Sécheresse hydroclimatique et vulnérabilité de l’agriculture de bas-fonds dans les régions forestières : l’exemple de Mahounou (Centre-ouest ivoirien)
Hydroclimatic drought and vulnerability factors of lowland agriculture in forest regions: the example of Mahounou (Central West of Côte d’Ivoire)
Kouadio Christophe N’DA
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY christndak@gmail.com
Aka Giscard ADOU
Université Jean LOROUGNON GUEDE giscardadou@yahoo.fr
Bêh Siaka DAGNOGO
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY dagnogo_beh@ujlg.edu.ci
Résumé :
Dans le district d’Abidjan, malgré une planification urbaine rigoureuse mise en place depuis l’époque coloniale et la mise en œuvre du Schéma Directeur Urbain du Grand Abidjan (SDUGA) jusqu’en 2030, la présence persistante de 231 lotissements informels dans toute la ville constitue un défi majeur. Face à cette réalité, le Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU) s’engage dans une collaboration avec les promoteurs de lotissements, notamment les chefferies villageoises et les groupements d’habitants, pour régulariser ces zones informelles. L’objectif est de cartographier et d’intégrer ces lotissements dans le cadre urbain formel, afin d’améliorer les conditions de vie des habitants et de favoriser un développement urbain durable et inclusif. Ce processus de régularisation représente un défi complexe mais essentiel. Les résultats de cette étude soulignent la nécessité d’une approche concertée pour relever ces défis, en mettant en lumière les opportunités qui résident dans l’intégration de ces zones dans le cadre urbain formel.
Mots clés : Grand Abidjan, lotissements informels, urbanisation, cartographie, régularisation.
Hydroclimatic drought and vulnerability factors of lowland agriculture in forest regions: the example of Mahounou (Central West of Côte d’Ivoire)
Abstract
In the Centre-West of Côte d’Ivoire, the consequences of disturbances in the rainfall regime on agriculture constitute a major challenge for the economy in rural areas. Several studies have largely highlighted the vulnerability of rainfed agriculture in a context of hydroclimatic drought. However, what about lowland crops in forest regions particularly? Thanks to a multidisciplinary approach integrating agro-climatological and socio- anthropological approaches, this study analyzes peasant vulnerabilities in wetlands in a context of hydroclimatic drought in Mahounou. A field survey and a statistical analysis of meteorological data enabled us to provide some answers. The results obtained indicate a downward trend in rainfall and an increase in annual temperature responsible for the severe drought observed in the lowlands of Mahounou. This situation is also manifested by an increase in dry years (49%) after the year of rupture in 1971 against 21% before this date. Also, a regression occurs at the level of the number of rainy months. Thus, the number of rainy months in a year increase to 6 months after the rupture against 7 months 10 days before, with a drop in the intensity of the rains. Added to this are the variations in the onset of the wet seasons which impact farmers’ perception of the indicators of the approaching arrival of the wet seasons. Failure to control the onset of the wet seasons exposes farmers to lower yields on their agricultural
plots, which are a source of food and income. Farmers then find themselves in a context of declining purchasing power: they are therefore vulnerable.
Keywords: Côte d’Ivoire, Mahounou, lowland crops, climatic variability, vulnerability.
Introduction
Depuis, le début du XXe siècle, l’Afrique est au premier rang des régions concernées par la question de l’impact de la variabilité climatique (GIEC, 2014 ; p.46). De grandes sécheresses ont, de façon particulière, frappé l’Afrique de l’Ouest de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1990 (F. Kanohin, et al., 2009, p.210). Ces périodes ont été caractérisées par une longue sécheresse extrême sur toute l’Afrique Occidentale. Les indicateurs de cette sècheresse sont essentiellement la baisse des précipitations, la baisse des niveaux piézométriques et la chute des débits des cours d’eau (F. Kanohin, et al., 2009, p.209).
La Côte d’Ivoire a également été touchée par ce phénomène. En effet, des études sur la variabilité du climat ivoirien ont montré qu’une tendance à la sécheresse s’est révélée à partir de la fin de la décennie 1960 (S. Bigot et al., 2005, p.9). Cette tendance ne se réalise pas de façon homogène. Elle a d’abord affecté le Nord du pays, puis progressivement, elle s’est étendue vers le centre et enfin, vers le littoral (E. A. Assemian, et al., 2013 ; p.248). Les conséquences de cette sécheresse ont été lourdes pour la Côte d’Ivoire (D. Noufé, 2011, p.55). Outre la perte de semis et de récoltes (D. Noufé, 2011, p.55), le tarissement de cours d’eau et la disparition de plusieurs points d’eau de surface ont été accompagnés par des pertes économiques s’élevant à environ 40 millions de dollars US (K. H. M. Kanga, 2016, p.30). Dès lors, le pays s’est trouvé ainsi confronté à un problème de stress hydrique dû aux variations climatiques (F. Kanohin, et al., 2009, p.210).
Face à ces contraintes climatiques croissantes, rendant en effet aléatoires certaines cultures, les communautés rurales sont obligées de développer une pluralité de réponses adaptatives (Y. T. Brou 2005, p.189). Parmi ces réponses figure l’exploitation des bas-fonds à des fins agricoles (N. J. Aloko et al., 2014, p.309). Plusieurs études ont, de manière générale, mis en exergue les vulnérabilités paysannes dans un contexte de changement climatique (Y. T. Brou et al., 2005, p.539 ; S. Doumbia et M. E. Depieu, 2013, p.4826 ; K. C. N’Da, 2016, p.196) sans toutefois aborder, de manière spécifique celles exploitant les bas-fonds. La question à laquelle cette étude tente de répondre est : quelles sont les vulnérabilités de l’agriculture des bas-fonds dans un contexte de sécheresse hydroclimatique généralisée en Côte d’Ivoire ? Pour répondre à cette préoccupation, la présente étude se fixe pour objectif d’évaluer les sécheresses hydroclimatiques et la vulnérabilité de l’agriculture de bas-fond en milieu forestier. L’étude s’appuie sur l’exemple d’un bas-fond près du village de Mahounou et drainé par la rivière Goré. Mahounou est situé dans la sous-préfecture de Gonaté, région du Haut-Sassandra (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire : figure 1).
1. Les données et méthodes de l’étude
Pour atteindre l’objectif de l’étude, deux approches complémentaires sont privilégiées : une approche agroclimatologique et une autre socio-anthropologique basée sur l’observation directe.
1.1. L’approche climatologique
L’approche climatologique mobilise des paramètres climatiques de la région de Mahounou dans l’optique de relever les risques climatiques (sècheresses météorologiques, évolution des températures moyennes, des saisons agricoles et du bilan hydrique climatique) auxquels sont exposés les activités agricoles de bas-fond en milieu forestier.
Carte 1 : Localisation du bas-fond de Mahounou
Source : Google Earth, 2019
1.1.1. Les données climatiques utilisées
La base de données climatiques est constituée de cumuls pluviométriques, d’évapotranspiration potentielle ainsi que des températures moyennes au pas de temps mensuel de 1943 à 2017. Mahounou ne dispose pas de poste de mesure de paramètres météorologiques. Cette étude s’est donc servie des données de la station synoptique de Daloa qui se situe à 43 km à vol d’oiseau. Selon l’Organisation Météorologique Mondiale, une station synoptique est représentative sur un rayon de 100 à 150 km (OMM, 2011 ; p.29).
1.1.2. Les méthodes de traitement et d’analyse des données climatiques
Les données climatiques ont permis d’effectuer les traitements suivants : test de Pettitt, le standardized precipitation Index (SPI), méthode de Franquin et bilan hydrique climatique (BHC). Le test de Pettitt (1979 ; p.131) a servi à détecter des ruptures dans la série statistique étudiée. Ce test non-paramétrique est dérivé de celui de Mann-Whitney (1947). Il (Pettitt, 1979)
est utilisé pour la confirmation de sa robustesse en Côte d’Ivoire (A.B. Yao et al., 2012, p.142 ; K.C. N’Da, 2016, p.84 ; K.A. Coulibaly, 2020, p.84). Par la suite, les Indices Standardisés des Précipitations (SPI) de T.B. Mckee et al., (1993 ; p.180) ont été déterminés suivant la formule:
𝑆𝑃𝐼 = (𝑃𝑖 − 𝛷)/𝜎 Où Pi : cumul pluviométrique de l’année i étudiée ; Φ : moyenne pluviométrique annuelle sur la période de référence ; σ : écart type de la variable sur la même période de référence. Cet indice définit la sévérité de la sècheresse selon C. Faye et al., 2015, p.21.
La saison végétative est la période de l’année pendant laquelle le développement des cultures annuelles est favorable. Elle est déterminée à partir du modèle de Franquin (1973) qui mobilise la pluviométrie (P comme apport d’eau) et l’évapotranspiration potentielle (ETP comme perte d’eau) à l’échelle décadaire ou mensuelle (D. Noufé et al., 2015, p.5). Ce modèle s’appuie en fait sur le Bilan Hydrique Climatique (BHC) déterminé par la formule suivante : BCH = P – ETP (K. H. M. Kanga, 2016, p.123). La saison culturale se subdivise en quatre phases avec des interprétations agronomiques différentes (K.C. N’Da, 2016, p.94).
La période pendant laquelle P > ETP/2 est favorable aux semis ainsi qu’à la germination, la levée et le début de croissance. Lorsque P > ETP, les besoins hydriques sont pleinement satisfaits. C’est la saison de végétation active où la floraison et la formation des fruits ou grain sont propices. La période du déficit hydrique commence quand P < ETP et s’accentue au moment où P < ETP/2. Ces périodes sont favorables à la maturation des fruits quand c’est à la fin de la saison humide ou au semi en sec quand c’est au début de la saison.
1.2. L’approche socio-anthropologique et l’observation directe : données d’enquêtes
1.2.1. Les données socio-anthropologiques utilisées pour l’étude
Le recueil d’informations s’est effectué sur la base d’un questionnaire préalablement établi et en deux phases : une, auprès des autorités et structures spécialisées et l’autre auprès des paysans. Ces enquêtes ont concerné principalement la perception paysanne de la variabilité climatique, l’impact de cette dernière sur la production ainsi que les vulnérabilités des paysans. Les enquêtes ont été effectuées sur la base d’un échantillonnage raisonné défini selon les critères suivants : la frange de la population qui s’adonne effectivement à l’agriculture de bas- fond ; l’âge minimal des paysans concernés par nos enquêtes estimé à 45 ans ; et une ancienneté dans l’exploitation à des fins agricoles du bas-fond d’au moins dix ans (A. G. Adou et al., 2020, p.16). Au total, 65 paysans ont accepté de se prêter au questionnaire.
1.2.2. Les méthodes de traitement et d’analyse des données socio-anthropologiques
Le traitement statistique et l’analyse des données recueillies sur le terrain ont été mixte (qualitatif et quantitatif). Ils se sont appuyés essentiellement sur les grandes lignes suivantes :
- l’avis des paysans sur le changement climatique en général, les variations enregistrées, les indicateurs de l’arrivée de la saison des pluies et l’évolution des périodes de semis ;
- le ressenti des impacts de l’irrégularité des pluies et températures sur les périodes de semis et sur les activités agricoles dans le bas-fond de Mahounou et ;
- les perceptions paysannes des impacts de la sècheresse sur le changement d’état des reserves d’eau dans le bas-fond de Mahounou.
2. Résultats
Les résultats de cet article sont organisés autour de trois points essentiels à savoir : la sécheresse : une réalité hydroclimatique ; la sécheresse : une menace agronomique ; la sécheresse et la perturbation des saisons, des paysans rendus vulnérables.
2.1. La sécheresse, une réalité hydroclimatique
2.1.1. La sècheresse météorologique, une réalité dans la région de Mahounou
Le test de Pettitt (1979) a permis d’identifier une rupture au seuil de 95% en 1971 donnant lieu à deux sous-séries chronologiques (1943-1971 et 1972-2017). La phase 1943-1971, affiche une moyenne pluviométrique de 1437,5 mm/an tandis que la section 1972-2017 a une moyenne de 1223,1 mm/an. La région de Mahounou est donc sujette à une réduction de sa pluviométrie de l’ordre de15% (soit 214,3 mm/an). En effet, la fluctuation interannuelle des pluies était normale entre 1943 et 1971, période pendant laquelle l’on dénombre 50 % d’années excédentaires et l50% d’années déficitaires (figure 1). Par contre, depuis 1971, 88 % des années sont sèches. Ainsi, sur la figure 2, il est observé une tendance à la sècheresse qui dure depuis 50 ans environ.
Figure 1 : Evolution de l’indice SPI avant et après la rupture dans la région de Mahounou. Source : Données SODEXAM, 2017
L’analyse de la figure 2 indique une séquence sèche plus longues et plus intense après l’année de rupture. Avant la rupture, seulement six années sont sèches tandis qu’après 1971, les années humides et de faible intensité se comptent par séquences d’une année, en dehors des trois années consécutives partant de 2012 à 2014).
La récurrence des années sèches est ressentie dans la région de Mahounou. C’est un phénomène stochastique. Cependant, avoir une compréhension de son évolution avant et après la date de rupture (1971) s’avère être important pour une anticipation des conséquences. La fréquence d’apparition de la sècheresse agricole chaque année, deux années, trois années ou quatre années de suite, n’est identique de part et d’autre de l’année de rupture comme le montre le tableau 2.
Tableau 2 : Fréquence d’apparition d’années sèches avant et après la rupture en 1971
Dans la région de Mahounou, la fréquence d’apparition de la sècheresse est plus importante après la rupture qu’avant la rupture (avec 49% contre 21%). Environ une année sur deux est sèche après la rupture. Les séquences sèches se sont également accrues au cours des dernières décennies. Avant la rupture, la fréquence d’avoir deux années consécutives sèches est faible (04%). Ce taux passe à 22% après la rupture. Ainsi, la sècheresse agricole est beaucoup plus intense après l’année 1971. Elle se perçoit à travers l’importance d’années consécutives sèches (3 années et 4 années). Après la rupture, les fréquences d’apparition de trois années et quatre années sont respectivement de 11% et 02%, pendant que ces séquences sèches n’existent pas avant la rupture. Cette réalité essentiellement pluviométrique est de plus en plus exacerbée par une hausse continue des moyennes thermiques dans la région étudiée.
2.1.2. Les températures moyennes annuelles en hausse, associées à un assèchement des mois
La figure 2 montre l’évolution des températures moyennes mensuelles dans la région de Mahounou. La tendance globale de ces températures entre 1981 et 2017 est à la hausse. La pente de la courbe de tendance est ascendante avec pour coefficient directeur 0,055 et une régression linéaire (R²=0,7≈1). Cette régression démontre la forte intensité du lien qui existe entre les températures moyennes et les années. Ce lien signifie qu’au fur et à mesure que l’on progressera dans le temps, les températures aussi auront tendance à augmenter.
Figure 2 : Évolution des températures moyennes mensuelles de 1981 à 2017 la région de Mahounou Source : Données SODEXAM, 2017
Ainsi, les températures moyennes mensuelles dans la région de Mahounou de 1981 à 2017 ont connu une hausse significative avec un taux de croissance est de 6% (5,56). Cette hausse est de l’ordre de 1,5°C sur l’ensemble de la période d’étude. La température passe ainsi de 25,6°C en 1981 à 27,1°C en 2017 avec un pic (28,1 °C) en 2010. Autour du bas-fond de Mahounou, plus de la moitié des paysans rencontrés (75%) perçoivent également cette hausse des températures marquée par des séquences sèches de plus en plus longues. Cette tendance au réchauffement du climat dans la région de Mahounou est exacerbée par une sècheresse hydrique plus accentuée et le raccourcissement des saisons culturales qui sont mise en relief à travers le bilan hydrique climatique (BHC).
2.2. La sécheresse hydrique, une menace agronomique
2.2.1. La sècheresse hydrique plus intense et la saison culturale plus courte après 1971
La figure 3 exprime la différence entre l’apport la précipitation (P) et l’Évapotranspiration (ETP) qui s’effectue dans la zone de Mahounou. Il y est constaté que tous les mois sont moins humides après la rupture (1971) qu’avant.
Figure 3 : Évolution du BHC avant et après la rupture dans la région de Mahounou.
Source : Données SODEXAM, 2017
En effet, les mois de janvier, février, mars, novembre et décembre sont plus secs après 1971. La sècheresse du mois de février devient plus sévère qu’avant. Les mois tels qu’avril, mai, juin, juillet, septembre et octobre de moins en moins pluvieux après cette date (1971). Le contraste est beaucoup plus important aux mois de septembre et octobre. Seul le mois d’août d’après 1971 affiche un faible regain d’humidité.
La saison humide connait également une modification significative après la rupture en 1971 comme le présente la figure 4. Avant l’année de rupture, la saison culturale débutait généralement dans la première semaine du mois de mars et s’achevait à la mi-octobre. La pré- saison durait à peine un mois et la post-saison 15 jours. La saison culturale franchement humide durait alors un peu plus de sept mois. Elle est plus intense en matière de pluviosité avec un pic excédentaire de 277 mm de pluie en moyenne au mois de septembre.
Figure 4 : Saison culturale avant et après la rupture dans la région de Mahounou. Source : Données SODEXAM, 2017
Cependant, après la rupture, la saison franchement humide commence au début du mois d’avril pour s’achever dans la première décade d’octobre. La saison fait désormais six mois et est marquée par une importante baisse de la pluviométrie moyenne annuelle. Ainsi, la saison végétative actuelle qui sévit dans la région de Mahounou depuis la date de rupture n’est pas sans conséquences.
2.2.2. L’assèchement des réserves d’eau dans la région de Mahounou.
L’augmentation incessante des températures dans la région et les saisons humides moins longues avec de faibles hauteurs de pluies entrainent l’assèchement ou la disparition des points d’eau (puits, étang, mares, etc.) dans le bas-fond de Mahounou comme le montre la Planche photo 1.
Planche Photo 1: Assèchement des réserves d’eau utiles pour les cultures : exemple de la rivière la Goré Prise de vues : K.C. N’Da , 2019
Ici, le changement d’état rapide des réserves d’eau dans le bas-fond de Mahounou est visible. Le lit de la rivière Goré, principale source d’alimentation d’eau du bas-fond, connait un étiage important durant les périodes de sècheresse. Cela témoigne du manque prononcé d’eau dans le bas-fond en contexte de récession pluviométrique (saison sèche). Ce constat peut être appuyé
par le point de vue des paysans sur l’assèchement des réserves d’eau (tableau 3). Les paysans, dans leur majorité (86%) affirment que leurs réserves d’eau tarissent de plus en plus tôt. Les besoins en eau ne font que s’accroître dans un environnement qui, à l’origine, était impraticable du fait de la submersion des terres par les eaux.
Tableau 3 : Perception paysanne de l’évolution de l’assèchement des réserves d’eau
Source : Nos enquêtes, 2019
Par ailleurs, ceux-ci témoignent que depuis les années 2000, lors de la saison humide, le bas- fond se rempli d’eau. Cependant, il peine à retrouver son niveau habituel, à en croire les propos d’un paysan en ces termes : « le bas-fond était toujours rempli d’eau, on ne pouvait même pas faire champs dedans ; on venait seulement pour attraper poisson ». Le bas-fond est aujourd’hui l’ombre de ce passé dont les populations locales ne cessent de vanter les atouts hydriques. Les fortes températures ajoutées à la rareté des ressources en eau entrainent le flétrissement des plants dans le bas-fond de Mahounou.
2.3. La sécheresse et la perturbation des saisons, des paysans rendus vulnérables
2.3.1. L’incapacité à maitriser les saisons culturales, un point de vulnérabilité des paysans
Les populations de Mahounou ont des savoirs empiriques qui leurs permettent de détecter l’arrivée proche des saisons pluvieuses. Ces indicateurs sont multiples et variés. Selon les paysans, les grandes pluies proviennent généralement des vents de direction Est-Ouest. De même, la venue d’oiseaux migrateurs, notamment « N’djolêh » en langue locale (nom scientifique : Ploceus cucullatus), fait également partie des signes annonciateurs des périodes humides. Cependant, ces indicateurs ne sont plus fiables selon 58% des paysans enquêtés (tableau 4). En effet, pour ceux-ci, ces signes peuvent paraitre ces dernières années sans toutefois annoncer de pluies.
Tableau 4 : Perception paysanne sur les indicateurs de l’arrivée de la saison des pluies
Source : Nos enquêtes, 2019
Les paysans, en majorité (89%) éprouvent des difficultés à prévoir l’arrivée proche des saisons de pluies. Ils se résignent alors à débuter leurs activités dès les premières pluies avec un risque de faux départ. La variation des débuts de ces saisons entraine un décalage des périodes de semis (tableau 5).
Tableau 5 : Perception paysanne de l’évolution des périodes de semis
Source : Nos enquêtes, 2019
La majeure partie des paysans enquêtés évalue leur période de semis comme étant tardive. Ces débuts tardifs amenuisent les chances de réussir toutes les étapes de croissance des plantes et accroissent le risque de dessèchement des cultures dans la mesure où les saisons humides se trouvent raccourcies. Les variations des paramètres suscités (indicateurs de l’arrivé des saisons et périodes de semis) concourent ainsi à accentuer les vulnérabilités des paysans dans le bas- fond de Mahounou.
2.3.2. Le dessèchement des plants dû aux contraintes hydriques et climatiques
L’effet combiné des fortes températures, de l’amplification des sécheresses, de la perturbation des saisons, de l’assèchement régulier et prolongé des réserves d’eau et la difficulté pour le paysan de maitriser le démarrage des saisons entrainent la sècheresse des plants dans le bas- fond de Mahounou. En effet, les plants de tomates et de choux sèchent sans apport d’eau d’irrigation (Planche photo 2). La pratique agricole dans ces conditions se révèle donc risquée.
Planche Photo 2 : Assèchement des parcelles de tomate (A) et de choux (B) dans le bas-fond de Mahounou. Prises de vues, K. C. N’Da2019
Ces photos illustrent les risques de perte de récoltes dus aux contraintes hydriques et climatiques inattendues dans la zone étudiée. L’urgence est d’envisager des stratégies d’adaptation efficace.
3. Discussions
Cette étude réalisée dans le bas-fond de Mahounou, pris comme exemple, a pour but de montrer les vulnérabilités des bas-fonds en milieu forestier dans un contexte de sècheresse hydroclimatique dans le Centre-ouest ivoirien. Les vulnérabilités ont été évaluées au moyen d’un questionnaire adressé aux paysans en appui aux observations faites sur le terrain et à travers l’analyse des données et paramètres climatiques (température et pluviométrie). L’évolution des paramètres climatiques indique que sur la période 1943-2017, les pluies ont
une tendance à la baisse et les températures, quant à elles, connaissent une hausse significative. Ces résultats sont en adéquation avec ceux de Y. T Brou., et al., (2005, p.538) ; S. Doumbia et
M. E. Depieu., (2013, p.4827). Selon ces différents auteurs, les tendances générales des paramètres climatiques en Côte d’Ivoire et dans le Centre-ouest, après les années 1970, sont marquées par une baisse pluviométrique et une hausse des températures.
Les indicateurs sur lesquels s’appuient habituellement les paysans pour prévoir l’arrivée proche de ces saisons humides ne sont plus valables, selon ces mêmes auteurs. Désormais, les paysans estiment être dans l’incapacité d’entrevoir la venue des périodes pluvieuses. Pourtant, ces périodes sont cruciales pour la réussite de leurs activités agricoles. Le défaut de maîtrise des périodes de survenue des pluies les expose alors aux aléas climatiques avec le risque élevé de rendement faible à nul. Les travaux de E.W. Vissin et al. confirment ces résultats. Selon E.W. Vissin et al., (2015, p.396), les paysans ont des difficultés à prédire les saisons humides, du fait du caractère incertain de leurs indicateurs. Les travaux de K. C. N’Da viennent également mettre en exergue le caractère imprévisible des pluies pour les paysans (K. C. N’Da, 2016, p.129).
Dans le Centre-ouest ivoirien, la péjoration du climat marque une véritable empreinte sur l’environnement d’une manière générale. Les ressources hydriques, bien qu’abondantes, sont sous le joug permanent d’un tarissement précoce. La fréquence et l’intensité de cette péjoration climatique, ont augmenté durant les 30 dernières années (F. Deynes, 2008), occasionnant en particulier un fort déficit hydrique dans la zone de Mahounou. La disparition des cours d’eau et l’assèchement de celles-ci dans la zone d’étude confirme ce fort déficit hydrique. Ce que confirment Y. T. Brou et al., (2005, p.539) à propos des conséquences de la baisse de la pluviométrie. Leur étude montre que les effets de la récession pluviométrique se ressentent sur les ressources en eau et se traduisent, par une baisse du niveau des cours d’eau, allant jusqu’à l’assèchement des rivières et marigots, compromettant ainsi les activités agricoles.
La vulnérabilité des paysans dans un contexte de sècheresse hydroclimatique est augmentée par cette variabilité de la pluviométrie. C’est l’un des facteurs principaux de contrainte de la pratique de l’agriculture en milieu forestier. Cet état de fait est également souligné dans le cadre du PAS-PNA Sénégal, (2019, p.47).
Conclusion
Le travail réalisé dans le bas-fond de Mahounou à partir des données climatiques et d’enquêtes de terrain a permis d’identifier les vulnérabilités des bas-fonds. Il a été montré que le bas-fond de Mahounou subit une sécheresse continue, entrainant l’assèchement des points d’eau. Cette dégradation des ressources hydriques est un véritable frein au développement des activités agricoles et par la même occasion, à l’épanouissement des populations qui ont pour activité principale l’agriculture. La question de la disponibilité de l’eau se pose à Mahounou, avec une extrême acuité surtout pendant la saison sèche. Les populations se plaignent de plus en plus du manque d’eau pour les activités agricoles. La population vit dans une situation de précarité sociale, hydrique et environnementale. Les producteurs expriment par ailleurs les conséquences des changements climatiques à travers les effets néfastes ressentis sur leurs activités agricoles. L’étude a permis de constater que les paysans exploitant les espaces dits humides (bas-fond) dans l’optique de s’adapter aux conditions climatiques nouvelles, se retrouvent eux-mêmes être
vulnérables à cette nouvelle donne climatique. L’étude a permis d’étudier la question des vulnérabilités paysannes en milieu bas-fond dans un contexte de sècheresse hydroclimatique. Mais, elle n’aborde cependant pas les mesures de résiliences locales. Il serait intéressant que d’autres travaux s’intéressent de manière spécifique à ce volet en milieu bas-fond.
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