Impact socio-économique de la culture du gombo sur les productrices des sites maraichers de Tourboune et Chirwa dans la commune urbaine de Tanout (Niger).

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¹Arifa Moussa ADO SALIFOU , ²Issaka ZAKARI BOUBACAR

Résumé

La présente étude a pour objectif d’analyser l’impact socioéconomique de la culture du gombo sur la vie des productrices. 10% des productrices recensées sur les sites de Tourboune et de Chirwa ont constitué l’échantillon d’enquête, soit environ 92 productrices. Il ressort de ce travail que plusieurs catégories sociales de la population, d’âge et de sexe différents, participent à cette activité. Le statut matrimonial révèle que respectivement 71,05% et 70,37% des productrices dans le site de Tourboune et Chirwa sont des femmes mariées. La production moyenne est estimée à 30,30 kg pour Tourboune et 33,40 pour Chirwa. Le revenu moyen par productrice varie entre 30 000 à plus de 120 000 FCFA par saison. Ces montants permettent aux productrices de subvenir à leurs besoins quotidiens, d’investir dans des activités génératrices de revenus ou dans l’épargne.

Mots clefs : Niger, Tanout, Culture du gombo, Productrices, Impact socioéconomique.

Abstract :

The aim of this study was to analyze the socio-economic impact of okra cultivation on the lives of women producers. Ten (10%) of the identified producers or approximately 92 participants in the Tourboune and Chirwa sites were selected for the survey sample. It is clear from this work that several social categories of the population, of different ages and sexes, participate in this activity. Marital status revealed that 71.05% and 70.37% of the producers in the Tourboune and Chirwa sites respectively were married women. The average production is estimated at 30.30 kg for Tourboune and 33.40 kg for Chirwa. The average income per producer ranges from 30,000 to more than 120,000 CFA francs per season. These amounts allow women producers to provide for their daily needs, to invest in income-generating activities or in savings.

Keywords : Niger, Tanout, okra cultivation, women producers, socioeconomic impact

INTRODUCTION

Depuis plusieurs décennies la dégradation de l’environnement prend une ampleur considérable dans l’ensemble des pays sahéliens. Cette dégradation est imputable autant aux conditions climatiques qu’à l’action de l’homme. Les milieux sahéliens se caractérisent par une aridité climatique extrême, prolongée, qui accentue la fragilité de leurs capacités de production (A. M. Ado Salifou, 2005, p. 11). La dynamique des systèmes écologiques naturels sahéliens dépend largement de l’influence exercée par les activités humaines, en particulier l’agriculture et l’élevage. Ces activités pèsent lourdement sur la végétation et les sols, sans compter le déficit pluviométrique (A. M. Ado Salifou, 2005, p. 12).

A l’instar de plusieurs localités septentrionales du Niger, le département de Tanout (Cf. Carte 1) a connu une série de crises environnementales (sécheresses et famines) et une désertification accélérée qui se sont traduites par une augmentation du déficit alimentaire et une forte pression sur l’espace. Dans ce contexte globalement défavorable, comment dégager des excédents permettant de réduire le déficit alimentaire? Comment générer des ressources monétaires supplémentaires pour améliorer les conditions de vie des populations ?

La présence de plusieurs zones d’épandages dans le département de Tanout offre aux populations des possibilités de mise en valeur conséquentes. Les zones d’épandage peuvent être définies comme une étendue qui reçoit des alluvions étalées à la faveur d’une rupture de pente, entrainant le dépôt de la charge solide des cours d’eau (R. Brunet. et al., 2006, p. 189). Ces espaces généralement humides renferment d’importantes potentialités agro-écologiques (humidité permanente, nappe phréatique peu profonde, cours d’eau, sols riches en matière organique), qui les distinguent des autres paysages sahéliens. Ces conditions très favorables à la mise en culture ont permis aux femmes de développer la culture du gombo. En dépit de la forte mobilisation des femmes dans la culture du gombo, cette activité n’a pas fait l’objet d’étude spécifique. C’est pourquoi, il s’avère intéressant d’apporter notre modeste contribution à l’étude de cette activité. Il s’agit plus précisément de déterminer l’impact socioéconomique de la culture du gombo sur les productrices des sites maraîchers de Tourboune et Chirwa. Deux hypothèses serviront de pistes de réflexions :

  1. Le gombo procure des revenus substantiels aux productrices ;
  2. Les revenus tirés de la commercialisation du gombo participent à la satisfaction des besoins sociaux des productrices.

1. Contexte de l’étude

Le département de Tanout communément appelé « Damergou » se caractérise par des conditions agro-écologiques et géologiques particulièrement contraignantes qui pèsent lourdement sur les activités de productions, notamment l’agriculture et l’élevage. Cette situation est accentuée par la récurrence du déficit pluviométrique et les effets de l’érosion hydrique et éolienne. Dans ce contexte, la culture du gombo se présente comme une altérative permettant aux populations de diversifier leurs sources de revenus et de soulager les ménages aux prises à de sérieux problèmes pour satisfaire leurs besoins quotidiens (alimentaires, sanitaires, éducatifs, sociaux, économiques, etc.). La prédominance des femmes dans cette activité constitue également un fait particulier (Enquête de terrain, 2015), dans une société où le travail de la terre, et surtout le maraîchage est essentiellement une activité réservée aux hommes. Elles représentent aussi l’une des couches sociales les plus vulnérables de la société. La contribution des femmes à l’effort de sécurisation alimentaire et financière du ménage constitue un véritable enjeu de développement local. Les propriétés multiples du gombo (économiques, alimentaires, curatives) confèrent également à cette plante un rôle essentiel dans la vie des ménages. Il importe donc de promouvoir la filière de production du gombo, afin qu’elle participe pleinement à l’amélioration des conditions de vie des populations du département, sinon au-delà contribuer au développement socio-économique de la zone.

2. Méthodologie

Pour bien mener ce travail, une méthodologie appropriée a été appliquée. La démarche méthodologique utilisée a consisté à la recherche d’une documentation sur le gombo au Niger et dans les pays de la sous-région. A l’aide de certains outils de recherche (questionnaires, guides d’entretien) nous avons procédé à la collecte de données sur le terrain.

2.1 Recherche documentaire

Plusieurs ouvrages, articles et rapports se rapportant à la culture du gombo ont été consultés en vue de revisiter les réflexions émises sur cette culture dans divers contextes socio-spatiales afin de mieux orienter notre recherche. Cette recherche documentaire a permis d’apprécier l’impact de la culture du gombo sur les différentes sociétés qui pratiquent cette activité, mais aussi de recueillir des informations sur la zone d’étude (caractéristiques physiques et humaines). Les renseignements fournis par ces documents ont également été enrichis par des fichiers récupérés sur Internet.

2.2 Matériels et Collecte de données sur le terrain

Une phase d’observation du terrain nous a permis d’acquérir des informations empiriques sur la production du gombo au niveau des sites retenus pour cette étude (Cf. Carte 2). Un recensement effectué sur les deux sites a permis d’identifier 915 productrices dont 375 à Tourtoune et 540 à Chirwa. Un échantillon de 10%, soit 92 exploitantes, a été retenu pour les enquêtes quantitatives. Pour l’identification des exploitantes à enquêter, la méthode aléatoire a été choisie. Des questionnaires individuels auprès des productrices ont fourni des informations intéressantes relatives aux techniques culturales du gombo, à la production, à la transformation, à l’utilisation et à la commercialisation du gombo. Les contraintes liées à la pratique de cette activité ont été aussi abordées.

Des entretiens semi-directs, à l’aide de guides d’entretien, ont été réalisés auprès des autorités administratives et services techniques publics. Des informations sur la culture du gombo dans la Communauté Urbain de Tanout ont été recueillies (potentialités de mise en valeur culturale, structuration des productrices, méthodes culturales du gombo, le rendement, les superficies exploitées, etc.). Des entretiens « focus groupe » ont également été menés auprès des productrices et des commerçants. Ainsi 3 groupes de productrices ont été interviewées sur leurs parcelles, lors de leur séance de repos. 2 groupes de commerçants ont également donné leurs avis sur les enjeux économiques de la production du gombo. D’autres matériels pour la collecte, le traitement et l’interprétation des données ont été mobilisés : un GPS pour les mesures de terrain et les coordonnées géographiques, un appareil photographique pour les illustrations, logiciels Excel, Sphinx et Openstreetmap respectivement pour la réalisation de graphiques, le dépouillement et analyse des données, la réalisation des cartes.

3-Résultats

3.1. Profils des productrices

La culture de ‘’Boulou Goualgo1 ’’ reste une activité essentiellement féminine dans la Communauté Urbaine de Tanout. La production du gombo est la principale activité des femmes pendant la saison pluviale (tableau 7). Cette population de femmes productrices présente diverses caractéristiques.

3.2 Composition ethnique

Différents groupes ethniques exploitent les sites de Tourboune et Chirwa. La composition ethnique des productrices du gombo a révélé une prédominance des « Kanouris Dagra » sur les sites, avec respectivement 84,2% à Tourboune et 90,6% à Chirwa. Les Kanouri font parties des premiers occupants de la zone. Les Haoussa (10,5 et 3,7%) et les Touareg (5,3 et 3,7%) représentent les autres catégories ethniques des productrices.

3.3 Age des productrices

Les productrices sont aussi de classes d’âge variées (cf. Tableau n°1). Les informations recueillies montrent que les productrices se font aidées, dans leurs tâches, par leurs filles.

Ce tableau montre une prédominance de la tranche d’âge [15- 35] avec 76,2 % pour le site de Tourboune et 68,4% pour Chirwa. Les productrices les plus âgées ont respectivement 63 ans pour Tourboune et 66 ans pour Chirwa. Les plus jeunes ont 20 ans à Tourboune et 22 ans à Chirwa. L’âge médian est de 35,5 ans à Tourboune et 34,5 ans à Chirwa. L’âge moyen est de 37,02 ans à Tourboune et 33,62 à Chirwa. La participation des jeunes aux activités de production de gombo indique une transmission des techniques culturales de mère à fille.

3.4 Statut matrimonial

Le statut matrimonial des productrices permet d’apprécier l’apport de celles-ci selon leurs catégories. Les productrices enquêtées dans les deux sites sont dans leur grande majorité des femmes mariées. Le mariage est une tradition religieuse, une union sacrée qui consiste à se reproduire. De cette union vont naître des enfants qui constituent les actifs agricoles dans ce milieu où l’agriculture représente la principale activité de la population (cf. Tableau 2).

La lecture du tableau ci-dessus montre que 71,05% et 70,37% des productrices respectivement dans le site de Tourboune et Chirwa sont mariées. On dénombre 13,15% de productrices célibataires à Tourboune contre 11, 11% à Chirwa. Par contre avec 15,78%, les veuves sont plus nombreuses à Tourboune. Les proportions d’âges établies selon le statut matrimonial fournissent également une autre catégorisation des productrices. On remarque ainsi que la majorité des mariées sur les deux sites, soit 66,66%, sont âgées de [26-45]. Cela traduit la motivation de ces productrices pour la pratique de l’activité de production du gombo qui constitue une opportunité pour se procurer des ressources financières supplémentaires nécessaires à la prise en charge de certaines dépenses de leurs ménages. D’autre part, 100% des [15-25] sont des célibataires à Tourboune contre 50% à Chirwa. Cette classe d’âge a comme facteur stimulant dans le choix de la culture du gombo, la préparation du trousseau de mariage ; une démarche visant à aider leurs parents à mieux supporter les frais d’organisation des cérémonies de mariage.

3.5 Actifs agricoles

Les actifs agricoles sont constitués de toutes les personnes qui participent à la mise en valeur du site de culture de gombo. En plus des productrices, on compte aussi la main d’œuvre familiale composée de toutes les filles en âge de travailler (dès l’âge de 7 ans pour certains) et des époux des productrices qui les assistent dans toutes activités de production (préparation des parcelles, semis, labour, cueillette, etc.). Une main d’œuvre salariale intervient également, pour compenser la faible disponibilité de la main d’œuvre familiale. Le nombre d’actifs agricoles est un facteur déterminant de la différenciation entre les productrices (Cf. Tableau 3).

Le tableau montre une variation du nombre d’actifs qui s’établit selon les journées de travail ou même les saisons, en fonction de la disponibilité de la main d’œuvre (familiale ou salariale) ou des moyens de productions (financiers, techniques et structurels). On note aussi que la majorité des productrices de Tourboune utilise entre 1 et 5 actifs, le nombre moyen d’actifs étant d’environ 4 actifs. Celles de Chirwa se situent dans la même fourchette, avec un nombre moyen d’actifs d’à peu près 3 actifs. Le maximum étant de 12 pour tous les deux sites.

4. Le Gombo, une plante à usage multiple

Considéré souvent comme l’aliment des pauvres, tel que l’indique la dénomination que lui attribuent les Antillais, «Asperge du pauvre», le gombo est doté de vertus insoupçonnées.

4.1 Apport nutritionnel

A l’état frais, sec ou cuit, le gombo est utilisé comme aliment d’accompagnement, dans la préparation de nombreux plat en Afrique de l’Ouest et centrale. Les fruits contiennent une substance mucilagineuse qui épaissit soupes et ragoûts. Les graines peuvent être absorbées en infusion ou comme substitut du café. Très apprécié, ses feuilles sont également utilisées dans certaines régions, comme l’équivalent d’épinards dans les sauces (S. Hamon, 1988, p. 3). A Tanout, la « sauce gombo » accompagne les plats de pâte de mil ou de maïs. Il existe aussi une variété de sauces combinant le gombo à d’autres produits maraîchers comme le haricot, afin d’élever la saveur. En cas de pénurie des fruits du gombo, la tige et les feuilles fraîches sont valorisées par les femmes dans les sauces. Le gombo est utilisé comme produit de nettoyage de cheveux par certaines femmes. Des vertus nutritives sont reconnues au gombo. Le gombo apparait très riche en calcium (90 mg/100 g), en vitamine A (300 UI) et C (bonnes teneurs en thiamine, riboflavine et acide ascorbique), en calcium, en Fer2 (S. Hamon, 1988, p. 4). La consommation du gombo donne une proportion en vitamine A, en phosphore (56 mg), en glucide (7 à 8%), en magnésium (43 mg) et un peu de potassium (O. Yabo, 2011, p. 7).

4.2 Vertus thérapeutiques

Le gombo possède des propriétés thérapeutiques. Il s’avère être un anti-inflammatoire, un diurétique, un antiseptique, un antispasmodique, un antidiabétique. Le gombo est un ingrédient dans la fabrication de sirops utilisés contre les rhumes et les problèmes bronchiques. Aux Antilles, on le prend pour apaiser les troubles gastro-intestinaux dus à l’abus d’alcool. Les propriétés antispasmodiques et le magnésium contenu dans ce légume auraient aussi un effet bénéfique sur le syndrome prémenstruel. Riches en fibres, le gombo facilite la digestion, combat la constipation et a un effet laxatif (C. Trudeau et al., 2008). Dans la Communauté Urbaine de Tanout, les populations utilisent les grains du gombo comme remède contre les problèmes de dentition des enfants de moins de 2 ans. L’écorce est aussi utilisée pour prévenir les convulsions chez les enfants. Le gombo est affecté à d’autres usages, notamment sa tige utilisée dans la composition de la pâte à papier ou la confection de cordelettes ou de sacs. Les graines peuvent servir à fabriquer de l’huile qui est comestible à condition d’être raffinée. Le résidu de la culture du gombo constitue du fourrage pour les animaux.

5. Estimation de la production de gombo sur les deux sites

La production varie d’une année à une autre. Ainsi, les années de pluviométrie normale ou excédentaire sont synonymes de bonnes productions. Les années de déficit pluviométrique se traduisent par une baisse de la production. Lors des enquêtes de terrain, la production a été évaluée en « Tiya » qui est l’unité locale de mesure du gombo. Une « Tiya » de gombo sec pèse environ 1 kg.

Le tableau indique la production du gombo sur les deux sites. Il ressort de la lecture de ce tableau que respectivement 60,5 et 57,4% des productrices de Tourboune et Chirwa ont récolté moins de 30 kg. Une proportion intéressante de celles (26,3 et 25,9%) qui ont produit en moyenne 44,5 kg est à signaler. Dans une moindre part, autour de 13% des productrices fournit 74,5 kg de gombo. On constate aussi que seulement 3,7% des productrices de Chirwa ont plus de 105,5 kg de production. La production moyenne est estimée à 30,30 kg pour Tourboune et 33,40 pour Chirwa. Cette disparité de la production selon les sites et exploitants est due non seulement aux conditions conjoncturelles et environnementales (déficit pluviométrique, qualité du sol, conditions atmosphérique), mais aussi, au nombre de parcelles par productrices. Le rendement est estimé à 766,84 kg/ha pour le site de Chirwa contre 496,94 kg/ha pour le site de Tourboune. Ces chiffres sont inférieurs à la moyenne départementale établie par la Direction Départementale de l’Agriculture (DDA) qui est de 896 kg/ha.

6. Commercialisation du gombo

La Communauté Urbaine de Tanout, est une zone de production de gombo. Cette production est destinée aussi bien au commerce local, régional, national qu’au marché extérieur. Dans le circuit commercialisation, plusieurs acteurs interviennent.

6.1 Commerce local et national

Au sahel, les produits maraîchers sont beaucoup sollicités par les populations, et leur demande est de plus en plus croissante, surtout avec l’urbanisation accélérée que connaissent les différents pays de la zone. Le gombo est également apprécié pour ses multiples vertus culinaires et médicinales. Le circuit local de commercialisation est animé par les productrices elles-mêmes, des intermédiaires et des commerçants locaux. Les productrices vendent une partie de leur gombo sur le marché de Tanout. Une grande place leur est réservée à cet effet (Cf. Photo n°1). L’autre partie du produit est cédée aux intermédiaires qui le revendent aux vendeurs ambulants ou aux commerçants locaux. Les vendeurs ambulants alimentent également les villages environnants et les grands centres urbains. Des points de vente sont également installés dans la ville de Tanout (gare routière, arrêts de bus, boutiques). Les commerçants locaux assurent la collectent du gombo sur les marchés locaux3 et dans la Communauté Urbaine de Tanout. Ensuite, ils approvisionnent les autres localités de la région de Zinder et du pays (Agadez, Maradi et Niamey, etc.). D’autres commerçants d’horizons diverses participent aussi aux transactions à tous les niveaux territoriaux du pays.

6.2 Commerce extérieur

Le gombo produit dans la Communauté Urbaine de Tanout aliment aussi le marché extérieur, notamment le Nigeria, la Libye et l’Algérie, où d’importantes quantités sont exportées chaque semaine. Plus d’une cinquantaine des sacs sont acheminée vers Maïadoua (Nigéria), chaque année. Dans les deux autres pays le gombo est expédié sous forme de féculent. Au Djado par exemple, une mesure de gombo féculent coûte 4 000 F FCA. La carte suivante donne plus d’information du circuit du commerce du gombo (Cf. Carte 3). Le poids total de la production exportée ne peut être évalué, du fait notamment du circuit informel de commercialisation. Aussi l’absence de structures coopératives ou groupements de productrices, rend la centralisation de la production de gombo infaisable.

Cette carte montre les différentes zones d’exportation du gombo. Elle indique que le gombo produit dans la Communauté Urbaine de Tanout est exporté vers plusieurs destinations à l’échelle nationale et internationale. Cependant, le prix varie selon les localités. Des taxes sont également prélevées sur le commerce du gombo. Il est prélevé 300 F CFA de taxe douanière par sac à Matameye et 100 F CFA taxe de marché dans les marchés locaux.

6.3 Prix du gombo

Plusieurs facteurs influencent la variation du prix de gombo. Ce prix diffère selon les localités, les saisons mais aussi en fonction des variétés du gombo après séchage. En effet, les prix sont plus élevés en milieu urbain, pendant la saison sèche et dans les localités plus éloignées. Au niveau local, le gombo est vendu par mesure selon la variété et le marché. Le prix moyen d’une mesure est de 1700 F CFA pendant la période de production à Tanout, et peut atteindre 3000 F CFA dans les autres localités de la région, en période de pénurie. Le gombo constitue l’une des rares denrées alimentaires plus chère que les produits céréaliers, comme le mil et le sorgho ou le maïs qui sont la base de la subsistance des populations. Le prix de la mesure du mil varie entre 500 à 750 F CFA ; celui du maïs entre 600 et 700 F CFA. Donc avec un sac de gombo, on peut offrir l’équivalent de quatre sacs de mil. Cette opportunité renforce le choix de la culture du gombo par les populations de Tanout, mais encourage la spéculation sur le produit. Beaucoup de personnes achètent et stockent le gombo, en attendant la période de pénurie, pour tirer avantage de la hausse du prix. A Maïadoua (Nigeria), le sac de gombo peut atteindre 45 000 à 50 000 F CFA, selon les saisons. Ce prix inclut le coût de transport du chargement et déchargement des sacs.

7. Apport financier et destination des revenus

Le gombo constitue une des premières sources de revenus des populations de la Communauté Urbaine de Tanout. Le revenu varie d’une saison à une autre (Cf. Tableau 5).

Le tableau 6 nous donne des indications sur le revenu des productrices sur les deux sites. Elles gagnent en moyenne entre 30 000 à plus de 120 000 FCFA par saison. 47,37 % des productrices de Tourboune gagnent entre 60 à 89 000 FCFA. Dans la même tranche de revenus, elles représentent 44,44 % à Chirwa. Il n’y a que 9,26 % et 2,63 %, respectivement à Chirwa et à Tourboune, qui perçoivent plus de 120 000 FCFA. Il importe de préciser que ces revenus sont variables selon les saisons de bonnes ou mauvaises récoltes. Les revenus tirés de la vente du gombo sont diversement utilisés par les productrices. En général, les revenus permettent aux productrices de subvenir à leurs besoins. Toutes les productrices affirment qu’une partie est utilisée pour assurer la prise en charge de leurs familles (vivres, habillements, santé, éducation) et certaines dépenses sociales (mariage, décès, entraide, baptême). L’autre partie est investie dans des activités génératrices de revenus ou dans l’épargne (commerce, foncier, stockage de vivres, tontines, élevage). 90% d’elles optent pour l’épargne. La principale forme d’épargne est la pratique de l’embouche et de l’élevage de case 4 . Depuis quelques années, toutes les productrices ont souligné une baisse significative des revenus du gombo. Selon les productrices, plusieurs facteurs expliquent cet état de fait : la chute du « naira » nigérian, les variations climatiques, absence d’un circuit formel de commercialisation, mais aussi le manque de structuration et d’encadrement des productrices. L’absence d’une comptabilité fiable dans la gestion de la production du gombo ne permet pas de fournir des données chiffrées sur les revenus. De fait, il est aussi difficile de traduire clairement la baisse de revenus. Les productrices, majoritairement analphabètes s’appuient sur les recettes approximatives des différentes années, pour apprécier l’importance des revenus, sans pour autant avancer des montants exacts.

8-Discussion

Plusieurs réflexions ont été menées sur le gombo. Force est de constater que, dans la Commune Urbaine de Tanout, ce produit n’a pas fait l’objet d’étude approfondie. La plupart des contributions scientifiques ont été réalisés dans les pays de la sous-région ou hors du Continent. S. Hamon (1988, p. 4) a révélé que les principales recherches effectuées sur le gombo ont été réalisées en dehors du continent africain, notamment en Inde et au Sud des Etats-Unis. Les domaines abordés concernent essentiellement les aspects agronomiques. Dans sa contribution, l’auteur a aussi a souligné que les études génétiques étaient peu nombreuses, et qu’en Afrique l’importance économique du gombo est difficile à quantifier. S. Hamon (1988, p. 190) a présenté un ensemble de résultats originaux axé autour de trois thèmes majeurs concernant la sauvegarde et l’utilisation des ressources génétiques végétales, l’étude de la biologie de la reproduction et ses conséquences sur la diversité, l’influence du mode de spéciation et de la sélection sur la variabilité finale des formes cultivées.

Les réflexions émises par S. Hamon en 1988 sur l’absence de recherches sur le gombo en Afrique ne sont plus fondées, car des études plus récentes ont été menées dans plusieurs pays africains (côte d’Ivoire, Burkina Faso, République Démocratique du Congo, Niger, etc.), sur différents aspects de la culture du gombo. Les études génétiques jugées peu nombreuses, sont maintenant diversifiées, notamment sur la caractérisation anatomique et agromorphologique du gombo (H. Jiro et al., 2011 ; Z. A. Ouédraogo, 2009). Des recherches agronomiques ont également été réalisées concernant l’effet de la date de semis sur la production du gombo (L. Fondio et al., 2003), l’effet du régime hydrique sur les rendements du gombo en culture de contre-saison (R. Nana et al., 2009), l’expression de différents écotypes de gombo au déficit hydrique intervenant pendant la boutonnisation et la floraison (M. Sawadogo et al., 2006), les relations entre le gombo et d’autres espèces cultivées, ainsi que sa valeur nutritionnel (S. Hamon, 1988 ; O. Yabo, 2011).

D’autres recherches ont abordé l’étude du gombo sous l’angle économique, en s’intéressant aux facteurs influençant la rentabilité de la culture de gombo dans les conditions pédoclimatiques et socio-économiques (J. Tshomba Kalumbu et al., 2015), à la commercialisation et à la rentabilité financière du gombo (M. Sawadogo et al., 2009). Ces différentes contributions ont permis de développer et d’enrichir les connaissances sur l’espèce gombo dans tous ses aspects. Cependant, la dimension sociale a été occultée par la plupart des études (les raisons sociales du choix de la culture du gombo, la contribution des membres de la famille aux activités de production et de commercialisation, l’impact de la culture sur les producteurs, etc.). Les résultats de notre étude ont apporté des données intéressantes sur ces différents aspects ; ce qui a permis d’enrichir les travaux antérieurs réalisés sur le gombo. Eu égard à l’importance socio-économique du gombo dans la vie des populations de l’Afrique de l’Ouest en général, et de la Commune Urbaine de Tanout en particulier, la présente étude s’avère cruciale. Elle a permis d’aborder les différents profils des productrices, les actifs agricoles, les revenus monétaires et leurs orientations. Les nombreuses vertus du gombo ont également été relevées (S. Hamon ; 1988 ; O. Yabo, 2011 ; C. Trudeau et al., 2008).

Conclusion

La CUT est l’une des principales zones de production de gombo. Pratiquée dans les plaines d’épandage, cette activité occupe majoritairement des productrices autochtones de l’ethnie kanuri, sur plusieurs sites du département. Sur les sites maraîchers de Tourboune et Chirwa, toutes les catégories des femmes pratiquent cette activité (jeunes filles, femmes adultes et vielles de plus 60 ans). Considéré comme l’un des produits d’accompagnement alimentaire de la zone, le gombo est utilisé frais, sec ou cuit, dans la préparation d’une diversité de plats locaux. Par ailleurs, le gombo est utilisé comme remède pour le traitement de plusieurs maladies. Il importe de préciser que la commercialisation de ce produit assure également de revenus conséquents aux productrices. Les revenus générés par la vente du gombo permettent aux productrices de faire face aux dépenses sociales (achat de vivres, vêtements, entraides, cérémonies familiales, santé, éduction, etc.). Une partie des revenus est investie dans les activités génératrices de revenus et l’épargne (commerce, stockage de vivres ou de produits de rente, embouche, élevage de case).

A travers le nombre de femmes qui se livrent à cette activité, la consommation des produits du gombo et des revenus substantiels tirés de leur commercialisation, le gombo joue un rôle significatif dans l’amélioration des conditions de vie des populations de la Communauté Urbaine de Tanout.

Toutefois, en dépit de l’importance de la culture du gombo dans le système de production de la Communauté Urbaine de Tanout, l’apport financier et la destination des revenus ne traduisent pas convenablement l’impact du gombo sur le quotidien des productrices. Il faudrait pour cela, mettre en évidence d’autres aspects de cette activité, notamment le rapport entre moyens investis et revenus à travers l’analyse du compte d’exploitation. Ce dernier permettra de mieux valoriser cette étude, mais aussi d’apprécier la rentabilité de cette activité.

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Auteur(s)


¹Maitre-assistant, Université de Zinder, arifados@gmail.com

²Master Géographie, zakariboubacari@gmail.com, zakariboubacari@gmail.com


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