des ressources des capteurs Landsat et Sentinel, des images composites ont été créés pour les années 1998, 2014 et 2022. A ces images composites ont été appliqué la fonction map(maskL8srClouds) afin de masquer les couvertures nuageuses permanentes qui pourraient biaiser le résultat de la classification. Cette fonction dans GEE permet de résoudre efficacement les problèmes d’interférence des nuages pendant la mousson et l’impossibilité d’utiliser les données d’image satellite pendant certaines périodes (S. Praticò et al, 2021 ; Y. Piao et al, 2021). Cette étape est primordiale dans les régions subéquatoriales comme la ville de San-Pedro dans lesquelles la couverture nuageuse est quasi permanente toute l’année.
A l’issue de ces opérations de prétraitement qui ont permis d’améliorer la réflectance des images, un classificateur a été appliqué afin de discriminer les différents indices d’occupation du sol. Dans cette étude, l’approche se base sur la méthode de classification supervisée à partir de l’algorithme Random Forest (RF). Il s’agit d’une méthode combinatoire basée sur des arbres de régression catégorielle (L. Breiman, 2001). La précision des résultats de cette classification a été appréciée à travers la détermination du coefficient de kappa et de l’indice de précision globale à partir d’une matrice de confusion (S. V. Stehman 1997, S. Magnussen, p. 21).
Ces différents traitements des données satellitales et photographique ont permis d’apprécier l’évolution de la surface bâtie entre 1974 et 2022. Pour finir, la couche des niveaux de pentes a été croisée avec celle du bâti. Ce croisement a permis de déterminer les enjeux susceptibles d’être affectés par des évènements hydroclimatiques comme les inondations pour ceux installés sur des espaces précédemment marécageux aux pentes très faibles et comme les mouvements de terrains pour ceux qui occupent des espaces de fortes pentes dont le défrichement est total du fait de l’urbanisation.
2- Résultats
2-1-Une expansion remarquable de la surface bâtie entre 1974 et 2022
L’importante dynamique démographique suscitée dans un premier temps par les chantiers de la nouvelle ville et dans un second temps par l’activité industrielle et portuaire a engendré une expansion spatiale remarquable de la ville de San-Pedro entre 1974, 1998, 2014 et 2022
2-1-1-La ville de San-Pedro en 1974, prémices d’une déplanification urbaine
En 1974 l’emprise spatiale de la ville de San-Pedro était de 384 ha (figure 2). Avec une population estimée à 29 mille habitants, la densité était de 75,5 hbt/ha. Outre les élévations collinéennes à Mohikakro au sud de la ville, cette emprise urbaine s’établit exclusivement (92, 54%) sur des espaces précédemment marécageux qui ont été remblayés. En effet, si les quartiers Poro, Mohikakro, Zone Industrielle, Séwéké étaient essentiellement constitués par les lotissements de la ville légale conduite par l’ARSO, ce n’est pas le cas de Bardo au nord qui lui est née de la spontanéité et des initiatives privées. Cet espace qui occupe déjà environ près de 13% du bâti (49 ha), échappe à la volonté des décideurs de planifier l’urbanisation de San-Pedro.
Carte 2 : Surface bâti de la ville de San-Pedro en 1974
2-1-2-La ville de San-Pedro en 1998, la persistance de la déplanification urbaine
En 1998, la surface bâtie a atteint environ 1 214 ha (carte 3). En un peu moins de 25 années, le bâti a augmenté de 216,16% pour un taux d’accroissement moyen annuel de 4,9%. La ville de San- Pedro comptait 140 mille habitants soit une densité de 116 hbt/ha.
Carte 3 : Surface bâti de la ville de San-Pedro en 1998
La période 1974 – 1998, outre l’importance croissance de Bardo, a été à l’origine d’une expansion spatiale selon les principaux axes routiers et avec l’émergence de nouveaux fronts urbains comme les quartiers « Soleil », « Zimbabwe » « Sotref » au nord et « Balmer » au sud. Le village périphérique « Baba » situé à l’ouest de la ville a initié également son développement spatial.
2-1-3-La ville de San-Pedro en 2014, la confirmation de la déplanification
En 2014, pour une augmentation globale de 86% et un taux d’accroissement moyen annuel de 3,9%, la surface bâtie de la ville a atteint 2256,7 ha (carte 4). Alors que le taux d’accroissement du bâti était resté inférieur à celui de la population au cours de la période précédente (1974 – 1998), entre 1998 et 2014 l’emprise du bâti a accru à un taux deux fois supérieur au taux démographique qui était de 1,7%.
Carte 4 : Surface bâti de la ville de San-Pedro en 2014
Cet état de fait a été à l’origine d’une régression de la densité de la population urbaine qui est passée de 116 hbt/ha en 1998 à 93 hbt/ha en 2014. Le modèle de croissance urbaine selon les principaux axes routiers amorcé au cours de la période précédente s’est renforcé avec de nouveau quartier comme « Colas » et « Château ». Le processus d’intégration du village Baba à l’emprise urbaine se confirme.
2-1-4-La ville de San-Pedro en 2022, la consécration du mal-développement urbain
En 2022, l’emprise du bâti a atteint 3 000 ha pour une population estimée à 390 000 habitants soit une densité de 130 hbt/ha. Le modèle d’expansion urbaine selon les grands axes s’est renforcé et le processus d’intégration du village Baba à la ville est achevé (carte 5).
Carte 5 : Surface bâti de la ville de San-Pedro en 2014
Somme toute, depuis l’inauguration du Port Autonome de San-Pedro, le 4 décembre 1972, la ville de San-Pedro connait une expansion remarquable de sa surface bâtie. Elle a connu une augmentation globale de plus de 681% soit un taux d’accroissement moyen annuel de 4,4%. Cette urbanisation au cours de ces cinq décennies, essentiellement spontanée et mal maîtrisée, n’est pas sans conséquence sur l’occupation du sol.
2-2-San-Pedro : une urbanisation non maîtrisée facteur de vulnérabilités
La mise en relation des couches du bâti et de celle des pentes montre que l’artificialisation des sols du fait de l’urbanisation à San-Pedro se fait dangereusement vers des espaces non ou sommairement aménagés. Ces espaces se contrastent entre des formes insensiblement pentues enclines aux inondations et des faciès aux fortes dénivellations avec une importante propension aux mouvements de terrains.
La susceptibilité d’occurrence d’inondabilité du bâti, selon les faciès topographiques, s’établit entre
« Très improbable » et « Certaine » (carte 6). Cette susceptibilité s’avère importante dans les quartiers centraux (Séwéké, Bardo, Poro, Zone industrielle) et Sonouko sur espaces marécageux et sols alluvionnaires (carte 6). Ces sols sont constitués de vases et de tourbes gorgés d’eau et facilement inondables.
Carte 6 : Susceptibilité d’inondation du bâti de la ville de San-Pedro en 2022
Statiquement, ces espaces d’une inondabilité jugée par notre modèle spatial de « Certaine » ou
« Probable » occupe plus d’un quart du territoire (tableau 3). Cette exposition importante au risque d’inondation couvre environ 840 ha (tableau 3).
Tableau 3 : Susceptibilité d’occurrence du bâti aux inondations dans la ville de San-Pedro
Pentes (%) | Typologie des pentes | Occurrence | Risque inondation | Bâti (ha) | Fréquence (%) | Freq. C. C | Freq. C. D |
0 – 2 | Très faible | Certaine | Très élevé | 213,7 | 7,1 | 7,1 | 100,0 |
2 – 5 | Faible | Probable | Elevé | 624,9 | 20,9 | 28,0 | 92,9 |
5 – 7 | Moyenne | Peu probable | Moyen | 363,4 | 12,1 | 40,1 | 72,0 |
7 – 15 | Forte | Improbable | Faible | 1275,0 | 42,6 | 82,7 | 59,9 |
> 15 | Très forte | Très improbable | Très faible | 518,2 | 17,3 | 100,0 | 17,3 |
Source : Nos traitements 2023
Freq. C. C : Fréquence Cumulée Croissante / Freq. C. C : Fréquence Cumulée Décroissante
Cette inondabilité va décrescendo du centre vers les quartiers périphériques aux fortes pentes sur sols ferrallitiques. Ces sols ont une propension plus marquée aux mouvements de sédiments et aux aléas hydroclimatiques comme l’érosion hydrique et les glissements de terrains lors des précipitations exceptionnelles (carte 7).
Carte 7 : Susceptibilité du bâti de la ville de San-Pedro aux mouvements de terrains en 2022
Les champs collinéens au sud (Corniche et Mohikakro) et nord (Soleil, château, Colas et Sotref) sont les plus concernés par la susceptibilité d’occurrence de cet aléa. Les niveaux d’occurrence
« Certain » 17% et « Probable » 43% couvrent 1 800 ha soit plus de la moitié de l’emprise du bâti (tableau 4).
Tableau 4 : Susceptibilité d’occurrence du bâti aux mouvements de terrains à San-Pedro
Pentes (%) | Typologie des pentes | Occurrence | Risque de mouvement | Bâti (ha) | Fréquence (%) | Freq. C. C | Freq. C. D |
> 15 | Très faible | Certaine | Très élevé | 518,2 | 17,3 | 17,3 | 100,0 |
7 – 15 | Faible | Probable | Elevé | 1275,0 | 42,6 | 59,9 | 82,7 |
5 – 7 | Moyenne | Peu probable | Moyen | 363,4 | 12,1 | 72,0 | 40,1 |
2 – 5 | Forte | Improbable | Faible | 624,9 | 20,9 | 92,9 | 28,0 |
0 – 2 | Très forte | Très improbable | Très faible | 213,7 | 7,1 | 100,0 | 7,1 |
Source : Nos traitements 2023
A l’analyse, plus des quatre cinquièmes du bâti de la ville de San-Pedro a une susceptibilité d’occurrence « Certaine » ou « Probable » aux risques d’inondations, d’érosion ou de glissements de terrains. Cette susceptibilité correspond à des niveaux de risques « Très élevé » et « Elevé » à ces aléa hydroclimatiques. Cette exposition est inhérente à l’établissement des populations dangereux (photo1 et 2). Les différentes dynamiques urbaines de San-Pedro (qu’elle soit légale ou spontanée) sont donc productrices de vulnérabilités liées aux aléas pluviaux. En effet, alors que la susceptibilité d’occurrence « Certaine » ne concernait seulement que 62,8 ha en 1974, elle couvrait 198 ha en 1998 et 454 ha en 2014 pour atteindre 732 ha en 2022 soit un taux d’accroissement moyen annuel de 5,2%.
Photo1 et 2 : Installations dangereuses dans la ville de San-Pedro
Cliché : KOKO, Juin 2022
Ce taux est environ supérieur à celui de la dynamique spatiale globale de la ville d’un point qui est de 4,3%. Ramenée à la surface totale bâtie, cette proportion du bâti le plus exposé est passée de 16,4% en 1974 et 1998 à 20,1% en 2014 puis à 24,4% en 2022. Les dynamiques de la ville de San- Pedro se présentent ainsi comme des manufactures de vulnérabilités aux risques hydroclimatiques comme l’inondation, l’érosion hydrique et les glissements de terrains.
3- Discussion
A l’aune des techniques de la géomatique que sont la télédétection et les SIG, cette étude analyse les répercussions spatiales et sociales d’un demi-siècle de pratiques urbaines mal maîtrisées à San- Pedro. Le modèle de classification au moyen de l’algorithme Random Forest réalisé avec une précision globale de 95,63 %, 96,11%, 98,6% et 98,3% respectivement pour les années 1974, 1998, 2014 et 2022 a permis de déterminer la dynamique du bâti au cours de cette période. Cette classification de plus de 80% peut être jugée robuste suivant les travaux de R. Congalton (1991, p.39).
A l’analyse, la ville de San-Pedro connaît une expansion spatiale remarquable en lien avec une croissance démographique importante. Toutefois, cet effet d’agglomération qui devait constituer une opportunité de bien-être social s’affirme comme un facteur de risques lors des précipitations exceptionnelles. Ainsi, selon notre modèle d’analyse, plus d’un quart du bâti est d’une susceptibilité d’occurrence « Certaine » aux aléas hydroclimatiques comme l’inondation, l’érosion hydrique et les glissements de terrains. L’urbanisation apparait comme le facteur essentiel de l’exposition et de la vulnérabilité des enjeux urbains. La production et l’occupation mal-maîtrisée de l’espace urbain accroît l’exposition et la vulnérabilité aux risques.
Ces résultats sont conformes aux travaux de D. Sylla (2022, p. 18) dans le District d’Abidjan. Cette agglomération voit sa tache urbaine s’étendre dangereusement vers les zones humides Ramsar enclines aux inondations. La vulnérabilité des territoires urbains du fait de l’anthropisation des espaces exposés parfois non aedificandi a été également relevé par K. M. Traoré et al (2019, p. 38) dans la ville de Bouaflé en Côte d’Ivoire. Comme dans le bassin d’El Abed au Maroc, l’occurrence importante des aléas hydroclimatiques comme l’érosion hydrique est le fait des prédispositions
naturelles mais aussi et surtout des agissements anthropiques traduits par les mutations dans l’utilisation des terres et les modes d’occupations des sols (A. Sbai et O. Mouadili, 2021, p. 673). Ainsi, l’urbanisation à travers l’artificialisation des sols entraîne des modifications importantes du cycle hydrologique naturel par l’augmentation des surfaces imperméables (M. Moujahid, 2015, p. 71).
A l’instar du constat de H. S. Sudhira et al (2004, p. 29) dans les villes indiennes, nous notons à San-Pedro que l’occupation mal maitrisée des sols reste un des facteurs prépondérants des crises, l’une des menaces potentielles au développement durable et à la planification urbaine dans les agglomérations du Sud. Ces crises devront inéluctablement s’exacerber avec les effets de la variabilité climatique déjà amorcés (A. Bourque, 2000, p. 14). En réalité, les perturbations des éléments du climat entraîneront une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes : sécheresses, inondations, canicules, pluies fortes et abondantes, tornades (J. Camirand et C. Gingras, 2011, p. 3). Certaines parties du monde, à l’instar des villes côtières comme San-Pedro, auront à affronter des précipitations diluviennes, alors que d’autres s’assécheront à outrance (C. Villeneuve et R. François 2005 ; E. Benoît, 2007, p. 29). Comme le relève GIEC (2007, cité par B. Quenault, 2013, p. 2) la « ‘‘nouveauté’’ du changement climatique résidera principalement en une intensification des aléas climatiques et de leur occurrence, estimée ‘‘très probable’’ par les modèles globaux ».
Si l’on suit B. Quenault (2013, p. 4), les villes, comme San-Pedro en sus d’être exposées à d’autres risques, sont sujettes à des évolutions révélatrices de dysfonctionnements intrinsèques (fragmentation/ segmentation sociale des espaces, inégalités/désolidarisations croissantes, pression foncière en centre-ville, étalement urbain, multiplication des quartiers irréguliers relégués en périphérie ou dans des zones à risque, etc.) qui conjuguées aux effets climatiques viendront bouleverser plus profondément encore le tissu social des villes. La remédiation à ces évolutions qui menacent la durabilité des systèmes urbains sujets au mal-développement est l’intégration de ces vulnérabilités aux politiques territoriales de développement.
Conclusion
San-Pedro, connaît depuis le début des années 1970, cinquante ans de dynamiques urbaines (légales ou spontanées) mal maitrisées. La production et l’occupation de l’espace urbain restent pour l’essentiel informelles. L’extension actuelle et surtout future de la ville la ville se fait sur les marges enclines aux aléas hydroclimatiques. Le développement urbain devient une « manufacture » de vulnérabilités. Ces vulnérabilités vont vraisemblablement s’exacerber avec les effets des Changements Climatiques déjà perceptibles sur les espaces côtiers comme la ville de San-Pedro. La prise en compte des effets de cette variabilité climatique qui seront de plus en plus pervers apparait comme la condition de l’adaptation et de la durabilité de la ville côtière de San-Pedro.
Cette politique de gestion anticipative des situations de crises implique une évaluation précise des enjeux (personnes, services urbains, activités, biens…) les plus susceptibles d’être exposés. Cette évaluation devrait constituer les problématiques des études à venir.
Références bibliographiques
- ADGER William Neil et KELLY P. Mick. 1999, «Social Vulnerability to Climate Change and the Architecture of Entitlements». Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change, vol. 4, p. 253-266.
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