1GOGBE Téré, 2ATTA Koffi Lazare, 3KOUASSI NGuessan Gilbert, 4TCHETCHE Nicaise
La ville de San Pedro bénéficie dimportants atouts touristiques. Mais, la faible valorisation de ces atouts ne fait pas de lindustrie touristique un véritable levier de développement de la ville de San Pedro. En effet, la promotion dune industrie touristique compétitive est contrariée par les difficultés daccès à la ville causées par le désengagement de lEtat. Au demeurant, les collectivités décentralisées sintéressent moins au désenclavement et à la promotion du tourisme local. Face à ces désintérêts des pouvoirs publics, la ville est isolée des grands foyers démission de touristes de la Côte dIvoire. Lobjectif de cette étude est danalyser limpact des contraintes daccès et du désintérêt des pouvoirs publics sur le développement des activités touristiques de San Pédro. Pour atteindre cet objectif, lapproche méthodologique utilisée sappuie le modèle hypothético-déductive et les techniques utilisés pour la collecte des informations ou des données sappuient sur la recherche documentaire, lobservation directe et les entretiens. Les résultats de cette étude montrent que San Pédro dispose dune offre touristique attrayante. Cependant, le tourisme de masse est contrarié par linsuffisance et la dégradation des infrastructures de transport. En outre, les activités touristiques souffrent dun sous-investissement des collectivités décentralisées de la ville.
The city of San Pedro has important tourist attractions. But the low value of these assets does not make the tourism industry a real lever for economic and spatial development of San Pedro. Indeed, the promotion of a competitive tourism industry is thwarted by the difficulties of access to the city caused by the disengagement of the state to create the spatial conditions for the development of tourism. Moreover, decentralized communities are less interested in opening up and promoting local tourism. Faced with this lack of interest of the public authorities, the city suffers from a relative isolation which isolates it from the big centers of emission of tourists. The objective of this study is to analyze the impact of the constraints of access and the disinterest of the public authorities on the development of the tourist activities of San Pédro. To achieve this goal, the methodological approach used rests the model hypothético-deductive and the techniques used for the collection of information or the data are based on the document retrieval, the direct observation and the talks. The results of this study show that San Pédro has an attractive tourist offer. However, mass tourism is opposed by the insufficiency and the degradation of the transport infrastructures. Moreover, the tourist activities suffer from an underinvestment of the decentralized communities of the city.
Entrées d'index
Mots-clés : San Pedro, atouts touristiques, collectivités décentralisées, enclavement, Etat.Keywords: San Pedro, tourism assets, decentralized communities, isolation, state.
Texte intégral
INTRODUCTION
A linstar des pays africains, la Côte d'Ivoire dispose dénormes potentialités économiques. Lexploitation des matières premières agricoles rapporte plus de 35 % du produit intérieur brut (PIB), 66 % des recettes d'exportations et 20 % du budget national (Sawadogo A., 1974). Dans la politique de diversification des activités économiques, les pouvoirs publics lancent dès 1970, la promotion des activités touristiques. Cette nouvelle vision se traduit par la création de la ville de San Pedro par le programme (ARSO)1. Des réceptifs hôteliers et des opérations de désenclavement internes ont été réalisés (Hauhouot, 2002). Cette ville, nouvellement créée, avec sa façade maritime et ses atouts naturels, devrait être un pôle de développement économique, à travers les activités touristiques et son complexe portuaire. Pour cela, plusieurs structures de développement touristiques et un Code des Investissements Touristiques à travers la loi 73-368 du 26 juillet 1973 ont vu le jour (Ministère du Tourisme, 2015). San Pedro est devenue la deuxième ville portuaire du pays. La construction de la voie dénommée « côtière » en 1995 a permis de relier San Pedro à Abidjan en moins de 3 heures de route. San Pedro a ainsi connu une embellie de sa fréquentation. Le taux de remplissage des hôtels est passé à 80% les week-ends et à 50% en moyenne sur un mois (Direction Régionale du Tourisme San Pedro, 2015). Cependant, les résultats de l'économie touristique ne semblent pas à la hauteur du développement socio-économique et spatial de la ville. En effet, le tourisme à San Pedro représente moins de 1% du PIB (Direction Régionale du Tourisme San Pedro, 2015) pendant que le Port Autonome de San Pedro, premier terminal cacaoyer au monde, contribue à hauteur de 17% du PIB ivoirien (PASP, 2008). La dégradation de la route « la côtière » et de plusieurs artères de la ville ont replongé le tourisme dans sa léthargie dantan. La crise qu'a connue le pays de 2002 à 2010 a davantage sinistré le secteur qui ne représente pas plus de 2% du PIB (Ministère du plan, 2010). Au niveau de la ville de San Pedro, pendant que les opérateurs économiques privés font des investissements pour développer lindustrie hôtelière et touristique, les pouvoirs publics ne créent pas les conditions en faveur de son développement. Le problème que pose cet article est la faible implication des pouvoirs publics dans la promotion des activités touristiques de San Pédro. La question de recherche est la suivante : quelles sont les contraintes liées au développement du tourisme à San Pédro ? Lobjectif de cette étude est danalyser la faiblesse des investissements et lenclavement relatif de la ville de San Pedro qui ont un impact sur la valorisation des potentialités touristiques locales.Méthodologie
Lobjectif de cette étude est danalyser limpact de lenclavement physique relatif de la ville de San Pedro sur la valorisation des potentialités touristiques locales. La méthodologie utilisée pour atteindre cet objectif sest appuyée sur trois techniques notamment lobservation, la documentation statistique et cartographique et les entretiens. Dabord lobservation a permis dévaluer la qualité des infrastructures routières et du parc hôtelier. Ensuite, la documentation a contribué à analyser les comptes administratifs des collectivités décentralisées pour apprécier la part réservée au tourisme dans les budgets dinvestissement. Les investissements publics locaux consacrés au désenclavement de la région ont fait lobjet dune attention particulière car laccès physique aux activités touristiques est une condition essentielle pour le développement du tourisme. Enfin, des entretiens ont eu lieu avec le maire, le secrétaire général et le directeur technique pour le compte de la municipalité puis avec le président du Conseil régional de la région pour analyser les priorités de développement et les stratégies de promotion du tourisme dans la ville de San Pedro. Les autorités déconcentrées notamment le directeur régional du tourisme et celui des infrastructures économiques ont été associées pour avoir des informations sur loffre touristique régionale et le rôle de lEtat dans le désenclavement physique de la région. Les résultats issus de ces recherches laissent entrevoir ce qui suit :I. Une offre touristique attrayante et un parc hôtelier relativement importants
1. Une offre touristique basée sur des produits naturels et culturels
1.1. Des richesses naturelles comme trésors touristiques
La ville de San-Pedro est localisée dans une zone très arrosée (2000 mm de pluie par an), dominée par la grande forêt primaire caractérisée par ses immenses étendues de gros arbres verts, une des rares encore intactes. D'ailleurs, un peu plus au nord, a été créé le parc national de Taï qui couvre 330 000 hectares de forêts protégées situées, à l'Ouest, entre Guiglo et Tabou au Sud. Cette forêt primitive, où l'homme n'est jamais intervenu, est pratiquement unique en Afrique et elle figure au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1993. On y rencontrer une végétation et des animaux rarissimes comme le fameux hippopotame nain. La région est naturellement dotée dune forêt luxuriante. Elle possède ainsi une grande variété despèces végétales. En effet lon rencontre plusieurs types de végétation à savoir : la forêt dense humide sempervirente, la forêt marécageuse et les mangroves. Il faut noter aussi que la zone de San Pedro dispose de sept (7) forêts classées dune superficie de 660 447 hectares et du parc nationale de Taï (dernière forêt primaire dAfrique et inscrite au patrimoine mondial de lUnesco). Ce parc regorge de nombreuses espèces médicinales et animales dont les gorilles des buffles et des éléphants. Ces ressources forestières attirent bon nombre de personnes pour lexploitation, doù la présence active de la Société de Développement des Forêts (SODEFOR). Les espèces les plus exploitées sont : le fromager, le dabema, le limbali, le fraké et le niangon, etc. Le département compte 255,5 ha de forêts classées.1-2 Une diversité ethno-culturelle comme matière première touristique
Le nombre, la diversité des peuples dans cette région et leurs pratiques culturelles particulières suscite lintérêt de visiteurs curieux de modes de vie traditionnels.2-Un parc hôtelier favorable au développement du tourisme
La ville de San Pedro compte plus de 100 équipements hôteliers de catégorie variable (cf. Tableau 1). Plusieurs réceptifs hôteliers sont localisés au bord de locéan atlantique, le long du boulevard Félix Houphouët-Boigny offrant ainsi un cadre naturel agréable pour les touristes.Tableau 1 : Caractéristiques des établissements hôteliers
Tableau 2 : Les night-clubs de la ville de San Pedro
Tableau 3 : Caractéristiques des structures de restauration
II. Un tourisme de masse contrariée par linsuffisance et la dégradation des infrastructures de transport
1-Le sous-investissement de lEtat dans le désenclavement physique de la ville : facteur de déclin de lindustrie touristique
La ville de San Pedro nest pas inscrite parmi les destinations touristiques internationales prisées. En effet, la ville ne dispose pas dun aéroport international devant faciliter la mobilité des personnes. La ville perd le marché touristique abidjanais et allemand car les tours-opérateurs de lAllemagne ninscrivent pas San Pedro sur leur agenda. Si des efforts ont été faits dans le cadre de la construction dun aérodrome, la ville de San Pedro souffre dune accessibilité difficile à partir dAbidjan, capitale économique du pays. Cette situation nest pas favorable au développement du tourisme intérieur. La voie dénommée « la côtière », qui relie Abidjan à San-Pedro, longue de 370 Km est totalement dégradée. Malgré les discours sur sa réhabilitation à hauteur de 740 milliards de f cfa, na pas freiné sa dégradation (Discours du président de la république, 07 mars 2015). Lavancée de la dégradation de la « côtière » freine davantage laccès à la ville de San Pedro. Limage de leffondrement dun pont sur cette voie contrarie son accessibilité pendant la saison des pluies (cf. photo 1).Photo 1 : Effondrement dun pont sur la route bitumée Abidjan-San Pedro
Tableau 1 : Typologie du réseau routier et de la voirie urbaine au sud-ouest du pays
2-Une voirie urbaine en mauvais état : facteur de réduction de la mobilité des touristes
La voirie urbaine est un aspect important de lattractivité économique et touristique dune ville. Mais, la voirie de San Pedro nest pas attrayante (figure 2). En effet, dans cette ville portuaire, ce sont les grands axes de circulation, du reste en piteux état, qui sont bitumées. En plus de lenclavement externe relatif, la ville est donc confrontée à des difficultés internes de circulation. En effet, depuis les opérations de bitumage de la ville réalisées par lAutorité pour laménagement de la Région du Sud-Ouest en 1970, la ville na pas bénéficié dinfrastructures routières capables dimpulser son développement. Si des efforts sont faits après la crise post-électorale avec lappui de la Banque mondiale, force est de constater que, selon les enquêtes en 2015, plus de 50% de la voirie urbaine est en mauvais état surtout pendant la saison des pluies. Les investissements dans le bitumage des voies ne peuvent pas être supportés par les budgets dinvestissements des collectivités locales (Cf. Tableau 4). Lanalyse de la figure 2 ci-dessous montre deux voies principales qui relient la ville du Nord au Sud et dOuest en Est, toute en direction de la zone portuaire. La seule voie secondaire se trouve au centre-ville dans les quartiers Poro et Swéké. Tout le reste de la ville est parcouru par des voies en terreFigure 2 : La voirie urbaine de la ville de San Pedro
III. Un sous-investissement touristique flagrant des collectivités décentralisées
1. Une politique municipale moins axée sur le désenclavement et le développement touristique
Les autorités municipales qui se sont succédé pour gérer la ville de San Pedro nont pas réellement mis lindustrie touristique au cur des priorités de développement et daménagement urbain. Si le port et les industries participent aux recettes municipales, les autorités nont pas créé les conditions locales pour lémergence de lindustrie touristique malgré des atouts locaux importants. Les actions entreprises se limitent à quelques projets moins déterminants pour faire du tourisme une activité décisive pour lémergence de la ville de San Pedro. A cet effet, il faut noter le peu dintérêt des autorités municipales à moderniser les espaces gastro-touristiques informelles. Les lieux de restauration et de loisirs mieux structurés par la municipalité et s sont salubres moins nombreux. On peut citer la « rive droite », un ensemble de restaurants mieux organisés et attractifs. Mais, dans lensemble urbain, la municipalité na pas un plan dintégration spatiale pour les restaurants qui constituent le maillon essentiel du tourisme gastronomique. Ailleurs, on note la prolifération des espaces de restauration informelle moins organisés communément appelés « maquis ». Les rues de la ville sont parsemées de restaurants qui jouxtent des unités industrielles. Plusieurs espaces gastronomiques sont intégrés aux espaces industriels. Linorganisation spatiale générale des activités touristiques informelles se traduit également par la précarité de lenvironnement dans lequel évoluent les restaurants. En outre, les taxes municipales sur les restaurants informels ne sont pas de nature à encourager les activités gastronomiques.2. Une politique départementale du Conseil général dalors moins polarisée sur le tourisme
Les activités départementales de promotion du tourisme ont été confiées pendant près de dix (10) ans, cest-à-dire de 2002 à 2013, au Conseil Général de San Pedro. Lanalyse des investissements de 2008 à 2013 montre que lindustrie touristique na pas été au cur des préoccupations du conseil. En effet, tous les investissements sont concentrés dans les équipements socio-collectifs (éducation, santé, électrification, etc.) et le reprofilage des routes. Si les aménagements de désenclavement physique accompagnent le développement du tourisme, il faut admettre que les investissements purement touristiques concernant la valorisation du patrimoine nétaient pas dans lagenda du Conseil général.Tableau 4 : Investissements prévus et réalisés du Conseil Général de San Pedro en 2010
3- Des opérations de désenclavement et de promotion touristique moins décisives
La politique régionale de développement touristique dépend du conseil régional. Ce conseil est fonctionnel depuis 2013. Lentretien avec le directeur général du conseil régional a permis de comprendre les actions entreprises pour le développement du tourisme. Une vice-présidence du conseil régional chargée du développement du tourisme a été créée pour afficher la volonté dudit conseil à faire du tourisme lun des piliers du développement urbain et régional. La vision du Président du conseil régional consiste à faire de San Pedro le leader de la sous-région ouest-africaine en matière de tourisme. A cet effet, le conseil régional a fait un inventaire de tous les sites touristiques de la région. Des actions sont entreprises pour lentretien des sites et la création des itinéraires touristiques dans la région. Une stratégie de communication autour des potentialités touristiques est prévue. Mais, selon les services du conseil régional, laménagement des sites touristiques est coûteux. Selon le directeur général du conseil régional, les investissements qui doivent faire de San Pedro et sa région la première destination touristique de la côte ouest-africaine sont très lourds. Ces investissements sont du ressort de lEtat. Il sagit des grands travaux de réaménagement du site de la ville de San Pedro abandonnés depuis la crise de 1980 (assainissement, drainage, voirie, etc.), la construction dun aéroport, dune autoroute de liaison entre le sud-est et le sud-ouest, le chemin de fer San Pedro-Man. Selon le directeur général du conseil régional, lorganisation de la coupe dAfrique 2021 (CAN 2021) à San Pedro devrait être une opportunité pour renforcer les équipements en infrastructures et promouvoir limage touristique de la ville. Pour lui, ce sont des déclarations de bonnes intentions pour rechercher des partenariats avec le secteur privé et les moyens de la politique touristique locale.CONCLUSION
Le présent article présente les contraintes liées au développement du tourisme dans la ville de San Pédro. Notre hypothèse selon laquelle la conjugaison des difficultés daccès à la ville associée au désintérêt des collectivités locales est la contrainte majeure du développement du tourisme à San Pedro est confirmée.Bibliographie
Condès S., 2004, Les incidences du tourisme sur le développement, in la Revue Tiers-Monde, Tome 45, n°178, Les masques du tourisme, pp. 269-291Notes
1Autorité pour lAménagement de la région du Sud-Ouest
Table des illustrations
Auteur(s)
1GOGBE Téré, 2ATTA Koffi Lazare, 3KOUASSI NGuessan Gilbert, 4TCHETCHE Nicaise
1Maître de conférences
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire)gogbetere@yahoo.fr
2Maître de Recherches
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire) atta_koffi@yahoo.fr
3Maître Assistant
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire) gilbertini2006@yahoo.fr
4Doctorant
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire)
nicaisetchetche@yahoo.fr
Droits d'auteur
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte dIvoire)