Environnement social et violence criminelle dans la commune d’Abobo (Abidjan ; Côte d’Ivoire)

Aya Pascale Rega KOUACOU

regakouacou@gmail.com

Enoc One GUÉDÉ

delegueenoc@hotmail.fr

Arsène DJAKO

djakoarsene@yahoo.fr

Université Alassane OUATTARA

Résumé :

La violence criminelle est devenue une préoccupation majeure pour les populations d’Abidjan surtout dans la commune d’Abobo. Plusieurs facteurs liés particulièrement à cette commune expliquent la présence de la violence criminelle. En fait, l’évolution de la commune d’Abobo s’est faite en laissant assez d’insuffisances au niveau social. Ainsi, cette recherche se donne pour objectif de montrer le lien entre un environnement social dégradé et la présence de la violence criminelle dans cette commune en vue de créer un climat socio-économique favorable. Elle a été menée avec différentes sources d’informations. À cet effet, la méthode de travail utilisée s’est appuyée sur la recherche bibliographique, l’enquête par questionnaire et les entretiens. À partir de cette étude, l’on peut retenir que les conditions de vie difficile des populations concourent à expliquer la violence criminelle dans cette commune.

Mots clés: Abobo, Environnement social, violence criminelle, Pauvreté, Côte d’Ivoire

Abstract

Criminal violence has become a major concern for the populations of Abidjan, especially in the commune of Abobo. Several factors linked particularly to this municipality explain the presence of criminal violence. In fact, the evolution of the commune of Abobo has been done by leaving enough insufficiencies at the social level. Thus, this research aims to show the link between a degraded social environment and the presence of criminal violence in this municipality in order to create a favorable socio-economic climate. It was conducted with different sources of information. To this end, the working method used was based on bibliographic research, questionnaire survey and interviews. From this study, we can conclude that the difficult living conditions of the populations contribute to explain the criminal violence in this commune.

Keywords: Abobo, Social environment, criminal violence, Poverty, Ivory Coast

Introduction

De1980 à 2011, la Côte d’Ivoire a connu plusieurs crises économiques, politiques et sociales. Ces crises ont occasionné diverses conséquences. La plus récente, la crise postélectorale1 a eu pour conséquence la prolifération des armes légères et de petit calibre, l’accentuation de la pauvreté et surtout l’entrée des jeunes dans les actes de violence criminelle. En effet, depuis la fin de la crise postélectorale, l’on assiste à l’émergence des jeunes dans les actes de violence criminelle tels que les vols, les coups et blessures volontaires, les cambriolages etc… Ce phénomène a pris de l’ampleur dans la ville d’Abidjan et la commune d’Abobo en est le reflet. Situé au nord d’Abidjan, Abobo représente l’un des principaux épicentres de la violence (INTERPEACE et INDIGO, 2017, p.19). Le taux de criminalité y est de 3, 44% en 2015(Préfecture de Police d’Abidjan, 2016) contre 3,38% la moyenne nationale (Global Peace Index, 2013, p.1). La violence criminelle dans cette commune est également imputée aux ‘’microbes ‘’. Organisés en bande, ces jeunes qui se font appeler ‘’microbes’’ ou ‘’virus’ ’agressent et dépouillent les personnes au vu et au su de tous. Ils ont un âge compris entre 10 et 25 ans. Les ‘’microbes’’ constituent un véritable problème de société voire un fléau urbain faisant bon nombre de victimes au quotidien.

La commune d’Abobo est également caractérisée par une forte paupérisation (23, 3% à Abobo contre 10,3% à Yopougon (INS, ENV, 2011, p.18)). Pour le MFFAS ET UNFPA, (2008, p.16)

en Côte d’Ivoire, les formes de violences sont encore plus importantes du fait de la pauvreté de plus en plus grandissante. Dès lors, comment la pauvreté explique le phénomène de la violence criminelle dans la commune d’Abobo ? L’objectif de cette étude est de montrer le lien entre l’environnement social et la violence criminelle dans cette commune.

1- Matériels et méthodes

1.1- Présentation du cadre spatial

L’espace choisi pour cette étude est la commune d’Abobo (Carte 1). Cette commune est située au nord d’Abidjan (capitale économique de la Côte d’Ivoire). Elle est limitée au nord par la commune d’Anyama, au sud par la forêt du Banco et les communes d’Adjamé et de Cocody, à l’est par la commune de Bingerville et à l’ouest par la commune de Songon.

Carte 1 : Présentation de la commune d’Abobo

Source : BNETD/CCT, 2016                                                                   Réalisation : KOUACOU Pascale, 2016

1.2. Matériels et méthodes

La méthode de travail utilisée s’appuie sur la recherche bibliographique, l’enquête par questionnaire et les entretiens. Dans le cadre de nos enquêtes exploratoires, à titre représentatif, le tiers des quartiers a été enquêté soit 9 quartiers sur les 28 recensés et ce en raison de la superficie de l’espace d’étude et de la densité de la population. Ces quartiers ont été choisis sur la base de plusieurs critères à savoir : le nombre de ménages, la dangerosité en fonction de la fréquence des actes de violence criminelle, la localisation des quartiers par rapport au centre- ville et le type de logement dominant par quartier. Nous avons également interrogé 383 chefs de ménage au hasard. La densité de la population ne permet pas de mener une enquête exhaustive. Nous avons donc élaboré un échantillonnage. Ainsi, les données du recensement de la population de 2014 ont été utilisées pour déterminer l’échantillon représentatif. Pour déterminer le nombre de ménages représentatifs à enquêter nous avons utilisé la formule (Taille d’un échantillon et marge d’erreur CMS SPIP PDF, p8) suivante :

Avec une proportion des ménages de 0,47%, nous avons obtenu le nombre de ménage à enquêter pour chaque quartier choisi (Tableau 1).

Tableau 1 : Répartition des ménages enquêtés

  QuartiersEffectifs des ménagesProportion de ménages%Nombre de Ménages Enquêtés
Abobo Baoulé40260,4719
Abobo dokui38440,4718
Cent douze hectares135070,4763
Avocatier Agnissankoi140530,4766
Agoueto97770,4746
Habitat Sogefiha32710,4715
Agbékoi148940,4770
Sagbé centre118270,4756
Sagbé Sud63120,4730
Total815110,47383

Source : INS, RGPH, 2014

Enfin, nous avons fait des entretiens. Ces entretiens se sont déroulés avec les commissaires de police de tous les arrondissements de police de la commune d’Abobo, le régisseur adjoint de la MACA, le responsable de la police municipale, le commissaire du district de police. Toutes ces personnes ressources nous ont données des informations sur le profil sécuritaire de la commune d’Abobo. Aussi, nous avons eu des entretiens avec le chargé des Etudes du Ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, le coordonnateur du PASU. Le Programme d’Appui à la Sécurité Urbaine (PASU) vient en appui aux efforts concertés du gouvernement de la Cote d’Ivoire et des maires ivoiriens en matière de sécurité. Nous avons également fait des entretiens avec le secrétaire général de la chefferie d’Agbékoi, le président

des jeunes d’Abobo Dokui, le président du syndicat des commerçants d’Abobo, certains chefs de quartiers et certaines communautés, les secrétaires généraux des chefferies d’Agbékoi et d’Abobo Baoulé la présidente de l’ONG ‘’vivre ensemble’’ dit ‘’maman microbes’’ et deux enfants ‘’microbes’’.

En ce qui concerne le traitement des données, les cartes ont été réalisées à l’aide du logiciel QGIS 2.12. Le test du Khi 2 de Pearson a permis de faire des liens entre les variables infractions criminelle – revenus et infractions –nombre de repas pris par jour. Les tests statistiques ont été exécutés avec le logiciel XLSTAT 2014 et le logiciel Excel.

2.  Résultats

2.1-Caractéristiques de la violence criminelle à Abobo

Les enquêtes récentes menées auprès des différents responsables de la sécurité urbaine ont mis en lumière l’ampleur de la violence criminelle à Abobo à travers l’évolution des faits criminels constatés en 2013, 2015 et 2016 (figure 1).

Figure 1 : Évolution des faits constatés par les services de police et de gendarmerie d’Abobo en 2013,2015 et 2016 Source : N’goran, 2014 ; nos enquêtes, 2017

La figure présente une évolution tendancielle croissante des faits de violence criminelle de 2013 à 2016. Le coefficient directeur montre une augmentation de moyenne annuelle de 1406 faits constatés par les services des arrondissements de police et de gendarmerie à l’échelle de la commune d’Abobo. Ainsi, Cette courbe montre une croissance du nombre d’infractions criminelles de 2013 à 2016. De 3676 cas d’infractions criminelles constatés par les services de police et de gendarmerie, l’année 2016 enregistre une augmentation de formes de violence criminelle qui s’établit à 2811 cas de plus qu’en 2013 et 126 cas de plus en 2015. De même, les données des services de sécurité urbaine et celles recueillies auprès des populations ont permis de connaitre la fréquence mensuelle des infractions criminelles par quartier. En effet, dans certains quartiers, la violence criminelle est très récurrente. Les quartiers Agbékoi, Cent douze hectares, Sagbé centre et Agoueto sont ceux qui concentrent le plus d’infractions criminelles commises. Dans ces quartiers, il y a plus de 10 cas de violence criminelle par mois (carte 2).

Source : BNETD/CCT, 2016

Réalisation : KOUACOU Pascale, 2017

Carte 2 : Répartition de la fréquence mensuelle des infractions criminelles par quartier enquêté

Le quartier le plus touché par la violence criminelle est Agbékoi. Il y a en moyenne quarante- deux (42) cas de perpétration des infractions contrairement à Abobo baoulé où il y a seulement trois (3) cas par mois. À Abobo, les 3/5 des quartiers centraux sont très criminogènes. Ce sont les quartiers Agoueto, Cent douze hectares et Sagbé centre. On remarque également qu’il y a seulement 2/5 des quartiers centraux qui sont moins criminogènes. Parmi les quartiers périphériques, il y a seulement un qui est très criminogène, les autres c’est-à-dire les 3/4 sont moins criminogènes. Cette carte permet d’affirmer qu’à Abobo, la plupart des quartiers centraux sont soumis aux actes de violence criminelle de façon récurrente. Tandis que les quartiers périphériques, dans notre étude, sont pour la plupart moins criminogènes.

2.2. Une violence criminelle perpétrée dans les quartiers aux populations à faible revenu

L’étude réalisée a porté sur la catégorie socio- professionnelle des chefs de ménage, les revenus, le nombre de repas par jour, le nombre d’enfant par ménage, en lien avec la violence criminelle à Abobo. La commune d’Abobo est composée en majorité de commerçants et de personnes exerçant les petits métiers. Ils constituent la catégorie d’emplois libéraux (commerçants, chauffeurs, ferrailleurs, maçons, peintres, mécaniciens, ferronniers ainsi que d’autres petits métiers. Cette catégorie représente 55,4% des chefs de ménage d’Abobo (nos enquêtes, 2017). Certains quartiers comme Sagbé centre, Agoueto, Agbékoi et Cent douze hectares abritent une importante proportion de personnes sans emploi ou au chômage. Les revenus des chefs de ménages présentent des nuances à l’échelle des quartiers. Dans les quartiers très criminogènes c’est-à-dire à Sagbé centre, Cent douze hectares, Agbékoi et Agoueto, on retrouve une forte proportion des chefs de ménages qui ont un revenu mensuel en dessous de 50 000 francs CFA. Dans ces différents quartiers, les emplois exercés par la population sont pour la plupart des emplois du secteur informel. Les revenus sont souvent très bas et n’arrivent pas à répondre à toutes les charges du ménage. Dans cette catégorie, il existe des chefs de ménage qui n’ont aucun emploi (60 %). Dans les quartiers moins criminogènes, (Abobo baoulé, Habitat Sogefiha et à Abobo dokui), la majorité des ménages a plus de 150 000 francs CFA. Ce sont respectivement 63,16%, 60% et 50 %. Cela s’explique par le fait que ces quartiers renferment des fonctionnaires et agent de l’État. Ils renferment également des grands commerçants, des personnes exerçant dans le privé.

A Abobo,76,5% des chefs de ménages enquêtés effectuent en totalité les dépenses du ménage pour toutes les charges confondues. Il y a également ceux qui se font aider en partie dans cette tâche par les enfants ou la compagne. Ils sont peu nombreux. Ils constituent 2,61% des chefs de ménage enquêtés. Enfin, on a les chefs de ménage qui n’effectuent aucune dépense. Ils représentent 20,89%. Dans ces ménages, c’est soit la compagne ou les enfants qui subviennent aux charges. Le chef de ménage étant sans emploi ou inactif et n’ayant aucun revenu. En somme, toutes les charges du ménage reposent en totalité sur la majorité des chefs de ménages. Or, les revenus tirés des emplois libéraux ou du secteur informel ne suffisent toujours pas pour faire face aux dépenses du ménage. Cette situation s’avère difficile dans les ménages qui contiennent plusieurs personnes.

Les dépenses des ménages sont énormes pour la majorité des chefs de ménages enquêtés. En fait, 350 ménages sur 383 ménages enquêtés soit 91,38% des ménages reconnaissent que le revenu mensuel n’arrive pas à combler les charges du ménage. Seulement 33 ménages c’est à dire 8,62% des ménages arrivent à faire face aux dépenses eu égard à leur revenu. Dans ces conditions, plusieurs ménages vivent des situations difficiles. Tous ces résultats montrent qu’un grand nombre de ménage vit avec des revenus faibles. Les faibles revenus rendent difficiles les conditions de vie surtout dans un contexte de familles nombreuses.

À Abobo, la majorité des ménages sont composés généralement de plusieurs individus. Dans le quartier Cent douze hectares, 58, 73% des ménages renferment plus de 8 personnes contre 4,76% des ménages composés de moins de 4 individus. À Abobo dokui, la majorité des ménages contient 4 à 6 personnes. Il y a des différences au niveau des tailles de ménage par quartier. En fait, à Abobo dokui, à Abobo baoulé et à Agnissankoi la majorité des ménages renferme moins de 6 personnes. Ce sont respectivement 63,16 %, 61,11% et 62,12% à Abobo baoulé, Abobo dokui et à Avocatier Agnissankoi. Par contre, à Cent douze hectares, Sagbé centre, Agoueto, et Agbékoi ce sont respectivement 84,12%, 78,57%, 73,91% et 78,57 % des ménages qui renferment plus de 6 personnes. Ces résultats traduisent la présence de plusieurs familles nombreuses. La taille élevée des ménages s’explique en partie par le fait qu’il existe des chefs de familles polygames dans ces quartiers. Les crises récentes qu’a connu le pays ont occasionné les déplacements de populations. Ces déplacements ont eu plusieurs impacts dont l’élargissement des familles partout à Abidjan notamment à Abobo. En fait, certains ménages sont constitués de plusieurs individus. Ce qui influe sur la cellule familiale surtout dans un contexte de faibles revenus. Selon l’INS (ENV, 2011), à Abobo, les ménages pauvres ont en moyenne 8,5 soit 9 personnes par ménage. Si l’on s’en tient aux données de l’INS et aux résultats partiels de cette étude, les quartiers tels que Agbékoi, Sagbé centre, Cent douze hectares et Agoueto abritent une part importante de population pauvres. En fait, dans ces quartiers la majorité des ménages ont une taille supérieure ou égale à huit (8) personnes. Les revenus des chefs de ménage permettent de caractériser les quartiers en fonction de la

criminalité. Le tableau 2 permet de voir le lien entre le niveau de revenu et la fréquence des infractions criminelles.

Tableau 2 : Répartition des p-value du test de Khi² entre les revenus et la fréquence d’infractions criminelles

 Moins    de 50000[50    000;    100 000[[100 000;150000[[150 000;200000[
Fréquence            des infractions criminelles  0,0082  0,0035  0,6446  0,8665

Source : Nos enquêtes, 2016-2017

À un niveau de confiance de 95%, la p-value (p = 0,0001) du Khi² révèle une influence très significative entre le niveau de revenu et la fréquence des infractions criminelles. Les résultats révèlent une association significative entre les revenus de moins de 50 000 frs CFA et la fréquence des infractions criminelles (p = 0,0082). Cette association est également significative (p= 0,0035) entre les revenus de moins de 100 000 francs CFA et la fréquence des infractions criminelle. Cela traduit le fait les quartiers où la fréquence des infractions est élevée les revenus des chefs de ménage sont faibles. En effet, les revenus faibles empêchent les parents de s’occuper convenablement de leurs enfants surtout dans les familles où plusieurs personnes composent le ménage.

Dans les quartiers très criminogènes, 49,22% des ménages contiennent plus de huit (8) personnes. Alors que dans les quartiers moins criminogènes, la majorité des ménages c’est-à- dire 58,61% ont moins de six (6) personnes. On observe une promiscuité dans les ménages vu le nombre de pièces par ménage dans les quartiers très criminogènes. Les enfants issus des quartiers très criminogènes donc des quartiers ou les chefs de ménage ont un revenu faible, grandissent avec les difficultés économiques des parents. Certains parmi eux, malgré leur jeune âge se nourrissent eux-mêmes voire s’éduquent seuls. Le moyen qu’ils choisissent pour se procurer ce dont ils ont besoin est, sans aucun doute, la perpétration des actes de violence criminelle surtout les vols. En plus, le nombre moyen des repas partagé par jour dans les ménages permet d’expliquer la violence criminelle à Abobo.

2-3- Repas partagé par jour et criminalité

Le nombre de personnes dans le ménage rend difficile les conditions de vie et surtout pose le problème du nombre de repas moyen partagé par les membres du ménage. En moyenne, à Abobo, les ménages partagent 2 repas par jour notamment le déjeuner et le diner. Le petit déjeuner est pris par 13,31 % des ménages. Le gouter quant à lui est exclu des repas quotidiens des membres des ménages enquêtés. C’est ce qu’indique la figure 2

Figure 2 : Répartition du nombre moyen de repas pris par jour dans les ménages à Abobo Source : Nos enquêtes, 2016- 2017

La figure 2 montre des différences au niveau du nombre de repas pris par jour par les ménages dans la commune d’Abobo. À Abobo, 44, 13 % des ménages partagent deux (2) repas par jour. Il y a également 42,56% des ménages qui partagent seulement qu’un (1) repas par jour contre 13, 31% partageant trois (3) repas par jour. Cette approche globale se trouve différenciée à l’échelle des quartiers. À Agbékoi, Sagbé centre, Cent douze hectares et Agoueto, la majorité des chefs ménages assurent en moyenne un (1) repas par jour. Par contre, à Abobo baoulé (57,89%), Abobo dokui (50%), Avocatier agnissankoi (53,03%) et Habitat Sogefiha (66,67%), les ménages partagent deux (2) repas par jour. Ces quartiers concentrent également plusieurs ménages qui prennent en moyenne trois (3) repas par jour. Par contre à Agbékoi, Sagbé centre, Cent douze hectares, Agoueto une faible part des chefs de ménages assurent trois (3) repas par jour. Tous ces résultats expliquent le niveau de revenu des chefs de ménages toujours dans un contexte de familles nombreuses. En fait, les revenus des chefs de ménages limitent la capacité des membres des ménages à accéder à une alimentation suffisante. Les revenus combinés au nombre de personnes par ménage agissent sur le nombre de repas pris par jour. Le nombre de repas pris par jour dans les ménages permet lui aussi de catégoriser les quartiers en fonction de la criminalité. C’est ce que montre le tableau 3.

Tableau 3 : Répartition des p-value du test de Khi² entre le nombre de repas par jour et la fréquence d’infractions criminelles

Variablesun repasdeux repastrois repas
Fréquence des infractions0,00340,30710,4160

Source : Nos enquêtes, 2016-2017

À un niveau de confiance de 95%, la p-value (p = 0,0001) du Khi² révèle une influence très significative entre le nombre de repas pris par jour et la fréquence des infractions criminelles. Ce test révèle qu’un seul repas pris par jour dans les ménages influence significativement la fréquence des infractions criminelles. En fait, les quartiers très criminogènes majorité des ménages partagent un seul repas par jour (p = 0,0034).

Certains enfants ne trouvant pas à manger à la maison se sentent parfois obliger d’agresser et de dérober pour avoir de quoi manger. Un des jeunes dit ‘’en conflit avec la loi’’ enquêté a affirmé qu’il ‘‘travaille’’ (chez lui, travailler veut dire voler) pour acheter de quoi se nourrir. Il en est de même pour les majeurs impliqués dans les actes de violence criminelle notamment dans les actes de vols de toutes catégories.

Concernant le nombre de repas par jour, un enfant microbe déclare en ces termes :

« A la maison, on mange un peu mais seulement la nuit. Il y a des jours ou on ne mange même pas. Je ‘’travaille’’ pour gagner de l’argent pour manger. Quand on (mes amis et moi) gagne de l’argent, je ne dors pas à la maison. Je reste avec mes ‘’amis’’ on mange dehors, on s’amuse, on dort dehors. Mais quand l’argent fini, on recommence encore aidé par notre vieux-père».

B.15 ans, un des microbes enquêtés au quartier Cent douze hectares

En somme, le faible revenu des chefs de ménages peut entrainer un faible niveau de scolarisation, de suivi ou de contrôle des enfants. Dans ces conditions, la situation des chefs de ménages s’avère précaire. Les familles souvent très nombreuses n’arrivent pas à subvenir aux besoins de la maison. Dès lors, les habitants vivent dans des conditions de vies difficiles. De ce qui précède, les ‘’microbes’’ sont issues de famille ayant une situation économique difficile.

3.    Discussions

En Côte d’Ivoire, il existe très peu d’études sur le phénomène de la violence criminelle en lien avec les facteurs sociaux. Cependant, les résultats de plusieurs études, réalisés en Afrique, en Amérique et en Europe par bon nombre d’auteurs sur la violence et ses causes, rejoignent nos résultats. En effet, la violence criminelle compte parmi les plus sérieux et les plus inquiétants problèmes en matière de sécurité que connaissent aujourd’hui les sociétés du monde entier. Selon l’OMS (2002, p.3) est violent ce qui « entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un mal développement ou des privations ».

Le FMI (2012, p.5), nous instruit qu’en Côte d’Ivoire, le taux de pauvreté a augmenté, passant de 10% en 1985 à 48,9% en 2008 et après la crise post-électorale de 2011, plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette pauvreté influe également sur le développement de la violence criminelle comme le fait remarquer X. Crettier (2008, p. 20) quand il stipule que « la pauvreté joue un rôle moteur dans le déchainement de la violence ».

M. A. Pérouse (2004, p.89) abonde dans le même sens quand il affirme que « la déviance s’assimile à la pauvreté ». C’est pourquoi dans son ouvrage sécurité, dynamiques urbaines et privatisation de l’espace à Johannesburg, C. Boisteau (2005, p.15) soulève une question pertinente à savoir : « Quelles sont les conséquences directes et indirectes du sous-équipement, de la surpopulation, du manque de formation, du chômage et de tant de problèmes sociaux qui s’enchaînent comme une fatalité dans les townships ? ». L’auteur répond que l’une des conséquences est le recours à la violence. Pour elle, la criminalité en Afrique du Sud est profondément liée au mode de vie de la population donc ceux qui commettent les crimes manquent de biens fondamentaux tels que la nourriture ou un toit. En fait, la faim justifie le recours à la violence (C.Boisteau, 2005, p.33). Ainsi, la criminalité est liée aux conditions de vie difficiles. Aussi, N. Brender (2012, p. 12) remarque qu’un nombre important de villes à faible revenu et de villes à revenu intermédiaire affichent des taux de violence, d’insécurité, de pauvreté et d’inégalité supérieurs à la moyenne. Ici, les questions de frustrations et d’inégalités

sociales sont importantes. Selon I. Touré et K. N’guessan (1994) violence sociale, violence liée à la délinquance, violence politique sont les manifestations d’un monde d’inégalités sociales, de frustrations, de gains faciles et de stress permanent entretenu par les problèmes existentiels de la vie quotidienne. Ainsi, Human rights (2003, p.9) affirme que « Les inégalités sociales persistantes, la disponibilité d’armes et de drogue, la fracture sociale, la discrimination systématique sont autant de facteurs aggravants de la criminalité ». Les inégalités structurelles sont souvent plus palpables dans les zones urbaines : une jeunesse qui grandit dans un bidonville jouxtant une communauté riche et barricadée est consciente qu’ils ne vivent pas au quotidien dans les mêmes conditions (OCDE, 2011, p.43). Cette séparation par zones homogènes d’habitat traduit une ségrégation sociale, culturelle et économique (I. Kassi, 2007, p. 120) Pour C. Boisteau (2005, p.29), les facteurs extérieurs comme les disparités, la précarité, la ségrégation économique, spatiale, le chômage ont une indéniable incidence sur la violence. En effet, le REPCI (2006, p.75) affirme qu’en Côte d’Ivoire, « au niveau économique, le chômage a créé l’oisiveté et l’errance des jeunes, la pauvreté et les conditions favorables pour qu’ils se portent vers l’alcoolisme, la drogue et la violence ». I. Touré, K. N’guessan (1994), abondent dans le même sens quand ils écrivent que « la violence des ivoiriens a commencé à augmenter à une allure vertigineuse pour les raisons précitées dont essentiellement le chômage ».

Pour S. Beaud et M. Pialoux (2003, p.7), « l’on ne saurait analyser le malaise des « jeunes de banlieues » sans rappeler que leur taux de chômage n’a cessé d’augmenter durant les années 1990, creusant de surcroît les écarts en fonction des niveaux de diplôme (ce qui maximise les frustrations économiques et sociales des moins diplômés) ». Cependant, le Comité d’études sur la violence la criminalité et la délinquance (1977, p. 60), n’est pas en état de dire qu’il existe la moindre corrélation scientifiquement établie entre les phénomènes de la violence et ceux du chômage ou de la croissance.

En somme, tous ces auteurs cités précédemment et nos résultats montrent que la pauvreté est vite corrélée à la criminalité. Cependant, X. Raufer (2009, p.3), de son coté, refuse cette thèse et la qualifie de « culture de l’excuse ». Il affirme donc qu’:« il est faux et scandaleux de dire qu’on est criminel du fait que l’on est pauvre ou sans-emploi. C’est voir un lien de cause à effet simpliste là où il n’y a que coïncidence ; et c’est oublier que l’essentiel des personnes sans ressource ou emploi sont respectueuses des lois et ne posent nul problème ». Pour lui, la culture de l’excuse empêche d’examiner objectivement le réel criminel ; « au contraire, on l’excuse a priori en accusant la société ». En outre, M. Choquet (2001, p.10) est d’avis avec le précèdent auteur lorsqu’elle écrit que « les facteurs sociaux, jouent un rôle plus faible dans l’émergence des violences, car les jeunes violents, dont certains ont commis des actes graves ne se caractérisent pas principalement par leur statut social même s’il existe un effet (modéré) de l’origine ethnique et du lieu d’habitat ». J. P. Garnier (2012, p. 24) abonde dans le même sens quand il affirme que « dans la rhétorique sécuritaire qui prévaut maintenant, toute référence aux causes sociales du phénomène de la délinquance est qualifiée d’“ excuse sociologique ”, donc rejetée comme nulle et non avenue. Seule compte la “ responsabilité personnelle” ». Pour E. Latour (2005, p. 160), la violence à Abidjan ne s’explique seulement pas par la seule misère économique ou sociale : c’est aussi un choix. Pour ces auteurs, la violence criminelle ne s’assimile pas à la criminalité et vice versa.

Conclusion

Cette étude a permis de montrer le lien entre les conditions de vie difficiles des populations et la présence de la violence criminelle dans la commune d’Abobo. Ainsi, les faibles revenus des populations, le nombre de repas journalier assuré par les chefs de ménages, les catégories socioprofessionnelles des chefs de ménage, le chômage, expliquent l’implication des jeunes ‘’ microbes’’ dans les actes de violence criminelle. Les populations espèrent que les problèmes de sécurité, de politique urbaine et sociale soit résolus définitivement pour leur bien-être.

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