Cartographie de la brousse tigrée Nigérienne à l’épreuve de la pression humaine et des variations climatiques de 1993 à 2021

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Mapping the Niger tiger bush to the test of human pressure and climate changes from 1993 to 2021Mapping the Niger tiger bush to the test of human pressure and climate changes from 1993 to 2021

Daouda SYLLA,

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY

zyllahdah@yahoo.fr

Résumé :

Le Nord-ouest de la Côte d’Ivoire est sujet à une variabilité climatique qui a des répercussions sur les activités agricoles. Cette étude vise à montrer l’impact des conditions agroclimatiques sur l’économie de l’anacarde dans la Sous-préfecture de Bako. La méthodologie retenue est axée sur l’utilisation des données agro climatologiques (1965-2019), des données agricoles (2015-2019) et des enquêtes de terrains articulées autour des observations directes, des entretiens avec les populations et l’administration d’un questionnaire. Le traitement de ces informations a nécessité l’usage du test de Pettitt, l’indice de Nicholson, la méthode de Franquin et la corrélation de Pearson. Ces différentes méthodes ont permis de déterminer des ruptures dans les séries pluviométriques et thermiques, respectivement en 1993 et en 2002. Face à cette situation climatique instable dont dépend la culture de l’anacarde, il s’en suit un rallongement de la saison humide, préjudiciable à la fructification de l’anacardier et une baisse des rendements de 215,46 kg/ha en 2015 à 140 kg/ha en 2019 dans la Sous-préfecture de Bako.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Bako, conditions agroclimatiques, variabilité climatique, économie agricole, anacarde.

Mots clés : Côte d’Ivoire, Mahounou, régions forestières, bas-fond, variabilité climatique, vulnérabilité.

Mapping the Niger tiger bush to the test of human pressure and climate changes from 1993 to 2021

Abstract

The Sudano-Sahelian regions have for several decades been among the most fragile ecosystems in the world, sensitive to environmental changes and climatic variations. Niger has the highest fertility rate in the world with 7.5 children per woman. What is more, the agricultural land cultivated in order to respond to this strong annual demographic growth is increasing and encroaching on the armour-plated lateritic tablelands, the seat of the tiger bush. Therefore, it is judicious to detect spatio-temporal changes affecting the tiger bush, a very high risk ecosystem. Twelve multispectral optical (Sentinel-2) and radar (ERS 1-2; ENVISAT and RADARSAT-1) C-band (5.3 GHz) images acquired during the dry season over southwestern Niger and, covering the period from 1993 to 2021 have been used for the implementation of this work. To take into account the landscape complexity of this environment and the average spatial resolution of optical and synthetic aperture radar images (10 m; 12.5 m), the method developed is conducted through: 1) an object-oriented classification of the land cover and 2) the change detection. The results provide a smart tiger bush’s cartography and degraded surfaces with a Kappa coefficient and an overall precision greater than 0, 84. The global map indicates that almost 73 % of the space remained stable while 27 % are subjected to change.

Keywords: Sudano-sahelian regions; Tiger bush; Multispectral optical and C-band radar images’ Synergy; Changes detection; South-west of Niger

Introduction

Les régions soudano-sahéliennes sont depuis plusieurs décennies parmi les écosystèmes les plus fragiles du monde. Ces régions sont sensibles aux changements environnementaux et aux variations climatiques qui se manifestent par des sècheresses récurrentes (D. Schulz et al., 2021, p. 99). L’environnement sahélien est soumis à une pression anthropique soutenue et continue. Les coupes abusives de végétaux ligneux pour satisfaire les besoins en énergie des populations ainsi que la demande en bois d’œuvre et l’expansion agricole exacerbent la dégradation du milieu et représentent les deux principales causes directes de déboisement et de déforestation. De surcroît, la demande en bois-énergie, et plus spécifiquement en charbon de bois, crée des auréoles de déboisement autour des villes et le long des axes routiers reliant les agglomérations (A. Ozer et al., 2005, p. 405). La problématique du déboisement est extrêmement importante dans les régions aride, semi-aride et subhumide sèche en raison de sa forte contribution à l’avancée de la désertification (P. Ozer, 2000, p. 247 ; H. Geist et E. Lambin 2004, p. 820). Toutefois, la population sahélienne connaît une des croissances démographiques les plus élevées au monde (INS, 2010, p. 5). Selon A. Ozer et al. (2005, p. 400), cette population a été multipliée par quatre depuis 1950. Elle devrait encore doubler d’ici à 2030 et dépasser les 193 millions d’habitants en 2050, soit douze fois plus qu’en 1950 (16 millions). Dans cette région, le Niger avec le taux de fécondité le plus élevé au monde, voit sa population passer d’environ 3 millions en 1960 à plus de 17 millions en 2013. Plus encore, la population nigérienne pourrait dépasser 50 millions d’habitants en 2050 si le taux annuel actuel de croissance démographique d’environ 3,2 % est maintenu (J. L. S. Emeterio et al., 2013, p. 10). Les taux de croissance urbaine y sont encore plus impressionnants et entraînent chaque jour d’importants bouleversements environnementaux dans les zones périphériques des agglomérations urbaines (A. Ozer et al., 2005, p. 415). Une étude réalisée par le CNEDD (2000, p. 50) indique que les ressources ligneuses constituent au Niger la principale ressource énergétique puisqu’elles comblent au moins 90 % du besoin énergétique national. Dans cette quête énergétique, les formations forestières naturelles que l’on retrouve principalement sur des glacis à faible pente régulière sont « une cible privilégiée » car fournissant environ 87 % des besoins énergétiques des populations (P. Couteron et al., 2000, p. 335 ; A. Ozer et al., 2005, p. 410). De nombreux travaux datant de plusieurs décennies et de plus récents révèlent que cette dégradation environnementale entraîne également des perturbations importantes dans les flux hydrologiques (C. Taylor et al., 2002, p. 3620). Ainsi, dans le sud-ouest du Niger, plus spécifiquement dans la région de Niamey, des travaux établissent depuis déjà les années 1960, une remontée de la nappe phréatique du Continental Terminal à une vitesse moyenne de 20 cm an-1. En effet, l’encroûtement, la forme de dégradation la plus sévère dans les sols sableux sahéliens, modifie les propriétés hydrauliques de la surface, en particulier le taux d’infiltration à travers l’épaisseur de la croûte et/ou sa conductivité hydraulique (M. Bouzou et al., 2009, p. 147). Phénomène a priori contradictoire avec une pluviométrie qui est en baisse, une telle tendance à la hausse des niveaux piézométriques et à la multiplication des mares temporaires est imputée ici comme ailleurs dans le monde à la pression anthropique grandissante sur la végétation naturelle et à une augmentation des surfaces cultivées (D. Sylla, 2012, p. 26).

En définitive, toutes les études environnementales diachroniques menées dans les régions soudano-sahéliennes s’accordent à dire que tant la sécheresse que les actions anthropiques ont contribué à la diminution, voire à la disparition de plusieurs zones jadis boisées (P. Ozer, 2000, p. 250 ; A. A. Touré, 2011, p. 115). Toutefois, ces changements environnementaux, les variations climatiques et la pression anthropique affectent différemment les écosystèmes. En effet, si certains écosystèmes sont apparus résilients, capables de maintenir leurs fonctionnalités, comme les steppes et les savanes composées majoritairement de graminées annuelles, d’autres comme les formations ligneuses de la brousse tigrée ont subi une importante dégradation, aboutissant parfois à leur complète disparition en moins de 50 ans (V. Trichon et al., 2018, p. 16 ). La présente étude a pour objectif général, la détection des changements spatio- temporels affectant la brousse tigrée nigérienne au cours de ces trente dernières années. Plus spécifiquement, l’étude s’intéresse à la brousse tigrée de la partie soudanienne subhumide couvrant le sud-ouest du pays (à peine 3 % des terres). Par conséquent, il est fait appel à une synergie des données optiques et radar à travers une approche de classification orientée-objet.

1.  Site d’étude

Principalement constituée d’arbres et d’arbustes de Combretaceae (Combretum micranthum, C. nigricans, C. glutinosum, Guiera senegalensis), Tiliaceae et Mimosaceae, la brousse tigrée, objet de cette étude se développe sur un plateau latéritique cuirassé situé à 45 km au sud-ouest de la ville de Niamey (Carte 1).

Carte 1 : Site d’étude (Image Sentinel-2 du 14 janvier 2020)

Les principales caractéristiques climatiques de cet espace qui englobe le degré carré de Niamey sont celles d’un climat de type sahélien semi-aride à aride avec une forte hétérogénéité spatiale et temporelle des précipitations (M. Ibrahim, 2012, p. 57 ; FAO, 2015, p. 7). Ici, la dégradation accentuée des sols du fait de l’aridité climatique et de l’accroissement des activités anthropiques a entraîné la formation de glacis dénudés (V. Hien et al., 1993, p. 228 ; D. Sylla, 2012, p. 114). En outre, la proximité de la ville de Niamey expose l’espace d’étude à une forte pression anthropique ; la ville de Niamey ayant vu sa population passer de 35 000 habitants en 1960 (S. Toure et al., 1963, p. 50) à plus de 1 300 000 en 2009 (INS, 2010, p. 5). Face à la complexité paysagère et suivant les indications de J-M. d’Herbes et al. (1995, p. 200), le suivi de l’occupation du sol est réalisé suivant les deux unités paysagères que sont la végétation et le sol nu. La végétation concerne essentiellement la brousse tigrée tandis que le sol nu réfère d’une part, aux champs et d’autre part, aux glacis dénudés. Dans ce système, le champ est en saison sèche, une surface défrichée pour une mise en culture ultérieure.

2.  Données et méthodologie

2.1.  Données utilisées

Douze images sont sélectionnées pour la réalisation de cette recherche. Plus en détail, ce sont dix images radar en bande C (5,3 GHz) couvrant en majorité les saisons sèches du 21 octobre 1993 au 03 décembre 2009 et deux images optiques acquises les 14 janvier 2020 et 20 novembre 2021. Ces dates d’acquisition tiennent comptent de la disponibilité des données et de leur saisonnalité essentielle pour les différentes analyses. Le tableau 1 décrit les caractéristiques de toutes les données d’intérêt pour cette étude.

Tableau 1 : Caractéristiques des différentes données

Source : Base de données fournies par l’Agence Spatiale Européenne (ASE, 2021)

Dans cette étude, il est fait appel à une synergie des données optiques et radar afin de tirer parti de leur complémentarité et de combler le gap temporel. En effet, dans ces régions à couvert végétal épars, la forte présence des nuages en période d’hivernage et l’effet du sol sur les indices de végétation réduisent fortement le potentiel de l’utilisation des données optiques (E. Olmos- Trujillo et al., 2020, p. 935). En revanche, les données de télédétection radar comme celles utilisées dans cette étude (ERS 1-2 ; ENVISAT et RADARSAT-1), acquises à des fréquences inférieures à 10 GHz ne sont pas assujetties aux perturbations atmosphériques et à la couverture nuageuse (C. Hütt et al., 2016, p. 112).

Des données terrain portant sur 84 points de contrôle au sol (PCS) et décrivant l’occupation du sol ont été collectées lors d’une campagne de terrain tenue en septembre-octobre 2009. Ces PCS servent à l’apprentissage et à la validation des résultats de classifications de l’occupation du sol. Ainsi, 50 % des PCS sont intégrés comme jeu d’apprentissage et 50 % comme jeu de validation. Outre ces données terrain, des images disponibles sur Google Earth ont apporté des informations complémentaires à la compréhension et la reconnaissance du terrain mais également dans le processus de validation des classifications.

Le choix de la saison sèche répond au besoin d’une meilleure identification des types d’occupation du sol à partir de la donnée radar. Il est en effet, bien connu que le coefficient de rétrodiffusion radar mesuré en conditions sèches produit un fort contraste entre un sol nu et un sol couvert de végétation. En conditions humides, ce contraste est très faible sinon inexistant (F. Ulaby et al., 1982, p. 302 ; R. Magagi et al., 2001, p. 435 ; D. Sylla, 2012, 35). De ce fait, un sol sec représente une condition optimale pour discriminer les sols nus de ceux couverts de végétation. Sur la douzaine d’images disponibles, les deux images optiques (Images Sentinel- 2 de résolution spatiale de 10 m) servent à l’identification du couvert végétal et la génération de cartes d’indice de végétation et de masque de sol nu.

2.2.  Méthodologie

Une série de trois opérations de prétraitement a été appliquée à l’ensemble des douze images satellitaires constituant la série temporelle disponible pour cette étude. Ces prétraitements concernent :

1) la calibration radiométrique des images radar afin de transformer leurs valeurs numériques en coefficients de rétrodiffusion ( σ0 ) exprimés en décibel (MDA GSI, 2000, p.55 ; N. Shepherd, 2000, p. 3) ; 2) le filtrage des images radar à l’aide du filtre Lee (R. Touzi, 2002, p. 2399) dans le but de réduire le chatoiement inhérent à ces images ;

3) la correction radiométrique et atmosphérique des images optiques afin de corriger les variations de la distribution des données causées par le décalage temporel dans leur acquisition et enfin ;

4) la correction géométrique de toutes les images pour les rendre superposables. Cette correction est obtenue avec une précision géométrique inférieure au pixel (RMS = 0,14 avec XRMS = 0,11 et YRMS = 0,09) si bien que nous l’avons jugé satisfaisante (J. R. Jensen, 2016, p. 116).

À la suite de ces opérations de prétraitement, la détection des changements spatio-temporels affectant la brousse tigrée est réalisée au travers des étapes suivantes :

1) une classification orientée objet de l’occupation du sol ;

2) la détection des changements.

Pour ce qui est de la classification orientée objet, elle est réalisée à partir de : 1) l’information texturale des images radar afin d’améliorer la qualité de la classification purement spectrale (V. Chamundeeswari et al., 2009, p. 218 ; K. Hurni et al., 2013, p. 3385) et ; 2) l’indice de

végétation (NDVI) et le masque de sol nu. Ainsi, deux opérations sont mises en œuvre : a) une segmentation multi-résolution ayant pour intrants les images optiques (Sentinel-2), l’indice de végétation, le masque de sol nu, les images de rétrodiffusion ( σ0 en dB), leur composante principale 1 (CP1) et les néo-canaux (Moyenne et Corrélation) et b) une classification dirigée fondée sur la logique floue. Enfin, la détection des changements est conduite à travers l’intégration dans un Système d’Information Géographique (SIG) des cartes d’occupation du sol issues des 12 images d’intérêt. Aussi, les cartes d’occupation du sol sont converties en mode vecteur pour faciliter leur exploitation. La figure 1 présente l’organigramme méthodologique pour l’atteinte de l’objectif assigné à cette étude, à savoir la classification de l’occupation du sol suivie de la détection des changements spatio-temporels affectant la brousse tigrée au cours de ces trente dernières années.

3.  Résultats

3.1.  Évolution de l’occupation du sol de 1993 à 2021

Pour chacune des 12 images d’intérêt, la cartographie de l’occupation du sol suivant les classes

« végétation » et « sol nu » a été réalisée avec un coefficient Kappa et une précision globale supérieur à 85 %. Les résultats cartographiques des dates extrêmes de la série temporelle disponible pour cette étude, à savoir les 21 octobre 1993 et 20 novembre 2021 sont présentés (Cartes 2a (1993) et 2b (2021).

Cartes 2a (1993) et 2b (2021) : Dynamique de l’occupation du sol entre octobre 1993 et novembre 2021

L’observation de ces deux cartes et l’analyse des statistiques (Tableau 2) qui leur sont associées permettent de noter qu’à la date du 21 octobre 1993, plus de 99 % du plateau cuirassé est couvert de brousse tigrée contre à peine 1 % de sol nu. Vingt-huit ans plus (20 novembre 2021), même si cette tendance se conserve, les proportions d’une entité thématique à l’autre sont bouleversées et ce, au détriment de la brousse tigrée. Cette tendance est une caractéristique commune aux régions soudano-sahéliennes où l’on assiste déjà depuis plusieurs décennies à une pression importante sur l’environnement avec des pénétrations paysannes sur les plateaux latéritiques cuirassés considérés jusqu’ici comme impropres à la culture avec les moyens techniques traditionnels.

Tableau 2: Statistiques de l’occupation du sol des 21 octobre 1993 et 20 novembre 2021

Source : Nos traitements (2021)

3.2.  Détection des changements du sol

Les résultats de la cartographie de l’occupation du sol permettent la détection des changements par la méthode post-classification. La carte globale des changements (Carte 3) obtenue par intégration de ces cartes vectorisées dans un SIG permet d’identifier les objets géographiques stables et ceux sujets à une variabilité spatiotemporelle des classes « végétation » et « sol nu » durant la période d’étude (Tableau 3).

Carte 3 : Carte globale des changements d’occupation du sol (Années 1993- 2021)

Tableau 3 : Statistiques de la carte globale de changements (1993-2021)

Occupation du solSuperficie (ha)Pourcentage (%)
Couvert végétal2076472,86
Sol nu220,08
Changements771327,06
Total28499100

Source : Nos traitements (2021)

L’analyse de ces statistiques montre que presque 73 % de l’espace ne connait aucun changement au cours de la période d’intérêt. Ici, on retrouve de la brousse tigrée en bon état, c’est-à-dire n’ayant pas fait l’objet d’une surexploitation forestière ou d’un défrichement pour la mise en culture. Quant au reste du territoire (27,06 %), il est le siège des changements observés dans l’espace d’étude et c’est ici, qu’il convient de rechercher toutes les surfaces mises en culture ou laissées en jachère. On entend ici par jachère, l’état de la terre d’une parcelle entre la récolte d’une culture et le moment de la mise en place de la culture suivante. La carte des changements sur la période du 14 janvier 2020 au 20 novembre 2021 permet de mieux appréhender cette dynamique de conquête et de pénétration de la brousse tigrée sur les bords du plateau latéritique cuirassé, objet de cette étude (Carte 4).

Carte 4 : Carte des changements sur la période du 14 janvier 2020 au 20 novembre 2021

On observe que sur cette période qui couvre deux saisons agricoles, les sols nus apparaissent essentiellement sur les portions du territoire précédemment sujettes aux changements. Pour preuve, l’analyse des statistiques (Tableau 4) associées à cette figure 5 indique désormais presque 6 % de sol nu sur le plateau au détriment de la part dédiée aux changements.

Tableau 4 : Statistiques des changements sur la période du 14 janvier 2020 au 20 novembre 2021

Occupation du solPourcentage (%)Superficie (ha)
Couvert végétal79,0122517
Sol nu5,961699
Changements15,034283
Total10028499

Source : Nos traitements (2021)

Avec la croissance démographique et la proximité urbaine, les formations de brousse tigrée constituent de plus en plus des zones de bûcheronnage pour l’approvisionnement en bois énergie de la capitale Niamey. En outre, les populations pratiquent l’agriculture sur toutes les terres sans égard à leurs aptitudes culturales. Pour ce faire, certains paysans réduisent la superficie des jachères ; d’autres raccourcissent, voire suppriment la période de jachère. Par ailleurs, face à la raréfaction des terres agricoles, la défriche de la brousse et sa mise en jachère rapide joue un rôle important dans l’acquisition d’un patrimoine foncier. L’utilisation de la brousse tigrée est également pastorale, en particulier pendant la saison des pluies au cours de laquelle des mares temporaires se créent sur lesquelles, les éleveurs sont obligés de se rabattre car interdits d’accès aux points d’eau situés sur l’espace agricole afin de ne pas causer de dégâts sur les cultures.

4.  Discussion

L’approche méthodologique utilisée dans cette étude établit que 27,06 % de la brousse tigrée, objet de cette étude et se développant sur le plateau latéritique cuirassé est assujettie à des changements. Ces changements sont essentiellement le résultat d’une mise en valeur agricole. En effet, si au départ, l’utilisation de ces formations de brousse tigrée est de type sylvo-pastoral, on assiste de plus en plus avec la raréfaction des terres agricoles à des pénétrations paysannes sur les plateaux latéritiques considérés jusqu’ici comme impropres à la culture (M. Sebillote, 1985, p. 185 ; V. Trichon et al., 2018, p. 22). Plus encore selon différents auteurs (E. Delabre, 1998, p. 105 ; V. Trichon et al., 2018, p. 17), la défriche de la brousse tigrée et sa mise en jachère rapide joue un rôle important dans l’acquisition d’un patrimoine foncier. La course à la terre est en fait la base de la hiérarchie sociale au sein des communautés locales (Z. Jean, 1975, p. 88). En effet, même si le patrimoine acquis ne fournit pas immédiatement de rente foncière, à brève échéance il constitue une véritable rente sociale en termes de reconnaissance par le groupe à travers les prêts de terre (Z. Jean, 1975, p. 105).

Toutefois, les résultats acquis dans le cadre de ce travail ne doivent pas occulter certains aspects méthodologiques dont la prise en compte pourrait améliorer les acquis. En effet, pour l’élaboration de la carte globale des changements sur toute la période temporelle (1993-2021), des images radar et optiques ont été utilisées. Or, il est sans conteste que le gap temporel important dans cette série de données (2009-2020) entraine une déperdition d’information pour une fine cartographie des changements spatio-temporels dans notre espace d’étude.

Conclusion

La détection des changements spatio-temporels affectant la brousse tigrée nigérienne constitue une problématique majeure. En effet, confrontée à une dégradation accentuée des sols du fait de l’aridité climatique et de l’accroissement des activités anthropiques, cette brousse tigrée tend à disparaitre. La présente étude, à travers une synergie des données optique et radar met en œuvre une approche de classification orientée-objet. Il en résulte une fine cartographie de la brousse tigrée et des surfaces dégradées. Cette carte, dans le contexte actuel de dépérissement voire de disparition de la brousse tigrée constitue un outil d’aide précieux à la décision de planification des activités agricoles des populations riveraines et de protection de cet écosystème fragile.

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