Évolution des conditions agroclimatiques et économie de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako au Nord-ouest de la Côte d’Ivoire de 1965 à 2019

Evolution of agroclimatic conditions and cashew economy in the sub-prefecture of Bako in the north-west of Côte d’Ivoire from 1965 to 2019

Yao Dieudonné KOUASSI

yaodieudonnekouassi@gmail.com

Alassane TRAORE

tralassane1@gmail.com Université Alassane OUATTARA

Résumé :

Le Nord-ouest de la Côte d’Ivoire est sujet à une variabilité climatique qui a des répercussions sur les activités agricoles. Cette étude vise à montrer l’impact des conditions agroclimatiques sur l’économie de l’anacarde dans la Sous-préfecture de Bako. La méthodologie retenue est axée sur l’utilisation des données agro climatologiques (1965-2019), des données agricoles (2015-2019) et des enquêtes de terrains articulées autour des observations directes, des entretiens avec les populations et l’administration d’un questionnaire. Le traitement de ces informations a nécessité l’usage du test de Pettitt, l’indice de Nicholson, la méthode de Franquin et la corrélation de Pearson. Ces différentes méthodes ont permis de déterminer des ruptures dans les séries pluviométriques et thermiques, respectivement en 1993 et en 2002. Face à cette situation climatique instable dont dépend la culture de l’anacarde, il s’en suit un rallongement de la saison humide, préjudiciable à la fructification de l’anacardier et une baisse des rendements de 215,46 kg/ha en 2015 à 140 kg/ha en 2019 dans la Sous-préfecture de Bako.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Bako, conditions agroclimatiques, variabilité climatique, économie agricole, anacarde.

Evolution of agroclimatic conditions and cashew economy in the sub-prefecture of Bako in the north-west of Côte d’Ivoire from 1965 to 2019

Abstract

The North-West of Côte d’Ivoire is subject to climatic variability which has repercussions on agricultural activities. This study aims to show the impact agroclimatic conditions on the cashew economy in the Bako Sub-prefecture. The methodology used is based on the use of agroclimatological data (1965-2019), agricultural data (2015-2019) and field surveys articulated around the direct observations, interviews with populations and the administration of a questionnaire. The treatment of these information required the use of Pettitt’s test, Nicholson’s index, Franquin’s method and the Pearson correlation. These different methods have made it possible to determine ruptures in the pluviometric and thermal series, respectively in 1993 and in 2002. Faced with this unstable climatic situation on which the culture of the cashew nut depends, it follows an extension of the wet season, determental to the fruiting of the cashew tree and a drop in yields of 215.46 kg/ha in 2015 to 140 kg/ha in 2019 in the Bako Sub-prefecture. Keywords : Ivory Coast, Bako, Agroclimatic conditions, climate variability, agricultural economics, cashew.

Introduction

Les impacts de l’instabilité des paramètres climatiques sont perceptibles partout dans le monde. En effet, il ne se passe plus une année sans que l’on assiste à des inondations, les pluies tardives, les sécheresses extrêmes, des ouragans et des tsunamis. C’est le cas de la région sud de la Côte d’Ivoire, précisément dans la ville de Fresco où les inondations connaissent une recrudescence depuis les années 1990 (Y. D. Kouassi et P. N. Yéo, 2021, p. 3). Tous ces phénomènes climatiques affectent de façon disproportionnée les populations en les rendant vulnérables de même que leurs activités. Ainsi, les fortes concentrations de pluies observées sur des périodes courtes, le démarrage de plus en plus tardif des saisons pluvieuses, la persistance des poches de sécheresse influencent négativement la distribution annuelle de la pluviométrie utile pour le développement des activités agricoles. Ce qui perturbe les calendriers des activités agricoles et fragilise l’économie agricole.

À l’Est de la Côte d’Ivoire, la baisse pluviométrique amorcée depuis la fin des années 1960, s’est intensifiée au cours des années 1980 et 1990, avant de connaître une certaine rémission à partir des années 2000 (D. Noufé, 2011, p. 76). Cette instabilité climatique participe à la fragilisation de l’économie agricole de la partie Est ivoirienne. Cette fragilisation de l’économie agricole crée une pauvreté croissante du monde agricole ivoirien (N’. S. Kouao et D. A. Alla, 2019, p. 8).

Comme ces autres localités de la Côte d’Ivoire, l’économie de la sous-préfecture de Bako repose essentiellement sur les activités agricoles, en général et principalement, sur la culture de l’anacarde. Cette agriculture à caractère pluvial est fortement tributaire des conditions agroclimatiques du milieu. C’est pourquoi, l’instabilité des conditions agroclimatiques dans la sous-préfecture de Bako est une véritable énigme pour l’économie de l’anacarde. Partant de ces constats, cette étude vise à montrer les impacts potentiels de l’évolution des conditions agroclimatiques sur l’économie de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako. Plus spécifiquement, il s’agit dans un premier temps d’analyser l’évolution des conditions agro climatiques, puis dans un second temps d’identifier les impacts climatiques sur l’économie de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako.

1.    Matériels et méthodes de l’étude

Tout en présentant le cadre de l’étude, plusieurs matériels et méthodes ont été nécessaires pour mener à bien cette analyse.

1.1  Cadre de l’étude

La sous-préfecture de Bako est située au Nord-ouest de la Côte d’Ivoire dans la région de Kabadougou, précisément dans le département d’Odienné. Elle s’étend sur une superficie de 314 Km2 et fait frontière avec les sous-préfectures d’Odienné au nord, de Borotou et de Koro au sud et Koro, avec Booko et la Guinée Conakry à l’ouest et à l’est avec Dioulatiédougou. Elle est située entre les latitudes 8°4’0’’ et 9°4’60’’nord et les longitudes 7°0’0’’et 7°49’58’’ ouest (Carte 1).

Bien que la sous-préfecture de Bako fasse partie du grand Nord ivoirien, elle présente cependant des caractéristiques tant au plan physique qu’humain qui lui sont spécifiques. L’implantation des hommes et de leurs activités économiques dans un milieu donné est d’abord et avant tout soutenue par les facteurs naturels de ce milieu. Dans la sous-préfecture de Bako, le climat et la pluviométrie, la végétation, l’hydrographie, le relief et les sols sont des facteurs importants à prendre en compte dans la caractérisation du milieu physique.

Source : CNTIG, 2018                                             Réalisation : TRAORÉ, 2021

Carte 1 : Carte de localisation de la sous-préfecture de Bako

La sous-préfecture de Bako appartenant au domaine du climat tropical sec. Cependant, sa position entre la 8° et la 10° latitude Nord lui confère deux variantes de ce climat. Car, les pluviométries dans la partie Sud de cette localité atteignent les 1600 mm en moyenne par an du fait de sa proximité étroite avec la dorsale guinéenne. Contrairement à la partie Nord de la sous- préfecture où les pluviométries connaissent une baisse oscillant autour de 1200 mm en moyenne par an. Quant à la température, elle oscille entre 25°C et 27°C en moyenne par an (B. I. DIOMANDE, 2011, p. 45).

Concernant le relief, la sous-préfecture de Bako est constituée de hauts plateaux et quelques chaînons. Quoi que peu élevé, ce relief est dans l’ensemble monotone. Cependant, cette monotonie reste peu contrastée par la présence des chaînons et des bas-fonds, du fait de sa proximité avec la dorsale guinéenne. Ce relief fait partie des formations libériennes et des reliques léoniennes (Y. D. Kouassi, 2020, p. 62). Dans son ensemble, il est constitué de roches cristallines composées de charnockites, granulites, de magnétites à la base et surmontées d’itabirites et d’amphibolo-pyroxénites (Y. D. Kouassi, 2020, p. 62). Ce relief se repose sous des sols de types ferralitiques à texture sablo-argileuse avec des émergences granitiques. Ces sols sont très perméables et poreux à l’eau et à l’air. Pour mener à bien cette étude, plusieurs matériels et méthodes ont été nécessaires.

1.2  Matériels de l’étude

Pour analyser les conditions agro climatiques et l’économie agricole dans la sous-préfecture de Bako, trois types de données ont été mobilisées : les données agro climatologiques, les données agricoles et les données socio-économiques.

Les données agroclimatologiques sont incontournables dans une étude en agro climatologie. Ainsi, pour cette étude trois types de données ont été collectées, à savoir : la pluviométrie, la température et l’évapotranspiration potentielle sur la série chronologique de 1965 à 2019. Ces données agro climatologiques ont été fournies par la Société d’Exploitation et de Développement Aéronautique et Météorologique (SODEXAM). Ces données ont été acquises en 2021 aux pas de temps mensuels. Elles concernent la station synoptique d’Odienné qui couvre la sous-préfecture de Bako.

Les données agricoles collectées portent nécessairement sur les rendements de la culture principale (l’anacarde) de la sous-préfecture de Bako. Ce choix se justifie par la disponibilité des données sur cette seule activité agricole. Les superficies et les productions ont permis d’avoir les rendements utilisés dans cette étude. Elles ont été collectées auprès de la direction régionale de l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) et du Conseil Coton-anacarde. Elles couvrent la période de 2011 à 2019 pour l’anacarde. Le choix de cette période est fonction de la disponibilité des données obtenues.

Les données socio-économiques sont indispensables dans une étude d’évaluation de l’économie agricole. Ainsi, pour cette étude, les données se rapportant aux revenus agricoles ont été collectées de deux façons. Dans un premier temps, des données quantitatives ont été acquises à l’agence régionale du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER) à Odienné. Dans un deuxième temps, des données qualitatives ont été collecté auprès de la population par les enquêtes de terrain. Elles se sont faites en trois étapes à savoir : l’observation directe, l’entretien individuel et l’enquête par questionnaire sur la période du 21 janvier au 26 février 2021. L’observation directe a eu lieu dans les exploitations agricoles et dans les villages choisis. Quant à l’enquête par entretien, elle a été un élément essentiel pour la collecte des données. À l’aide d’un guide d’entretien, les informations ont été collecté auprès des agents de la SODEXAM, l’ANADER et du MINADER. Cette enquête a concerné l’évolution des paramètres climatiques et l’économie agricole de la sous-préfecture de Bako. Elle a mobilisé

10 agents de ces différentes structures. Quant à l’enquête par questionnaire, elle a consisté à poser des questions à choix multiples ouvertes ou fermées aux chefs de ménages dans les villages choisis. Cette enquête n’étant pas exhaustive, la technique de l’échantillonnage par choix raisonné a été utilisée pour puiser des informations au sein de la population mère (le nombre méconnu). Ces informations recueillies ont été relatives à la perception paysanne des impacts de l’évolution des conditions agroclimatiques sur la culture de l’anacarde. Au total, ce sont 140 agriculteurs qui ont été enquêtés en raison de 14 personnes par village. Ces personnes ont été choisies sur les critères tels que l’âge (au moins 45 ans), la quantité de leur production personnelle et aussi leur disponibilité à répondre aux questions.

Ces différentes enquêtes ont été menées dans 10 villages choisis selon leur forte capacité de production en anacarde, ainsi que leur position spatiale et leur accessibilité dans la Sous- préfecture (Carte 2). Ces enquêtes ont permis d’obtenir des éléments de confirmation des données quantitatives et voir la réalité du phénomène dans l’espace d’étude.

Source : CNTIG, 2018                               Réalisation : TRAORÉ , 2021

Carte 2 : Carte de localisation des localités enquêtées dans la sous-préfecture de Bako

1.3  Méthodes de traitement des données de l’étude

Les méthodes utilisées dans le cadre de cette analyse sont fonctions des types de données.

Concernant le traitement des données agro climatologiques, il a nécessité l’usage de deux méthodes : l’analyse de la stationnarité et la détermination de la tendance des séries chronologiques des paramètres étudiés.

L’analyse de la stationnarité des séries a concerné la pluviométrie et la température avec le choix du test de PETTITT (B. I. Diomandé, 2011, p. 45). Le test de PETTITT est non paramétrique et dérive de celui de Mann-Whitney. Il permet de détecter toute éventuelle rupture existante dans une série de données chronologiques pendant la période étudiée. Ainsi : l’hypothèse nulle = absence de rupture. Si l’hypothèse nulle est acceptée à un taux élevé, c’est- à-dire 95-99 %, la présence de rupture dans la série chronologique reste contestable. Si l’hypothèse nulle n’est rejetée à un taux élevé (95-99 %), cela signifie qu’il y a effectivement rupture dans la série temporelle. La force de ce test réside dans la précision de la date (année) à laquelle la modification (rupture) a eu lieu.

Quant à la détermination de la tendance des paramètres agro climatiques, le choix a été porté sur l’indice de Nicholson qui est une méthode d’analyse interannuelle. Son choix se justifie par la robustesse et sa fiabilité. Il s’exprime par l’équation : Li = (µi-ⱷ) /Ω

Avec : Li = Indice pluviométrique ; µi = Cumul de l’année i étudiée ; ⱷ = Moyenne interannuelle de la variable sur la période de référence ; Ω = Valeur de l’écart-type du paramètre sur la même période.

Au niveau des données agricoles, le choix a été fait de l’usage de la méthode de détermination des saisons agricoles. La saison agricole correspond à une période de l’année où les besoins en eau et en chaleur des plantes annuelles sont satisfaits. À l’échelle agronomique, P. FRANQUIN (1973, p 74) a procédé à un découpage de l’année à partir de la pluviométrie moyenne (P) et de l’évapotranspiration potentielle (ETP) pour déterminer les saisons agricoles. Ainsi, le bilan climatique de P. FRANQUIN (1973, p 74) a permis un découpage de l’année en trois phases que sont : la phase pré-humide, la phase humide et la phase post-humide. D’abord, la Période « pré-humide » : A2 B1, période durant laquelle P est globalement inférieur à ETP (mais supérieure à 1/2*ETP) et donc ETR inférieure à ETP. Ensuite, la Période « humide » B1 B2 est une période durant laquelle P est globalement supérieure à ETP, et donc ETR égale à ETM (évapotranspiration maximale de la culture). Enfin, la Période « post-humide » ; B2 C2, période durant laquelle P redevienne inférieure à ETP, et ETP généralement à ETM en dépit des réserves accumulées dans le sol entre B1 ET B2.

Quant aux données agro-économiques, leur traitement a nécessité l’emploi du test de corrélation Pearson qui a permis de mettre en évidence le lien entre le climat et l’économie agricole. Cette méthode a permis dans cette étude de mesurer la relation linéaire entre les données agro climatologiques (température, pluviométrie et ETP) et les données agricoles (production et rendement). Le coefficient de corrélation de Pearson également noté « r », peut prendre des valeurs comprises entre -1 et +1. Selon l’interprétation de R. RAKOTOMALALA (2012, p 5), plus la valeur de « r » est proche de +1 ou -1, plus le lien entre les deux variables est fort, tandis que, si le coefficient tend vers 0, le lien est faible. En plus, le signe du lien est positif lorsque les variables corrélées sont de même sens et de sens contraire si le signe du « r » est négatif.

2      Résultats et analyses

L’analyse statistique des données agro climatiques de la sous-préfecture de Bako présente leur évolution saisonnière et interannuelle sur la période de 1965 à 2019.

2.1      Une évolution contrastée des paramètres agroclimatiques entre 1965 et 2019

L’évolution des paramètres agroclimatiques est spécifique à chaque composante agro climatique.

2.1.1      Une variation à la hausse de la pluviométrie de la Sous-préfecture de Bako

La pluviométrie de la Sous-préfecture de Bako a été observée dans le cadre de cette étude sur la période 1965-2019 (Figure 1).

Source : Sodexam, 2021

Figure 1 : Graphique de la variabilité de la pluviométrie sur la période 1965-2019 de Bako

Il ressort de la figure 3 l’existence d’une rupture dans la série pluviométrique 1965-2019. Cette rupture sur la période 1965-2019 se situe à la date 1993. La valeur moyenne des moyennes pluviométriques annuelles de la période 1965-2019 est de 115,03 mm. Les valeurs du maxima et du minima des pluviométries moyennes annuelles dans la sous-préfecture de Bako entre 1965 et 2019 sont respectivement de 142,47 mm en 2003 et de 81,29 mm en 1973. La rupture de 1993 permet de déceler deux périodes distinctes. La première période part de 1965 à 1993 avec une pluviométrie moyenne estimée à 109,94 mm. Cette période présente un minima de 81,29 mm en 1973 et un maxima de 139,51 mm en 1979. La deuxième période, partant de 1994 à 2019 avec une moyenne pluviométrique de 120,94 mm, présente un maxima de 142,12 mm en 1995 et un minima de 93,8 mm en 2011. Ces résultats indiquent une variabilité pluviométrique sur la série étudiée. Au regard des moyennes avant et après la date de rupture, il ressort clairement une tendance à la hausse de la pluviométrie sur la période d’étude.

2.1.2     Une fluctuation de la température de la Sous-préfecture de Bako

L’analyse thermique interannuelle de la sous-préfecture de Bako décèle une hausse de la température à l’échelle de la Sous-préfecture de Bako (Figure 2).

Source : Sodexam, 2021

Figure 2 : Graphique de variabilité de la série température sur la période 1965-2019 de Bako

L’observation de la Figure 4 indique la présence d’une date de rupture dans la série de l’évolution interannuelle des températures de 1965 à 2019. L’année 2002, date de rupture dans la série thermique de la Sous-préfecture de Bako, permet de distinguer deux phases d’évolution. La première période part de 1965 à 2002 avec une température moyenne de 25,5°C. Cette phase a un minima de 25,04°C en 1984 et un maxima de 25,99°C en 1998. Quant à la deuxième phase (2003-2019), la température dans la sous-préfecture de Bako connaît une hausse avec 26,06°C comme moyenne périodique. Elle a un minima de 24,04°C en 2008 et un maxima de 27,43°C en 2016. De ce fait, cette variation de la température met en exergue une fluctuation de la température avec une moyenne interannuelle de 25,7°C sur la période 1965-2019. L’augmentation de la moyenne de la deuxième phase par rapport à celle de la première phase montre une tendance à la hausse de la température dans la Sous-préfecture de Bako.

2.1.3     Une tendance à la baisse de l’évapotranspiration potentielle interannuelle de la sous- préfecture de Bako

L’analyse interannuelle de l’évapotranspiration potentielle a favorisé la mise en évidence des différentes variations sur la période de 1965 à 2016 dans la sous-préfecture de Bako (Figure 3).

Source : Sodexam, 2021

Figure 3 : Graphique d’évolution interannuelle de l’évapotranspiration potentielle de 1965 à 2019

L’évolution interannuelle de l’évapotranspiration potentielle exprimée par la figure 5 montre, à travers le signe du coefficient directeur de la droite linéaire (-0031), que l’ETP indique une tendance à la baisse. Cette évolution met en exergue non seulement des années déficitaires (années humides ou années à indices d’ETP négatifs) mais aussi des années excédentaires (années sèches ou années à indices d’ETP positifs). En effet, l’année 1983 représente le maxima de la série avec une valeur d’indice de +2,88. En opposée, l’année 2000 est la moins marquée avec une valeur d’indice égale -3,31 (minima de la série). L’observation générale de l’évolution interannuelle de l’ETP permet de distinguer également trois grandes phases : la première phase de 1965 à 1981 est dite déficitaire, la seconde phase de 1982 à 1998 est excédentaire et enfin la troisième phase de 1999 à 2016 est déficitaire.

La première phase déficitaire (1965-1981) sur cette période peut s’expliquer par la faiblesse des températures. En effet, le caractère de l’indice thermique compris entre [-0,85 ; 0,26] sur la période 1965-1981 est jugé normal et seulement les années 1965, 1966 et 1970 sur les 17 années ont respectivement des indices positifs de +0,26, +0,12 et +0,05. Quant à la phase excédentaire (1982-1998), elle s’explique par l’influence des températures élevées sur cette période. En clair, les décennies 1970-1990 ont relativement été sèches en Côte d’Ivoire. Plus particulièrement, la décennie 1980 enregistre un déficit pluviométrique. Ce déficit pluviométrique induit une forte activité thermique, d’où la forte évapotranspiration potentielle des végétaux et des sols. Par contre, la troisième phase (1999-2016) dite déficitaire, peut s’expliquer par le fait que les indices thermiques de la sous-préfecture de Bako sont déficitaires (période humide) sur cette période. Par conséquent, il y’a une faible évapotranspiration des végétaux et des sols.

En somme, la baisse de la tendance de l’évolution interannuelle de l’évapotranspiration potentielle dans la sous-préfecture de Bako peut s’inscrire dans un contexte de variabilité climatique. Ces évolutions des différents paramètres agroclimatiques ont des impacts sur l’économie de l’anacarde dans la zone d’étude.

2.2  Impacts agroclimatiques sur l’économie de l’anacarde dans la Sous-préfecture de Bako entre 1965 et 2019

Il s’agit dans cette section d’analyser le lien entre les paramètres agro climatiques et l’économie de l’anacarde dans un premier temps. Dans un second temps, cette partie va déterminer les influences de cette évolution sur l’économie de l’anacarde.

2.2.1      Une dépendance de l’économie de l’anacarde des paramètres agroclimatiques

La corrélation est mise en évidence entre les paramètres agro climatiques, le rendement et le prix d’achat de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako de 2011 à 2019 (tableau 1).

Tableau 1 : Lien entre les paramètres agro climatiques et l’économie de l’anacarde à la Sous-préfecture de Bako

Sources : Anader, Minader, Sodexam, 2021

Il ressort, dans l’ensemble, du tableau 1 que l’économie de l’anacarde (rendement et prix) dépend des paramètres agro climatiques. En effet, le coefficient de corrélation entre le rendement de l’anacarde et la pluviométrie moyenne est de -0,86. Cela montre qu’il y’a un lien très élevé entre la production de l’anacarde et la pluviométrie. Cependant, la hausse de la pluviométrie entraine une baisse du rendement de l’anacarde. En contrario, le lien entre ce rendement de l’anacarde et la température est fort, avec un coefficient de 0,74. Cela traduit le fait que la température influence fortement le rendement de l’anacarde. Ainsi, la hausse du rendement agricole de l’anacarde reste fortement liée à la hausse de la température. En plus, l’ETP est fortement corrélée au rendement agricole avec un coefficient de -0,70. Ce coefficient traduit qu’une augmentation de l’ETP impulse une diminution des rendements de l’anacarde dans la zone d’étude. Il existe également un lien fort entre le rendement et le prix d’achat de l’anacarde avec un coefficient de 0,88. En effet, plus le rendement est meilleur, plus le prix d’achat du kilogramme de la noix de cajou est élevé. Les paysans s’impliquent davantage dans la production agricole lorsque les prix d’achat de l’anacarde s’améliorent. En somme, l’économie de l’anacarde reste donc influencée par l’évolution des paramètres agro climatiques.

2.2.2 Une variation des rendements de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako

Les rendements agricoles de cette activité connaissent une baisse sur ces dernières années dans la sous-préfecture de Bako (Figure 4).

Source : Anader, conseil Coton-anacarde, 2021

Figure 4: Graphique de l’évolution du rendement de l’anacarde dans la sous-préfecture de Bako entre 2011 et 2020

Au regard de la figure 4, les rendements agricoles de l’anacarde sont variables avec une tendance à la baisse dans la sous-préfecture de Bako. Les rendements sont passés de 225,97 Kg/ha en 2011 à 147,37 Kg/ha en 2020. C’est ce que confirment les propos d’un paysan âgé de 70 ans et planteur d’anacarde à Férémandougou. En effet, interrogé sur la question de l’évolution des rendements de l’anacarde, ce dernier a affirmé que : « Tu vois ce magasin ; les années passées avec 5 hectares d’anacarde j’avais près de 23 sacs de 50 kilogrammes de noix de cajou ». Poursuivant, il ajoute que : « depuis un moment, je peine à avoir ce même nombre de sacs quand bien même que ma superficie agricole a augmentée ». Cela traduit une baisse des rendements agricoles de l’anacarde. Notons également que les paramètres agroclimatiques ont également des répercussions sur l’évolution des saisons végétatives.

2.2.3      Une variation des saisons végétatives dans la sous-préfecture de Bako entre 1965 et 2019

La fluctuation des paramètres climatiques est une réalité dans la sous-préfecture de Bako. Cette variabilité climatique se caractérise par une dynamique croissante des saisons végétatives après la rupture pluviométrique de 1993 (Figure 5).

7A : saison culturale avant la rupture pluviométrique de 1993 ; 7B : saison culture après la rupture pluviométrique de 1993

1 : période sèche ; 2 : période pré-humide ; 3 : période humide ; 4 : période post-humide

Figure 5 : Graphiques de variation de la saison culturale dans la sous-préfecture de Bako 1965 à 2019

L’observation de la figure 5 met en évidence l’évolution de la durée des saisons végétatives avant et après la rupture pluviométrique dans la sous-préfecture de Bako. Dans l’ensemble, on observe des changements notables dans les découpages saisonniers avant et après la rupture.

Au niveau de la figure 7A, la période pré-humide (2) s’étend sur deux mois. Cette période pré- humide commence dans la première semaine du mois d’avril pour finir à la fin du mois de mai. Alors que, cette période pré-humide connait après la rupture (figure 7B) un prolongement dans le temps. En effet, la période pré-humide (2) après la rupture commence désormais à la fin du mois de mars et prend fin dans la première semaine du mois de juin. Concernant la période humide (3) avant la rupture, elle commence au début du mois de mai pour finir dans la dernière semaine du mois de d’octobre. Par contre, cette même période après la rupture débute dans la première semaine de juin et prend fin à mi-octobre. De ce fait, il y a un décalage de cette période humide avant et après la date de rupture. En plus la période sèche (1) connait également un début tardif après la rupture par rapport à la série chronologique avant la rupture. Il ressort que les périodes saisonnières ou végétatives connaissent elles-toutes des variations dans leur distribution temporelle. Il s’en suit une augmentation des saisons défavorables à la bonne pratique de la culture de l’anacarde. En effet, l’anacardier supporte des régimes pluviométriques variés avec une pluviométrie comprise entre 600 et 1500 mm sur 4 à 6 mois consécutifs et une saison sèche de 6 à 8 mois qui favorise une bonne fructification, mais aussi une bonne conservation des noix de cajou (INADES, 2002, p.8). De ce fait, les paramètres climatiques ont des influences sur l’anacarde culture. En clair, la hausse des précipitations dans la sous- préfecture de Bako s’explique par leur rapprochement étroit d’avec la dorsale guinéenne. Alors que, dans une zone à forte pluviométrie, le développement végétatif de l’anacardier est excellent et sa croissance très rapide. Cependant, après la floraison, l’anacardier fructifie peu à cause de l’humidité constante et élevée dans l’air (J.E. LACROIX, 2003, p. 54). Par conséquent, cela provoque la croissance d’inflorescence effilée. Dès lors, les noix de cajou trop grosses mûrissent et se conservent mal. De ce fait, la réduction de la période sèche au détriment de la période humide, grâce à l’augmentation des hauteurs pluviométriques qui prévalent dans la sous-préfecture de Bako, favorise une baisse de la capacité de production de l’anacardier.

3. Discussion

L’évolution des paramètres agroclimatiques se trouve contrastée. En effet, la présente analyse révèle une augmentation de la pluviométrie et une hausse de la température. Cette dynamique climatique s’apparente à celle décrite par B. I. Diomandé (2011, p. 54) et Y. D. Kouassi (2020, p. 73). Selon B. I. Diomandé (2011, p. 54) qui a travaillé sur le carré nord-ouest ivoirien, les totaux annuels pluviométriques ont une tendance à la hausse depuis le début des années 2000. Pour cet auteur, cette croissance des hauteurs d’eau s’accompagne d’une élévation de la température. Quant à Y. D. Kouassi (2020, p. 73), il a soutenu que l’origine de cette augmentation est d’ordre morphologique. Pour ce dernier, le nord-ouest ivoirien bénéficie des retombées pluviogéniques de la dorsale guinéenne. Ce constat est d’autant contraire à la tendance climatique générale de la Côte d’Ivoire qui indique une diminution de la pluviométrie depuis des décennies (Y. T. Brou et al., 2005, p. 6).

Dans la même veine que toutes les activités agricoles ivoiriennes, la culture de l’anacarde est confrontée à l’obstacle de la dynamique actuelle du climat dans la Sous-préfecture de Bako. En clair, le cadre physique des zones centre et nord de la Côte d’Ivoire est favorable à la bonne pratique de la culture de l’anacarde (N’. S. Kouao et D. A. Alla, 2019, p. 7). Ils soutiennent que l’aptitude culturale des sols dans la moitié nord du pays est favorable au développement de l’anacardier. Cependant, l’évolution du climat dans cette zone a un lien notable avec le rendement de l’anacardier. À cet effet, les études de O. M. F. R. Adjobo et al., (2020, p. 6) ont montré que l’augmentation de l’humidité après la floraison fructifie la plante et porte atteinte aux noix de cajou. En plus, selon O. M. F. R. Adjobo et al., (2020, p. 6), une augmentation de la période d’humidité au détriment de la période sèche pendant la phase de production favorise la baisse des aptitudes de production des anacardiers. De ce fait, la capacité de production optimale ne peut pas être atteinte. C’est pourquoi, S. Ndiaye et al., (2017, p. 8) relèvent que les noix sorties de ces circonstances sont grosses et difficilement conservables dans nos communautés traditionnelles. Cette idée a été également partagées par l’INADES (2002, p. 8) et J.E. Lacroix (2003, p. 54). Pour ces auteurs, selon les zones écologiques, l’influence de la pluviométrie est perceptible sur le rendement de la culture de l’anacarde. Les résultats de la présente étude corroborent donc avec les analyses antérieures sur la même question bien qu’avec des méthodologies différentes.

Conclusion

Au terme de l’analyse, on retient que les conditions agroclimatiques connaissent une dynamique contrastée sur la série chronologique de 1965 à 2019 dans la sous-préfecture de Bako. Cette évolution contrastée se caractérisant par la hausse de la pluviométrie et de la température, et de la baisse de l’évapotranspiration potentielle, impacte l’économie de l’anacarde à travers son rendement et son prix. L’instabilité des conditions agroclimatiques entraine une inadéquation entre les saisons culturales et les calendriers agricoles. Le rendement de l’anacarde est donc en proie aux variations des paramètres climatiques affectant ainsi les productions, les rendements et donc plus loin, les revenus des planteurs. Dans un tel contexte, l’on assiste à une émergence de différentes stratégie d’adaptions telles que la modification des habitudes culturales, le respect des itinéraires techniques de l’anacarde à travers la planification des tâches agricoles ainsi que la fourniture de variétés agricoles améliorées. Toutefois, les moyens matériels et financiers dont disposent la population rurale de la sous-préfecture de Bako sont limités. Dans cette perspective, il faut espérer que les politiques de prévention des risques et d’atténuation des effets du changement climatique mises en place par l’État de Côte d’Ivoire, surtout dans le secteur agricole ne se limiteront pas à de simples déclarations de principes.

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