L’accès au foncier urbain à la solde des conflits à Anyama : état des lieux et perspectives

Fanta TRAORE

noorfatimatzahara@gmail.com;

Tremagan KONATE

ktremagan@yahoo.fr

Yao Jean-Aimé ASSUÉ

assuéyao@yahoo.fr;

Brou Émile KOFFI

koffi_brou@yahoo.fr

Université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire)

Résumé :

Le patrimoine foncier urbain de la Côte d’Ivoire connait une consommation importante dans un contexte d’accroissement démographique. Il en découle des pratiques d’urbanisation qui reposent très souvent sur l’opportunité et le profit au détriment de la maîtrise de la gestion foncière. Cette urbanisation évolue à un rythme si rapide que les villes ivoiriennes sont devenues de grandes prédatrices des ressources naturelles et foncières. De la réduction de ces ressources, sont nées des tensions qui débouchent sur des conflits. La présente étude analyse les pratiques des acteurs dans le contexte de l’accès au foncier urbain à Anyama pour une meilleure prise en charge de la pression foncière. La méthodologie de recherche associe la collecte de données secondaires et des enquêtes de terrain. Les résultats révèlent que des demandes sans cesse croissantes de lots pour les logements urbains, ont fait naître une multiplicité d’acteurs aussi bien privés que publics. Dans le contrôle des ressources foncières, elles créent des tensions et de l’anarchie dans la gestion du foncier urbain à Anyama.

Mots-clés : Côte d’Ivoire ; Anyama ; Conflit foncier ; urbanisation et urbanisme

Mapping the Niger tiger bush to the test of human pressure and climate changes from 1993 to 2021

Abstract

The urban land heritage of Côte d’Ivoire is experiencing significant consumption in a context of demographic growth. This results in urbanization practices that very often rely on opportunity and profit to the detriment of the control of land management. Urbanization practices have often been based on opportunity instead of land control and action. This urbanization is evolving at such a rapid pace that Ivorian cities have become major predators of natural and land resources. The reduction of these resources has led to tensions and conflicts in peri- urban areas. This study analyses the practices of stakeholders in the context of access to urban land in Anyama for a better management of land pressure. The research methodology combines secondary data collection and field surveys. The results reveal that ever-increasing demands for urban housing lots have given rise to a multiplicity of actors, both private and public, in the control of land resources, creating tensions and anarchy in the management of urban land in Anyama.

Keywords: Côte d’Ivoire, Anyama, Land conflict, Urban dynamics, Lot

Introduction

La croissance de la population urbaine d’Anyama et son intégration dans le district d’Abidjan se sont traduites par une demande élevée de terrains urbains. En effet, la sous-préfecture d’Anyama est incluse depuis 2001 dans le district d’Abidjan, faisant de cette petite bourgade, une banlieue abidjanaise dont la demande en terres a suscité de nombreuses convoitises. Face à la forte demande en lot pour des besoins divers, les propriétaires terriens Akyé ont procédé à des lotissements afin de faciliter l’accès au foncier par le droit coutumier. Effectué à 90% par achat, le recours au foncier fait place à des dysfonctionnements. Ainsi, de nombreuses carences sont relevées quand bien même que l’État ivoirien ait mis en place des outils de contrôle et d’arbitrage pour une bonne gestion foncière depuis les années 1970. Entre autres, il s’agit de la mise place en 1987 d’un outil de financement de la production de terrains urbains dont le Compte de Terrain Urbain (CTU) avec l’appui des partenaires au développement et en 1999, de la création de l’Agence de Gestion Foncière (ONU- HABITAT, 2012 p.17). Mais, ces outils connaissent des insuffisances dans leur fonctionnement ; d’où la forte implication des détenteurs de droits coutumiers dans la production et l’animation du foncier urbain en Côte d’Ivoire et particulièrement dans la ville d’Anyama.

De ces constats, la question centrale qui se dégage dans le cadre de cette étude est : En quoi, l’accès au foncier urbain suscite-il des conflits à Anyama ? De cette question centrale découle les questions spécifiques suivantes : quels sont les problèmes qui minent la gestion du foncier urbain à Anyama ? Quelles sont les stratégies mises en place par les acteurs pour une bonne gestion du foncier urbain à Anyama ?

Il s’agira d’analyser les pratiques des acteurs pour une meilleure compréhension des problèmes d’accès au foncier urbain à Anyama. Ainsi, seront présentés les différents problèmes qui minent la gestion du foncier urbain et les stratégies mises en place.

1- Présentation de la zone d’étude

Située entre 5°29′40″ de latitude nord et 4°03′06″ de longitude ouest et à 10 km du nord de l’agglomération d’Abidjan, la ville d’Anyama appartient au District Autonome d’Abidjan. Dans ses limites actuelles, Anyama est dans la partie Sud intégrée dans la ville d’Abidjan au niveau de la commune d’Abobo, l’une des dix communes que compte la capitale économique ivoirienne. La circonscription d’Anyama est limitée au Nord par celle d’Azaguié et d’Agboville, au Sud par celles d’Abobo et de Bingerville, à l’Est par la commune de Yopougon et à l’Ouest par la circonscription de Songon. La ville d’Anyama s’étend sur 3000 ha pour une population de 123 052 habitants en 2014 (Estimation INS, 2020). Cette augmentation de la population s’explique aussi bien par l’accroissement naturel que par des mouvements migratoires. Dans le sens Sud – Nord, Anyama est située à cheval sur deux importantes voies de communication : à l’Ouest, la route nationale reliant Abidjan à Adzopé et à l’Est la ligne du chemin de fer. Cette voie ferrée relie Abidjan à la ville de Ouagadougou au Burkina Faso. La carte 1 montre la zone d’étude.

Carte 1 : Localisation de la ville d’Anyama

Carte 1 : Localisation de la ville d’Anyama

2- Matériels et méthodes

La méthodologie utilisée pour cette étude comporte la recherche documentaire qui a permis d’exploiter des documents relatifs à la gestion du foncier urbain. Des entretiens ont été faits avec les autorités municipales, administratives, les chefs coutumiers et les propriétaires terriens de la ville d’Anyama pour comprendre le mode de gestion du foncier urbain à anyama. Par ailleurs, leur avis sur les problèmes qui minent le bon fonctionnement de la chaine foncière a été recueillis. En outre, cinq quartiers ont été choisis pour mener les enquêtes. Le choix de ces quartiers s’explique par le fait qu’ils abritent les chefferies de la ville d’Anyama. La carte 2 montre la situation géographique des quartiers d’enquêtes au sein de la ville.

Carte 2 : Quartiers enquêtés dans la ville d’Anyama

Dans les zones d’enquête, les propriétaires terriens ont été interviewés. Des critères de choix ont permis de sélectionner et échanger avec un échantillon de cinquante (50) personnes. Les critères de choix des enquêtés sont : deux (02) propriétaires terriens ; deux (02) acquéreurs de lot étrangers, deux (02) personnes victimes de malversation foncière, deux (02) responsables coutumiers, deux (02) résidents non propriétaire de lot. Il s’agit d’un ensemble de critères qui reflètent les réalités de la population mère dans les différentes zones d’enquête. Deux (02) individus ont été sélectionnés selon le critère afin de confronter les réponses. Ainsi, au niveau de chaque quartier, dix (10) individus ont été interrogés. Le tableau 1 présente la synthèse de ces données.

Tableau 1 : Répartition des quartiers d’enquêtes et des critères de leur choix

Source : Estimation INS, 2020

Le tableau 1 présente les quartiers investigués de même que les critères de choix et l’effectif des occupants enquêtés par quartiers.

2.    Résultats

L’analyse des données collectées a permis de parvenir à des résultats relatifs d’une part, à la mise en évidence des problèmes liés à la gestion du foncier urbain à anyama et d’autres part, aux solutions et stratégies des différents acteurs pour pallier ces problèmes.

2.1  Le foncier urbain à Anyama : entre lotissements irréguliers, morcellement de réserves administratives et litiges fonciers

Les problèmes liés à la gestion du foncier urbain à anyama, sont le développement des lotissements irréguliers, le morcellement des réserves administratives et des litiges fonciers.

2.1.1. Un développement des lotissements irréguliers dans la ville d’Anyama

Depuis les années 1980, on assiste à la multiplication des lotissements venant des propriétaires terriens Akyés dans la ville d’Anyama, attesté par le MCLU (secteur d’Anyama). Le MCLU affirme que ces propriétaires procèdent, au moins deux fois par mois, à un projet de lotissement dans la ville et 2/3 de ces lotissements ne sont pas approuvés. À Anyama, sur douze quartiers, trois sont approuvés contrairement aux neuf autres qui sont en cours d’approbation (carte 3).

Carte 3 : Répartition des lotissements approuvés et non approuvés de la ville d’Anyama

À travers la carte 3, les lotissements approuvés de la ville d’Anyama sont limités à 3 quartiers dont les quartiers Abbe boukoi, Ran et Zossonkoi. À part le quartier Zossonkoi, qui est un quartier du noyau ancien de la ville parmi les cinq autres dont Christiankoi 1 et 2, Gare et Schneider, ces 4 autres quartiers sont en cours d’approbation. À ces quatre anciens quartiers en cours d’approbation, s’ajoute le quartier Résidentiel. Quant aux quartiers qui ne sont pas encore approuvés. Il s’agit de Sinaï, Palmeraie et Derrière rail. En ce qui concerne le quartier Derrière rail, c’est un quartier précaire situé dans le bas-fond de la rivière d’Abofi et de l’Apepo. Il a vu le jour à la suite de la mise en place du chemin de fer reliant la Côte d’Ivoire au Burkina Faso, qui passait par Anyama et Agboville. Donc, les commerçants malinkés du Nord de la Côte d’Ivoire et des pays, tels que le Burkina Faso et le Mali qui venaient acheter le cola, s’y sont installés, parfois, ou les conditions de vie de leur lieu de départ était moins meilleur que celle de leur lieu d’arrivé.

2.1.2. Des morcellements de réserves administratives à des fins d’habitation

Une réserve administrative est un espace collectif constitué par les emprises foncières obtenues par l’application d’un coefficient de réduction à chaque parcelle ou domaine relevé à l’État des lieux au cours d’une opération de lotissement et de remembrement. Ensuite, ces réserves sont destinées à la voirie et aux infrastructures futures comme le stipule l’arrêté n°73 du 10 avril 1943 portant création d’une réserve administrative le long des pistes et routes. Cet arrêté stipule en son article 2 qu’aucun terrain domanial ou forestier ne pourra être accordé à moins de 12,50 m de l’axe des routes et des pistes en Côte d’Ivoire. Mais, à Anyama, les enquêtes de terrains ont montré que les réserves administratives destinées aux équipements futurs de la ville sont régulièrement détournées. Elles sont morcelées à des fins d’habitation au détriment de leurs affectations initiales et cela au su et au vu de tous les acteurs de la chaine foncière. En effet, le géomètre expert, pendant les opérations de lotissement, afin de respecter les normes du lotissement, dégage des domaines après avoir expliqué leurs utilités pour l’approbation dudit lotissement aux propriétaires terriens. À la fin de ces opérations, ces domaines rentrent dans le patrimoine de la commune qui prend connaissance des réserves dégagées pour diverses fins. Le tableau 2 montre les terrains détournés de leur fonction initiale dans la ville d’Anyama.

Tableau 2 : Superficie des parcelles détournées de leur affectation initiale dans la ville d’Anyama en 2020

Fonction initiale prévueSuperficie des réserves détournées et morcelées en m²
1Espace vert7 845
2Équipement scolaire32 568
3Équipement sanitaire26 713
4Équipement marchand10 450
5Équipement culturel9 340
6Équipement sportif8 690
7Décharge1 050

Source : Service du Cadastre, 2020

Les données du tableau 2 montrent que plusieurs hectares de terres ont été détournés de leurs fonctions initiales dans la ville d’Anyama. Il s’agit au total de 15 hectares 65 ares qui sont, aujourd’hui, occupés par les maisons au titre d’habitation. Ces réserves foncières sont des ilots qui sont dédiés lors du lotissement à accueillir de futurs infrastructures et équipements publics tels que les écoles primaires, les lycées, les universités, les centres de santé, les terrains de sports, les équipements marchands etc. Ce sont des réserves qui font partie du domaine public des collectivités. G. Ngaressem cité par A. G. Diémé (2020, p.107) abonde dans le même sens en soulignant que ce sont des stocks de terrains destinés à recevoir les équipements publics futurs de la ville. Cependant, le MCLU du secteur Anyama a procédé au déclassement et morcellement de l’îlot 238 du lotissement du Point Kilométrique 18, Blankro 1ère extension, initialement, affecté à un espace vert. À cela, s’ajoute, le déclassement et morcellement des îlots 231, 299 et 300 du lotissement de pk18 Blankro 1ère extension, initialement, affecté à des réserves administratives. Il y a, aussi, le déclassement et morcellement de l’ilot 15 et 39 du quartier RAN. Selon A. C. Yapi, (2021, p.7), 24,48% des réserves administratives de Yamoussoukro ont été morcelés contre 75,52% disponibles. Cependant, 49,70% de ces réserves ont suivi une procédure de déclassement.

2.1.3. Une diversité de types de conflits pour l’accès au foncier urbain : les conflits liés à la double attribution

À Anyama, il arrive souvent qu’un même lot soit vendu à plusieurs acquéreurs. Ce problème est surtout régulier chez les initiateurs des lotissements villageois. En effet, les propriétaires terriens, après le lotissement de leurs terres, vendent les lots en délivrant des lettres d’attribution ou des attestations villageoises qui sont photocopiables à volonté (pour peu qu’il y ait des complicités), on se retrouve avec des cas de ventes multiples sur une même parcelle. C’est d’ailleurs probablement l’exemple de conflit le plus récurrent parce que plusieurs personnes se retrouvent avec une attestation villageoise sur une même parcelle et bon nombre d’entre elles n’iront pas pour sa vérification auprès de l’administration qui détient en double le même registre que celui tenu par la communauté villageoise. Elles n’auront connaissance de l’anormalité de leur situation que bien tardivement. La figure 1 montre le nombre de plainte déposé à l’issue de ce cas de conflit.

Figure 1 : Nombre de plaintes déposées à l’issue du conflit lié à la double attribution

Source : MCLU secteur Anyama, 2020 ; service technique de la mairie, 2020

À travers cette figure 4, la tendance montre une évolution dans le dépôt de plainte à l’issue de ce cas de conflits. Ainsi, de 208 cas en 2013, le nombre de plaintes est passé à 245 en 2014 pour atteindre en 2015, 301 cas. Depuis, le nombre de plaintes n’a fait qu’augmenter. Ainsi, de 332 cas en 2016, le nombre de plaintes est passé à 350 cas en 2017, avant d’atteindre 396 cas en 2018. C’est le cas de conflit le plus récurrent que l’on observe dans la ville d’Anyama avec un total de 1 832 plaintes déposées en six ans. Dans le cas de la double attribution, la situation est typique de l’émergence de conflit. En effet, la manifestation de ce type de conflit commence lorsqu’un premier acquéreur se montre prêt pour entamer les travaux sur sa parcelle acquise. Il se rend compte que son lot est déjà mis en valeur par un autre acquéreur. Par moment, celui-ci dispose des mêmes documents que lui. Souvent, ceux qui ont veillé à continuer la procédure en entamant l’étape administrative ne sont pas totalement à l’abri de la vente multiple.

2.1.3.1. Des conflits entre propriétaires terriens et l’administration pour le non-respect des normes de lotissement

Les procédures de lotissement, c’est-à-dire l’ensemble des règles mises en place par l’administration pour contrôler la réalisation des lotissements ne sont pas, scrupuleusement,

respectés à Anyama. Selon le MCLU secteur Anyama, 80% des lotissements de la ville d’Anyama sont sans VRD car les propriétaires terriens trouvent ces travaux couteux. Par VRD, l’on désigne la réalisation des voies d’accès, la mise en œuvre des réseaux d’alimentation en eau, en électricité et en télécommunication. Normalement, ils sont fonction de l’aménagement prévu et des besoins de la population. Les quartiers Sinaï, Abbeboukoi et CEG sont difficiles d’accès car les VRD concernant l’entretien des réseaux d’évacuation d’eau de pluie ou d’eaux usées sont quasi inexistantes alors que ce sont ces réseaux qui permettent à un terrain de recevoir une construction. Les types d’ouvrage entrant dans les travaux de VRD sont : le terrassement, les travaux de voirie, les parking et l’assainissement. Le terrassement est l’étape primordiale permettant de préparer le terrain sur lequel est projetée la construction d’un bâtiment d’habitation, industriel, commercial ou d’un ouvrage d’art (pont, route). Les travaux de voiries consistent à réaliser des voies de circulation et des aires de stationnement. Les parkings permettent l’accès ou le stationnement à proximité des constructions et l’assainissement désigne les réseaux d’évacuation des eaux usées et eaux de vannes qui seront, par la suite, dirigées vers une station d’épuration pour être traitées et éviter tout risque environnemental de pollution.

2.2     Une conjugaison de facteurs pluriels pour la gestion durable du foncier urbain à Anyama

Les acteurs de la chaine foncière d’Anyama ont leurs propres référents et en fonction de ceux- ci, ils élaborent différentes stratégies selon les enjeux qu’ils poursuivent. Une des stratégies divulguées par le MCLU est le renforcement du cadre réglementaire du foncier urbain. En réalité, en milieu urbain d’Anyama, la pression foncière engendre des dysfonctionnements dans la gestion foncière ; d’où un sérieux toilettage des textes en vigueur proposés comme solution, par le gouvernement pour remédier à ces problèmes. En fait, le développement du district d’Abidjan dont fait partie la ville d’Anyama, a fait apparaitre en milieu urbain, selon le ministre de la construction, du logement et de l’urbanisme, de nombreuses failles dues à une mauvaise gestion foncière. Donc, une réforme du foncier urbain afin d’aboutir à un respect strict des procédures, axés sur les règles de bonne gouvernance sont de mise. Pour ce faire, le Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme annonce en 2017 qu’:

« il nous faut remettre à plat le dispositif existant, en ne retenant que ce qui a marché pour aller de l’avant, affirme-t-il, dans le plan d’actions prioritaires pour la période 2018-2020 ; Nous voulons finaliser et faire adopter un code du foncier et de l’urbanisme ». L’objectif est de remettre le droit au cœur de toutes les questions foncières. Il encadrera l’ensemble du système d’attribution de titres urbains en assainissant et en modernisant le secteur.

2.1.2. Le redressement des lotissements irréguliers

Il se présente comme une solution à l’insuffisance de la viabilisation des terrains urbains à Anyama car, la production et l’animation du foncier par les détenteurs de droits coutumiers ont favorisé au fil des années une production massive de lot destiné à l’habitation. Cela à provoquer de nombreuses difficultés dans les lotissements. Il convient de souligner entre autres, le non-respect des plans d’urbanisme. Ce qui est à la base de nombreux quartiers qui souffrent du manque d’équipements de bases. En effet, les servitudes d’urbanisme ne sont non plus respectées dans certains quartiers tels que les quartiers CEG, Abbeboukoi, Christiankoi 2, Sinaï. Le recul par rapport aux voies principales et secondaires ; les limites séparatives des constructions ; les hauteurs des bâtiments en fonction des plans d’urbanisme des communes ; les aires de jeux, les espaces verts sont pratiquement inexistants ; les reculs par rapport aux lignes de haute tension ne sont pas forcément observés ; la présence de plusieurs lots inexploités depuis plusieurs décennies ; des zones loties et inaccessibles par les populations faute de VRD primaires et secondaires. Les parcelles prévues pour les équipements sont souvent utilisées à d’autres fins sans une autorisation préalable du ministère de la construction et de l’urbanisme. Les images satellitaires du quartier RAN dont le lotissement est approuvé et celles du quartier Sinaï dont le lotissement n’est pas encore approuvé montrent la différence du traçage des voies de communication.

Planche 1 : Comparaison des voiries des quartiers Sinaï et RAN

Photo 1a : image satellitaire du quartier Sinaï Photo

Photo 1b : image satellitaire du quartier en 2021 RAN 2021

Source : Google earth, 2021

La planche 1 montre les images satellitaires des quartiers RAN et Sinaï, deux quartiers de la ville d’Anyama. L’image du quartier Sinaï montre l’ambiguïté des voies de communication, à peine si le métrage concernant les distances entre les constructions sont respectées contrairement au quartier RAN. En effet, le quartier RAN à plusieurs infrastructures dont une école primaire (EPP RAN, la DGI, le petit marché de la ville) d’où l’approbation de son lotissement. Donc, le redressement des lotissements irréguliers promulgué par le ministre de la construction, du logement et de l’urbanisme permettra au quartier Sinaï et les huit autres quartiers de la ville dont les lotissements ne sont pas encore approuvés à cause du non-respect des normes de lotissement et d’urbanismes d’être régularisés et approuvés afin que les populations puissent exercer leur droit de propriété sur les terres jadis occupées.

2.2.2. La vente de lot sur des parcelles de lotissement approuvé

Le plus souvent limités financièrement, les propriétaires coutumiers d’Anyama confient le lotissement de leur parcelle à des géomètres experts pour d’éventuelles opérations de lotissement moyennant des lots. Ces derniers sont en amont et en aval de tout le processus. Cependant, le contrat est de donner 3 lots sur 10 au géomètre pour le travail accompli. Mais, vu les difficultés des acquéreurs, après l’achat des lots sur les parcelles non approuvées, poussent les propriétaires terriens d’Anyama à laisser le dossier de lotissement se poursuivre jusqu’à l’approbation avant de commencer à vendre les lots. Cela vaut un lot de plus pour le géomètre d’où 4 lots sur 10 pour un dossier suivi jusqu’à l’approbation. Cette stratégie a commencé en 2013 et 80% des propriétaires terriens interrogés lors des enquêtes de terrain, ont affirmé adhérer à cette stratégie. Le seul inconvénient est la lenteur du processus car il faut commencer à vendre les lots qu’après approbation. Même s’ils ne déboursent aucun sou à l’endroit du géomètre expert à cause du contrat les reliant, ils doivent attendre jusqu’à 6 voire 9 mois avant de jouir des bénéfices de leurs parcelles. Cela est pénible pour des propriétaires dont 90% de leurs dépenses sont effectuées à partir du prix de revient des lots vendus. Pour cela, les 20% des propriétaires enquêtés sont encore réticents quant à prendre cette décision.

2.2.3. La vente des lots à des promoteurs immobiliers

C’est une technique qui consiste à vendre les parcelles de terre à l’état brut. Selon les dispositions légales du ministère de la construction, ces propriétaires coutumiers jouissent simplement des droits de propriété sur ces parcelles. Donc, dans le souci de mieux gérer le foncier, les propriétaires coutumiers concluent des transactions de gré à gré avec les promoteurs immobiliers car sachant que ces derniers feront des lotissements et des constructions qui respecteront les normes de lotissement et d’urbanisme. Ces derniers achètent ces parcelles et se font établir un titre de propriété après quelques années. Ici, le propriétaire terrien prend son argent sur place après avoir signé les papiers de cession. La suite du processus incombe au promoteur immobilier. Par exemple, pour la construction des résidences Akwaba, le promoteur immobilier a conclu l’achat de 65 hectares avec les propriétaires coutumiers d’Ébimpé. Ce programme propose des appartements de 3 à 4 pièces totalement finis ainsi qu’une école primaire, un collège mais aussi un marché, des installations sportives et une multitude de services de proximité. Tout ceci correspond, normalement, aux normes d’un bon lotissement.

Les résultats de l’étude ont montré que la gestion foncière urbaine souffre de nombreuses insuffisances dans la ville d’Anyama. Ces résultats ont été confronté à ceux d’autres chercheur ayant travaillé sur des problématiques similaires.

3.    Discussion

De cette étude portant l’accès au foncier urbain à la solde des conflits à Anyama : état des lieux et perspectives, il ressort que les autorités publiques et privées d’Anyama ont mis en place des stratégies qui sont en vigueur actuellement pour gérer le foncier urbain. L’implication des acteurs publics et privés pour une meilleure gestion foncière dans le cas de notre étude est la même pour la AMCHUD. Elle affirme que les politiques foncières qui ont déjà été mises en place en Afrique, notamment en Namibie, au Mozambique, au Kenya, en Afrique du Sud et en Tanzanie ont montré qu’il est indispensable, pour arriver à des résultats viables, d’impliquer toutes les parties prenantes. Parmi celles-ci figurent les administrations centrales et locales, la société civile, le secteur privé, les institutions de recherche et de formation et, le cas échéant, les partenaires au développement, y compris au niveau multilatéral et bilatéral (AMCHUD III, 2010, p.7). Toutefois, l’implication de tous ces acteurs n’a pas empêché le développement des lotissements irréguliers dans la ville d’Anyama comme c’est le cas, dans le département de Rufisque au Sénégal, où le quartier de Bambilor extension 3, né de la volonté de plusieurs cultivateurs, de transformer leurs champs en parcelles d’habitation, a donc connu un changement de vocation avec les opérations de lotissement (O. Cissé, 2022, p.23). Cependant, aucun des propriétaires de champ ne détient de droit réel sur les terres qui lui ont été affectées pour usage agricole. Donc, les personnes qui ont acheté ces lots à usage d’habitation, ne disposent que des actes de délibération de conseil municipal. Maintenant, pour muter les parcelles en leur nom, ces acquéreurs rencontrent d’énormes difficultés qu’ils expriment en ces termes : « Nous menons des démarches à la mairie, sans succès. Ce sont toujours des renvois interminables sans aucune explication. Des fois même, on leur donne de l’argent dans l’espoir qu’ils diligentent nos dossiers. Mais rien n’est fait ». En effet, les propriétaires des parcelles ne disposent donc d’aucune sécurité sur « leur parcelle » car ces lotissements même s’ils sont initiés par la commune, demeurent irréguliers (O. Cissé, 2022, p.25). À côté de cela, il y a le problème de morcellement des réserves administratives à des fin d’habitation. Les données des enquêtes de terrain corroborent les résultats des travaux de K. F. N’guessan et al. (2018 p.101) qui affirment que 80 % des réserves foncières administratives de la ville de Bouaké sont morcelés et vendu à des fins d’habitations. A. G. Diemé et al. (2019 p.264) va plus loin, en ajoutant que les communautés villageoises de Bouaké sont régulièrement pointées du doigt dans ces actions. Selon ces auteurs, cela s’explique par la lenteur dans la réalisation des projets sur ces réserves de même que la longue période de crise qu’a traversée la ville. En effet, ces deux facteurs ont constitué une aubaine pour des propriétaires terriens, en complicité avec l’administration précaire qui s’était constituée durant la décennie de crise de morceler ces réserves.

En ce qui concerne la diversité de types de conflits pour l’accès au foncier urbain à Anyama, nos résultats rejoignent ceux de R. Tchapmegni (2010, p.148) qui affirme qu’en dehors des conflits fonciers inter ethniques plutôt exceptionnels, la plupart des conflits fonciers enregistrés au quotidien au Cameroun, tournent autour de trois variétés de situations. Il s’agit de la construction sur le terrain d’autrui, le maintien irrégulier sur le terrain d’autrui et l’empiètement matériel sur le terrain d’autrui. A. C. Yapi, (2019, p.277) renchérit en disant qu’à Yamoussoukro, les quatre types de conflit enregistrés au tribunal de Toumodi sont les conflits liés à la mauvaise foi, qui est le plus récurrent avec (50 %). Il est suivi de la multiplication des conflits fonciers familiaux qui sont récurrents, bien que relativement faibles, avec 12,82 %. À ceux-là, s’ajoutent les litiges liés aux occupations illicites avec une proportion de 7,69 %. Et enfin, les litiges entre les propriétaires terriens et les opérateurs économiques. Pour pallier ces maux, les acteurs de la chaine foncière de la ville d’Anyama ont conjugué plusieurs stratégies pour la gestion durable du foncier urbain comme l’a fait le schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie 2025 (2013, pp.80- 87). Il mentionne les stratégies de gestions foncières de la Nouvelle-Calédonie à l’horizon 2025. Il s’agira de construire une collaboration interinstitutionnelle, susceptible de jouer un rôle de médiation dans la recherche d’une gouvernance équilibrée. Ensuite, de favoriser la gestion et la mise en valeur des terres coutumières, avec la mise en place de nouveaux outils juridiques et financiers pour favoriser le développement sur les terres coutumières, dont le statut ne doit pas être un obstacle à la mise en valeur. À cela, s’ajoute l’action de maîtriser et réguler les pressions foncières. Il s’agit ici de soulager les pressions foncières particulièrement présentes dans les zones à fort développement, mais aussi de préserver les terres agricoles ou à forts services écosystémiques. Enfin, il faut valoriser les terres domaniales, afin de participer au développement du pays. Pour cela, il apparaît nécessaire d’avoir une meilleure connaissance des fonciers publics et de disposer d’outils juridiques et de gestion modernisés. Dans cette même dynamique, G. A. Glélé (2015 p.330) affirme que, pour maitriser l’urbanisation et mieux gérer le foncier urbain au BENIN, il importe que les autorités impliquées dans la gestion du foncier aient une vision globale du problème foncier s’inscrivant dans une politique générale d’aménagement du territoire, de lutte contre l’installation et le lotissement anarchique ainsi que la spéculation et le gel foncier en milieu périurbain. Toutefois, il faut maîtriser et réguler les pressions foncières dans la ville d’Anyama. Il s’agit ici de soulager les pressions foncières particulièrement présentes dans les zones à fort développement, en particulier, les quartiers Sinaï, Abbe Boukoi et CEG, mais aussi de préserver les terres agricoles.

Conclusion

Le foncier urbain est lié à l’urbanisation, à la croissance démographique et aux politiques publics mises en œuvre. À Anyama, la gestion de ce foncier urbain fait montre de plusieurs problèmes dont le développement des lotissements irréguliers, le morcellement des réserves administratives et l’occupation des zones à risque par les populations à faible revenu. À ces problèmes, s’ajoutent les conflits fonciers liés à la double attribution et les conflits entre propriétaires terriens et l’administration. Cependant, les acteurs publics et privés de la chaine foncière urbaine d’Anyama ont mis en place des stratégies pour une meilleure gestion du foncier. Ces stratégies sont entre autres : le respect des normes urbanistiques, le renforcement du cadre réglementaire du foncier urbain par le MCLU, l’élaboration des outils de planification urbaine à travers la mise en place d’un Plan d’Urbanisme de Détail. De plus, il y a la simplification et la transformation digitale du foncier urbain avec le système intégré de gestion du foncier urbain (SIGFU) sans oublier la vente de lot sur des parcelles de lotissement approuvé et la vente des lots a des promoteurs immobiliers.

En Côte d’Ivoire et à Anyama en particulier, le « Foncier » constitue un grand enjeu pour le développement local, donc, ces stratégies de bonne gestion foncière par les différents acteurs, donneront une fière allure à la ville d’Anyama.

La recherche de solution durable pourrait passer, d’abord, par une gestion partitive de tous les acteurs de la chaine foncière d’Anyama. Ensuite, par l’allègement les conditions d’approbations des projets de lotissement. Enfin, par la mise place d’un système d’information géographique pour le suivi et l’actualisation de la base attributions de lots à anyama.

Références bibliographiques

  • AMCHUD III, 2010. Third African Ministerial conference on housing and urban development 22-24 november, vue d’ensemble des problèmes fonciers en milieu urbain en Afrique, Bamako, Mali, ONU-Habitat, 30p.
  • CISSÉ Oumar, 2022. Les défis de l’urbanisation à Dakar, Planification territoriale, assainissement, transport public et logement social, Sénégal, Friedrich-Ebert-Stiftung, 56p.
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