Corrélation entre la desserte médicale et l’utilisation des établissements sanitaires de premier contact du District Sanitaire de Bouaké Sud (Centre de la Côte d’Ivoire) dans un contexte post-crise
BRISSY Olga Adeline, KOUASSI Konan, SREU Eric, ASSI-KAUDJHIS Joseph P.
Résumé
Malgré la volonté manifeste d’améliorer la desserte médicale, l’utilisation des établissements sanitaire de premier contact pour des soins de santé curative en Côte d’Ivoire, en général, et dans le District Sanitaire de Bouaké Sud, en particulier, reste un des défis majeurs à relever dans un contexte de reconstruction post-crise. Cet article a pour objectif général de faire le bilan de l’évolution de la desserte médicale sur l’utilisation des services soins de santé curative dans un contexte de reconstruction post-crise. Mené à partir de l’exploitation des annuaires statistiques, des rapports d’activité et des données d’une enquête transversale, ce travail montre que l’amélioration de la desserte médicale dans le District Sanitaire de Bouaké Sud dans un contexte de reconstruction crise a contribué à accroitre l’utilisation des services de soins curatifs. La desserte médicale a connu une amélioration très significative de 2006 à 2016. En effet, la p-value (p = 0,00036) du test de tendance de Mann-Kendall révèle une diminution hautement significative du ratio nombre d’habitants/infirmier. Cependant, le taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact pour des soins de santé curative reste faible, selon les résultats de notre étude. Mené à partir de l’exploitation des annuaires statistiques et des rapports d’activité, ce travail montre que l’amélioration de la desserte médicale dans le District Sanitaire de Bouaké Sud dans un contexte de reconstruction crise a contribué à accroitre l’utilisation des services de soins curatifs dans le District Sanitaire de Bouaké Sud.
Mots-clés : District Sanitaire de Bouaké Sud, Desserte médicale, Utilisation, Etablissements sanitaires de premier contact, Soins de santé curatifs
Abstract :
Key words:
INTRODUCTION
L’organisation du système de santé ivoirien porte les empreintes de l’héritage colonial. Dans les premières années de l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, la politique de développement sanitaire était essentiellement fondée sur la création d’hôpitaux, de dispensaires et de maternités dans les espaces urbains, voire la création des services mobiles de lutte contre les grandes endémies destinées à l’espace rural (Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2008, p.16). La crise économique et financière qui a frappée de plein fouet la Côte d’Ivoire au cours des années 1980, a conduit l’Etat ivoirien à s’orienter vers la politique des Soins de Santé Primaires. Adoptée en 1981, la politique de Soins de Santé Primaires constitue l’épine dorsale de l’amélioration de l’accès aux soins de santé en Côte d’Ivoire(Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2008, p.16).Après plusieurs essais pilotes de mises en oeuvre de cette politique, le passage à échelle nationale a débuté en 1994 par la création des districts sanitaires et la définition en 1996 d’un paquet minimum d’activités aux échelons primaires et secondaires de la pyramide sanitaire (Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2008, p.16).
Cependant, les acquis de la mise en oeuvre de la politique de soins de santé primaires ont été entravés par les effets néfastes du coup d’état du 24 décembre 1999 et la crise militaro-politique de 2002 qui a provoqué la disparition de l’autorité de l’Etat dans les zones Centre, Nord et Ouest du territoire national. Cette crise a favorisé une désorganisation du dispositif sanitaire qui s’est traduite par la cessation des activités dans sept directions régionales et 24 districts sanitaires (Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2008, p.20). Les statistiques révèlent que le taux d’utilisation des soins curatifs en Côte d’Ivoire reste faible malgré les améliorations observées de 2004 à 2016.En effet, le taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact pour des soins curatifs estimé à 14,2% en 2004 (DIPE, 2008, p.228) est passé à 26,31% en 2012 (DIPE, 2013, p.152) puis à 45,25% en 2016 (DPPEIS, 2017, p.188). Malgré la volonté manifeste d’améliorer la desserte médicale dans un contexte de reconstruction post-crise, l’utilisation des établissements sanitaires de premier contact pour des soins curatifs dans le District Sanitaire de Bouaké Sud reste un des défis majeurs à relever. Dans la perspective de redynamiser le système de santé après la crise post-électorale, des mesures de gratuité des soins ont été instituées en 2011 par l’Etat de Côte d’Ivoire. Par ailleurs, une amélioration de la desserte médicale a été envisagée afin d’améliorer l’utilisation des services de santé. Quel est le bilan de l’évolution de la desserte médicale sur l’utilisation des Etablissements Sanitaires de Premier Contact (ESPC) du District Sanitaire de Bouaké Sud dans un contexte
de post-crise ? Cette étude vise à faire le bilan de l’amélioration de la desserte médicale sur l’utilisation des ESPC du District Sanitaire de Bouaké Sud dans un contexte de post-crise. Les résultats de cette étude ont été structurés en trois parties. La première montre les caractéristiques de la desserte en ESPC du District Sanitaire de Bouaké Sud. La seconde partie évalue le niveau d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact à l’échelle de ce territoire sanitaire. La troisième examine le lien entre l’évolution de la desserte médicale et l’utilisation des services de santé dans le District sanitaire de Bouaké Sud.
1. Matériels et méthodes
1.1. Présentation du cadre spatial de l’étude
Le District Sanitaire de Bouaké Sud a été créé en 2002 et ouvert en 2004. Ce territoire a été morcelé en 11 aires sanitaires. Avec une superficie de 733 km², il comptait250567 habitants en 2017 et s’étend sur deux sous-préfectures et commune est composé de deux sous-préfectures et communes qui sont Bouaké et Djébonoua. Il couvre, par ailleurs, 109 villages (District Sanitaire Bouaké Sud, 2017). Dans sa partie urbaine, ce territoire se subdivise en cinq quartiers qui sont : Koko, Air France, Kennedy, Nimbo et Angouatanouko. La superficie du district sanitaire est d’environ 733 km². La longueur de son réseau routier est estimée à 342,674 km avec une densité à 0,47 Km/Km². Celui-ci est composé de voirie urbaine, de voies interurbaines et de pistes rurales. Les voies interurbaines regroupent les routes qui relient la partie urbaine du District Sanitaire de Bouaké Sud aux localités urbaines environnantes telles que Tiébissou (au Sud), Didiévi (au Sud) et M’bahiakro (à l’Est). Elles se subdivisent en routes nationales non revêtues et en routes nationales revêtues (carte nº1). Sur le plan des infrastructures sanitaire, le District de Bouaké Sud disposait en 2016 de 15 établissements trois Centres de Santé Urbains (CSU), quatre Centres de Santé Ruraux (CSR), deux Services de Santé Scolaire et Universitaire, (SSSU), une Formation Sanitaire Urbaine (FSU) et trois Dispensaires Ruraux et deux Structures sanitaires confessionnelles (figure n°1).
1.2 La collecte des données et leur traitement
Cette étude est de type rétrospectif, transversal, descriptif et analytique de la desserte médicale et de l’utilisation des services de soins curatifs. Les résultats reposent d’une part sur l’exploitation des données d’une enquête transversale qui a lieu durant la période allant de Juin à Août 2016 dans les aires sanitaires du District Sanitaire de Bouaké Sud et d’autre part sur les annuaires statistiques couvrant la période de 2004 à 2016 ainsi que des rapports d’activités de 2014 du District sanitaire de Bouaké Sud. L’enquête de terrain a été axée sur les logiques de proximité ou d’éloignement qui sous-tendent l’utilisation des services de santé notamment dans les aires de santé en milieu rural. L’exploitation des données issues de ces sources secondaires a permis de faire l’analyse des indicateurs de desserte médicale et d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact. La desserte médicale est appréhendée comme le rapport de la population sur le nombre de praticiens (A. Niang et P. Handschumacher, 2006,
p.240). Elle est mesurée par le rapport entre la population potentiellement desservie et le personnel médical dans une aire de couverture sanitaire. Dans le cadre de cette étude, la desserte médicale a été appliquée aux établissements sanitaires de premier contact. Cette desserte peut être également mesurée par le rapport entre l’effectif de la population et l’effectif des établissements sanitaires dans un district sanitaire. Le taux d’utilisation est mesuré par le rapport entre l’effectif de consultant et l’effectif de la population dénombrée (DIPE, 2011, p.78) dans une aire sanitaire. L’analyse des caractéristiques évolutives de la desserte médicale et de l’utilisation des services de santé a nécessité l’utilisation des tests de tendance de Mann-Kendall et d’homogénéité de Pettitt. Les tests de corrélation entre la desserte médicale et l’utilisation des services de santé ont été effectués à l’aide du test de Bravais-Pearson. Pour tester la significativité des ruptures observées dans les séries chronologiques, des tests de Pettitt ont été réalisés. Les indices de desserte de population par infirmier ont été calculés pour l’analyse des phases d’évolution du taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact et d’évolution du ratio de population par infirmier. Ce sont des indices centrés réduits qui permettent d’analyser la variation des taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact et des ratios de population par infirmier. L’indice a été déterminé en s’inspirant de la formule des valeurs réduites présentée par F. Grosjean et al. (2011, p.70) dans « la statistique en clair ». La formule est libellée comme suit : Ii = (X i – X)/σ, où Ii = Indice de desserte ou d’utilisation ; X i = Cumul des années i étudiés ; X = Moyenne des ratios population par infirmier ou de taux d’utilisation sur la période de référence ; σ = Valeur de l’écart type de la variable sur la même période de référence. Les indices négatifs indiquent une tendance à la baisse tandis qu’un indice positif indique une tendance à la hausse. Les tests statistiques et les illustrations graphiques ont été réalisés à l’aide du logiciel XLSTAT 2014. Les cartes ont été élaborées à l’aide du logiciel QGIS.2.0.1.
2. Résultats
2.1. Caractéristique de la desserte du territoire par les établissements sanitaires depremier contact
2.1.1. Des disparités spatiales de couverture sanitaire
La couverture totale des territoires par les établissements sanitaires obéissant aux normes de l’OMS n’est pas encore effective en Côte d’Ivoire en général et dans le District Sanitaire de Bouaké Sud en particulier. On constate une juxtaposition des zones de bonne couverture sanitaire et des déserts sanitaires dans le District sanitaire de Bouaké Sud. Cette couverture spatiale hétérogène des territoires sanitaires selon les normes de couverture recommandées par l’OMS est illustrée à travers la figure n°2.
La figure n°2 laisse transparaître, l’inégale couverture du territoire du District Sanitaire de Bouaké Sud par les établissements sanitaires de premier contact en se référant au rayon de couverture de 5 km recommandé par l’OMS. Cette couverture spatiale hétérogène est caractérisée par une juxtaposition des poches de bonne couverture sanitaire et des poches de déserts sanitaire. Ils sont considérés comme des zones de déserts sanitaires, les territoires situés en dehors d’un rayon de 5 km d’un établissement sanitaire de premier contact. Elles subsistent à l’échelle des espaces ruraux. On retrouve ces zones de désert sanitaire notamment dans le nord-est, le sud-est et à l’ouest. Dans l’ensemble, la majorité (85,57%) des populations du District Sanitaire de Bouaké Sud vit à une distance minimale de 5 km d’un établissement sanitaire de premier contact. Environ 14,43% de la population vit dans les zones de désert sanitaire. Dans la zone urbaine, toute la population a accès à un ESPC dans un rayon de moins de 5 km. Par contre, en milieu rural, la proportion de population vivant à l’intérieur d’un rayon de 5 km d’un établissement sanitaire de premier contact est estimée à 54,14%. Environ 45,86% de la population vit dans les zones de déserts sanitaires. Dans l’aire sanitaire d’Assouakro
(57,23%), Kongodékro (66,05%), Gare-Kan (71,46%) et de Tieplé (77,42%) plus de la moitié de la population vivent respectivement dans des zones de désert sanitaire contrairement aux aires sanitaires de Kouassiblékro (29,71%) et de M’lankouassikro (27,75%).
2.1.1. Des aires sanitaires denses au plan démographique
La desserte des établissements sanitaires de premier contact est ici mesurée par le ratio établi entre la population potentiellement bénéficiaire des services de santé et les structures sanitaires dans les aires de desserte géographique. La figure n° 3 indique la répartition des ratios habitants par établissement sanitaire de premier contact enregistrés à l’échelle des aires sanitaires du
District Sanitaire de Bouaké Sud.
L’analyse de la figure n°3 montre que le niveau de desserte des établissements sanitaires de premier contact évalué à partir des ratios entre la population et le service de santé n’est pas globalement en conformité avec les normes prescrites par l’OMS qui a fixé un ratio de 10000 habitants pour un établissement sanitaire de premier contact. Le ratio (14740 habitants/ESPC) obtenu dans le district sanitaire de Bouaké Sud, n’est pas satisfaisant en se référant à la norme de l’OMS. Cet aperçu global occulte des nuances. Cependant, les ratios obtenus dans les aires sanitaires des centres de santé ruraux et des dispensaires ruraux sont en conformité avec la norme de l’OMS. Les exemples édifiants des aires sanitaires du centre de santé rural de Kongondekro (8727 habitants/ESPC), de Lengbré (8113 habitants/ESPC), de Gare Kan (7948 habitants/ESPC) et d’Assouakro (7755 habitants/ESPC), des dispensaires ruraux de Kouassiblékro (2646 habitants/ESPC), de M’lankouassikro (2490 habitants/ESPC) illustrent clairement cette conformité avec les normes de l’OMS. Même si les normes de l’OMS ont été respectées en milieu rural, ce n’est pas le cas dans les aires sanitaires urbaines. Les ratios enregistrés dans l’aire sanitaire de la Formation Sanitaire Urbaine de Koko (89104 habitants/ESPC), des Centres de Santé Urbains de Nimbo (28781 habitants/ESPC), de Djebonoua (18345 habitants/ESPC) et d’Air-France (70912 habitants/ESPC) illustrent bien ce constat. Ces déséquilibres observés dans la distribution des ESPC sont liés à l’inadéquation entre le rythme d’évolution de la population et de l’offre de soins.
2.1.2 Une baisse très significative des ratios de population par infirmier dans le District Sanitaire de Bouaké Sud de 2006 à 2016
Le ratio infirmier par population est un indicateur sanitaire qui permet d’évaluer la capacité du système de santé à fournir des soins infirmiers (DIPE, 2013). Le ratio de population par infirmier a connu une amélioration de 2006 à 2016 dans le district sanitaire de Bouaké Sud. Cette amélioration est illustrée à travers la figure n°4.
L’équation de droite (y = -1078x + 14226) révèle une diminution du ratio population par infirmier. En moyenne, annuellement, le nombre d’habitants qu’un infirmier devrait théoriquement servir, a connu une diminution de 1078 habitants. La p-value (p = 0,00036) du test de Mann-Kendall révèle une diminution hautement significative des effectifs de population qu’un infirmier doit théoriquement servir. Par ailleurs, le Test de Pettitt (p = 0,0001) a révélé une rupture significative dans cette évolution décroissante des ratios population par infirmier à partir 2010. La figure n°5 montre les phases d’évolution de l’indice de desserte de population
par infirmier.
La diminution de l’effectif de population que doit servir un infirmier est imputable à l’augmentation de l’effectif des infirmiers dans le District Sanitaire de Bouaké Sud suite à la réhabilitation des infrastructures sanitaires et au redéploiement de l’administration à partir de 2010. La fin de la crise militaro-politique de 2002 à avril 2011, a permis de faire fonctionner à nouveau les établissements sanitaires de premier contact qui ont été abandonnés durant la période de crise militaro politique.
2.1.3 Une inégale répartition du ratio de population par infirmier dans le District Sanitaire de Bouaké Sud
Le ratio population par infirmier dans le District Sanitaire de Bouaké Sud est estimé à 4556 habitants pour un infirmier. Ce ratio illustre un niveau de desserte satisfaisant en se référant à la norme de l’OMS (un infirmier pour 5000 habitants) et aux indicateurs à l’échelle nationale (1 infirmier pour 4 619 habitants en 2014) en 2014. En revanche, en se référant aux objectifs du Programme National de Développement Sanitaire (PNDS2012-2015) qui envisageait un infirmier pour 2000 habitants (Ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida et Programme National de Lutte contre le Paludisme, 2014), il apparait clairement que l’objectif d’amélioration des soins infirmiers à partir de l’augmentation du nombre de personnel n’a pas été atteint. Spatialement, l’analyse de la couverture de la population par le personnel infirmier en fonction des aires sanitaires laisse transparaître des disparités (figure n°6).
A l’analyse de la figure nº6, il ressort que les aires sanitaires qui affichent les ratios les plus satisfaisants, sont ceux de Nimbo et de M’lan Kouassikro (2490 habitants/infirmier, Assouakro(3877 habitants/infirmier et Lengbré (4057 habitants/ infirmier). Les ratios les moins satisfaisants c’est-à-dire ceux qui excèdent les normes de l’OMS se retrouvent quant à eux, dans les aires sanitaires urbaines de Koko (6365 habitants/infirmier), d’Air France (10130 habitants/infirmier), de Djébonoua (6115 habitants/infirmier) et dans les aires sanitaires rurales de Kongodékro (8727 habitants/ infirmier) et Tiéplé (5746 habitants/infirmier). Globalement, il ressort de l’analyse de l’amplitude de desserte évaluée à 7831/ infirmier et du coefficient de variation évalué à 99,56%, un écart considérable et une variation énorme entre les ratios enregistrés au niveau des aires sanitaires.
2.2. Une faible utilisation des établissements sanitaires de premier contact dans le DistrictSanitaire de Bouaké Sud
2.2.1. De faibles taux d’utilisation des ESPC malgré une évolution tendancielle annuelle croissante
Le taux d’utilisation est un indice qui permet de mesurer le niveau d’utilisation établissements sanitaires. Les PNDS 2009-2013et 2012-2015 avaient fixé pour objectif l’augmentation des taux d’utilisation des services de santé en Côte d’Ivoire qui devaient ainsi atteindre le seuil de 30%. De 2004 à 2016, le taux d’utilisation des services de santé dans le District Sanitaire de Bouaké Sud a connu une évolution tendancielle croissante comme l’illustre la figure nº7.
L’équation de la droite de tendance (y = 2,589x + 7,972) révèle une évolution tendancielle croissante des taux d’utilisation des formations sanitaires. Le coefficient directeur de l’équation de droite de tendance (y = 2,589x + 7,972) illustre une augmentation moyenne annuelle de 2,59%. Par ailleurs, au seuil de significativité de 5%, la p-value (p = 0,021) du test de Mann-Kendall a révélé une évolution tendancielle croissante significative du taux d’utilisation des services de soins de 2004 à 2016. Cependant, le Test de Pettitt (p = 0,047) a révélé une rupture significative dans cette évolution des taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact à partir de 2011. L’illustration graphique de cette rupture est observée à travers la figure n°8.
En moyenne, les taux d’utilisation des ESPC sont passés de 18,25% de 2004 à 2011 à 37,91% de 2012 à 2016. De 2004 à 2011, la faible utilisation des services de santé peut s’expliquer par l’effet conjugué de la détérioration des conditions de vie et de la qualité des services de santé. La précarité des conditions de vie des populations durant la période de crise militaro-politique de 2004 à 2010 a été un facteur limitant d’utilisation des services de santé par les populations vivant notamment en milieu rural. Par ailleurs, la hausse des taux d’utilisation des formations sanitaires observée à partir de 2012 s’explique par un contexte de reconstruction post-crise marqué par le retour de l’administration suite à la fin de la crise militaro-politique de 2002. A partir de 2012, on a assisté à la réhabilitation et à l’équipement des services de santé. Cette réhabilitation a été un facteur stimulant de l’utilisation des services de santé. Le retour de l’administration a permis le fonctionnement adéquat des services de santé. La politique de gratuité des soins initiée à partir de mai 2011 après la fin de la crise post-électorale de 2010 a été également un facteur propice à l’utilisation des services de santé. Cette mesure a permis de surmonter les barrières d’accessibilité financière des soins à partir de la gratuité des actes et des médicaments offerts aux patients. Cependant, cette politique de gratuité des soins a engendré la baisse du taux de recouvrement des coûts des services de santé (Ministère de la Santé et de la Lutte Contre le Sida, 2014, p.36). L’instauration de la gratuité ciblée des soins en faveur des femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans à partir de février 2012 a également favorisé l’amélioration des taux d’utilisation des services de santé au niveau de cette catégorie de population vulnérable.
2.2.2. Une disparité spatiale significative des taux d’utilisation des services de santé
En 2014, le taux d’utilisation enregistré dans les établissements sanitaires de premier contact s’élevait 32,16%. Ce taux reste conforme aux objectifs du PNDS 2012-2015 qui consistait atteindre le taux d’utilisation de 30% de 2012 à 2015. Il est cependant diversement atteint dans les aires sanitaires du District Sanitaire de Bouaké Sud comme l’indique la figure nº9.
Il ressort de l’analyse de la figure n° 9 que dans les aires sanitaires urbaines notamment Koko, Nimbo, Air France et Djébonoua, les objectifs en termes d’utilisation n’ont pas pu être atteints (carte nº5).Les taux d’utilisation des centres de santé de Koko (20,60%), Air France (7,30%), Air France (6,80%), Service de Santé Scolaire et Universitaire de Nimbo (6,58%), Centre Catholique de Djébonoua(78,80%), Kouassiblékro (177,48%),Assouakro(125,13%), Lengbré(68,66%), M’Lan Kouasikro(86,95%), Kongodékro (54,37%) et Tiéplé (37,54%)varient très significativement (p-value p = 0,0001 du Test de Student au seuil de significativité de 5%).
En moyenne, dans les aires sanitaires urbaines, les taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact sont estimés à environ 18,16%. Par contre en milieu rural, le taux d’utilisation moyen des établissements sanitaires de premier contact est estimé à 91,69%. Cette disproportion entre le milieu urbain et le milieu rural, s’explique par le fait qu’en milieu urbain, les populations ont une diversité de possibilité pour se faire soigner en dehors des établissements sanitaires publics de premier contact. Elles peuvent se faire soigner dans les établissements sanitaires privés en fonction des moyens et des capacités dont elles disposent pour se faire consulter. Par contre, en milieu rural, les populations ont davantage recours aux établissements sanitaires de premier contact les plus proches de leur lieu de résidence. Les taux d’utilisation particulièrement très élevés à Kouassiblékro et à Assouakro peuvent s’expliquer par l’effet systémique des facteurs conjoncturels tels que la flambée épidémique du paludisme et les migrations festives enregistrées dans ces localités en 2014. Une grande partie de la population ayant utilisé les services de soins n’a pas été prise en compte dans l’estimation de la taille de la population potentiellement servie dans ces aires sanitaires. Le taux d’utilisation très élevé à Kouassiblékro (177,46%) peut s’expliquer par le fait que le Dispensaire rural de Kouassiblékro par effet de proximité reçoit des consultants venant des villages appartenant au District Sanitaire de Bouaké Nord-Est. Dans sa partie septentrionale, le rayon de couverture de 5 km du dispensaire rural de Kouassiblékro s’étend au-delà de son aire sanitaire. Il couvre des villages situés dans le district sanitaire voisin. Dans l’aire sanitaire de Kouassiblékro, plus de la majorité (70,29%) de la population se situe à une distance de moins de 5 km du dispensaire.Cette proximité entre la majorité de la population et l’offre de soins peut être un facteur explicatif du taux d’utilisation très élevé enregistré au niveau de l’aire sanitaire du dispensaire rural de Kouassiblékro. Même si les travaux antérieurs en géographie de la santé ont mentionné que la proximité d’un établissement sanitaire n’induit pas forcement son utilisation, cependant, nos investigations révèlent que le choix des établissements sanitaires surtout en milieu rural dans un contexte d’enclavement fonctionnel et de précarité économique obéît à une logique de rationalité qui consiste à minimiser les temps de parcours, les distances parcourues dans l’optique de réduire considérablement les dépenses de soins. Par ailleurs, le taux d’utilisation reste également très élevé dans l’aire Sanitaire d’Assouakro. A la différence de l’aire sanitaire de Kouassiblékro, d’Assouakro, la proportion de la population située à 5 km de l’établissement sanitaire est estimée à 42,16%. Dans l’utilisation des services de santé, les populations ne respectent pas les limites territoriales administratives des cartes sanitaires définies dans le cadre de l’aménagement du système de santé. Les trajectoires et les pratiques spatiales de soins des populations ne sont pas inscrites exclusivement dans les limites territoriales des aires sanitaires et des districts sanitaires auxquels elles appartiennent. Ces pratiques illustrent le déphasage entre les comportements des populations et les pratiques administratives de découpages du territoire sanitaire. Ce découpage est déconnecté des relations fonctionnelles. Il ne tient pas compte des mouvements de populations.
2.3. Une influence très significative de l’évolution de la desserte médicale sur l’utilisation des services de santé dans le District sanitaire de Bouaké Sud
L’amélioration de la desserte médicale tient en partie sous sa dépendance l’utilisation des services de santé dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. L’effet corrélé entre la desserte médicale et l’utilisation des établissements sanitaires de premier contact est perceptible à travers la figure n°10.
L’analyse de la figure n°10 montre que le taux d’utilisation des établissements sanitaires croît lorsque le ratio de population par infirmier est faible. Le coefficient de corrélation (r = -0,876) illustre une très forte corrélation négative entre l’augmentation du ratio de population par infirmier et l’utilisation des établissements sanitaires de premier contact. La taille élevée de population qu’un infirmier devrait servir de 2006 à 2010 dans les établissements sanitaires de premier contact a été une barrière à l’utilisation des services de santé. Par contre, la baisse de la taille de population qu’un infirmier devrait servir de 2012 à 2016 a permis d’accroître le taux d’utilisation des services de santé. Le déficit de personnel infirmier est un obstacle à l’utilisation des services de santé de première ligne. Les consultants supportent difficilement les longues durées d’attente dans les établissements sanitaires de premier contact. Au seuil de significativité de 5%, la p-value (p = 0,001) du test de corrélation de Pearson illustre une corrélation très significative entre la non amélioration de la desserte médicale et l’utilisation des établissements sanitaires de premier contact dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. C’est dans cette perspective que le PNDS (2012-2015) envisageait atteindre un effectif de 2000 habitants pour un infirmier au lieu de 5000 habitants pour infirmier comme le recommandait l’OMS (Ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida et Programme National de Lutte contre le Paludisme, 2014, p.25).
3. Discussion
Dans le District sanitaire de Bouaké Sud, 85,57% de la population vit à moins de 5 km des établissements sanitaires de premier contact. Ce taux de couverture est supérieur à la moyenne de la direction régionale de Gbêké (73%) selon la DPPEIS (2017, p.135) et à la moyenne nationale (66,9%) selon la DPPEIS (2017, p.136) en 2016. Mais ce taux de couverture qui paraît reluisant en comparaison avec la situation régionale et nationale reste en dessous de la norme recommandée par l’OMS. En matière d’accessibilité géographique des services de soins curatifs de première ligne, l’OMS envisage un rapprochement de l’offre de soins des populations bénéficiaires afin de parvenir une sécurité sanitaire. Cependant, ce taux de couverture sanitaire globalement reluisant cache des contrastes entre le milieu rural et le milieu urbain. Dans les localités rurales du District Sanitaire de Bouaké Sud, l’éloignement des populations des établissements sanitaires de premier contact est un obstacle à l’utilisation des services de soins curatifs. Ce qui n’est pas impérativement le cas dans la partie urbaine de ce territoire sanitaire. Par contre, la partie urbaine du District Sanitaire de Bouaké Sud bénéficie d’une bonne couverture sanitaire en matière d’accessibilité géographique aux soins de santé curative.
Dans le District sanitaire de Bouaké Sud, le taux d’utilisation des ESPC pour les soins curatifs évalué à 13,98% en 2004 (DIPE, 2008, p.228), a baissé 11,87% en 2010 (DIPE, 2011, p.82). Mais ces taux restaient supérieurs à la situation régionale (10,2%) observée en 2004 (DIPE, 2008, p.228) et en 2010 (10,31%) selon la DIPE (2011, p.82). Les faibles taux d’utilisation des services de santé enregistrés durant cette période de crise militaro-politique résultaient de l’effet systémique des contraintes financières, de l’enclavement fonctionnel voire du déficit de personnel de santé. La crise militaro-politique de 2002, en favorisant le départ du personnel soignant vers la zone gouvernementale et en accentuant l’enclavement fonctionnel a isolé les populations vivant notamment en milieu rural des services de soins de santé curatifs. Compte tenu de l’enclavement fonctionnel, les populations ont davantage recours à la marche pour accéder à un service de santé.
Par ailleurs, les taux d’utilisation des services de soins curatifs ont connu une amélioration durant la période post-crise. Ainsi, ces taux d’utilisation sont passés de 28,82% en 2012 (DIPPE, 2013, p.152) à 51,51% en 2016 (DPPEIS, p.195). Cette amélioration est en partie imputable aux effets systémiques de la réhabilitation des équipements sanitaires de première ligne, du redéploiement du personnel de santé, du retour de l’administration et des mesures de gratuité ciblée des soins en faveur des enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes à partir de février 2012. La réhabilitation des équipements sanitaires et la dotation des services de soins curatif en personnel de santé a permis de redynamiser les activités de soins curatives. Ce contexte de soins favorable a permis d’améliorer l’utilisation des services de santé. Les résultats de l’étude ont montré que l’amélioration de la desserte médicale est l’un des facteurs d’utilisation des services de santé. C’est pourquoi, A. Niang et P. Handschumacher (2006, p. 246) avaient affirmé que la fréquentation des services de soins atteint un taux de 70%, soit un contact de 0,7 fois par an et par personne lorsque l’accès est satisfaisant.
Conclusion
La desserte médicale dans le District Sanitaire de Bouaké Sud a connu une amélioration significative de 2006 à 2016. Cela a été possible grâce à la réhabilitation des infrastructures sanitaires et le retour de l’administration après la crise militaro-politique de 2002 à avril 2011.Elle a été l’un des facteurs déterminants de l’utilisation des ESPC à partir de 2012.Bien qu’elle soit une condition nécessaire, l’amélioration de la desserte médicale n’est pas pour autant le facteur exclusif pour accroître le taux d’utilisation des établissements sanitaires de premier contact. Les autres déterminants financiers (recouvrement des coûts, paiement direct des soins, niveau de revenu des ménages, prix et coût des soins, coût du transport, couverture maladie) et socio-culturels restent à examiner dans l’utilisation des ESPC du district sanitaire de Bouaké Sud. L’amélioration de la desserte et de l’utilisation des services de santé que l’on peut inscrire au coeur de la sécurité sanitaire, doivent faire partir aux principes de durabilité qui polarisent l’influence du système sanitaire dans le développement humain.
Références bibliographiques
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Auteur(s)
1BRISSY Olga Adeline: Doctorante ; e-mail :brissyolgaadeline@yaho.fr – Département de Géographie / Université Alassane Ouattara – Bouaké)
2KOUASSI Konan :Maître-Assistant ; e-mail:kouassikonan50@yahoo.fr – Département de Géographie / Université Alassane Ouattara – Bouaké)
2SREU Eric :Doctorante ; e-mail:sreueric@gmail.com – Département de Géographie / Université Alassane Ouattara – Bouaké)
2ASSI-KAUDJHIS Joseph P. :Professeur Titulaire ; e-mail:jkaudjhis@yahoo.fr – Département de Géographie / Université Alassane Ouattara – Bouaké)