

Cartographie par télédétection et analyse de linfluence des activités agricoles dans le terroir villageois odjoukrou
1Armand KANGAH 1, 2Eugene Kouadio KONAN, 3Della ALLA, 4Marie Antoinette OUATTARA
Abstract :
Located at about 30 kilometers of the big city of Abidjan, the terroir of Odjoukrou is an agricultural land. This terroir houses not only agro-industrial complexes, but also large tracts of food crops, including cassava the main staple food for the local population but also for the abidjanease population.
The first studies conducted in 1990 on this terroir revealed an heavy human pressure and showed that the terroir moved toward a land saturation. Faced with the development and the extension of agricultural areas, this study aims to present after more than two decades, the current situation of land cover in the terroir of Odjoukrou. The diachronic analysis of the land cover from 1987 to 2016 reveals that the terroir of Odjoukrou reached today a state of high land saturation. In fact, more than 92% of the terroir, apart from dwelling places are occupied by crops and plantations. Forested landscapes that made up land reserves do not exist practically anymore. The demographic growth, the heavy demand of the market in food products, including cassava and cropping practices are responsible for this land saturation, which leads to a decrease of fallow period.The first studies conducted in 1990 on this terroir revealed an heavy human pressure and showed that the terroir moved toward a land saturation. Faced with the development and the extension of agricultural areas, this study aims to present after more than two decades, the current situation of land cover in the terroir of Odjoukrou. The diachronic analysis of the land cover from 1987 to 2016 reveals that the terroir of Odjoukrou reached today a state of high land saturation. In fact, more than 92% of the terroir, apart from dwelling places are occupied by crops and plantations. Forested landscapes that made up land reserves do not exist practically anymore. The demographic growth, the heavy demand of the market in food products, including cassava and cropping practices are responsible for this land saturation, which leads to a decrease of fallow period
Entrées d'index
Mots-clés : Pression anthropique, Saturation foncière, Occupation du sol, Images satellitaires,
Keywords: Anthropogenic pressure, Land saturation, Land cover, Satellite images
INTRODUCTION
Le secteur agricole occupe une place très importante dans léconomie ivoirienne. Cette économie est basée à lindépendance exclusivement sur le binôme café cacao qui représentait plus de 63 % de la valeur des exportations (Sawadogo, 1974). Compte tenu de la fragilité de ce secteur, lEtat ivoirien a mis en place une politique de diversification des cultures. Selon Sawadogo (1974), cette diversification simposait à lévidence comme un impératif vital pour le pays dont la majeure partie des habitants tirent leurs revenus de lagriculture. Elle visait à identifier et à promouvoir dautres cultures dexportations susceptibles doffrir un contrepoids aux spéculations héritées de la colonisation, en procurant aux planteurs du binôme café-cacao et à lEtat de Côte dIvoire dautres sources de revenus.
Ainsi, après lindépendance, un vaste programme de diversification des cultures a été initié avec la création de huit sociétés agricoles ayant en charge lexécution des plans de développement agricole mis en place. Afin de répondre au projet dun développement agricole fondé sur la science, huit instituts de recherche appliquée et deux instituts de recherche fondamentale sont créés pour accompagner les Sociétés dEtat. Cette stratégie de diversification et de développement agricole initié par lEtat a eu pour corollaire une progression spectaculaire des productions agricoles (Sawadogo, 1974), preuve de la réussite du plan de développement agricole.
Cependant, ce plan de diversification des cultures agricoles a occasionné une forte anthropisation des terres dans les terroirs villageois. Cette situation a conduit à une diminution considérable des surfaces forestières (de 12 à moins de 4 millions ha entre 1960 et 1999) ainsi quà une baisse de la fertilité des sols liée à leur surexploitation (Brou, 2007). Ces bouleversements dans le paysage sobservent dans plusieurs territoires ruraux, au nombre desquelles le terroir "odjoukrou", dans le département de Dabou.
Situé à louest de lagglomération abidjanaise, le terroir "Odjoukrou", demeure une terre agricole. Selon Ouattara (1997), le terroir "Odjoukrou" est caractérisé par une pression agricole très forte qui pourraient à la longue conduire vers une saturation foncière.
En effet, à la faveur de la diversification des cultures, ce terroir abrite deux grands complexes agroindustriels autour du palmier et de lhévéa. Ce terroir compte également des plantations villageoises de palmier et dhévéa ainsi que de vastes plantations dhévéa appartement à une nouvelle catégorie dagriculteurs non-résidents. En effet, bon nombre de salariés, résidant dans la capitale économique, ont acquis des terres (par vente ou location) quils exploitent à des fins agricoles. De plus, le terroir "Odjoukrou" est lun des principaux pourvoyeurs de la ville dAbidjan en produits vivriers, principalement le manioc qui sert à la fabrication de lattiéké, aliment de base de la population locale et beaucoup prisé par la population Abidjanaise. Le terroir "Odjoukrou" est donc le lieu dintenses activités agricoles qui menacent gravement les formations forestières. Les premières études menées de 1975 à 1990 ont révélé une forte emprise humaine sur ce milieu. Plus de deux décennies après, quelle est la situation actuelle de loccupation du sol dans le terroir "Odjoukrou"? Cest à cette interrogation que nous allons tenter de répondre à partir dune analyse spatio-temporelle de loccupation du sol de 1987 à 2016.
Ainsi, la présente étude permet dactualiser dune part, les données cartographiques sur loccupation du sol et dautre part dévaluer le niveau de pression humaine et son évolution dans le temps. La télédétection et les systèmes dinformations spatiales sont les outils danalyse utilisés pour la réalisation de cette étude.
2. PRESENTATIONS DU SITE DE LETUDE
Le terroir "Odjoukrou" sétend sur superficie denviron 75 ha et est comprise entre les longitudes 4°2028,62" et 4°4328,65" O et les latitudes 5°1411,65" et 5°2844,11" N. Son relief est fait dun plateau dont les altitudes varient entre 50 et 80 m et dune plaine fluvio-lagunaire inférieure à 40 m (Atlas de Côte dIvoire, 1976). Il est limité au sud par la lagune Ebrié, à lest par la rivière Agneby, à louest par la rivière Ira et au nord par les affluents de lAgneby et de lIra. Ce terroir délimité par des frontières naturelles est bien arrosé par un réseau hydrographique très dense (Figure 1). Les deux principaux cours deaux que sont lIra et lAgneby et leurs affluents drainent suffisamment lespace.Au niveau du climat, le milieu bénéficie de linfluence océanique et dun régime climatique équatorial de transition à quatre saisons dont deux saisons sèches et deux saisons de pluies. La grande saison sèche, plus rigoureuse part de décembre à mars et la petite saison sèche, moins rude, sétend de fin juillet à septembre. Ces deux saisons sèches sont séparées par les saisons de pluies dont la plus grande va du début avril à mi-juillet. La pluviométrie moyenne annuelle se situe entre 1600 et 2000 mm pendant que le déficit hydrique cumulé oscille entre 300 et 400 mm par an. La température moyenne est de 25 C.
Ces bonnes conditions climatiques ont été très favorables au développement dune végétation forestière humide, très dense et sempervirente. Cette formation forestière appartient au domaine guinéen, principalement à la forêt ombrophile caractérisée par la présence de grands arbres. On y rencontre également des forêts marécageuses, des mangroves et aussi des formations savanicoles très localisées.
Les sols dans ce terroir sont ferralitiques fortement désaturés sous forte pluviométrie et sont en général formés de dépôts détritiques sablo-argileux (sols hydromorphes). Ce sont des sols profonds et peu gravillonnaires aux propriétés physiques très bonnes. Leurs aptitudes culturales également très bonnes sont très favorables aux cultures industrielles tels que le cocotier, lhévéa, le palmier à huile, etc... La zone est également propice à la pratique de culture vivrière tel que le manioc, le riz pluvial (Atlas de Côte dIvoire, 1976).
Au plan humain, le terroir est occupé majoritairement par le peuple "Odjoukrou", reparti dans environ une trentaine de villages. Cette population rurale cohabite actuellement avec un fort taux détrangers dorigines diverses et dallogènes attirés par les ensembles agro-industriels et les aptitudes culturales de ce terroir. Lactivité principale est lagriculture qui sest beaucoup intensifiée avec la diversification et la diffusion des cultures de rentes et des cultures vivrières Toutefois, le manioc et les cultures industrielles constituent les activités dominantes de ce terroir.
3. DONNEES ET METHODE
3.1. Les données de létude
Pour la réalisation de la présente étude, nous avons eu recours à trois images satellites et à un fond cartographique.
3.1.1. Les images satellites
Trois images satellites prises à différentes dates (1987, 2000, 2016), dont les caractéristiques sont contenues dans le tableau 1 ont servi à cette étude.
Tableau 1 : caractéristiques des images satellites
Ces images, en plus dêtre corrigées géométriquement, ont été géo-référencées dans le système de projection UTM, zone 30 Nord. Les images qui ont été téléchargées gratuitement sur le site internet http://glovis.usgs.gov ont servi à lélaboration des cartes doccupation du sol en 1987 ; 2000 et 2016 du terroir "Odjoukrou".
3.1.2. Le fond cartographique
Il sagit dun fichier numérique des limites du terroir "Odjoukrou". Elaboré par Ademola en 1997, il a été acquis auprès du Laboratoire de Traitement de lInformation Géographique (LATIG) de lInstitut de Géographie Tropicale (IGT) de lUniversité Félix Houphouët-Boigny dAbidjan.
Avant le traitement des données, en particulier des images satellites, nous avons procédé à la mise en place des classes thématiques dintérêt.
3.2. Définition des classes thématiques
Il sest agi de définir les thèmes, cest-à-dire les types doccupation du sol ayant fait lobjet de la cartographie. Ainsi, après une visite de terrain et en sappuyant sur danciennes données cartographiques, huit (8) thèmes ont été retenus pour la cartographie et lanalyse de loccupation du sol. Ce sont :
- Forêt
- Cultures vivrières/ jachère
- Plantation villageoise dhévéa
- Plantation industrielle dhévéa
- Plantation villageoise de palmier
- Plantation industrielle de palmier
- Savane
- Localité/sol nus
Ces différents thèmes ont été extraits des images satellites par classification et traduits sous forme de cartes doccupation du sol. Le processus se présente comme suit :
3.3. Traitement des images satellites
Le traitement avait pour but de produire des cartes doccupation du sol à partir des images satellites. Compte tenu de la résolution spatiale (30 m) de ces dernières, la classification pixel par pixel a été retenue comme approche de cartographie de loccupation du sol. Cependant, pour éviter des confusions entre certains types doccupation du sol à savoir les plantations industrielles et les plantations villageoise, des masques ont été utilisés lors de la classification. Le processus de classification sest déroulé en plusieurs phases.
3.3.1. Extraction de la zone détude
Cette étape a consisté à extraire des différentes scènes des images, lespace détude. Le fichier numérique des limites du terroir "Odjoukrou" a été utilisé pour extraire des images, lespace détude par application dun masque à laide du logiciel ArGis 10.3.
3.3.2. Choix des parcelles dentrainement
Les classes déchantillons constituent des éléments essentiels dans le processus de classification des images. Cette étape a consisté à élaborer des échantillons au niveau de chaque thème de létude. Pour ce faire, des compositions colorées ont été créées afin de permettre une meilleure discrimination des thèmes et faciliter le choix des échantillons. Après donc plusieurs combinaisons, les compositions colorées (TM4, TM5, TM3) pour limage de 1987, (ETM+4, ETM+5, ETM+3) pour limage de 2000 et (OLI4, OLI5, OLI3) pour limage de 2016 ont été retenues. Ainsi, 80 échantillons dont 10 par thème ont été constitués à partir des compositions colorées respectives de 1987 ; 2000 et 2016. Les coordonnées de ces échantillons ont été enregistrées dans un GPS pour vérification et consolidation sur le terrain.
3.3.3. Création du fichier des masques
Afin déviter des confusions entre les plantations industrielles et villageoises, nous avons procédé premièrement par interprétation visuelle à une identification des plantations industrielle. En effet, les plantations industrielles sont à cause de leur forme géométrique très reconnaissable sur les images satellites. Une fois les plantations identifiées, nous avons procédé directement à leur digitalisation avec le logiciel ArcGis. Les fichiers obtenus ont par la suite été transformés en un fichier masque qui a été utilisé lors de la classification.
3.3.4. Classification des images
Lalgorithme de classification, "le maximum de vraisemblance" est celui utilisé pour classifier les différentes images. Cet algorithme est basé sur la théorie probabiliste Bayésienne qui suppose que les classes suivent une distribution gaussienne. Les pixels sont donc classés selon la probabilité dappartenir à une classe donnée, sur la base de linformation spectrale contenue dans les échantillons fournis en amont de la classification
Ainsi, les différents échantillons, constitués à partir des différentes compositions colorées de 1987 ; 2000 et 2016 ont respectivement été utilisés pour la classification des images de 1987 ; 2000 et 2016 après avoir appliqué le fichier des masques. Après la classification, une campagne de terrain a été faite afin dévaluer la conformité de limage classifiée à la réalité du terrain.
3.3.5. Traitements morphologiques et vectorisation
Pour lhomogénéisation du contenu thématique des images classifiées, un filtre médian de taille 3x3 a été appliqués pour supprimer les pixels isolés.
Après, lhomogénéisation des classes, les images classifiées ont été vectorisées puis intégrées dans un Système dInformation Géographique (SIG).
3.4. Evaluation de la dynamique spatio-temporelle
Cette étape, a consisté dune part, à une évaluation des superficies des différents types doccupation du sol et dautre part, à une caractérisation de leur évolution au moyen des opérations statistiques entre 1987 et 2016 dans le terroir "Odjoukrou". A cet effet, toutes les données cartographiques issues de la classification des images (1987 ; 2000 et 2016) ont été importées dans un logiciel de Système dInformation Géographique à savoir (ArcMap) pour leur exploitation et analyse.
Cependant, avant toute opération, les fichiers vecteurs respectifs issus des images classifiées de 1987 ; 2000 et 2016 ont été fusionnés aux fichiers des plantations industrielles, digitalisés au préalable par interprétation visuelles.
La caractérisation de lévolution des types doccupation du sol entre 1987 et 2000 a été possible par le calcul de deux taux. Le premier est le taux dévolution global. Le second est le taux dévolution /régression moyen annuel. Les formules utilisées sont les suivantes:
4. RESULTATS
Au niveau des résultats, nous présentons limpact des activités anthropiques sur le terroir agricole Odjoukrou et son évolution dans le temps.
4.1. Estimation de lemprise humaine en 1987
Selon les statistiques de loccupation du sol de 1987, les activités agricoles occupent plus 78 % du terroir agricole odjoukrou. Cela signifie que plus des 3/4 de la superficie totale du terroir sont en culture en 1987. La pression humaine sur ce terroir villageois était déjà très élevée à cette période, ce qui montre limportance des activités agricoles au sein de cette communauté.
Cette forte anthropisation sest faite au détriment des formations végétales qui ne sétendent que sur 17 % seulement du terroir. Elles sont constituées essentiellement de forêts sur terre ferme, de forêts marécageuses et de savane. Les forêts sur terre ferme se retrouvent principalement dans le nord-est. Les forêts marécageuses et la savane sont concentrées dans le sud où elles apparaissent sous forme de reliques (Figure 2).Sagissant des activités agricoles, elles sont regroupées en trois grandes catégories et occupent différemment lespace.
4.1.1. Les champs et jachères
Ce type doccupation du sol est très répandu dans le terroir villageois en 1987. Il sétend sur plus de la moitié, cest-à-dire 53 % des terres du terroir Odjoukrou. Constitué essentiellement de vivriers (culture de manioc) et de maraichage, ces cultures se rencontrent un peu partout dans le terroir avec cependant une forte présence dans la partie est, plus spécifiquement au nord de la ville de Dabou.
4.1.2. Les plantations de palmier
Elles sont constituées majoritairement de complexes agro-industriels et de quelques plantations villageoises localisées non loin des blocs agro-industriels. Elles sétendent sur plus 13 % des terres de lespace détude. On observe quatre blocs agro-industriels de palmier à louest et au centre du terroir (figure 2).
4.1.3. Les plantations dhévéa
Les plantations dhévéa sont également constituées majoritairement de complexes agro-industriels et de quelques plantations villageoises. Avec un taux doccupation de plus de 12 %, elles sont moins étendues que les plantations de palmier et les cultures vivrières. Deux grands blocs agro-industriels se rencontrent dans lespace détude dont lun est situé au centre et lautre à lest du terroir.
En somme, lensemble des complexes agro-industriels et des plantations villageoises de palmier et dhévéa occupent plus de 25 %, soit le 1/4 des terres du terroir odjoukrou. Elles sont cependant deux fois moins étendues que les cultures vivrières qui couvrent plus de la moitié des terres. Malgré donc la présence des complexes agro-industriels, le terroir reste dominé en 1987 par les cultures vivrières
4.1.4. Les localités
Les lieux habités avec comme chef-lieu de département la ville de Dabou sétendent sur 5 % environ du terroir (figure 3).
4.2. Evolution de lemprise humaine
Elle concerne lévolution des différentes activités agricoles pratiquées dans le terroir odjoukrou sur la période de 1987 à 2016. Lanalyse sest faite dabord au niveau des grandes catégories doccupation du sol, ensuite au niveau de chaque type dactivité agricole.
4.2.1. Les grandes catégories de loccupation du sol
De façon générale, de 1987 à 2016, les activités agricoles ont connu une très nette évolution spatiale. De 78 % en 1987, le taux dextension des activités agricoles est passé à 86 % en 2000 et à 92 % en 2016. Ainsi, sur la période de 1987 à 2016, les activités agricoles ont connu un taux dextension global de près de 18 % et une évolution moyenne annuelle de 0,5 %.
La pression humaine sur le terroir odjoukrou, déjà très forte en 1987, sest beaucoup accentuée sur la période de 1987 à 2016. Actuellement, avec un taux danthropisation de plus 92 %, la pression humaine est presque que totale. Cette situation conduit inéluctablement à une certaine saturation des terres dans le terroir odjoukrou (Tableau 1).
La très forte extension des superficies cultivées a eu des conséquences néfastes sur les formations végétales qui ont connu une forte régression entre 1987 et 2016. En effet, de 17 % environ en 1987, le taux de couverture végétale dans le terroir odjoukrou est tombé à environ 8 % en 2000 avant de descendre à 2 % en 2016. Ainsi, en moins de trois décennies, les formations végétales ont connu un taux de régression globale de plus de 88 % et une perte moyenne annuelle en superficie de plus de 6 %.
Tableau 1 : Taux dévolution global et moyenne annuel des grandes catégories doccupation du sol de 1987 à 2016
Cette régression concerne tous les types de formations végétales à savoir la forêt dense humide, la forêt marécageuse et la savane pré-lagunaire. Toutes ces formations se trouvent actuellement, sous forme de reliques ou de lambeaux. Les reliques de forêt dense humide sont localisées principalement dans le nord, alors que la savane et des lambeaux de forêt marécageuse se retrouvent sur le littoral lagunaire (Figure 4).
4.2.2. Evolution détaillée des différents types doccupation du sol
Les activités agricoles connaissent de façon générale une nette extension spatiale, cependant cette évolution diffère dun type doccupation à un autre.
- Les champs et jachères
Les champs ont connu une extension notable entre 1987 et 2016. En effet, couvrant un peu plus de la moitié (53 %) du terroir odjoukrou en 1987, le taux de couverture spatiale des champs et jachères est passé à près de 60 % en 2000, avant de dépasser 63 % en 2016. Ainsi, sur la période de 1987 à 2016, les surfaces en champs et jachères ont connu un taux dévolution global de plus de 19 % et une évolution moyenne annuelle de 0,53 %.
Le terroir odjoukrou demeure largement occupé par les cultures vivrières dominées par le manioc et quelques cultures maraichères pratiquées dans les bas-fonds.
- Les plantations de palmiers
De 13 % en 1987, les surfaces occupées par les plantations de palmiers représentent près de 14 % du terroir odjoukrou en 2000, puis plus de 15 % en 2016, ce qui correspond à un taux dévolution global de 15 % et une évolution moyenne annuelle de 0,42 % sur la période de 1987 à 2016. Cette extension est à mettre au compte des plantations villageoises. En effet, au niveau des plantations industrielles, il y a eu quelques parcelles replantées, mais les superficies nont pas augmenté de 1987 à 2016. Par contre, les plantations villageoises ont connu une très nette évolution. De moins de 500 ha seulement en 1987 (0,65 %), les plantations villageoises sont passées à plus de 2000 ha (près de 3 %) en 2016, soit plus de 1500 ha supplémentaires. Cela représente un taux dévolution globale de plus de 300 % et un accroissement moyen annuel de plus de 4 %. Même si les plantations villageoises sont très peu significatives dans lespace (moins de 3 %), lévolution spatiale quelles connaissent démontre un plus grand intérêt des villageois face à cette culture de rente.
- Les plantations dhévéa
De même que les plantations de palmiers, celles dhévéa ont connu globalement une très faible extension. De 12 % environ en 1987, le taux de couverture des plantations dhévéa est passé à plus de 13 % seulement en 2016, soit un taux dévolution global denviron 9 % et une évolution annuelle de 0,27 %. Toutefois, contrairement aux plantations agro-industrielles qui nont pas connu dextension dans le temps, les surfaces occupées par les plantations villageoises dhévéa ont eu une très nette évolution. De moins de 300 ha en 1987, les surfaces couvertes par la culture de lhévéa sont passées à plus de 500 ha en 2000, avant datteindre plus de 1 100 ha en 2016, soit un accroissement de plus 800 ha, ce qui correspond à un taux dévolution global de plus 300 % et à une évolution annuelle denviron 5 %. Certes les plantations villageoises sont très peu présentes dans le paysage agraire (moins de 2 %), contrairement aux autres types de cultures et aux plantations industrielles, mais elles connaissent une évolution très importante.
Excepté les plantations agro-industrielles dont les superficies cultivées nont pas varié dans le temps, les autres types de cultures, en particulier les plantations villageoises de palmier et dhévéa ont connu une extension très remarquable entre 1987 et 2016. Dune superficie estimée à environ 700 ha en 1987, actuellement le terroir odjoukrou compte près de 3200 ha de plantations villageoises de palmier et dhévéa. En moins de trois décennies, les superficies des plantations villageoises ont quadruplé. Toutefois, elles demeurent encore très peu significatives, car elles occupent seulement 4 % du terroir contrairement aux surfaces de cultures vivrières qui sétendent sur plus de la moitié du terroir odjoukrou.
En somme, le terroir odjoukrou subit une forte pression agricole qui a conduit à une anthropisation presque totale de son espace. Il nexiste pratiquement plus de formations végétales (Figure 5). Elles ont toutes été remplacées par des plantations et des cultures vivrières.
4.3 - Analyse de quelques facteurs de lanthropisation des terres
Il sagit ici, dévoquer et danalyser quelques facteurs qui ont contribué à la saturation des terres dans le terroir odjoukrou. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer :
4.3.1. Les potentialités du milieu
Situé sur le littoral ivoirien, le terroir odjoukrou bénéficie des conditions naturelles très favorables au développement de lagriculture. Il bénéficie en effet, de par sa position géographique, de deux saisons de pluie avec une pluviométrie très abondante allant de 1600 à 2000 mm deau par an. Cette bonne pluviosité alimente un réseau hydrographique très dense qui participe au drainage des sols, en renforçant ainsi leurs aptitudes culturales déjà très bonnes. Les sols rencontrés dans le terroir odjoukrou sont donc très propices au développement de lagriculture. Leur très forte désaturation les rend favorables au développement de la culture du palmier, de lhévéa et du manioc qui connaissent un essor remarquable dans le terroir. Par ailleurs, la présence de sols hydromorphes très fertiles est propice au développement des cultures maraichères.
Ainsi, le terroir odjoukrou dispose de conditions climatiques et de sols aux aptitudes culturales très favorables à la pratique et au développement dune agriculture de rente et de subsistance. Ils constituent des facteurs essentiels dexploitation et dextension des superficies agricoles
4.3.2. Les facteurs démographiques
La population du terroir odjoukrou connait une croissance très remarquable. De 74 628 habitants en 1975, la population est passée à 110 541 habitants en 1988, puis à 134 190 en 1998 avant datteindre 148 874 habitants en 2014 selon le dernier recensement de la population de 2014. De 1988 à 2014, la population a connu un accroissement de 38 333 habitants pour un taux daccroissement global de près de 35 %. La densité avoisine 200 habitants au km² en 2014. Le terroir odjoukrou connaît ainsi, en plus dune croissance démographique très importante, une très forte densité de population qui induit inéluctablement une accentuation de la pression foncière.
Cette augmentation de la population rurale a entrainé non seulement un accroissement du nombre dagriculteurs, mais également celui des personnes à nourrir. Cette situation a favorisé la création de nouvelles parcelles agricoles par les nouveaux exploitants et lextension des superficies agricoles des anciens agriculteurs. La confrontation des superficies défrichées et du volume de population dans les villages révèle une relation entre les défrichements et laccroissement du volume de la population (Ouattara, 1997).
4.3.3. Les facteurs économiques
Au plan économique, la population du terroir, en majorité paysanne, tire lessentiel de son revenu de lexploitation des terres qui constituent leur patrimoine et leur seul bien. La nécessité de se nourrir et aussi daccroitre les revenus agricoles implique un développement de lagriculture qui passe par le défrichement et lextension des superficies agricoles au détriment des formations végétales.
Par ailleurs, les besoins croissants de la ville dAbidjan en produits vivriers dus à la croissance de sa population font du pays odjoukrou une zone privilégiée. En effet, le terroir odjoukrou est un important pourvoyeur de la grande métropole ivoirienne en vivriers, en loccurrence le manioc qui sert à la production de lattiéké. La réponse à la très forte demande du marché abidjanais suscite un engouement de la part des communautés villageoises. Cela se traduit dans lespace par un défrichage continu de nouvelles parcelles pour la culture du manioc.
Ces situations conduisent à une accentuation de la pression humaine sur les terres cultivables.
4.3.2. Les techniques culturales
Les techniques culturales pratiquées par les paysans pour mettre en valeur les terres demeurent encore traditionnelles. Ces derniers pratiquent une agriculture itinérante sur brulis. Cette pratique agricole est la principale technique culturale des paysans ivoiriens. En effet, pour ces derniers, seules les zones de forêt demeurent des terres fertiles et à hauts rendements agricoles. De ce fait, laugmentation de la production implique chez les paysans le défrichement et la mise en culture des espaces de forêt. Cette conception paysanne du rendement est à la base de la culture itinérante qui se fait au détriment de formations forestières. Cette pratique agricole sassocie à lexploitation forestière, à labattage des arbres pour la fabrication de charbon de bois et le bois de chauffe pour constituer les facteurs de déforestation du terroir.
Comme on le constate, lextension des parcelles agricoles et la saturation des terres dans le terroir odjoukrou sont étroitement liées à la combinaison de facteurs démographiques et économiques, ainsi que des potentialités naturelles et des pratiques culturales.
5. DISCUSSION
À travers des images satellites et les techniques de cartographie de loccupation du sol, nous avons pu établir des cartes doccupation du sol du terroir odjoukrou. Ces différentes cartes mettent en évidence lemprise humaine sur le terroir odjoukrou, à travers lextension des surfaces consacrées aux activités agricoles.
Lapproche de classification « pixel par pixel » utilisée, pour la cartographie de loccupation, a permis dobtenir dans lensemble, des résultats satisfaisants. Les précisions de classification sont de 92 %, 91 % et 89 % respectivement pour les images de 1987, de 2000 et de 2016. Ces valeurs issues de lindicateur de classification « précision globale », sont largement supérieures à la valeur minimale de 80 % indiquée par Congalton (1991) pour quune classification soit acceptable. Cependant, des confusions importantes persistent dans la cartographie de certains types doccupation du sol. En effet, il na pas été aisé de discriminer les types de plantation, notamment les plantations dhévéa et celles de palmier à huile. Ces dernières présentent des valeurs de réflectance très proches si bien que des confusions apparaissent entre elles. Malgré ces confusions entre ces deux types doccupation du sol, le produit cartographique reste acceptable au vu des indicateurs de précision de la classification. Les résultats cartographiques révèlent une très forte emprise humaine sur le terroir odjoukrou. Avec plus de 92 % du terroir couvert par les activités agricoles, le terroir odjoukrou se trouve actuellement dans un état de saturation foncière. Ces résultats confirment ceux obtenus par Ouattara (1997) lors des premières études réalisées sur ce terroir. Cet auteur affirmait, à travers une analyse de loccupation du sol de 1990, que le terroir odjoukrou était caractérisé par une pression anthropique très forte et que lintensification des activités agricoles conduirait vers une saturation foncière du terroir. Actuellement, cest chose faite, les cultures vivrières, en particulier le manioc, et les complexes agro-industriels de palmier et dhévéa dominent largement le paysage. Les terres vierges nexistent pratiquement plus. Les formations forestières qui constituaient les réserves foncières pour de nouvelles parcelles agricoles ont presque toutes disparu. Cette situation de saturation foncière est due à la pratique non durable dun système agraire archaïque ainsi quà laccroissement du nombre dagriculteurs et de la demande des marchés urbains en vivriers.
Laugmentation de la population du terroir odjoukrou a en effet entrainé non seulement un accroissement du nombre de paysans, mais aussi celui de la demande en productions alimentaires. A ce dernier niveau, cest le manioc doù est issu lattiéké, aliment de la population du terroir et de la plupart des citadins ivoiriens, qui est la culture vivrière la plus pratiquée. Aujourdhui, avec 195 habitants au km², la densité de la population du terroir odjoukrou se situe parmi les plus élevées du territoire ivoirien. Dans un contexte où les pratiques agricoles des paysans sont basées sur les cultures itinérantes sur brûlis, laugmentation des densités de population dans le terroir odjoukrou accentue la pression sur les terres, ce qui conduit à une réduction des temps de jachère ainsi quà une dégradation irréversible des formations forestières. Cest ce qua affirmé Tshibangu (2001), lorsquil avance que les pratiques agricoles seraient responsables de 70 % de la déforestation en Afrique. Ce constat évoqué par cet auteur sobserve bien dans le terroir Odjoukrou dont les formations forestières ont été remplacées par les cultures et plantations.
CONCLUSION
A partir des images satellitaires (Landsat 7 ; ETM+ et OLI), nous avons pu établir des cartes de loccupation du sol (1978 ; 2000 et 2016) du terroir odjoukrou. Une estimation de la pression anthropique et son évolution dans le temps a été faite à partir des données cartographiques de loccupation du sol. Ainsi, il ressort après analyse des données cartographiques que le terroir odjoukrou subit une très forte pression anthropique due aux activités agricoles. Déjà importantes en 1987, les activités anthropiques connaissent une forte intensification.
Le terroir odjoukrou a en effet la particularité dêtre une zone agricole productrice de vivriers, notamment le manioc que lon utilise pour fabriquer lattiéké, aliment de base du peuple odjoukrou, mais aussi consommé par une bonne partie de la population abidjanaise. Le terroir abrite également des complexes agro-industriels de palmier et dhévéa initiés par le gouvernement pour diversifier les cultures de rente. Laugmentation de la population et la satisfaction des demandes croissantes du marché en manioc ont eu pour conséquences lextension et lintensification des activités agricoles. Cette situation a conduit aujourdhui à une saturation des terres. Les formations forestières qui constituaient les réserves foncières nexistent pratiquement plus.
Bibliographie
Atlas de Côte dIvoire (1978). Paris, Edition Jeune Afrique, 75 pages
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Notes
Table d'illustrations
Auteur(s)
1Armand KANGAH 1, 2Eugene Kouadio KONAN, 3Della ALLA, 4Marie Antoinette OUATTARA
1Maitre-assistant E-mail : a_kangah@yahoo.fr
2Maitre-assistant E-mail : enzokkeugene@yahoo.fr
3Maitre de Conférences E-mail : gnalladella@gmail.com
4Doctorante
Droit d'auteur
Université Felix Houphouët Boigny de Cocody, Abidjan, Côte dIvoire