

Typologie et motifs de recours aux soins de la médecine traditionnelle dans les quartiers Broukro, Koko, Houphouët-ville et Angouatanoukro (Bouaké)
1BOHOUSSOU NGuessan Séraphin, 2KONE Tanyo Boniface, 3KOFFI Brou Emile
Résumé :
La ville de Bouaké compte un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et dix établissements sanitaires de premiers contacts pour la gestion des épisodes morbides. À côté de ces structures publiques, la médecine traditionnelle est aussi sollicitée. Ce faisant, cet article se propose danalyser la typologie et les motifs de recours aux soins traditionnels. La démarche méthodologique que nous avons empruntée, repose sur une synthèse de la littérature consacrée au système de santé en Côte dIvoire et ailleurs. Elle se fonde, également, sur des entretiens avec des praticiens de la médecine traditionnelle et un questionnaire soumis aux chefs de ménages issus de 4 quartiers de Bouaké : Koko, Houphouët-ville, Angouatanoukro et Broukro. Les résultats nous révèlent deux principaux types dutilisation des soins traditionnels dont le recours est élevé. Plusieurs facteurs justifient un tel constat. Laccès facile, le coût dérisoire des soins et autres prestations et surtout lefficacité de cette médecine dans le traitement de certaines pathologies, notamment le paludisme, la fièvre typhoïde, les infections digestives sont autant de raisons qui poussent 86% des enquêtés à privilégier les soins traditionnels. Par ailleurs, lorsque cette médecine ne se substitue pas à la médecine moderne, elle vient pour renforcer sinon parachever le traitement entamé par ces services publics.
Entrées d'index
Mots-clés : Côte dIvoire - Bouaké - Médecine traditionnelle - Soins traditionnels - Episode morbide.
Keywords: Côte d'Ivoire - Bouaké - Traditional medicine - Traditional practitioners - Morbid episode
INTRODUCTION
« Lutilisation des services de santé est lun des facteurs clefs favorisant une meilleure santé des populations » (Munyamahoro et Ntaganira, 2012 p 24). Ce qui est imputable à un système de santé performant. En effet, le système de santé est défini comme « lensemble des pratiques sociales sur un espace donné de façon différentielle des espaces à un certain profil sanitaire » (Salem, 1995 p 53). En clair, cest lensemble des éléments qui touchent à la fois à laccessibilité, à loffre de services, aux structures de soins et aux processus tant administratif que de prise en charge. Cest également une réponse plus ou moins harmonieuse et cohérente aux besoins des citoyens ; parmi les nombreux facteurs, on note : la physionomie des économies, la démographie, les politiques sociales, la médicalisation de létat de santé, la solidarité et les comportements des ménages (Gobbers et Pichard, 2000 p 38). En matière damélioration de la santé des populations et du renforcement du système de santé ivoirien, plusieurs politiques ont été élaborées. Ainsi, de 1996 à 2015, la Côte dIvoire a mis en place, trois Plans Nationaux de Développement Sanitaire (PNDS). Lobjectif général visé par ces plans était daccroître leffectif du personnel de santé et de renforcer les plateaux techniques des structures publiques de soins sur létendue du territoire national. De plus, lEtat a initié, depuis 2011, une politique de gratuité de soins pour tous qui a duré juste huit mois. Faute de médicaments dans les structures publiques, lEtat a été obligé de limiter cette gratuité à une catégorie dindividus considérés comme les plus vulnérables, à partir de février 2012 (Médecin du Monde, 2013). Les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans constituent les bénéficiaires de ce programme. La ville de Bouaké (figure 1) nest pas restée en marge de toutes ces politiques de développement sanitaire. Elle compte un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et dix Etablissements Sanitaires de Premiers Contacts (ESPC). Parmi ces structures modernes de soins publics, plusieurs ont été réhabilitées et dautres ont vu leur plateau technique relevé. Avec lappui des autorités municipales et de certains partenaires au développement, les Centres de Santé Urbains (CSU) de Sokoura, de Nimbo et de Broukro, pour ne citer que ceux-là, ont connu un renforcement de leur capacité daccueil. Les CSU dAhougnanssou et de Dar-es-Salam ont été érigés en Formation Sanitaire Urbaine entre 2015 et 2016 (Direction Régionale de la Santé de Gbêkè, 2016). Toutes ces initiatives étatiques et municipales lont été dans le but daméliorer les conditions sanitaires des populations de la ville de Bouaké. Malgré tous ces acquis, lon constate encore un recours impressionnant aux soins de la médecine traditionnelle à léchelle de la ville, même dans les quartiers les plus « huppés » que sont Municipal, Houphouët-ville, Kennedy. Dès lors, on peut se demander pourquoi une majorité de la population urbaine préfère recourir à la médecine traditionnelle pour leurs soins de santé primaires à Bouaké? Quels sont les types dutilisation des soins de la médecine traditionnelle? La présente contribution a pour objectif danalyser la typologie et les motifs de recours aux soins de la médecine traditionnelle dans les quartiers Koko, Houphouët-ville, Angouatanoukro et Broukro. Pour y parvenir, il convient dindiquer la méthodologie de collecte des données, les résultats auxquels nous sommes parvenus et la discussion.
1-Outils et méthodes
Pour une meilleure appréhension de notre objet détude, nous avons effectué une recherche documentaire, des enquêtes de terrain à travers un inventaire des praticiens traditionnels et un questionnaire de ménages.
1-1 La recherche documentaire
Nos lectures nous ont permis davoir une idée, dans un premier temps, des études qui ont précédé notre recherche. Ensuite, la recherche documentaire nous a permis davoir des informations sur le système de santé à Bouaké, la place de la médecine traditionnelle dans ce système, les directives et les types de recours traditionnels reconnus par le ministère en charge de la santé. Dans le but de maîtriser parfaitement les contours et pour une bonne appréhension de notre objet détude, nous avons effectué des enquêtes de terrain.
1-2 Lenquête de terrain
La collecte des données sur le terrain sest déroulée pendant les mois dAoût et de Septembre 2016. Elle sest appuyée sur un inventaire, des entretiens avec des praticiens de la médecine traditionnelle et un questionnaire soumis aux chefs de ménages.
1-2-1 Inventaire et entretien avec les praticiens
Linventaire des praticiens (nombre et type) de la ville de Bouaké sest fait en deux étapes. La première nous a permis de dénombrer par quartier, les praticiens de la médecine traditionnelle et de relever les types de pratiques traditionnelles. La seconde nous a conduits dans les quartiers, où nous avons réalisé deux jours denquêtes à travers deux recensements : pendant les jours de marché et pendant les jours ordinaires. Par la suite, un croisement de ces deux listes a été fait pour ressortir les praticiens de la médecine traditionnelle qui exercent de façon permanente et qui logent dans les quartiers ciblés. Sur cette base, ce sont 27 praticiens de la médecine qui ont été retenus pour cette étude. Par ailleurs, nous avons élaboré un guide dentretien à lendroit de ceux-ci. Ce guide porte sur le nombre de consultation par jour, les différentes prestations, lorganisation administrative et spatiale, les résultats des prises en charge des pathologies et les zones dapprovisionnement des produits traditionnels.
1-2-2 Enquête par questionnaire
Nous avons procédé à lidentification des quartiers denquête et à la soumission dun questionnaire aux chefs de ménages choisis pour létude.
- Le choix des quartiers à enquêter
Le choix des quartiers sest fait suivant leur typologie et la présence des praticiens de la médecine traditionnelle dans ces quartiers. La ville de Bouaké compte quatre types de quartiers qui sont fonction de lhabitat, à savoir : les quartiers dhabitat haut standing, les quartiers dhabitat moyen standing, les quartiers dhabitat évolutif et les quartiers dhabitat spontané (INS, 2014). Un quartier a été choisi selon le type dhabitat : Angouatanoukro (précaire), Broukro (évolutif), Koko (moyen standing) et Houphouët-ville (haut standing) (Figure 2).
- Le choix des chefs de ménages
A été considéré comme ayant utilisé les services de la médecine traditionnelle, tout chef de ménage sétant rendu chez un praticien de la médecine traditionnelle lors dun épisode de morbidité. Lintérêt dun tel choix réside dans lidée quétant le responsable dunité familiale (Yassi, 2006 p 42), son comportement en matière de prise en charge sanitaire et de choix des itinéraires thérapeutiques du ménage peut influer sur celui des autres membres. En nous appuyant sur le Recensement Général de la Population et de lHabitat de 2014, nous avons fixé la taille de notre échantillon à 100 chefs de ménages selon la méthode de choix raisonné. Le tirage de ces chefs de ménage sest fait arbitrairement sur des lots. Le tableau 1 récapitule le nombre de chefs de ménages à enquêter par quartier. Cet échantillon se distribue de façon proportionnelle dans les quartiers choisis.
Tableau 1 : Répartition des chefs de ménages par quartier denquête
Par ailleurs, le questionnaire proposé aux chefs de ménages sest articulé autour des éléments suivants : lâge, le sexe, le lieu dhabitation, la situation socio-professionnelle, la connaissance de la médecine traditionnelle, son utilisation, les modes dutilisation, les raisons de lusage des soins traditionnels, les limites de la médecine traditionnelle.
1-2-3 Traitement des données
Le traitement des données sest fait de deux manières à savoir le traitement manuel et le traitement informatique. Le traitement manuel a consisté à faire ressortir les informations qualitatives. Concernant le traitement informatique, les logiciels Excel et QGIS 2.14 Essen ont été utilisés pour le calcul des taux pour les représentations graphiques et cartographiques. Toute cette démarche méthodologique nous a permis daboutir aux différents résultats, tels que présentés.
2-Résultats
Les résultats issus des informations recueillies dans les quatre quartiers ciblés, ont fait connaître, à la fois, la typologie des praticiens (figure 3) ou des soins traditionnels, les modes dutilisation ainsi que les raisons motivant le choix de ces populations.
Figure 3: Situation des praticiens dans les quartiers enquêtés
2-1 Praticiens et typologies des recours aux soins de la médecine traditionnelle
2-1-1 Les praticiens de la médecine traditionnelle
La médecine traditionnelle ou parallèle est « lexpression assez vague désignant en général les pratiques de soins de santé anciennes et liées à une culture qui avaient cours avant lapplication de la science aux questions de la santé par opposition à la médecine scientifique ou allopathie » (Bannerman et al, cités par Bossard, 1987 p 14). « Les pratiques de la médecine traditionnelle englobent les thérapies médicamenteuses et les thérapies de soins reposant sur des procédures, telles que les thérapies faisant usage de médicaments à base de plantes, la naturopathie et les thérapies manuelles ainsi que dautres techniques connexes et autres thérapies physiques, mentales, spirituelles et orientées esprit-corps » (OMS, 2013 p 25). Par ailleurs, les personnes qui sadonnent à la pratique de cette médecine peuvent être des individus ayant reçu lhéritage culturel dun parent praticien, ou des professionnels de la médecine conventionnelle et même du personnel de santé (médecins, dentistes, infirmiers etc.). Au niveau de la ville de Bouaké, ces praticiens sont de trois ordres. Il sagit des phytothérapeutes, des herboristes et des autres praticiens (figure 4).
Figure 4 : Répartition des praticiens traditionnels dans les quartiers étudiés
- Les phytothérapeutes
Ils utilisent uniquement les vertus préventives et curatives des plantes pour soigner le paludisme, les infections digestives, la fièvre typhoïde... on les trouve aussi bien en milieu rural quen milieu urbain et « lon peut même affirmer que dans les familles africaines, les grands-mères (photo 1) ont la connaissance des plantes qui guérissent les maladies de leur progéniture » (Konan, 2012 p 14). Le phytothérapeute, cest toute personne qui, sur la base des connaissances acquises au sein de la famille, par révélation ou auprès dun autre phytothérapeute, utilise les vertus des plantes médicinales pour traiter les malades (MSHP, 2007 p 2). En plus, il soigne les troubles mentaux et établit léquilibre spirituel à partir des plantes médicinales et de pouvoirs surnaturels ou magiques.
Photo 1: Une phytothérapeute et sa petite fille à Koko
Nos enquêtes ont montré que le nombre de phytothérapeutes diffère dun quartier à un autre (figure 4). Faute dorganisation spatiale, ils sont présents dans les quartiers et pratiquent lactivité chez eux à domicile. Sur les sept rencontrés, cinq sont localisés dans des magasins ou dans leur domicile quils dédient à lactivité. Le caractère thérapeutique de lactivité, fait quils sont plus situés dans leurs domiciles ou dans un endroit quils dédient à lactivité. La plupart des personnes qui pratiquent cette activité de phytothérapeute sont des hommes. Sur les 7 phytothérapeutes enquêtés, 5 sont des hommes ; Les femmes étant beaucoup commerçantes, sadonnent à lactivité dherboriste. Les phytothérapeutes identifiés à Koko sont au nombre de 3, à Broukro, ils sont 2 et on retrouve 1 à Houphouët-ville et à Angouatanoukro. En plus des phytothérapeutes, on rencontre des herboristes.
- Les herboristes
Lherboriste, cest une personne qui, sur la base des connaissances acquises en médecine et en pharmacopée traditionnelle, conditionne et vend des matières premières végétales à des fins thérapeutiques (MSHP, 2007 p 2). Cest une personne qui connaissant les plantes médicinales, ne dispense pas les soins mais les met à la disposition des praticiens de la médecine traditionnelle ou de la population. Ils pratiquent plutôt lactivité commerciale des thérapies traditionnelles. Les herboristes sont les plus répandus dans les quartiers étudiés dans la ville de Bouaké. Ils occupent une place de choix dans les marchés contrairement aux phytothérapeutes qui ont tendance à exercer chez eux. Leur situation géographique se justifie par le fait que 10 sur 12 herboristes ne dispensent pas de soins mais sinvestissent plutôt dans la commercialisation. La quasi-totalité des herboristes rencontrés à Bouaké (10) sont des femmes (photo 2). Labsence ou la rareté des hommes (2 hommes) dans cette activité pourrait sexpliquer par son caractère commercial. Les 2 hommes rencontrés parmi les herboristes sont des livreurs de produits à base de plantes et matières végétales aux femmes.
Ces produits sont essentiellement constitués décorces, de feuilles, de tiges, de racines et même de graines (photo 2). Il existe également des préparations et des produits finis à base de plantes qui contiennent comme ingrédients actifs, des parties de plantes et autres matières végétales ou une combinaison des deux (OMS, 2013 p 25).
Photo 2 : Une famille dherboristes
Les herboristes sont inégalement répartis dans les quartiers étudiés : 5 à Koko, 3 à Broukro et 2 respectivement à Houphouët-ville et à Angouatanoukro. Ils sont concentrés dans les marchés de proximité dans le but de faciliter laccès à leurs produits. Leur nombre élevé à Koko se justifie par lancienneté de son marché, la place que ce quartier occupe au niveau économique à Bouaké et aussi par lexistence dun jour de marché. Ce quartier est réputé pour la commercialisation des plantes médicinales à Bouaké. Ensuite à Broukro, la présence permanente de ces 3 herboristes se justifie par lexistence du jour de marché (samedi) dans ce quartier. Aussi le voisinage des villages Outoukléssou et Broukro-village joue un rôle important dans la géographie des herboristes à Broukro. Labsence dun marché de proximité à Angouatanoukro et à Houphouëtville fait que ces praticiens sont localisés à domicile dans des endroits dédiés à cette activité. Particulièrement parmi les 2 herboristes dHouphouët-ville, on rencontre une qui exerce à la fois les deux activités. Selon le témoignage de certains habitants rencontrés, cest le manque de praticien traditionnel dans le quartier qui lui a permis de jouer ces deux rôles. Mais à la base, elle est phytothérapeute. Hormis ces deux types de praticiens, il existe dautres thérapeutes traditionnels.
- Les autres thérapeutes traditionnels
Ils regroupent les charlatans, les accoucheuses traditionnelles, les rebouteux et autres. Ces derniers sont également sollicités par la population urbaine pour de nombreux services. On les retrouve dans les marchés de Bromakoté, Dar-es-Salam et sur les marchés de proximité de certains quartiers comme Koko, Djézoukouamékro, Broukro et à domicile. Ils sont aussi présents dans des villages rattrapés par la ville tels que Konankankro, Attienkro. Ils occupent également une place importante dans la prise en charge des épisodes morbides à Bouaké. A Koko comme à Broukro, lon rencontre des charlatans, des rebouteux et des accoucheuses traditionnelles ou matrones, le plus souvent, les jours de marché. Toutefois, il existe 2 formes principales dutilisation des médicaments traditionnels.
2-1-2 Les types dutilisation des soins traditionnels
Il existe essentiellement deux formes dutilisation des produits de la médecine traditionnelle dans les quartiers étudiés à Bouaké. Ils sont pris soit comme thérapie à usage unique, soit en association aux thérapies de la médecine moderne (figure 5).
Figure 5 : Mode dutilisation des soins traditionnels par les chefs de ménage
Lexamen de la figure 5 fait état de deux formes dutilisation de la médecine traditionnelle. Cette médecine est utilisée soit uniquement pour se soigner ou soit elle vient en addition aux soins modernes. Toutefois, les chefs de ménages ont plus recours à la médecine traditionnelle en mode additionnel dans tous les quartiers enquêtés.
- Recours unique à la médecine traditionnelle Le fort taux de recours à la médecine traditionnelle se justifie par une représentation de la maladie chez certaines populations urbaines. En effet, 20% des chefs de ménages enquêtés ont déclaré que le paludisme (ictère), la diarrhée, la fièvre typhoïde, les maladies contractées mystiquement ne peuvent pas trouver de remèdes dans des hôpitaux. Pour eux, la médecine traditionnelle est, en lespèce, la plus efficace eu égard à ses preuves et aux nombreux témoignages qui fusent de partout. Par ailleurs, 35% des chefs de ménages enquêtés ont recours uniquement à la médecine traditionnelle pour leurs soins de santé primaires, évoquant des raisons sociologiques et culturelles. Ils estiment que, depuis leur naissance et dans leur famille, le seul recours de soins était la médecine traditionnelle. Lutilisation de cette médecine devenait dès lors un fait sinon une pratique culturelle. Cest à juste titre quun enquêté, ressortissant du Nord de la Côte dIvoire sest exprimé en ces termes : « Lorsque je suis malade, je me rends chez un praticien de la médecine traditionnelle et je reviens avec un canari, dans lequel il y a un assemblage de plantes médicinales pour gérer ma maladie », « cest la seule option que jai pour me soigner ». De manière précise, dans les quartiers enquêtés, les chefs de ménages qui utilisent uniquement les soins traditionnels pour se soigner représentent 20% à Houphouët-ville, 40% à Koko et à Angouatanoukro. Dans le quartier Broukro ce taux atteint 37% des enquêtés (figure 5). A côté de cette forme dutilisation, les chefs de ménage utilisent les médicaments traditionnels en association aux soins de la médecine moderne.
- Des médicaments traditionnels en usage additionnel aux soins de la médecine moderne Les soins de santé traditionnels sont utilisés par plusieurs personnes en concomitance avec les soins de santé moderne. Cette manière dutiliser les thérapies traditionnelles permet de traiter les maladies de façon efficiente et définitive selon les usagers de cette forme dutilisation. En effet, pour un cas du paludisme, ils achètent quelques médicaments à la pharmacie soit à la suite dune consultation dans un centre de santé ou par une automédication. Ensuite, ils se rendent chez un praticien de la médecine traditionnelle pour acheter également des médicaments. Ils associent aux comprimés prescrits pour une durée de trois jours de traitement, des lavements et/ou des décoctions selon les recommandations et prescriptions dun praticien. On peut également avoir une combinaison de médicaments pharmaceutiques et de thérapies traditionnelles assemblées dans un canari avec lesquelles le malade se soigne. Ce dernier ayant avalé les comprimés, boit, se fait masser, inhale et/ou prend un bain avec des décoctions préparées dans un canari. En effet, les thérapeutes utilisent des plantes médicinales pour le traitement des malades. Toutes les parties de la plante sont utilisées à létat frais ou sec : feuilles, fleurs, fruits, graines, tronc, bois, écorce, tige, racines. Les préparations sont obtenues par macération, décoction ou infusion. Elles peuvent aussi être chauffées dans des boissons alcoolisées, et/ou du miel ou dans dautres substances comestibles. Les chefs de ménages qui sadonnent à cette utilisation additionnelle atteignent près de 60% des enquêtés des quartiers étudiés. Dune manière spécifique, cette proportion varie dun quartier à un autre (figure 5). Dans tous les quartiers enquêtés, on enregistre un nombre important des chefs de ménages qui ont recours à la médecine traditionnelle en addition à la médecine moderne. Ces proportions représentent respectivement 56%, 60% et 63% des individus enquêtés. Dans le quartier Houphouët-ville (haut-standing), ce sont 80% des chefs de ménages enquêtés qui utilisent la médecine parallèle en addition à la médecine moderne. Au regard des différents modes dutilisation des soins traditionnels, il est impérieux de chercher à identifier les mobiles de recours à ces soins.
2-2 Motifs de recours aux soins de la médecine traditionnelle
Dans les quartiers étudiés au sein de la ville de Bouaké, la médecine traditionnelle intéresse 86% des chefs de ménages enquêtés pour la prévention ou la prise en charge de leur épisode de morbidité. Plusieurs motifs sont susceptibles dexpliquer le recours aux soins de la médecine traditionnelle. Mais, dans le cadre de cette étude, nous avons retenu trois principales raisons explicatives : les soins faciles daccès et économiquement supportables et les considérations socio-culturelles (Tableau 2).
Tableau 2 : Proportion en % des enquêtés /quartier selon les motifs de recours
2-2-1 Des soins daccès facile et économiquement supportables pour les populations
Les soins de la médecine traditionnelle sont facilement accessibles et proches de la population urbaine. Ils sont financièrement abordables, acceptables et surtout un grand nombre leur font confiance (OMS, 2013). Généralement, les consultations de patients par les praticiens de la médecine traditionnelle, ne nécessitent pas de frais. Pour preuve, chez près de 60% de tradi-praticiens interrogés, la consultation est gratuite. Seul le traitement est payant, par modalité selon les moyens du malade ou après sa guérison. Dans le cas où elles ont un coût, il est moins onéreux. Parfois, il est compris entre 5 et 25 FCFA, représentant la quote-part due aux "génies" et aux "esprits", en guise de don (Konan, 2012). De plus, lon rencontre ces praticiens de la médecine traditionnelle à proximité ou dans les marchés des quartiers, étant donné lEtat na pas encore réussi à contrôler leur activité. Quant aux médicaments de la médecine traditionnelle, les utilisateurs les trouvent économiquement supportables, comparativement à ceux de la médecine conventionnelle. Les coûts sélèvent de 50 à 300 FCFA mais peuvent atteindre 2 000 FCFA selon létat du malade. Les prix sont également déterminés en fonction du type de remèdes. En effet, pour les médicaments en sachet (photo 1) ou des feuilles, le coût est compris entre 50 et 200 FCFA. Lorsquil sagit dune préparation dun remède dans un canari, cela revient soit à 3 000 ou 5 000 FCFA voire plus, selon le type de pathologie. Quant aux décoctions, elles coûtent pour la majeure partie des cas, 1 000 FCFA. Pour ces coûts relativement abordables, ce sont 36% des chefs de ménages interrogés de façon générale (nos enquêtes, 2017) qui disent en être les prestataires. Laccessibilité géographique des produits de la médecine traditionnelle est un facteur déterminant pour leur usage. Dun point de vue global, 30% (enquêtes de terrain, 2017) des chefs de ménages enquêtés utilisent les produits traditionnels pour leur accès facile. Généralement, lessentiel des plantes médicinales exploitées par les praticiens traditionnels est issu de peuplements sauvages du territoire ivoirien. Le ravitaillement des marchés et des praticiens en plantes médicales se fait à partir des marchés des villages de la région de Bouaké et même plus loin, dans les autres régions environnantes. Cependant, certaines plantes proviennent des pays voisins. Elles ne sont cultivées que lorsquelles deviennent rares. Les matières minérales utilisées par les praticiens sont : le kaolin, largile, la terre, la potasse Enfin, il arrive quen dehors des marchés de proximité, des utilisateurs qui ont une certaine connaissance en médecine traditionnelle, trouvent eux-mêmes ces matières à travers la végétation, dans lespace communal de Bouaké. Hormis le moindre coût des médicaments traditionnels et de leur accès facile, les populations urbaines de Bouaké ont recours à la médecine traditionnelle pour des considérations socio-culturelles.
2-2-2 Des considérations socio-culturelles
Les considérations sociologiques et culturelles constituent des aspects très importants quant aux mobiles de lutilisation des médicaments traditionnels. Autrement dit, marqués culturellement, fidèles à la tradition et plus loin, contrôlés par des clichés et stéréotypes fustigeant la médecine moderne, une proportion importante de la population fait appel à la médecine traditionnelle. Le recours à cette médecine est surtout dû à son efficacité dans la gestion de plusieurs épisodes morbides. Parmi ces épisodes, on peut citer : le paludisme ictère, les infections digestives, les crises hémorroïdaires et bien dautres. Cette efficacité est à lorigine de lutilisation unique de la médecine traditionnelle pour certains et en addition pour dautres, dans la gestion des pathologies. Ainsi, on peut remarquer que 34% des populations enquêtées ont recours aux soins traditionnels pour cette raison particulière (enquêtes de terrain, 2017). Les considérations sociologiques et culturelles demeurent le deuxième mobile explicatif de lusage des médicaments de la médecine traditionnelle, après le motif du "moindre coût". Parmi ces 34%, près de la moitié considère que le recours à la médecine traditionnelle est la condition sine qua non pour la gestion de leur épisode de morbidité. Pour ces chefs de ménages, les remèdes de soins modernes présentent des limites. Dans la situation où la médecine moderne échoue, il faut dautres recours de soins tels que les pratiques de mystiques ou de charlatans pour soigner la maladie. La maladie pour eux, nest pas une simple infirmité, mais plutôt un sort où une malédiction jetée par une tierce personne sur eux. Cette perception de la maladie a des origines culturelles et participe aux récurrents recours à la médecine traditionnelle. A Houphouët-ville on remarque un fort taux de recours à la médecine traditionnelle pour des raisons sociologiques et pour son efficacité dans le traitement de certaines maladies. Ce taux atteint les 60% des chefs de ménages. Egalement dans les quartiers Koko, Broukro et Angouatanoukro, on observe respectivement 42%, 26% et 20% des chefs de ménages enquêtés qui utilisent la médecine traditionnelle pour ces mêmes raisons.
Discussion
La médecine traditionnelle est « lexpression assez vague désignant en général les pratiques de soins de santé anciennes et liées à une culture qui avait cours avant lapplication de la science aux questions de la santé par opposition à la médecine scientifique ou allopathie » (Bossard, 1987 p 14). Cette médecine est très développée en Côte dIvoire. À Bouaké, on rencontre plusieurs praticiens traditionnels sur lespace urbain : les herboristes, les phytothérapeutes, les psychothérapeutes, les accoucheuses traditionnelles, les spiritualistes (féticheurs, devins, occultistes, exorcistes), les naturothérapeutes et les Médico-droguistes. Létude menée par Konan (2012) et les travaux du Ministère de la santé publique de Côte dIvoire (2007) ont formellement identifié ces mêmes praticiens qui exercent à Bouaké. En outre, lusage de la médecine traditionnelle occupe une place de choix dans les itinéraires thérapeutiques des citadins ivoiriens. Dans les quartiers étudiés au sein de la ville de Bouaké, le niveau de recours à cette médecine sélève à 86%. Les populations rencontrées utilisent les services de la médecine traditionnelle pour améliorer leur état de morbidité dans les cas de paludisme, fièvre typhoïde, infections digestives, etc. Une telle conjoncture est induite par un accès facile aux produits de la médecine traditionnelle, à des coûts de soins économiquement abordables et par son efficacité dans la guérison de plusieurs pathologies. Le Ministère de la santé du Bénin (2013) a également insisté sur ces facteurs explicatifs qui demeurent identiques. Les travaux de Traoré (2016) indiquent quau Mali, plus de 80% de la population fait appel à la médecine traditionnelle dans les soins de santé primaires. En effet, ce pourcentage élevé au Mali se justifie par plusieurs facteurs dordre social, économique, culturel et démographique. Les maliens, quelque soit leur rang social et leur niveau dinstruction restent attachés à leur tradition. Dailleurs, lOMS (2013) retient le même taux de recours à la médecine traditionnelle de la population africaine que Traoré qui a relevé le cas du Mali.
CONCLUSION
A Bouaké, les quartiers Angouatanoukro, Broukro, Koko et Houphouët-ville comptent plusieurs praticiens traditionnels. Il sagit en autres, des phytothérapeutes, des herboristes, de charlatans, des accoucheuses traditionnelles, des rebouteux. Les praticiens participent, majoritairement, à la gestion des épisodes de morbidité au côté des soins modernes. Ils sapprovisionnent en médicaments traditionnels dans le Nord de la Côte dIvoire et dans les villages situés à proximité de la ville. Par ailleurs, près de 86% des chefs de ménages des quartiers enquêtés à Bouaké, ont recours aux prestations de la médecine traditionnelle. Pour faire face à leur état morbide, deux modes opératoires soffrent à eux. Ils utilisent les soins traditionnels soit en complément à ceux de la médecine moderne, soit de façon absolue. Plusieurs motifs peuvent être convoqués pour rendre compte de ce taux impressionnant dutilisation de ces produits. Il sagit de leurs coûts abordables, de leur accès facile, des considérations socio-culturelles et surtout de leur efficacité dans la prise en charge de certaines pathologies (le paludisme ictère, les infections digestives, les crises hémorroïdaires et bien dautres).
Bibliographie
Bossard E., 1987, La médecine traditionnelle chez les Ovimbundu, Ethnologie, Université de Neuchâtel, Suisse, 108 p.
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Notes
Table des illustrations
Auteur(s)
1BOHOUSSOU NGuessan Séraphin, 2KONE Tanyo Boniface, 3KOFFI Brou Emile 1Assistant, Université Alassane Ouattara (Côte dIvoire) / Labo VST bohounse@yahoo.fr 2Doctorant, Université Alassane Ouattara (Côte dIvoire) bonifacekone03@gmail.com 3Professeur Titulaire, Université Alassane Ouattara (Côte dIvoire) / Labo VST koffi_brou@yahoo.fr
Droits d'auteur
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire)